Le deal à ne pas rater :
Cartes Pokémon 151 : où trouver le coffret Collection Alakazam-ex ?
Voir le deal

Ajay Khandaar
- D 05 082037 40 02 D -

Ajay Khandaar

En bref

Masculin
Pseudo : Nii'
Messages : 40




But you've been through it once,
You know how it ends ;
You don't see the point
Of going through it again.
And this ain't the place,
And this ain't the time,
And neither's any other day.
Nom : Khandaar.
Prénom : Ajay.
Surnom : Jay, Ajou, Ajachou.
Sexe : Masculin.
Âge effectif : 40 ans.
Âge apparent : 20 ans.
Arrivé depuis : A1, M04, J20.
Date de naissance : 02/08/1997
Date de mort : 10/08/2037.
Orientation sexuelle : Pan/ace-ish.
Groupe : Quietus.
Nationalité : Français ; Charente-Maritime, Marennes (originaire du Finistère).
Langues parlées : Français ; approximatif en anglais et en tamoul ; espagnol déplorable.
Ancien métier : Hydrothérapeute (formation masseur-kiné)
Métier actuel : Masseur / pseudo-kiné / whtv.
Casier Judiciaire


▬ Crimes commis :
▬ Circonstances du décès :
▬ Péché capital principal :
▬ Péché capital secondaire :
▬ Rapport à l'alcool :
▬ Rapport aux drogues :
▬ Addictions :
▬ Mauvaises attitudes récurrentes :
▬ A été victime :


Physique


« 'Cause everybody's dancing, and I don't feel the same »


La première chose qu'on remarque en voyant passer Ajay, c'est sa taille. Un mètre quatre-vingt-dix, c'est bien assez pour attirer l'attention ; d'autant plus quand on est le seul indien dans les environs. Difficile de se cacher.
Quoi qu'il voit le monde de haut, Ajay est loin de ressembler à une armoire à glace. Il est fin, allongé, de ceux qu'on imagine plus jouer au basket qu'à un autre sport de contact — et s'il préfère de loin le tennis ou la course ou tout autre sport ne demandant pas de se jeter dans les jambes des autres, il est vrai qu'il reste sportif. Pas à l'excès, mais dans la norme haute ; assez pour avoir des muscles nerveux et de la force malgré sa silhouette élancée. Il est actif, souple. En bonne santé.
Sa peau mate, qui détonnait tant avec celle de ses petits camarades, ne laisse que rarement le doute quant-à ses origines. On le pense indien avant de se demander s'il est arabe ; et quoi qu'il soit foncé, on lui a rarement demandé s'il était noir. La plupart des gens tapent dans le mille du premier coup.
Il faut dire que s'il est né et a été élevé en Bretagne, il a malgré tout l'allure typique de l'indien lambda. La peau brune, le teint chaud, le nez droit — les cheveux très noirs, très raides et épais, avec des yeux d'un marron très foncé tout sauf bridés. Aucune inquiétude à se faire niveau coups de soleil ; il a de la mélanine à revendre et une bonne protection naturelle contre les brûlures. Ses cheveux, plutôt courts, tombent un peu sur son front et derrière ses oreilles ; courts sur la nuque, à peine plus longs sur le dessus. Il a tendance à les laisser pousser un peu avant de retourner se faire une coupe plus nette, donc il n'est pas rare qu'on lui demande s'il veut les garder longs. Mais non — il oublie juste chroniquement qu'ils ne vont pas arrêter de pousser tous seuls. Comme il aime garder un peu de longueur, ça ne le dérange pas.
Son visage est harmonieux, plutôt joli. La ligne de sa mâchoire est marquée, bien droite. Il a de belles pommettes. Ni des yeux ni un sourire à faire tomber les gens qui le voient en pâmoison, mais un ensemble qui fonctionne ; qui peut faire des envieux. Il a toujours été photogénique. De ceux qui n'ont pas à faire trop d'efforts pour bien présenter, être élégants. Il s'estime chanceux à ce niveau.
De longs doigts, ni cicatrices ni trop de restes d'acné sur les épaules ; ni tatouages ni piercing où que ce soit. Des ongles courts, des articulations apparentes. Des dents quelconques. Des lèvres un peu épaisses, souvent mordues. Ses mains s'étaient abîmées avec le temps, toujours dans l'eau et les huiles, les savons — mais à vingt ans, elles étaient encore douces et peu marquées. Les débuts de rides et les premiers cheveux blancs se sont envolés ; pas qu'il s'en plaigne. Ça ne le dérangeait pas mais ça fait du bien, de se retrouver dans un corps en parfaite santé. Il avait beau ne pas fumer et manger équilibré, il sent la différence.

Côté vestimentaire, Ajay n'a jamais trop eu de style. Il porte ce qu'il trouve ; des t-shirts, des polos. Il aime moins les chemises mais s'y est habitué à force de passer des entretiens et de se rendre à des mariages. Il se fiche pas mal du pantalon tant qu'il n'est ni trop serré ni trop large. Il veut juste pouvoir marcher dedans, sans être gêné ni avoir l'air ridicule. Les jeans et les pantalons en chino lui plaisaient bien. Les shorts aussi, en été. Pas ou peu d'accessoires en revanche — une montre par-ci, un bracelet par-là, mais c'est guère tout. Il n'aime pas trop les colliers et ne supporte pas les bagues. Il n'avait pas le droit aux bijoux en sport et encore moins au travail, de toute façon, alors il a vite arrêté d'en porter.


Caractère


« This room is full of people who barely know my name »


