Le Deal du moment : -15%
(Adhérents) LEGO® Icons 10318 Le Concorde
Voir le deal
169.99 €

Yordanka Stoyanova
- B 06 012043 23 05 C -

Yordanka Stoyanova

En bref

Pseudo : Nii'
Messages : 14




The revolution is over ;
We've all gone home.
We'll reimburse you for stones
That are yet to be thrown.
The revolution is over ;
We all got bored.
We'd like to thank you for being

A part of our cause.
Nom : Kakalova, née Stoyanova.
Prénom : Yordanka.
Surnom : Dany, Danche.
Sexe : Féminin.
Âge effectif : 49 ans.
Âge apparent : 34 ans.
Arrivé depuis : Vient d'arriver.
Date de naissance : 04/07/1993.
Date de mort : 10/01/2043.
Orientation sexuelle : Hétérosexuelle.
Groupe : Commotus.
Nationalité : Bulgare ; Plovdiv.
Langues parlées : Bulgare ; bases intenses d'anglais.
Ancien métier : Femme au foyer.
Métier actuel : Fouteuse de bordel ??
Casier Judiciaire


▬ Crimes commis :
▬ Circonstances du décès :
▬ Péché capital principal :
▬ Péché capital secondaire :
▬ Rapport à l'alcool :
▬ Rapport aux drogues :
▬ Addictions :
▬ Mauvaises attitudes récurrentes :
▬ A été victime :


Physique


Quitte à revenir à un âge plus clément, Dany regrette ne pas avoir retrouvé le visage de ses vingt ans. Question de symbolique. Elle n'était ni plus belle ni plus heureuse, pas vraiment plus fine ni plus libre, mais il y a quelque chose dans les tous petits débuts de rides sur son visage figé qui lui donne envie de jeter les miroirs par la fenêtre. Et ça se voit.
Va te faire foutre, enfoirée.
De son vivant, Yordanka avait abordé la trentaine sereine ; sage. Ses cheveux bruns, raides et épais, lui arrivaient juste au-dessus des épaules sans frange ni froufrous. Elle s'habillait comme beaucoup de ses voisines, toute de jeans et de shorts fluides, de jolis hauts et de chemisiers élégants. Ses goûts en matière de vêtements varient autant que le vent change de sens en automne, alors il ne faut pas s'étonner qu'elle soit passée du tout au tout chaque fois que sa vie a pris un nouveau tournant. Elle s'adapte. Se préoccupe plus de l'image qu'elle renvoie que d'autre chose. Aimer ou pas ses tenues n'a pas grand sens pour elle — avoir l'air de ceci ou cela, par contre, c'est important.
Et maintenant qu'elle est morte, elle veut avoir l'air de tout sauf d'une mère de famille vivant en pavillon.
Ses cheveux vont être coupés plus courts aussitôt qu'elle aura deux pieds posés à Asphodèle et une paire de ciseaux en mains. L'uniforme, tant pis — elle le portera si on l'y oblige, quitte à accessoiriser autant que possible. Elle fera comme elle peut. Elle a toujours été douée pour ça.
Avec son petit mètre cinquante-trois, facile de passer inaperçue. D'avoir l'air plus jeune, si elle se tient, parle et se coiffe comme il faut. Elle n'aura jamais plus l'air d'une adolescente, mais ça lui est égal ; il n'y a pas d'âge pour vouloir se faire entendre et maintenant qu'elle n'a plus de contraintes, plus personne à décevoir, plus personne à écouter sinon elle-même, elle ne compte pas faire les choses à moitié. Tant pis si on ne la voit pas, tant pis si on ne la prend pas au sérieux parce qu'elle rentre dans les épaules de tout le monde. Elle a l'habitude.
Toute petite mais pas toute menue, Yordanka a des seins et des fesses que sa petite taille n'aide pas à répartir. Comme la plupart des gens doivent baisser les yeux pour la regarder, tant qu'à faire, le regard a vite fait de descendre un peu plus bas. Elle n'aime pas qu'on la reluque et en passe vite aux insultes ou aux menaces quand on s'attarde trop sur ses hanches ou sa poitrine. "Du coup y'a plus grand chose à regarder", ha ha ha, elle l'a déjà entendue celle-là, merci. Très drôle, très spirituel. Dix sur dix.
Ses grands yeux verts fusillent et assassinent plus qu'ils ne couvent. Ses doigts sont petits, trop boudinés à son goût — mais ça fait partie des choses qui n'ont jamais changé, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, alors elle se dit que ce n'est pas si mal. Son visage est rond, ses lèvres un peu fines, sa peau claire. Elle se tient toujours très droite debout mais s'affale et se replie une fois assise. Sa petite voix aiguë perce les tympans et elle compte bien l'utiliser à tort et à travers. Pas question de hurler quand les voisins risquaient d'entendre (et elle n'avait pas de raisons de le faire, tragiquement), mais à Asphodèle ? Pas de soucis. Elle peut crier tant qu'elle veut et ne va pas se gêner pour le faire.
Si au moins elle chantait. Mais non. Elle jure.
Elle jure, elle marche, elle saute, et petites ou pas ses jambes la portent toujours jusqu'à destination. Elle est solide. Elle est dure.
Les phalanges râpées et les genoux égratignés sont monnaie courante, avec elle. L'étaient, du moins.

Vont le redevenir.