Ajay est un garçon silencieux. Effacé. Poli ; souriant s'il le faut. Prévenant, à l'écoute. De ceux qui restent à hocher la tête pendant que l'autre raconte l’entièreté de ses problèmes et de sa vie, sans jamais éprouver le besoin de parler de lui. On le trouve doué pour écouter et efficace dans la plupart des tâches qu'il peut avoir à effectuer — pas fainéant, pour sûr. Un garçon travailleur qui fait passer l'autre avant soi.
Quand on est dans le soin et le social, évidemment, pas trop le choix d'être tout ça.
Quoi que tout cela soit vrai dans une certaine mesure, Ajay est surtout très doué pour inspirer, expirer et ravaler tout ce qu'il peut vouloir dire. Ses plaintes restent muettes, sa colère rentrée, sa frustration étranglée. Il ne se permet que rarement des commentaires méchants ou déplacés, que ce soit auprès de ses amis ou de parfaits étrangers — et à raison. Parce qu'une fois qu'il est parti à dire ce qui ne va pas, mon Dieu.
On ne l'arrête plus.
La colère d'Ajay a cela de particulier qu'elle ne se tarit jamais. Quand il en veut à quelqu'un, ça peut durer dix ans ; et quand il se fâche, qu'il s'énerve enfin, tout sort sans filtre aucun. Il est capable d'une honnêteté carrément brutale quand on dépasse les limites — relatives et imprévisibles — de sa patience légendaire. Énerver Ajay, pourtant, c'est un peu un mythe : la première fois que ça arrive, personne ne comprend rien. Pour lui faire perdre son sang-froid il faut au moins avoir tué quelqu'un, c'est sûr.
Sauf que non. Il ne faut vraiment pas grand chose, en fait.
Un manque de respect. Quelque chose qu'il ne comprenne pas. Le heurter. Se moquer de lui. Le faire se sentir seul ; pas désiré. De trop. Ne pas écouter ses conseils. Se plaindre pendant trois heures pour trois fois rien. Être hypocrite. Trop réussir dans la vie.
Ajay a ce petit côté jaloux qui ressort, parfois, lorsqu'il aime trop quelqu'un ou qu'il se retrouve face à une personne jugée trop parfaite. Il s'est amélioré avec l'âge et ne boude plus parce qu'on lui "vole" ses amis, mais le réflexe reste là. Il n'aime pas qu'on fasse passer trop de monde avant lui. Il a besoin de savoir qu'il peut compter sur l'autre. De la même façon, il n'aime pas qu'on lui fasse sentir qu'il est vraiment moins bien. Moins ceci, moins cela, peu importe. Quand il se sent rabaissé, il le prend personnellement. Et ce même si l'autre ne l'a pas fait exprès.
Paradoxalement, Ajay apprécie aussi les personnes qui n'attendent absolument rien de lui. Celles qui s'en iront s'il ne leur convient plus ; celles qui viennent un jour et partent le lendemain, sans complication. Il aime pouvoir exister sans la moindre pression sociale. Ça ne dure jamais longtemps, malheureusement, mais ces brefs instants de rien du tout lui font du bien.
Élevé avec une idée très claire de ce que signifiait l'effort et le mérite, il panique dès qu'il se sent inutile ou ne fait rien. Il a besoin de contribuer, d'avancer ; de s'occuper, et pas à des choses stupides. Tant qu'il a quelque chose à faire, il ne pourra pas se laisser aller aux loisirs. Il doit tout avoir fini avant de pouvoir se le permettre. Il est très exigeant envers lui-même — voire trop, sachant que ses capacités restent limitées. Il n'est pas très intelligent. Doit beaucoup réfléchir pour en parvenir à des conclusions parfois simples, pour saisir ce que d'autres comprennent instinctivement. Il n'est ni intellectuel ni très rapide dans quelque discipline que ce soit, hormis celles qu'il a répété suffisamment pour en faire un automatisme (d'où son attrait pour le sport et le manuel, le tactile.)
Du reste c'est un garçon loyal, un brin égoïste, relativement honnête et extrêmement fiable pourvu qu'il ne fasse pas une crise de nerfs entre temps. Il est souvent prêt à aider mais sait être terriblement borné ; il a aussi du mal à dire pardon et à accepter les excuses des autres lorsqu'ils lui en présentent. Les marques d'affection trop claires le gênent et il ne sait pas toujours les rendre. Il ravale la tristesse comme le reste, éclate rarement de rire mais sait s'amuser quand l'humeur et l'ambiance sont là. Il a besoin d'espace mais aussi de compagnie, dans une certaine mesure. Aime les caresses et le contact physique, mais se passe volontiers d'aller plus loin — sauf si l'autre y tient ou l'y incite, auquel cas ça ne le dérange pas non plus. Il aime les animaux ; les plantes. Les plats épicés. Les gens aimables et ceux qui le font rire, ni trop francs ni pas assez. Quand il s'énerve, il hurle. Quand il hurle, il se sent mal et se déteste mais ne retourne pas voir l'autre pour autant. Il a sa fierté, quoi qu'il l'écrase souvent sous des tonnes de serviabilité et d'envie d'être utile. En vient vite aux poings quand ça dégénère, aussi — et même s'il le regrette neuf fois sur dix, sur le moment, ça lui semble toujours être la meilleure des idées.
Mais bon. Globalement, il reste un gentil garçon.


Histoire


« And I don't feel like dancing on my own again »


Si les Khandaar habitaient la France depuis quelques années lorsqu'ils décidèrent d'acheter une maison en Bretagne, perdue dans un joli petit coin de campagne au beau milieu du Finistère, c'est pourtant d'un commun accord qu'ils décidèrent d'appeler leur fils Ajay. Ils avaient pensé à quelque chose de plus français — qui l'aiderait à mieux s'intégrer, lui qui avait déjà un nom de famille difficile à prononcer — mais finalement, ils ne réussirent pas à se détacher des consonances familières de leur langue natale. Ajay, c'était joli ; ça lui allait bien. Alors ils se dirent que si les bretons voyaient rarement des petits garçons à la peau mate et aux cheveux si noirs, l'appeler Kévin ne ferait pas taire les imbéciles et les racistes. Ce serait comme ça quoi qu'il arrive.
Alors bien sûr, loin des rues colorées de Paris, dans un village où le français côtoyait à peine le breton et puis rien d'autre, ce fut comme ça. Les enfants de l'école maternelle se fichaient pas mal qu'il soit brun de peau — les petites mains tendues pour vérifier qu'il était tout pareil qu'eux n'avaient rien de gênantes, sinon qu'il n'aimait pas trop qu'on le patouille — mais les parents, c'était autre chose. Pour chaque voisin parfaitement aimable, il y avait dix curieux ; pour chaque sourire, il y avait un regard de travers, un murmure étouffé.
Les commentaires politiques aux mots trop compliqués pour être compris de deux immigrés au français parfois approximatif, à deux ans, il ne les comprenait pas. A dix, il les saisissait mieux que ses parents. A douze, ils le mettaient en colère. Il n'osait même pas les leur répéter. Ça n'aurait servi à rien, de toute façon. Les gens vont parler que ça te plaise ou non, tu sais. C'est ce qu'ils font de mieux.

Alors comme lui n'aimait pas trop ça, parler, il les laissa faire.