Caractère


Yordanka est un skinhead d'un mètre quatre-vingt-dix coincé dans le corps d'une toute petite jeune femme.
Forcément, la première fois qu'on lui parle, ça fait un peu bizarre.
De ses années de femme mariée et de mère, Dany n'aura retenu que l'essentiel. A savoir : l'argent c'est bien pratique, la vie est faite de compromis, quand on aime on compte et quand on compte, on ne s'en va pas.
C'est tout.
Les impôts ? Chiants. Ne pas ennuyer les voisins ? Très chiant. Rester polie et ne pas hausser la voix parce que ça ne se fait pas ? Insupportable. Les raisons étaient bonnes, sur le coup, mais justement. C'était circonstanciel, tout ça. Elle a été sage et présentable parce que. Le parce que n'étant plus là, adieu les gentils sourires et les après-midi café-lecture.
Yordanka est une fille simple. Elle aime pouvoir crier, dire ce qu'elle veut, s'énerver quand ça lui vient, sans avoir à se demander si c'est adéquat, si ça risque de lui porter préjudice, si ça pourrait tendre ses relations avec untel ou untel. Réfléchir lui casse la tête. Elle n'est pas stupide mais prend rarement le temps d'utiliser ses cellules grises. Fonctionner à l'affect et aux tripes, c'est quand même beaucoup plus simple ; il ne faudrait pas trop lui en demander. La réflexion l'ennuie. Bla, bla, bla. Elle préfère agir, quitte à regretter ensuite. Plutôt vivre de regrets que de n'avoir rien fait.
On le lui a tellement répété. Elle ne sait pas comment elle a fait pour oublier.
La colère, elle l'a violente et passionnée. Et pourtant, ça ne lui vient jamais du ventre ; c'est son cerveau, celui qu'elle oublie sans arrêt, qui crie le premier. Elle a envie, elle est jalouse, elle n'a pas assez, son ego est malmené, abandonné, alors elle serre les poings et les lève jusqu'à ce qu'on l'écoute, jusqu'à réparer l'injustice. Ce qu'elle n'a pas, on le lui a pris. Forcément. Elle a besoin de coupables et si ce n'est pas elle, alors c'est l'autre. Un point c'est tout.
Mettre des dizaines de personnes dans des toutes petites boîtes sur lesquelles elle va s'empresser d'aller taguer des messages haineux ne la dérange pas. Au contraire, même — ça l'amuse. Lui plaît. Elle se fiche bien qu'untel ou untel ne lui ait rien fait ; sa couleur de peau, ses papiers, les gens qu'il aime bien embrasser, en privé ou en public et au fond peu importe — tout est matière à haïr, rabaisser et insulter. Yordanka a des problèmes d'estime, des problèmes tout court, alors elle leur met tout sur le dos. Tout ce qui ne va pas, toute la colère, toute la tristesse, elle les rebalance au nez de ses voisins et se justifie en se disant que de toute façon, ils valent moins qu'elle. C'est ce qu'on lui a dit. C'est ce qu'elle croit. C'est ce qu'elle répète et revendique, ni honte ni indécision au visage lorsqu'elle clame haut et fort ce pour quoi elle se bat.
Tout le monde dehors.
En plus d'être fière et colérique, Dany fonctionne à l'instinct grégaire pire que si sa vie en dépendait. Elle trouve des personnes qui pensent comme elle, qui lui ressemblent, et s'y accroche au chalumeau. Quand elle tient à quelqu'un, elle ne plaisante pas. Soudée, collée serrée attachée vissée — à la vie à la mort.
Ou c'est ce qu'elle voudrait, du moins. C'est ce qu'elle compte faire, cette fois, parce qu'abandonner ses amis c'est non. Ses proches sont tout ce qu'elle a.
Être à ce point impliquée veut aussi dire qu'elle a la trahison et la dispute mauvaise. L'insulter, lui dire qu'elle a tort, lui faire un croche-pied, venant de quelqu'un qu'elle aime, qu'elle respecte, qu'elle admire, c'est un arrêt de mort. Elle ne revient pas sur ses décisions. Ou rarement. Quand elle hait quelqu'un, elle le hait avec passion. Elle n'oublie pas et ne fait pas semblant.
Il n'y a guère qu'avec ses amis qu'elle sait se montrer gentille. Pas douce, il ne faut pas exagérer — ça n'arrive qu'un jour férié sur deux, et encore — mais attentionnée ; drôle. Elle aime remonter le moral des troupes et défendre ses compatriotes. Elle sait faire front. Ne sera jamais le maillon faible, même si on lui tape dessus. Elle peut fuir mais pas trahir. Jamais. Elle s'en voudrait trop. Alors même si elle est douée pour se boucher les oreilles, oublier et passer à autre chose, elle n'ira jamais jusqu'à volontairement causer du tort à ceux qu'elle a aimé. Et c'est déjà pas mal.
Raciste, homophobe, en colère contre les turcs, contre les musulmans, un tantinet néo-nazie et sacrément obtuse  pour tout ce qui est des questions d'intégration, d'entraide et d'amour de son prochain, Yordanka méprise beaucoup de monde et n'ira pas marcher sur ses principes juste pour se faire apprécier. Qu'on l'aime ou qu'on la déteste, c'est la même chose — et franchement, elle n'a pas envie de se faire aimer de gens qui ont un avis contraire au sien de toute façon. Les vingt dernières années de sa vie lui ont appris à tolérer ses voisins plus ouverts ; à compromettre. Elle sait que si elle met des droites à tout ce qui est foncé ou menace de lui voler son espace vital, elle n'ira pas bien loin — alors elle reste plus sur la défensive qu'avant, moins dans la confrontation directe. Ça ne l'empêchera pas de cracher sur les gens, mais au moins elle peut discuter si l'autre accepte d'ignorer ses quelques (très légers) défauts.

Du reste elle est tout sauf timide, plus ou moins débrouillarde, curieuse, (très) impulsive, capable de beaucoup d'empathie quand elle le veut bien, bonne en travaux manuels, courageuse et téméraire, a une tendance très nette aux hurlements et aux cris d'effroi quand elle veut communiquer avec quelqu'un mais n'y arrive pas, est bruyante en toutes occasions, vite au bord des larmes si on la rabaisse ou qu'on l'insulte, a le coup de poing facile et aime qu'on s'occupe d'elle — autant que de s'occuper des autres, en tout cas. Elle est active et déteste se tourner les pouces. La fainéantise, elle ne connaît pas.


Histoire


Yordanka naît dans une famille tellement normale qu'elle pourrait en paraître ennuyeuse. Ses deux parents travaillent ; ils ne manquent de rien. Leur maison est pleine de vie mais bien rangée. Les enfants vont à l'école. Ont des amis. Les parents aussi. Sa soeur et son frère aînés sont si proches d'elle en âge qu'ils sont presque triplés, au fond — et si Rositsa ne voit pas les choses de la même manière, elle est gentille et emmène ses cadets avec elle dès qu'ils le lui demandent. Rosi est patiente et pragmatique, Georgi est vif et plein de vie, et Yordanka grogne vite mais a toujours des câlins en stock. Entre eux, ça fonctionne bien.
Au fur et à mesure des années, Rositsa devient pour Dany le modèle parfait à atteindre. Elle est intelligente, elle est forte, elle ne se laisse pas faire ; elle a ses avis, ses opinions bien à elle, et se fiche pas mal que les autres ne soient pas d'accord. On ne marche pas sur les pieds de Rosi. Elle est sportive. Elle est brillante. Elle est indépendante. Gosho est bien aussi, d'accord — mais il ne vaut pas sa soeur parfaite. Et puis c'est un garçon. La différence, tragique, laisse le cadet de plus en plus de côté. Pas que ça le dérange beaucoup ; il a ses amis, sa vie, et ne pas constamment avoir sa petite soeur sur le dos l'arrange, au contraire. Moins de pression.
Parce que de la pression, Rositsa en a. Elle en a même pour dix.
Ça lui pèse sur les épaules.
Dany crie, Dany pleure, Dany rit — Dany fait beaucoup de bruit. Elle saute elle court elle danse elle pique des crises de nerfs, tout le temps, sans arrêt, sans que personne ne réussisse à trouver le bouton pause. Elle part au quart de tour et au moindre mot trop dur de sa soeur chérie, elle pleure plus fort, crie plus fort, roule par terre plus violemment. Ses parents la regardent faire en soupirant et conseillent à Rosi de ne pas trop se laisser embêter ; il ne manquerait plus qu'elle s'habitue. Il faudra bien qu'elle se débrouille toute seule et arrête de copier tout ce que fait son aînée, un jour.

Rentré par une oreille, sorti par l'autre.
Dany n'a jamais eu le memo.

A aucun moment qui que ce soit dans la fratrie Stoyanov n'a prêté le dur serment de ne jamais abandonner les autres. Ils s'entendent bien, d'accord, mais ils ne sont pas collés à la hanche non plus. Que Dany imite sa soeur en tout point n'y change rien. Elle ne peut pas sortir avec les mêmes garçons ni avoir les mêmes amis, alors leurs vies sont bien définies, bien séparées de chaque côté d'une ligne très droite. Si la benjamine veut que les deux côtés soient parallèles, elle est à la seule à vraiment s'en préoccuper ; ses efforts ne servent qu'à la rassurer. Avoir un modèle, c'est moins risquer de se tromper. Elle sait à quoi s'en tenir.
Yordanka a quinze ans depuis quelques mois seulement quand sa soeur adorée annonce la nouvelle. Une grande nouvelle — une super grande nouvelle, même ; de celles qui font piailler les mamans et sauter de joie les papas. Leur fille chérie, tellement intelligente et tellement forte, avec ses notes parfaites et son anglais impeccable, va aller étudier à l'étranger l'an prochain. Ils ne sont pas du genre à couver leurs enfants ; qu'elle prenne son envol un peu plus loin que prévu leur fait plaisir, au contraire. Les Pays-Bas, c'est tellement joli ; elle va voir tellement de choses, rencontrer tellement de personnes. Elle n'a même pas fini son année qu'ils pensent déjà valises et cartes postales. Gosho est un peu triste de la voir partir, mais elle promet d'appeler souvent et il s'en contente. Elle reviendra pour les vacances, de toute façon. Ce n'est qu'un au-revoir.
Tout le monde est content pour elle.

Yordanka hurle.