Heureusement pour lui, ça ne devint jamais un vrai problème. Pas de ceux qu'on se sent en nécessité de régler, en tout cas. Arrivé en primaire, il avait accepté la dure réalité de devoir éternellement se faire qualifier d'exotique par au moins une personne âgée dans l'année. N'écoutait plus les "rentre dans ton pays". Roulait des yeux chaque fois qu'un professeur lui demandait de prononcer son prénom et son nom. S'était habitué aux "tu viens d'où". Avait compris pourquoi on le traitait de débile, quand il leur sortait son adresse en réponse — parce que pour lui, c'était de là qu'il venait. Pas d'Inde. L'Inde, c'était un pays très lointain dont ses parents avaient ramené plein de souvenirs, mais aucun qui lui appartiennent ; ils avaient habité et grandi là-bas mais lui, il venait de "la maison, juste là, avec la petite barrière blanche".
Mais non. "Tu viens d'où ?" "D'Inde". Ça les faisait taire. Ils étaient contents. Sauf quand ils demandaient à quoi ça ressemblait, si c'était joli, si c'était bizarre, et qu'il n'avait aucune idée de quoi leur dire. "Je sais pas" les décevait, alors il leur disait qu'il y avait des éléphants. Ce n'était pas faux (il avait vérifié) et ça leur faisait plaisir, alors ça devint sa réponse par défaut. "Je viens d'Inde. Y'a des éléphants, là-bas. Mes parents en ont déjà vu." Comme ça tout le monde était content.
Malgré l'attention et la curiosité que son teint pouvait causer chez les gens, Ajay resta un petit garçon très solitaire. On le trouvait timide ; renfermé. Il n'aimait pas trop engager la conversation avec qui que ce soit et répondait plus volontiers par monosyllabes, droit au but, qu'avec de jolies phrases pleines de détails et de couleurs. Quand les autres jouaient au foot, il s'asseyait avec son goûter et les regardait faire. La corde à sauter, il n'aimait pas trop non plus. Les élastiques non plus. Se faire des amis non plus.
Des enfants de son âge, il n'aimait que Louise. Louise, c'était une voisine au visage tout rond, tout mignon, avec des cheveux blonds en bataille qui tombaient régulièrement devant des yeux verts vite plissés. Ils allaient à la même maternelle, allèrent à la même école primaire et, avant qu'il ne s'en rende compte, ils étaient devenus inséparables. Elle lui donnait un morceau de son gâteau et lui un quartier de mandarine. Elle l'aidait à faire ses devoirs et lui, il vérifiait que ses lacets étaient toujours bien noués. Elle mettait des petits élastiques débiles dans ses cheveux et il lui dessinait des cœurs sur les bras en représailles. Ils se parlaient tout le temps. Faisaient du vélo ensemble, s'invitaient l'un chez l'autre, s'offraient des cadeaux pour leurs anniversaires et pour Noël. Les parents de Louise étaient gentils ; ils s'entendaient bien avec les siens, aussi. Comme il n'avait ni cadets ni aînés, il fit d'elle sa petite sœur de cœur.
Tantôt allongé seul à rêvasser, tantôt dans le jardin de Louise à faire du vélo et jouer au loup, l'enfance d'Ajay se déroula sans encombre. Le temps qu'il ne passa pas à apprendre ses leçons et à jouer, il le consacra à son amie et au chiot que ses parents lui offrirent pour ses huit ans. Louise était gentille, toute sucre et toute miel, mais elle était aussi un peu bizarre : souvent au bord des larmes pour trois fois rien, à tapoter gentiment les murs et les chaises quand elle les cognait par hasard. Ses parents lui avaient expliqué qu'elle avait beaucoup d'imagination, et que parfois elle avait du mal à faire la différence entre ce qu'elle croyait vrai et ce qui l'était ; un peu comme le Père Noël. Ils ne lui avaient jamais appris à y croire. Il accepta l'explication sans sourciller.
Louise était un peu fragile, alors il la serra dans ses bras et la consola autant qu'il le put. Ça lui donnait l'impression d'être utile. De compter. Sans s'en rendre compte, il se construit sur des "merci" et des "tu es trop gentil", "tellement attentif", "un élève sérieux", "un petit garçon si serviable", jusqu'à avoir du mal à se définir autrement que par les compliments.
Il avait besoin de se sentir utile. Ses parents renforcèrent le problème sans s'en rendre compte. Être utile c'était bien, après tout. Gagner de l'argent aussi. Passer tout son temps à ne rien faire ou à regarder la télé leur paraissait impensable ; il fallait le mériter, ça semblait normal. Alors il trouva ça normal aussi.
Pas qu'il ait trop le choix non plus.
En cinquième, quand Louise arriva au collège, elle décida de devenir amie avec une des filles qui lui tirait les cheveux en CE1. Il passa plus de temps que nécessaire à fusiller Lucile du regard, prêt à l'enterrer dans un fossé au premier signe de trahison, mais l'enfant avait l'air bien décidée à ne plus jamais dire un mot de travers à l'un ou l'autre. Ne plus être le centre du monde de Louise, son seul soutien, le seul meilleur ami au monde que personne n'aurait jamais pu remplacer, le rendit amer et jaloux un bon moment. Qu'elle commence à dire que Lucile était sa meilleure amie (au féminin, et lui au masculin) ne fit qu'empirer les choses. Mais Ajay était gentil, et Ajay était silencieux, alors il haussa les épaules et ne dit rien.
A force d'attendre que ça passe, ça finit par passer. Comme quoi se taire fonctionnait.
Au collège, Ajay ne se fit pas beaucoup d'autres amis. Il eut droit à d'autres "d'où tu viens", à dix "comment tu prononces ton nom ?", à quelques rires parce qu'il avait réussi à oublier sa trousse, mais ne se rapprocha de personne en particulier. Il eut la chance de ne pas être pris comme tête de turc non plus, ceci dit — et puisqu'il avait déjà deux amies, et que ça lui suffisait largement, il s'en contenta.
Il avait bien assez à faire avec Louise, de toute façon.
En Novembre 2011, sa meilleure amie au monde finit à l'hôpital. Bras cassé. Il piqua une crise pour aller la voir dès qu'il fut au courant — et ce peu importe à quel point ses parents lui répétèrent qu'elle allait vite revenir, qu'elle n'allait pas rester là-bas toute la soirée, encore moins toute la nuit. Il ne se serait pas calmé (ils le connaissaient) alors au final, ils abdiquèrent. Il accepta de ne pas la toucher le temps que son plâtre soit fait mais dès qu'il eut le droit, il la serra contre lui jusqu'à en avoir mal aux bras.
C'était Louise. Il l'aimait plus que tout au monde — à égalité avec son chien, peut-être. Alors quand elle vint dormir chez lui, après Halloween, et s'enroula toute entière dans la couette avant de lui dire qu'elle ne s'était pas cassé le bras en tombant du lit, pas tout à fait, il l'écouta. Elle ne prononça jamais le mot suicide, mais elle parla de coma. De souhaits. Elle lui expliqua que Matthieu lui avait dit que si on espérait assez fort, les vœux pouvaient devenir vrais. Elle avait juste voulu essayer. Elle avait mal et tout était blanc et elle se trouvait nulle, et elle ne savait pas — elle avait juste voulu essayer. Et ça allait mieux, maintenant, ça avait fonctionné, mais elle avait besoin d’en parler à quelqu’un. De s’exorciser.
Il câlina son cocon tout blanc sans savoir quoi dire. Il l'entendit pleurer, dessous, mais eut peur de la casser s'il essayait de se glisser plus près d'elle.
Elle mit des heures à en sortir, honteuse et confuse d’avoir voulu mourir pour rien du tout. Il ne dormit pas avant qu'elle l'ai fait.
Tu dis rien, Ajay, hein ? C'est un secret. Dis rien.
Il avait vu la panique dans les yeux de Iannick, le jour de l’accident. Alors non, il ne dit rien. Ni à ses parents, ni aux siens, ni aux professeurs, ni à Lucile, ni à personne. Elle était tombée du lit, et puis voilà.