La trahison la laisse tellement choquée que ça ne vient qu'un peu après — mais une fois les sirènes lancées, elles n'arrêtent plus. Elle tape du pied, l'insulte, hurle et traite ses parents de tous les noms jusqu'à se prendre la première gifle de sa vie. Sa mère regrette, mais elle est allée vraiment trop loin. Elle ne peut pas la laisser dire des choses pareilles.
Son frère ne lui vient pas en aide. Rosi non plus. Elle trouve qu'elle exagère. Elle s'en va juste pour ses études. Ç'aurait été pareil si elle était partie dans la ville d'à côté ; c'est juste un peu plus loin mais au fond, ça ne change rien.
Dany insiste que si. Que ça change tout. Que c'est une traîtresse et un monstre et une salope — et parce qu'elle a l'amour aussi brutal que la haine, elle se bat avec sa soeur plus d'une fois avant qu'enfin la tristesse ne prenne le pas sur la colère.
Plus la peine remonte, plus la jalousie se fait évidente. Elle peut survivre sans sa soeur, oui — mais elle ne pourra pas faire comme elle, et c'est surtout ça qui la chagrine. Se contenter d'être une Rosi plus pâle et plus moche et plus stupide lui allait, jusque-là, parce qu'elle ne se pensait pas si loin derrière ; mais ses notes sont tantôt moyennes tantôt nulles, et personne ne la croit capable de se débrouiller seule à dix mille kilomètres de là. Ses parents ne la laisseraient partir qu'à reculons, elle le sait, et obtenir des bourses est tout bonnement hors de question. Elle ne peut pas travailler. Trop jeune. Si elle veut se payer la fac aux Pays-Bas il va falloir qu'elle attende, et d'ici là Rosi sera revenue, et elle se sera mariée, et elle sera heureuse, et elle elle n'aura rien, personne, et elle s'énerve, et elle ne réfléchit pas — elle veut juste hurler, alors elle hurle.
C'est ce qu'elle fait de mieux. On le lui assez reproché comme ça.
Quand vient l'été et que Rosi s'apprête à partir pour l'aéroport, on lui demande une dernière fois si elle veut venir. Elle pleure ; tempête. Demande à sa soeur de rester.
Elle refuse.
Alors elle aussi, elle refuse.
Georgi et ses parents montent dans la voiture. Elle les regarde partir, les yeux rouges et les cheveux emmêlés, à tirer dessus comme une abrutie parce qu'elle est tellement en colère, tellement fâchée. Elle pourrait tout casser.
Elle hurle. Donne des coups de pieds dans les meubles. Casse un cadre, une chaise. Se tire les cheveux.
Son reflet lui rit à la figure, alors elle casse le miroir.
Le trajet aller-retour jusqu'à l'aéroport n'est pas très long, mais ils ont de l'avance. Il voulaient avoir le temps de se dire au-revoir ; de se parler un peu. Yordanka a le temps de faire le tour de la maison dix fois avant que tout cogner ne fasse tomber des ciseaux par terre. Son reflet déformé par les craquelures du verre brisé rit encore.
Ils pensent qu'elle ne peut pas se débrouiller par elle-même ? Qu'elle est bête et stupide, tellement moins bien que Rositsa ? Que Georgi ? D'accord. Très bien. Parfait.
Les ciseaux entament ses cheveux et laissent un champ de bataille au sol. Quand elle a coupé ce qu'elle peut, elle met la salle de bain sans dessus dessous et atrappe la tondeuse que son père et Gosho utilisent pour se coiffer.
Tête presque nue, elle remplit un sac à dos d'affaires et de ce qu'elle trouve d'argent — pas grand chose —, laisse son téléphone, son ordinateur, ses peluches, et claque la porte dans son dos.

Quand ses parents reviennent, le désordre les met dans une telle panique qu'ils ne remarquent pas immédiatement ce qui manque. Ils partent voir chez ses amis, demande si quelqu'un l'a vue. Georgi est le premier à voir qu'elle a pris des vêtements et de l'argent.
Ils appellent la police. Ceux-ci ne peuvent rien faire — pas tout de suite — mais ils sont loin d'être débordés et promettent de garder un oeil sur les routes et les trains au cas où ils la trouvent. Ils pensent qu'elle va revenir ; une ado en colère, ça ne va jamais bien loin.
Sa famille la connaît. Ils en sont moins sûrs.
Et à raison.