Ça arrive à tout le monde. C'est comme ça.

Le fameux Matthieu qui lui avait raconté n'importe quoi, c'était le cousin de Lucile. Louise et lui participaient aux même cours de théâtre — animés par "Grégoiiiiire il est trop beauuu", dixit la concernée ; il avait deux ans de plus qu'eux, des cheveux si roux qu'on aurait facilement pu vouloir l'appeler Poil de Carotte, et suffisamment de charisme pour que ce ne soit jamais arrivé (ou pas méchamment). Ajay n'aimait ni ses blagues stupides ni sa dégaine de m'as-tu-vu, mais Louise l'aimait bien. Et puis c'était le cousin de Lucile. Alors quand il décida de venir les embêter plus souvent, il n'osa pas protester. Ce n'était pas comme s'ils traînaient tout le temps ensemble, non plus ; il avait ses amis, au lycée, et aucune envie de devenir la quatrième roue du carrosse. Ils se parlaient surtout en ligne. Chacun dans son coin et tout va pour le mieux.
Malgré tout, chemin faisant, les discussions et les yeux levés au plafond à cause de Matthieu se firent de plus en plus naturels et courants. Il sortit avec eux, parfois ; s'invita à leurs excursions plages et cinéma. Il avait l'air de bien aimer Louise, alors Ajay laissa faire. Elle était contente de pouvoir discuter avec tout le monde en même temps. Ça lui faisait du bien d'être entourée.
Ajay voyait bien la ressemblance entre le sourire aveuglant de Grégoire et celui de Matthieu ; le bras autour des épaules qui la faisait rougir, les battements de cils débilo-mignon qu'elle lui adressait sans s'en rendre compte, quand il se penchait pour lui dire un truc stupide. Lucile avait dû voir, elle aussi, mais elle laissa faire.
Elle connaissait Matthieu, pourtant. Il changeait souvent de copines. Était tactile. Et puisqu'il avait une notion très binaire de ce qui pouvait ou non se dire devant des filles, apparemment, Ajay était le seul à avoir eu droit aux détails qu'il n'avait vraiment pas envie d'entendre. Il savait que Matthieu avait déjà couché (et avec qui) (elles auraient été ravies de l'apprendre, sûrement).
Louise avait un petit cœur fragile comme du sucre glace. Si ç'avait été Lucile, il se serait moins inquiété — elle était résiliente, et pas qu'un peu — mais Louise ? Elle avait des problèmes. Des petits soucis cachés sous la surface, qu'il connaissait mieux que son psy ou ses parents. Elle allait mieux. Il voulait que ça dure.
Et peut-être que, quelque part, il tenait encore Matthieu responsable de son envie d'accrocher une corde aux poutres de sa chambre.
Quand il rentra en seconde avec Lucile, l'absence de son amie le fit soupirer plus d'une fois. Il avait trop l'habitude d'être entouré des deux filles toute la journée pour ne pas que ça lui fasse bizarre ; tant qu'à faire, maintenant, il devait supporter les saluts énergique de Matthieu quand il avait le malheur de croiser son chemin.
Le pire, c'était qu'il ne le détestait pas. Tant qu'il ne le voyait pas jouer avec les cheveux de Louise, ses commentaires stupides réussissaient presque à être drôles. Ils ne seraient jamais les meilleurs amis du monde, mais ça pouvait passer.
Aurait pu passer.

Deux ou trois semaines après la rentrée, Louise vint lui annoncer comme une fleur qu'elle sortait avec Matthieu.

Il l'avait senti venir. Ça ne le surprit pas. Mais malgré s'être dit quatre-vingt fois que si ça arrivait il ne s'en mêlerait pas, la laisserait faire ce qu'elle voulait comme elle voulait, surveillerait juste de loin, que ça pouvait lui faire du bien, que l'autre rouquin n'était pas non plus Satan, toutes ses bonnes résolutions volèrent en éclat sous le coup de la colère. Il lui expliqua tout le bien qu'il pensait de son copain (de ton ami à toi, aussi, techniquement), lui répéta qu'elle allait regretter, qu'il était stupide et immature (comme toi), qu'il allait lui briser le cœur et lui faire du mal et qu'il ne viendrait pas la consoler si elle pleurait à cause de lui.
Il partit avant de lui laisser le temps de fondre en larmes, mais imagina sans mal. Lucile lui envoya des messages toute la soirée ; il les ignora. Il ne voulait rien savoir.
La dispute le poursuivit tout la nuit, incapable de dormir, énervé et triste et déçu, mais tant pis. Si personne ne le lui disait, elle allait vraiment le regretter. Peut-être que s'il l'avait suffisamment choquée, elle se rendrait compte que sa décision avait été stupide et irait rompre.