Pendant ce temps, Dany prend le bus. Etale sa carte du pays sur ses genoux dès qu'elle en a l'occasion ; essaie de prévoir un trajet. Elle ne peut pas prendre le train. Encore moins l'avion. Pas assez d'argent et aucune envie de se faire prendre. L'idéal, ce serait d'arriver à Sofia ; de là, elle pourrait rapidement passer en Serbie. Ensuite il faudrait traverser la Hongrie et l'Autriche, puis remonter toute l'Allemagne et enfin atteindre Amsterdam. Elle n'a aucune idée de comment traverser la frontière sans papiers, en fugue et très mineure — mais ça, elle aura le temps d'y penser plus tard.
Elle est motivée. Elle va y arriver.
La chance sourit aux imbéciles et si Dany a bien quelque chose pour elle, c'est de ne pas réfléchir beaucoup.
T'es pas bête, en plus. Tu gâches ton petit cerveau.
La voix de sa soeur lui fait serrer les poings.
Elle n'abandonnera pas. Jamais.
Une fois sortie de la ville, elle s'installe au bord d'une route et tend le bras, pouce vers le haut, jusqu'à ce qu'une voiture ne la prenne. Une famille très gentille. Elle leur dit qu'elle va chez un ami. Ils ne vont pas très loin, mais ils la rapprochent un peu ; quand ils lui disent au-revoir, elle se sent pousser des ailes. Ça va le faire. Elle va y arriver.
De voiture en voiture en camion, des heures à garder le bras tendu, elle se rapproche petit à petit de son but. Il fait encore grand jour. Elle grignote ce qu'elle a pris à manger, s'attache, rigole avec les chauffeurs. Certains la mettent mal à l'aise, et elle va jusqu'à refuser de monter dans une voiture quand le type fait un commentaire sur sa tenue — elle a un short, pas un string et des bas résilles, alors il a intérêt de se calmer. Il insiste. Elle a peur qu'il ne sorte et ne la force à monter, alors elle l'insulte de tous les noms et menace de sortir un couteau jusqu'à ce qu'il lui fiche la paix.
Son coeur bat à cent à l'heure.
Elle n'est partie que depuis quelques heures.
Elle atteint Yambol. Sliven. Gourkovo. Marche. Marche encore. Se fait emmener jusqu'à Kazanlak ; Pavel Banya.
Marche. Marche. Marche.
Il n'y a que quelques heures de route de Bourgas à Sofia, mais on ne l'emmène que par à-coups. La plupart des voitures ne s'arrêtent pas. Elle avait prévu d'être arrivée avant la nuit ; quand le soleil commence à se coucher, elle a envie de pleurer. Il fait chaud, frais, froid, elle a mal partout, n'ose plus enlever sa veste, n'ose pas rester sur les trop grandes routes, commence à avoir faim, besoin d'une douche. Dans la voiture qui s'arrête, il n'y a qu'un seul type ; ni femme ni enfant. Elle jure entre ses dents. Il propose de l'emmener à Plovdiv. Il est tout seul, dans la tranche d'âge des hommes en qui elle pense ne pas pouvoir faire confiance, mais elle n'en peut déjà plus, alors elle se dit que ça ira.
C'est ça ou dormir dans le fossé. Son choix est vite fait.
Le conducteur s'appelle Yordan. Yordan, Yordanka — c'est drôle, hein ? Il lui demande ce qu'elle fiche de sa vie. Ce qu'elle fait là. Elle reste évasive. Lui dit qu'elle essaie de rejoindre sa soeur. Il pense que ses parents la battent ; elle ne dit pas non. Si ça peut l'aider, elle a même été violée. Peu importe. Elle veut juste arriver à Amsterdam.
Il la fait descendre dans le centre-ville de Plovdiv. En voyant qu'elle ne sait pas où aller, il propose de la laisser dormir chez lui pour la nuit ; elle refuse. Elle ne le connaît pas. On ne sait jamais. Il lui laisse quand même un numéro de téléphone, au cas où. Il habite dans le coin.
A peine sa voiture partie, elle regrette.
Cette nuit est la pire de sa vie. Pas de lit. Pas de fauteuil. Quand elle trouve enfin un escalier tranquille près d'un immeuble, un locataire la chasse. Tous les bons coins sont déjà pris par des SDF — et à la première main qui lui claque les fesses, elle se promet d'arracher les dents au premier qui l'approche. Elle passe une heure à trouver des toilettes publiques. Se rend compte qu'elle n'a pas de douche à disposition. Nulle part où se laver. Elle n'a même pas pensé à prendre sa brosse à dents.
Elle regrette l'appartement de Yordan. Quitte à se faire violer, au moins ç'aurait été sur un matelas propre.
Les quelques heures glanées à dormir agrippée à son sac, assise contre un mur, ne lui suffisent pas. Elle est fatiguée ; a mal partout. Rien ne va.
Elle marche une heure, deux heures à essayer de sortir de la ville, de retrouver une des grandes routes sur lesquelles elle pourrait se remettre à faire du stop. On la regarde de travers. Elle a faim. Ne sait plus où elle est. Se perd. Pleure.
Elle n'ira pas loin, ce jour-là.
Ça ira mieux demain.
Elle passe la nuit sur un banc. Au réveil, la faim lui tord l'estomac. Elle s'achète un peu à grignoter, et se rend vite compte qu'elle a déjà utilisé la quasi-totalité du peu d'argent qu'elle a emmené. Son voyage va durer des semaines ; elle n'a aucune idée de combien de jours elle peut passer sans manger. Elle doit bouger.
Quand enfin elle retrouve la route, personne ne la prend en stop. La seule femme qui s'arrête la regarde de bas en haut et lui demande d'où elle vient, pourquoi elle est là — où sont ses parents ? elle n'a pas l'air d'aller bien — et quand elle attrape son portable en lui demandant si elle veut appeler quelqu'un, être ramenée à la maison, elle l'insulte et repart en courant.
La ville l'avale. Elle disparaît entre les rues et les passants.
Cette nuit-là, elle n'arrive pas à dormir. Elle ne trouve pas d'endroit. Les jeunes qui traînent dehors la bousculent et tirent sur sa veste — manquent de voler son sac, ce qu'elle a encore d'argent et de patience. Elle donne des coups de poings et finit avec la lèvre ouverte contre le trottoir.
Elle a toujours son sac. Alors elle renifle, se dit qu'elle a de la chance, et part se rouler en boule dans une ruelle et attend que le courage lui revienne.

Ça dure une semaine. Une semaine sans donner de nouvelles à qui que ce soit. Une semaine sans parler à personne. Elle croise un sans-abri un peu sympa qui lui prête une moitié de matelas et de l'eau en la voyant tituber, un midi, mais c'est tout. Elle trouve un centre commercial dont elle peut utiliser les toilettes et les lavabos pour essayer de se laver un peu ; pleure beaucoup. Amsterdam a l'air tellement loin.
Son obstination risquerait de la tuer, mais elle s'en fiche. Personne ne le retrouvera.
Elle y arrivera. Pas d'autre alternative possible.
On est bête, à seize ans.
Le jour où son estomac se tord et que des crampes la font paniquer à vouloir s'en enfermer dans les toilettes toute la semaine, elle se rend compte qu'elle a oublié de prendre des tampons. Elle ne se voit pas faire sans — jamais de la vie —, alors elle essaie d'en voler.
Dany n'est pas discrète. Le gérant de la supérette l'atrappe ; menace d'appeler la police. Ses parents. Dans la panique elle se débat, mord, griffe, et si quelqu'un ne lui avait pas attrapé les bras en disant qu'il allait payer pour elle, ça aurait pu tourner beaucoup plus mal. Alors elle se tait. S'excuse. Le remercie.
Le garçon s'appelle Aleksandar — Sasho pour les amis — et a le crâne plus rasé que le sien. Ses jolis yeux noirs ne lui inspirent pas confiance, mais elle n'a nulle part où aller. Elle repense à Yordan, qui avait l'air plus gentil ; au lit qui lui manque tellement.
Ça a des airs de mauvaises idées. C'en est sûrement une.
Elle le suit quand même.
Aleksandar l'emmène chez lui et la laisse prendre une douche le temps qu'il discute avec son beau-père. Elle a bien appris la leçon en chemin ; leur dire qu'elle est battue ne lui brûle ni la langue ni le coeur. Stanimir est un homme gentil et plus qu'à demi impulsif. Il ne sait pas quoi faire pour l'aider, mais il ne se voit pas la laisser crever dans la rue. Elle peut dormir sur le canapé cette nuit, si elle veut. Sa femme ne dira rien.
Pas devant elle, en tout cas. Elle les entend se crier dessus dans la cuisine, tard dans la nuit, mais peu importe. Elle n'est pas là pour voler et s'endort la conscience tranquille.
Les "deux jours, pas plus" d'Aleksandar et Stanimir se transforment en semaine. Le petit frère, Nikola, la regarde passer comme une bête curieuse. La mère grogne mais laisse faire. Elle n'a rien fait de mal, pour l'instant. Ce n'est pas comme si elle leur coûtait cher non plus.
Une fois requinquée, Dany retrouve de sa superbe. Elle suit Sasho et se présente à ses amis comme si ça allait de soi ; qu'elle avait toujours été là. Lyubomir plane à dix mètres au-dessus du sol et ne la calcule qu'à moitié. Nikolay la salue de loin. Martin et Plamen lui serrent la main. Kaloyan et Ivanka, elle les recontre plus loin — et peu importe que l'un comme l'autre aient l'intelligence d'un balais brosse, elle en tombe amoureuse et fait d'eux ses nouveaux meilleurs amis pour la vie.
Quand la situation devient plus tendue chez les Trifonov, elle part habiter dans le squat où les amis d'Aleksandar se retrouvent. Elle se douche tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. Mange de-ci de-là. Distraie l'épicier du coin pendant que Plamen pique des trucs. Va faire le plein avec Martin. Suit Nikolay et Lyubomir quand ils vont s'acheter des cachets, de la poudre, de l'alcool — peu importe, elle ne demande pas.
Ils l'adoptent si fort qu'elle ne pense plus à partir. Elle est bien, avec eux. Ils forment un tout.
Pas besoin d'Amsterdam. Pas besoin de ses parents. Pas besoin de travailler.
Elle est grande. Elle sait se débrouiller.