Le lendemain, elle ne vint pas lui demander d'excuses. Ni lui en présenter. Elle avait cours ; lui aussi. Lucile l'évita poliment, il lui rendit la politesse, et que Matthieu ait eu vent de la dispute ou non, il ne vint pas l'ennuyer non plus.
Ce jour-là comme les suivants, il eut la paix.
Se retrouver seul lui laissa tout le temps du monde pour apprendre que paix rimait avec solitude, sentiment d'avoir tout raté et colère rentrée. Ses parents lui demandèrent si tout allait bien ; il leur répondit que oui. Tout allait pour le mieux. Juste une petite dispute.
La petite dispute, borné comme il se découvrit l'être, dura une bonne semaine. Il fallut que Lucile finisse par en avoir marre et joue aux faiseuses de miracles pour qu'enfin lui et Louise ne réussisse à avoir une discussion. Elle ne voulait pas rompre, il ne voulait pas la savoir avec lui. Le seul point sur lequel ils réussirent à se mettre d'accord furent qu'ils ne voulaient pas se perdre — et pour ça, ils consentirent à quelques sacrifices. Ajay accepta de ne rien dire quant-à leur relation ; Louise lui promit qu'au moindre problème, elle l’appellerait. Pas de cachotteries. Pas de secrets.
L'harmonie se réinstalla tant bien que mal entre eux. Matthieu fit de son mieux pour être sympa avec lui, mais il le rabroua constamment ; il voulait bien le supporter, mais pas faire ami-ami. Devoir traîner avec lui en dehors des cours lui cassait suffisamment les pieds comme ça.
Deux mois après leur dispute de fin du monde, Louise s'agrippa à lui en pleurant. Matthieu avait essayé de coucher avec elle — quelle surprise ; elle l'avait repoussé, et il n'avait pas eu l'air fâché, et il avait dit que c'était okay, qu'il s'en fichait, mais elle se sentait nulle et gamine et elle avait à peine quinze ans et aucune obligation de rien, mais le lui expliquer n'y changea rien. Elle avait peur qu'il la quitte, peur de ne pas savoir quoi faire si le moment venait, peur d'être une mijaurée, peur d'être une pute. Il l'enlaça et la rassura comme il put. Il n'avait aucune expérience tout court, lui ; il aurait eu du mal à la conseiller. Lucile avait déjà eu des copains. Elle saurait sûrement mieux l'aider que lui à ce niveau-là.
Quand elle repartit, elle avait l'air un peu plus positive et sûre d'elle. C'était déjà ça.
Ajay revit Matthieu devant le lycée, le lendemain. Il parlait avec une amie à lui ; et aussitôt qu'il le vit lui faire son sourire de crétin fini, quelque chose dans son estomac se mit en boule et lui brûla les nerfs.
Il ne vit pas arriver le coup de poing. Dans la confusion, lui attraper le col et lui faire perdre l'équilibre fut un jeu d'enfant. La fille lui cria quelque chose dessus et essaya de lui attraper l'épaule, mais manquer de se prendre un coup de pied de Matthieu la fit reculer.
Le temps que les surveillants soient appelés, ils avaient eu le temps de se faire mal et de s'insulter de tous les noms. Après un passage éclair chez le proviseur, ils furent renvoyés chez eux. Les professeurs étaient déçus de son attitude. Ses parents le furent aussi. Ils ne comprenaient pas ; il était tellement gentil, tellement doux — s'il s'était battu, c'était forcément que quelque chose de grave avait été fait ou dit.
Il refusa d'expliciter. Il n'avait rien à dire, de toute façon. Des justifications, il n'en avait qu'à moitié ; assez pour se convaincre qu'il avait fait ça juste pour Louise, parce que cet espèce de primate ne la méritait pas, parce qu'il l'avait blessée, mais pas assez pour réussir à en persuader qui que ce soit.
Il avait trop de silences à exorciser. Trop de colère rentrée. Un peu de jalousie, sûrement, aussi.
Matthieu avait tout pour plaire et tout pour réussir et personne ne lui reprochait jamais rien. Il faisait ce qu'il voulait. Il était drôle. Tout le monde l'aimait.

Ça l'énervait.

En bon prince adorable et intelligent et putain de parfait, hein, Matthieu ne lui tint pas trop rigueur de l'incident. Il refusa de lui parler un moment (tant mieux), puis se remit à lui dire bonjour. Au fur et à mesure, sans qu'il s'en rende compte, ils se remirent à se parler.
Quand Louise revint s'enrouler dans sa couette en piaillant parce qu'elle avait couché avec lui, il se crispa sur un sourire et inspira très fort.
Au moins, elle avait l'air contente. Tant mieux pour elle.
Il leur fallut deux mois de plus pour rompre sans douleur ni ressentiment. Ça ne changea trop rien aux moments qu'ils passaient ensemble ; ils virent un peu moins le rouquin, et ça faisait du bien de ne pas les entendre roucouler dans le fond, mais les rires et les grognements restèrent sensiblement les mêmes. S'il avait été à leur place, il n'aurait jamais réussi à passer de l'un à l'autre comme ça. Du moins il ne se voyait pas le faire.
Mais il restait célibataire, autant par manque d'intérêt que par absence d'opportunités, alors le problème ne se posait pas.
Après que Matthieu ait passé le bac, en juin 2013, il les invita à faire la fête. Ajay n'était pas du genre à sortir — pas en soirée, en tout cas — mais ce soir-là, il fit une exception. Il eut une pensée émue pour ses parents en voyant passer de l'alcool (ils auraient hurlé) et s'en tint éloigné, mais fut presque surpris de réussir à s'amuser quand même. Lucile sautillait partout, Louise n'était pas en reste et si sa relation avec Matthieu était restée tendue jusque-là, il se sentit enterrer la hache de guerre quand il sortit une histoire stupide qu'il avait déjà raconté quatre-vingt fois.
Ça se fit sans un mot, mais ça se fit. Et ça lui fit du bien.
En août, peu après ses seize ans, lui et Louise partirent avec Lucile et Matthieu en vacances dans la maison d'une de leurs tantes. Une chambre pour les garçons, une chambre pour les filles ; bronzage, baignade, promenades le long des chemins côtiers bretons, glaces, lunettes de soleil. Les parents d'Ajay n'avaient pas de quoi lui payer de "vraies" vacances, d'habitude — et si aller à la plage ne l'avait jamais trop excité, se retrouver dans un cadre différent de d'habitude le laissa beaucoup plus libre de se laisser aller et de profiter des vacances. Il but un peu de la bière que Matthieu leur ramena ; la cracha dans le sable, rigola. Ils restèrent tard tous les soirs, à marcher et à regarder les étoiles, profitant des soirées organisées sur certaines plages pour croiser de nouveaux visages et danser un peu.
Ce n'était pas le truc d'Ajay et pourtant, il se retrouva entraîné sur la piste improvisée plus de fois qu'il ne l'aurait aimé. Il partagea même une danse ou deux avec une Charline toute menue qui le noya de sourires et de regards amoureux. Lucile passa le reste de la soirée à le charrier avec ça — et surtout à le secouer parce qu'il "aurait dû passer du temps avec eeeelle".
Venant de Lucile, ça ne le gêna pas.
Venant de Matthieu, par contre, ce fut une autre histoire.
Il digérait mal la manière dont il traitait les filles ; que ça leur plaise ou non d'être draguées puis balancées très vite après, c'était méprisable. La discussion, dans la chambre, longtemps après que les filles soient parties se coucher, tourna à la dispute. Il critiqua la libido de Matthieu, Matthieu critiqua la sienne — absente, carrément, il ne voyait que ça ; et c'était toujours mieux selon lui que de sauter sur tout ce qui bougeait, et Matthieu ne comprenait pourquoi il avait à ce point un problème avec le fait qu'il couche avec des filles, et Ajay ne comprenait pas ce qu'il y avait de si bien à ça, et évidemment que t'en sais rien, t'as jamais essayé. Même pas un baiser.
Quelque part entre le moment où il menaça de le passer par la fenêtre et le moment où Matthieu lui demanda s'il voulait essayer, justement, une partie de son cerveau quitta le navire.
C'était stupide et carrément ridicule et Matthieu avait bu, un peu, mais pas lui. Il n'avait aucun mal à répéter "non" quinze mille fois d'affilée, d'habitude. Il aurait dû pouvoir.

Pour qui, pour quoi, quand les mains de son ami finirent sur sa taille et ses lèvres contre les siennes, il ne dit rien.

Pas non, en tout cas.

Le lendemain, ils n'en reparlèrent pas. Il n'avait fait que l'embrasser (plus ou moins), alors il jugea que ce n'était pas grave. Pas important. C'était juste débile. Pas beaucoup plus poussé qu'un jeu de la bouteille. Et puis c’était l’autre qui l’avait embrassé. Il n’avait rien à se reprocher.
Matthieu avait presque l'air plus mal à l'aise que lui, d’ailleurs, alors tant mieux. Qu'il s'en veuille d'avoir fait des conneries, lui aussi.
Après l'été, il partit en prépa. Plus question de se voir entre les cours ; il avait carrément changé de ville. Ajay ne promit pas de rester en contact. Louise si. Lucile le voyait aux repas de famille, de toute façon, alors elle n'en fit pas grand cas. Ça n'avait pas l'air de beaucoup l'inquiéter de le voir moins souvent.
Se cogner la tête contre le bureau en se demandant pourquoi j'ai fait ça pourquoi j'ai fait ça pourquoi lui prit le plus clair de son temps pendant quelques semaines mais, au bout d'un temps, il finit par oublier. L'année de première s'annonçait plus compliquée et pour quelqu'un qui, comme lui, devait travailler souvent et longtemps pour bien intégrer les choses, ça commença à devenir difficile. Ses parents attendaient beaucoup de lui. Il attendait beaucoup de lui-même aussi.
La pression le rendit plus distant. Moins agréable. Louise n'en dit rien ; Lucile, en revanche, le supporta moins. Il fallut plusieurs fois qu'il se pose dans un coin et s'efforce de se calmer pour éviter de faire exploser des disputes monumentales.
A l'été 2014, comme l'année précédente, ils partirent à la mer. Matthieu aussi. Il n'avait pas vraiment changé ; les cheveux un tout petit peu plus longs et de nouvelles chaussures mais à part ça, rien à signaler. Pas plus parisien qu'avant. Pas moins con non plus.
Leur tante occupait la maison, cet été, alors ils s'installèrent dans un camping. Avoir un majeur avec eux aida, pour le coup, alors il n'osa pas se plaindre de sa présence. On fait comme on peut.
Le programme fut le même que l'an passé : plage, musique, fête, glaces, promenades le long de la côte. Il fit de son mieux pour ne pas rester seul avec Matthieu (pour aucune raison en particulier, puisqu'il s'en fichait royalement), mais il ne put pas l'éviter indéfiniment ; et s'il avait prévu de ne jamais reparler de la dernière fois, ça finit quand même par revenir sur le tapis.
Les explications de l'un ne plurent pas à l'autre et réciproquement — et il n'aurait rêvé de rien d'autre que de lui casser le pied et de l'étouffer avec la pizza qu'ils étaient censé ramener aux filles, si ça avait pu le faire taire.
Alors au lieu de ça, bien sûr, il l'embrassa.

Il passa le reste du séjour à vouloir se noyer et à répondre que tout allait très bien à qui voulait l'entendre. Ils s'étaient bien expliqué, cette fois — tout était à plat, pas de soucis, pas de problèmes. Tout allait parfaitement bien.
Parfaitement.

Sauf que cette fois, Matthieu ne repartit pas. Il avait raté sa prépa (quelle surprise) et prenait un an pour refaire le point. Alors quand Ajay commença son année de terminale à vouloir se pendre tellement il n'arrivait à rien, perdu dans les matières littéraires et des notions de mathématiques que personne n'arrivait à lui expliquer correctement, il était là.
Matthieu était bon en tout — évidemment — et n'avait rien de mieux à faire ; et autant ça lui faisait mal de l'admettre, autant il arrivait à expliquer les choses avec une clarté dont il avait désespérément besoin pour faire remonter sa moyenne. Alors il accepta son aide.
Les mains de Matthieu glissèrent les premières. C'était plus facile de se dire que ce n'était pas de sa faute tant que ça ressemblait à un jeu et que l'autre prenait les initiatives ; ça lui évitait de penser qu'il y avait quoi que ce soit de plus qu'un peu de curiosité déplacée derrière les doigts qui tiraient sur sa ceinture. Il connaissait suffisamment son ami pour savoir que ça n'avait pas d'importance, de toute façon. Que c'était juste comme ça. Ils ne sortaient pas ensemble. Et pour autant que Matthieu ait décidé qu'il était la personne idéale  avec laquelle explorer sa sexualité, ça ne le rendait même pas bi pour autant.
Et lui non plus.
Il n'était plus trop sûr de rien, honnêtement.
Le fait est que ça dura un moment. Que ses notes remontèrent ; que ça fit plaisir à ses parents. Ils trouvaient son ami très gentil (ils ne l'auraient plus laissé rentrer, s'ils avaient su). Louise était contente qu'ils s'entendent mieux (et pour ça aussi, il s'en voulut ; c'était son ex et elle sa meilleure amie — il aurait dû lui en parler). Lucile aussi, apprécia de le voir plus détendu (mais qu'est-ce qu'elle en aurait pensé ?). Il ne voyait pas Matthieu draguer qui que ce soit, mais il savait qu'il devait le faire. Il le faisait tout le temps (mais pas qu'il lui doive quoi que ce soit, non plus).
Il n'était pas amoureux, mais il se retrouva jaloux quand même. Il n'avait pas spécialement envie de coucher avec lui, non plus, mais aima ça malgré tout ; et il se sentait nul, et il se sentait sale, et il aimait la simplicité de leur relation — pas d'attaches, pas de promesses —, mais quelque chose lui répétait qu'il n'aurait pas dû.
Il aimait les caresses et la proximité. Pas le malaise intérieur. Pas la possessivité. Pas les secrets. Il aimait se sentir remplaçable, accepté tel quel et sans aucune attente, à peine important. Pas le doute. Pas le jugement.
Pas les sentiments.
Il ne s'en rendit pas compte à temps. La frustration et l'incompréhension s’amassèrent, petit à petit, jusqu'à lui faire se mordre les lèvres.
Chez lui, quand la colère devenait visible, il était déjà trop tard pour la désamorcer.
Le jour où Matthieu lui demanda s'il avait un problème fut aussi celui où il lui hurla dessus. Et il ne comprit rien du tout — ça sortait de nulle part — alors il ne répondit rien ; et en l'absence de réponse, de quelqu'un d'aussi énervé que lui sur lequel faire rebondir des insultes, la colère fondit en tristesse amer.
D'avoir pleuré, il étouffa des hurlements de frustration dans son oreiller.
Il se détestait, il le détestait. Il détestait tout le monde.
Matthieu avait dû en parler à Louise, parce que le lendemain elle se retrouva affalée sur lui à essayer de lui remonter le moral. Elle se fichait pas mal des détails ; elle était juste triste qu'il ne lui en ait pas parlé. Il était toujours là pour l'aider. Elle aurait voulu faire pareil.
Le sentiment d'avoir raté et d'être nul le suivit jusqu'au bac ; il ne voulait pas en parler, pas mettre les choses à plat, pas voir Matthieu.
Puisqu'il le laissa tranquille, c'est ce qui se passa.
Il fallut qu'il ait son bac — pas de beaucoup, mais il l'avait eu — et qu'ils se remettent à planifier les vacances pour être obligé de le revoir. C'était la dernière fois qu'ils pourraient tous se retrouver comme ça avant de partir chacun de son côté pour de bon ; disputes ou pas, c'était important pour eux. Alors ils s'organisèrent et partirent quand même.
Matthieu était suffisamment diplomate pour que la tension entre eux ne se sente pas trop.  Assez pour que ça lui fasse plus de peine que de mal ; il s'en voulait. Sans savoir pourquoi, non plus — mais il s'en voulait. A plusieurs niveaux.
Avant de partir, ils se dirent au-revoir. Ça lui laissa un peu d'amertume sur les lèvres, mais c'était comme ça. Il ne pensait pas le revoir un jour, de toute façon.