Parce qu'elle ne fait pas parler d'elle et qu'ils n'ont aucune idée de sa destination, ses parents ne la retrouvent pas. Elle se fait toute petite. Quand elle se roule en boule sur le vieux matelas dans le squat, enroulée dans trois couvertures mal assorties, elle repense aux nuits qu'elle a passées sous la pluie.
Elle n'a goûté à la misère et à la précarité qu'un instant, mais ça la marque. Plus jamais ça.

Les semaines s'enchaînent et se transforment en mois. A force de traîner avec les mêmes personnes, leur façon de penser déteint sur elle. Quand ils insultent les turcs, elle repense à celui qui lui a claqué les fesses. Aux types qui lui ont éclaté la lèvre, et dont elle ne se souvient pas les visages. Quand ils crachent sur les homosexuels, elle ne trouve aucun argument pour les défendre. Quand ils proclament la supériorité de la race bulgare — blanche — elle regarde ses mains, son reflet dans le miroir, et hoche la tête.
Elle n'est ni influençable ni stupide. Ivanka et Kaloyan n'ont pas des idées si extrémistes. Nikolay a l'air plus mal à l'aise qu'autre chose. Elle ne suit pas ceux qui parlent le plus fort ; elle suit ceux qui dont les idées lui plaisent le mieux.
Pas d'excuses, Dany. Tu penses juste comme eux.
Elle passe Noël avec Ivanka. Pas de nouvelles de ses parents.
Aleksandar fronce les sourcils en la voyant rire avec Stanimir, mais il la pense gentille et réglo. Il ne s'inquiète pas.
Stanimir sait qu'elle a seize ans, mais il ne la repousse pas quand elle recule le siège et lui grimpe sur les genoux.
Et pendant ce temps-là, Martin tag des swastikas dans les rues de Plovdiv.

Au bout d'un an, Yordanka a oublié tout d'Amsterdam et de ses rêves. Elle rit avec ses amis, attend d'être majeure pour trouver du travail et évite les bouteilles que la mère d'Aleksandar lui jette dessus dès qu'elle ose s'approcher de la porte.
Stanimir lui manque, mais Aleksandar lui a dit de laisser tomber. Elle serait morte, sans lui. Alors elle ronge son frein, fume avec Lyubomir et prend part à tous les débats politiques. Se met à tagger, elle aussi. A insulter les gens dans la rue.
Ça fait moins peur venant d'une gamine d'un mètre cinquante que de types d'un mètre quatre-vingt, mais elle n'est jamais seule. Accompagnée, soutenue, elle s'enhardit.
Un peu trop au goût d'Ivanka et Kaloyan, mais ils l'aiment. Et puis Kaloyan fait trop confiance à Aleksandar pour remettre ce qu'il dit en question.
Bêtes comme des balais brosse.
Ses dix-sept ans passe. Le Noël suivant aussi. Elle se demande si sa soeur est revenue ; si elle manque à ses parents. Et puis Plamen la soulève sur son épaule en riant, et elle oublie.
En janvier, l'année de ses dix-huit ans, elle retrouve le numéro de Yordan dans son sac. Elle l'appelle, juste pour voir, et le retrouve à un café. Il est avec un ami à lui — Hristo Kakalov, un type imbuvable — et elle part fâchée.
Sauf que Yordan est un type bien, contrairement au reste du monde, et qu'il doute suffisamment de ses histoires de fille battue pour appeler la police. Juste histoire de demander si une Yordanka née en 93, toute petite, cheveux bruns, yeux verts, manque à quelqu'un.
C'est le cas.
Quand on vient la récupérer, c'est le drame. Littéralement. Aleksandar et Nikolay sont obligés de retenir Martin pour l'empêcher d'arracher le visage du policier (turc, pas de chance). Ils l'embarquent quand même.
Ses parents l'attendent au commissariat de Plovdiv. Ils pourraient pleurer d'enfin la revoir, mais elle est si brutale et insolente que les retrouvailles manquent de tourner à la dispute. Georgi la calme de justesse.
Elle n'a pas le choix de revenir, alors elle le fait.
Les mois suivants sont infernaux. Elle refuse de parler à ses parents et adresse à peine deux mots à Georgi ; elle ne veut même pas voir le visage de Rositsa, et menace de repartir ou de défoncer quelque chose si elle ne serait-ce que passe la porte de la maison. Pour eux, qui ont laissé une adolescente triste et frustrée du départ de sa sœur, c'est l'incompréhension. Ils auraient pensé que la colère serait passée. Qu'elle aurait compris et pardonné.
C'est tout le contraire.
Dès qu'elle a dix-huit ans, elle claque la porte et repart chez ses amis. Lyubomir plane toujours et Aleksandar travaille, mais les autres l'accueillent en héroïne. Elle est contente ; elle rit.

Yordanka a récupéré ses papiers et est en règle, maintenant, donc elle se cherche du boulot. Plamen lui trouve un petit truc dans l'entreprise de son père ; elle met des trucs dans des cartons. C'est ennuyeux à mourir et ça rapporte trois fois rien, mais au moins elle peut se payer à manger sans dépendre des autres.
Et parce que la vengeance est un plat qui se mange brûlant, elle n'attend pas deux mois pour repérer Yordan à son café préféré de sale traître bon à jeter dans le fossé et lui explique gentiment sa façon de penser. En hurlant et en essayant de le frapper, donc.
L'autre abruti trop bien sapé qui lui tient lieu d'ami manque de la faire pleurer tellement il tape juste, alors elle lui jette son café à la figure et repart encore plus fâchée qu'avant.

Si on lui avait dit qu'elle finirait par l'épouser, elle n'y aurait pas cru. C'est drôle comme le monde tourne à l'envers, parfois.

Quand Martin s'entiche des sœurs Gospodinova, elle va pour lui dire que c'est un mauvais plan — mais il a l'air content, et elles font quasiment un mètre quatre-vingt dix chacune, et un seul regard de l'aînée suffit à la faire taire. Aleksandar et Nikolay commencent à se fâcher avec Plamen et Martin ; Lyubomir rigole comme un attardé dans le fond. Les uns deviennent trop violents, les autres se désolidarisent trop du groupe et elle, elle ne sait plus quoi faire. Elle veut bien virer les étrangers de son pays, se battre pour son boulot et la grandeur de son pays, mais sortir les couteaux ou foutre le feu à des centres de réfugiés, ça lui fait un peu peur.
Hristo, qu'elle part insulter quotidiennement, la trouve carrément stupide. La violence appelle la violence ; il faut institutionnaliser tout ça pour que ça fonctionne. S'en référer à la politique. Faire bouger les choses globalement.
Elle le trouve vieux et ennuyeux. Il la traite de conne.
Quand elle bouscule ou tabasse des musulmans avec ses potes, elle trouve ça cool. Rien à remettre en question de ce côté-là. Mais quand Rumyana parle de tout ce qu'elle aimerait faire à la copine de son père, elle a envie de vomir.

Elle lui fait peur.

L'arrivée de Rumyana et Nadezhda change tout. Elles sont de tous les combats. Avec ou sans elle, d'accord ou pas, la violence escalade.
Ils traînent avec plus de gens. Font plus de conneries. Participent à plus de manifestations. Secouent plus d'étrangers. Des homosexuels, aussi. Elle participe à tout. Perd un peu Ivanka et Kaloyan de vue. Ils la regardent de loin, sans trop savoir quoi faire — et quand elle se fâche avec Aleksandar et qu'il la gifle, tout craque complètement.
Elle sait que Martin l'a tabassé en représailles, mais ne cherche pas à en savoir plus. Ils arrêtent juste de se voir. Au bout de quelques jours, Nikolay vient chercher Lyubomir et l'emmène.
Elle ne les revoit pas.


Elle ne veut pas retourner chez ses amis. Ne veut pas rester seule. Pense à appeler ses parents. Ivanka. Kaloyan. Stanimir. Aucun ne voudrait la voir, c'est sûr.
Alors elle appelle Hristo.

Et allez savoir pourquoi, il vient vraiment la chercher.

Après ça, elle coupe les ponts avec tout le monde.
Elle trouve un petit boulot dans un abattoir. Rencontre d'autres gens. Se laisse pousser les cheveux. Se calme.
Insulter Hristo est tellement devenu un automatisme que même entre deux baisers, elle le fait quand même. Ça ne doit pas le déranger tant que ça, puisqu'il lui demande de vivre avec lui ; et elle ne doit pas être si chiante que ça, quoi qu'il en dise, puisqu'il la demande en mariage en automne 2016.
Elle n'invite pas sa famille. Kaloyan et Ivanka répondent à son invitation et l'enlacent à l'en étouffer en la voyant dans sa jolie robe ; Aleksandar pas.

Elle saisit le message et n'insiste plus.

Hristo est dans la politique et gagne bien assez pour les faire vivre confortablement ; elle n'est pas obligée de travailler. Il ne la force à rien — il peut même l'aider à trouver un job, si elle veut —, mais elle ne se fait pas prier pour démissionner. Elle n'a pas l'âme travailleuse et si elle a besoin d'être active, elle préfère le faire en aidant son mari dans ses campagnes ou en s'impliquant dans la vie de son quartier. Elle se remet au sport, adopte un chat. Sa vie lui convient si bien qu'elle s'y love et n'en bouge plus.
Il faut que Hristo se mette à fixer tous les bébés des environs et à soupirer qu'il veut un enfant pour qu'elle songe à changer la donne. La première fois qu'il lui demande ce qu'elle en penserait, elle lui explique poliment que c'est son corps et qu'elle ne compte jamais porter un truc qui braille et qui bave dans son joli ventre. Il saisit le message, mais ça ne l'empêche pas de soupirer chaque fois qu'ils croisent une poussette.
Sourcils froncés devant le miroir, Yordanka grogne et grince des dents.
Bon, juste un.
Plutôt que de le lui dire, elle arrête de prendre la pilule et fait régulièrement des tests. Le jour où il revient positif, elle le met dans une enveloppe et le cale fièrement dans la boîte aux lettres.
Quand il revient avec le courrier, ce jour-là, il manque de l'étrangler de joie. C'est communicatif, un rire — alors au final, elle en rit aussi.