A la rentrée, il partit en STAPS et profita d'être sur Brest pour passer le permis. Au début, il revit Louise et Lucile régulièrement ; pour les vacances, pour des soirées, pour des anniversaires. Et puis, la distance et le temps aidant, il les vit de moins en moins. Lors de sa deuxième année, il leur parlait surtout par SMS et par chat. Matthieu, lui, ne passait presque plus dessus. C'était à peine s'il donnait signe de vie.
Il s'y attendait. Peut-être que Louise ou Lucile avaient plus de nouvelles. Elles avaient le chic pour harceler les silencieux.
Lui pas. Alors il resta sans.
Les amis qu'il se fit en STAPS furent en surface plus qu'autre chose ; il ne fut que de quelques soirées et des sorties qui pouvaient l'intéresser. Il resta cordial et ne se fit détester de personne (qu'il sache), mais sans affinités particulières. Le type que tout le monde trouve sympa mais auquel personne ne s'intéresse particulièrement.
Très juste, hein.
Pour sa L3, il se spécialisa dans les activités physiques adaptées — et parce que ça devint plus soutenu, plus compliqué, il se rendit vite compte qu'il n'allait pas tenir le rythme. Il essaya de s'accrocher, quitte à ne plus donner autant de nouvelles à ses parents pour éviter de les décevoir, mais ça ne passa pas. Sans surprise, il rata son année.
L'échec le fit se refermer un peu plus sur lui-même. Il fallut que Louise insiste pour réussir à le voir, cet été-là. Il avait dû chercher et se casser la tête depuis mai pour trouver autre chose qu'il puisse faire et qui l'intéresse un minimum ; soit ça ne le tentait pas, soit ce n'était pas assez bien. Il réussit malgré tout à se faire accepter dans une école de masseur-kiné au centre hospitalier de Brest la même année — ça avait l'air médical et important donc tant qu'à faire, ça fit plaisir à ses parents.
Les deux premières années passèrent sans trop de soucis. Il dut travailler beaucoup, tout le temps, quitte à sacrifier une partie de sa vie sociale déjà vague, mais ça passa. Il s'en sortit. La troisième fut plus complexe à aborder, mais en s'acharnant il réussit à tenir.
Louise l'avait déjà prévenu que son petit-ami l'avait demandée en mariage, mais recevoir l'invitation le choqua quand même. Elle n'avait que vingt-trois ans.
Il ne s'imaginait pas marié et par extension, elle non plus. Pourtant, en juin, il se retrouva quand même à la serrer contre lui dans sa jolie robe blanche. Elle souriait ; elle avait l'air heureuse. Son mari aussi. Il leur souhaita tout le bonheur du monde.
Ç'aurait été l'occasion de reparler vraiment à ses amis — Lucile était là, bien sûr — mais il ne leur accorda que trop peu de temps. Ils avaient changé ; lui aussi. Il ne se sentait pas à sa place. Pas tout à fait. Pas assez.
Et aussi triste à dire que ce soit, il ne les aimait plus autant qu'avant.
L'année qui suivit fut catastrophique pour lui à tous les niveaux. Louise tomba enceinte, il apprit par Lucile que Matthieu envisageait de se marier (sérieusement ?), il réussit à se fâcher avec la seule fille qu'il appréciait vraiment à l'hôpital, son père eut des problèmes de santé et, comme si ça ne suffisait pas, il rata sa dernière année.
Encore.
Il ne se dit même pas qu'il pouvait réessayer. Il plaqua tout, rendit son appartement et repartit chez lui avec son chien. Ses parents ne dirent rien — il avait le temps de se trouver, ça irait ; l'expliquer à son cerveau fut plus difficile. Voire impossible. Sa nullité le sidérait.
Il décida d'un commun accord avec eux qu'il allait passer l'année suivante à faire le point et à examiner ses possibilités. Essayer de trouver un travail. Se calmer les nerfs. Se reposer.
Voir le bébé de Louise ne l'aida pas à se sentir moins en décalage avec le monde. C'était surréaliste.

Il nageait complètement.

En 2023, il ne savait toujours pas quoi faire de sa vie — et parce que le monde aimait se moquer de lui, son chien mourut la même année. Il eut beaucoup de mal à s'en remettre. Il pensa à en reprendre un, mais l'idée le déprima plus qu'autre chose. Alors il resta seul.
Quelques mois plus tard, il reçut une réponse positive d'un centre de thalassothérapie à Concarneau. Il ne voyait pas quoi faire d'autre et avait besoin d'argent, alors il reporta ses ambitions à plus tard. Pas que faire de longues études lui ait un jour tenu très à cœur.
Passé ses difficultés premières à s'adapter et à trouver ses repères, il finit par apprécier son travail. Ses collègues étaient tolérables et si la structure ne lui plaisait pas vraiment, il savait qu'avec plus d'expérience il pourrait espérer aller ailleurs ; ce n'était qu'une question de temps. En attendant, il prit ses marques et apprit le métier. Être constamment au contact des autres lui laissa les nerfs à vif, au début, mais ça aussi il apprit à s'y faire. Il avait du calme et de la diplomatie pour dix, quand il voulait.
Et comme il n'avait pas le choix de vouloir ou non, puisque son travail en dépendait, il apprit à mieux gérer la colère et la frustration. Un bien pour un bien.
Sur l'année suivante, il reçut la visite d'une cousine au français approximatif et à la timidité aussi maladive qu'elle était curieuse. Dhivya avait deux ans de moins que lui et passait quelques mois en France pour découvrir et apprendre ; elle restait chez ses parents, mais ils tenaient à ce qu'elle passe du temps avec lui aussi. La communication fut limitée (il ne parlait presque pas tamoul, et elle presque pas français) mais en mélangeant les deux à de l'anglais et à l'aide de ses parents, ils arrivèrent à quelque chose malgré tout.
Elle ne faisait presque pas de bruit et ne prenait presque pas de place mais quand elle reprit l'avion, elle laissa un vide malgré tout.