Atanas nait en 2018. C'est un petit garçon tout brun, tout mignon, qu'elle qualifie instantanément de meilleur bébé au monde. Hristo est très impliqué dans l'éducation et le bien-être de son petit garçon ; il n'y a pas un seul moment où elle pense avoir besoin d'aide et n'en reçoit pas. Il est aux petits soins avec eux. Parfois, elle en profite un peu.
Pour quelqu'un qui disait ne jamais vouloir d'enfants, il ne lui faut pourtant que peu de temps pour se prendre au jeu. Elle aime le promener, recevoir des compliments ; l'habiller, lui mettre des petites chaussures, des petits bonnets. Elle l'étouffe d'amour autant que Hristo. A se demander comment il survit. Les premières années, ils ne le laissent jamais respirer.
Elle a grandi. Elle a changé.
Elle fera mieux, maintenant.

Le mieux de Yordanka se situe dans la forme, pas dans le fond. L'idée est bonne mais pas son application ; comme le dit si bien Hristo, à tabasser des immigrés, on réussit juste à énerver ses voisins. Elle se fait donc citoyenne exemplaire, range ses envies de démonter des murs et des drapeaux multicolores et les insulte civilement. Son entourage la soutient et nourrit ses idées ; ce sont des gens bien, pas des sauvages.
Parfois, elle revoit le reflet de ses quinze ans la dévisager en riant. Elle se trouve bien hypocrite, elle aussi. Mais il faut ce qu'il faut.

Les années suivantes, elle se concentre sur l'éducation de son fils et la carrière de son mari. Lit ; parle avec ses amis. Il lui en faut beaucoup pour ne pas s'ennuyer, alors elle n'arrête pas. Elle est de tous les combats, de tous les débats — toujours en faisant attention à ce qu'elle dit, parce qu'elle est femme de et ne peut pas se permettre de donner une mauvaise réputation à Hristo. Dix ans après la naissance de leur fils, tout va aussi bien entre eux qu'au jour de leur mariage.
Elle prend des nouvelles d'Ivanka, de Kaloyan. Jette un oeil aux journaux, de temps en temps, pour voir si des noms connus se trouvent dedans. Parfois, elle consulte la rubrique nécrologique.
C'est comme ça qu'elle apprend que Rumyana est morte. Elle ne veut pas savoir comment. Essaie d'oublier.
Elle aimerait vérifier que les autres vont bien, mais ce serait trop difficile et ils doivent lui en vouloir. Se tenir à distance est ce qu'il y a de plus simple pour elle, alors c'est ce qu'elle fait. Elle doit bien assumer ses choix.

Plus Atanas grandit, plus il devient évident qu'il a hérité de son caractère. Elle grimace et soupire en le voyant se faire des amis dont elle connaît très bien le genre — elle a eu les mêmes —, mais ne peut s'empêcher de les défendre auprès de Hristo. Ils s'amusent, c'est tout. Ils sont jeunes ; ils ont besoin de se défouler. Elle faisait pareil, à son âge.
Il lui rappelle en criant presque que ce n'était pas très glorieux et qu'elle a failli finir en prison, voire pire, mais ça ne la fait pas flancher. Si Atanas veut faire n'importe quoi, qu'il le fasse. Ils ne pourront pas l'en empêcher, de toute façon.
Les gens comme elle, plus on les enferme, plus ils meurent de sortir.
Elle connaît son fils.
A seize ans, il lui ressemble tellement qu'elle en a une grosse boule au ventre chaque fois qu'ils se disputent. Elle s'attend à ce qu'il claque la porte et casse les miroirs, lui aussi ; qu'il s'en aille et qu'elle n'entende plus jamais parler de lui. La peur la rend amer et les prises de tête se multiplient. Il les trouve trop mous, trop lents. Ils ne font rien, juste semblant. Lui, il veut vraiment changer les choses. Faire la différence. Marquer les esprits.
Elle tend le bras vers lui comme Georgi a essayé de la rattraper, le jour où elle est repartie.
Comme elle ce jour-là, il la repousse si fort qu'elle en trébuche.

Il claque la porte.

Lorsqu'il ne revient pas, ce soir-là, Yordanka fait une telle crise de nerfs que Hristo est obligé de sortir pour aller voir s'il le trouve. Il lui répète qu'il va revenir, qu'il n'est pas du genre à aller bien loin, contrairement à elle, mais elle ne veut rien entendre. Elle revoit les voitures, les gens qui vous reluquent de bas en haut, le froid, la faim, la douleur, les mauvaises fréquentations, les couteaux. Son fils est stupide. Il ne survivrait pas deux minutes dehors.
L'ironie de la situation lui échappe.
Hristo ne le trouve pas. Ils restent debout toute la nuit et quand Atanas revient le lendemain matin, penaud et énervé, elle l'étouffe jusqu'à ce qu'il arrête d'essayer de la faire lâcher prise et, vaincu, ne l'enlace aussi.
Malheureusement, ça ne change rien.
Plus ça va, plus les choses empirent. Atanas revient souvent blessé ; fier de lui. Ses amis sont de pires en pires — des Georgi, des Petar et des Ivaylo qu'elle ne voit que passer, mais qu'elle préférerait savoir loin de lui. Elle revoit Rumyana ; ses yeux qui faisaient peur, remplis d'une haine à n'en plus finir. Des yeux prêts à vous tuer sur place au moindre faux-pas.

Et parce que le destin aime se moquer d'elle, c'est tout l'inverse qui la tuera.

Son fils est influençable. Son fils est stupide. Il change d'avis comme de chemise. Il n'en a entendu qu'un, jusque-là, alors bien sûr qu'il s'y accroche ; mais aussitôt qu'il part en apprentissage et s'entiche d'une Viktoria ouverte au monde et aux différences, il commence à douter. Ça ne change rien aux bleus et aux slogans qu