A force de vivre seul, il s'était habitué. Il avait oublié à quel point ça pouvait faire du bien d'avoir quelqu'un à qui parler.

L'été 2025 arrivait. Ce fut l'occasion pour lui de retrouver Louise, Lucile et Matthieu pour fêter dix ans depuis leur dernière vraie sortie ensemble.
Sans surprise, tout le monde avait beaucoup changé.
Louise avait déjà divorcé ; son fils, Nicolas, allait sur ses trois ans. Matthieu était marié. Ça ne se passait pas trop bien, en ce moment. Lucile avait un petit-ami de longue date. Deux sur trois avaient une maison. L'autre avait un chat. Ils vivaient tous avec quelqu'un ; leurs parents n'allaient pas toujours très bien. Ils n'avaient plus rien des adolescents qui étaient venus sur la même plage dix ans plus tôt.
D'ici peu de temps, ils auraient tous trente ans.
Les au-revoir lui laissèrent sur la langue le même sentiment doux-amer que la fois précédente. C'était drôle de se dire que Louise était toujours aussi stupide, Lucile toujours aussi bruyante et Matthieu toujours aussi chiant — mais que c'étaient peut-être les seules choses qu'ils avaient encore en commun avec avant.

Ils se promirent de se revoir encore dans dix ans. Il se retint de dire que l'un d'eux risquait d'être mort avant.
Oiseau de mauvais augure, va.

En 2026, il partit de Concarneau pour aller travailler dans un complexe du même genre à Oléron. Il y rencontra Quentin, Louise (encore une, ha), Marjoline et Marina ; s'en fit des amis et retrouva un équilibre qui lui convienne mieux. Son rythme de vie lui convenait. Les gens lui convenaient.
Ça avait pris le temps, mais il réussit à décréter être heureux. Et c'était déjà bien.
Les années suivantes se suivirent sans trop se ressembler. Il prit ses marques dans son travail. Fut invité au mariage de Lucile. Rencontra le nouveau conjoint de Louise. Commença à se faire des amis dans les habitués. Remplaça Quentin quand besoin était — et inversement. Eut une brève relation avec Marjoline, avant de ne décider d'un commun accord que ça ne leur convenait pas. Apprit que Lucile avait accouché un peu tard, mais finit par trouver le temps d'aller voir sa fille quand même.  Passa voir celle de Louise en même temps.
L'année de ses trente-quatre ans, il prit des vacances pour aller en Inde avec ses parents. Le choc culturel fut violent, celui de la langue ne le fut pas beaucoup moins — il peinait toujours à maitriser un tamoul correct, et sa famille ne parlait pas exactement lentement — et se retrouver entouré d'inconnus trop familiers le mit mal à l'aise, mais ça lui apprit aussi beaucoup. Il ne connaissait rien de sa famille en dehors de ce qu'on lui avait dit et de Dhivya, maintenant mariée et très heureuse de lui poser ses enfants en tas dessus.
Il dut repartir avant ses parents, travail oblige, mais promit de revenir un jour. Avant que tout le monde ne soit mort ou les enfants de Dhivya mariés, de préférence.

Il passa les années suivantes à travailler plus qu'autre chose. Il voyait bien plus ses collègues que le reste de ses amis, maintenant, mais répondit quand même par la positive quand en 2035 on lui rappela que ça allait faire dix ans qu'ils ne s'étaient pas retrouvés. Ils eurent encore plus de mal que la dernière fois à réussir à caler des jours qui conviennent à tout le monde — et au final, ils furent obligés d'accepter la présence honoraire du mari de Louise et de leurs deux plus jeunes enfants avec eux.
Matthieu avait divorcé, Lucile s'était mariée — et lui toujours rien, non, mais ça lui allait parfaitement. Ils étaient tous dans de meilleurs esprits que la fois précédente, clairement ; n'en déplaise à Lucile, qui finit à l'eau deux ou trois fois dans la même journée sans aucune raison apparente. Comme quoi la maturité se faisait toujours attendre.
Parce qu'ils étaient si bien partis à se revoir tous les dix ans, ils se promirent de refaire la même chose en 2045. Ça lui ferait quarante-huit ans.
Matthieu rit en leur disant qu'il allait peut-être falloir revoir la distance à la baisse, s'ils ne voulaient pas qu'il attrape le cancer entre temps, alors Lucile leva les yeux au ciel et tabla sur cinq ans. 2040. Un bon compromis.

Ils pouvaient quand même tenir jusque-là sans se manger une voiture dans la figure, clairement.

Clairement.



Ajay Khandaar ▬ Like the rest of the world, we grow farther apart ; 170803065411933769
     
Ajay Khandaar ▬ Like the rest of the world, we grow farther apart ; 170803065412288237
« Requiescat in pace »
Pseudo : Ou votre prénom, si vous préférez.
Âge : Votre âge. (momie/bébé marche aussi)
Avatar : Le nom du personnage et le manga/jeu/etc d'où il vient.
Comment avez-vous connu ce forum : Topsite, membre, illumination divine...
Autres : Ce que vous voulez.




Ajay Khandaar ▬ Like the rest of the world, we grow farther apart ; B82a484692a61e1a09cbbb4d2e515bce
« After the moment passes and the impulse disappears,
You can still hold back, because you don't crack very easily.
It's a time honored resolution, because the danger is always near ;
It's with you now, but that ain't how it was supposed to be.
And it's hard to believe after all these years,
That it still gives you pain and it still brings tears.
And you feel like a fool,
Because it's part of your rules ;

You've got a memory. »

Some things unknown are best left alone forever :

Aether
- NO DATA -

Aether

En bref

Féminin
Pseudo : Nii'
Messages : 428


Félicitation

Vous êtes officiellement validé ♥

AJAY GO !!

Tu peux dès à présent recenser ton avatar, ton métier et demander une chambre pour t'en faire un petit nid douillet. Tu peux également poster une demande de RP ou créer ton sujet de liens. Ton numéro va t'être attribué sous peu et tu vas être mis dans ton groupe. Tu es arrivé dans la pièce Nord.

tu es mon chéri basmatgrehtrhg

Permission de ce forum:

Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum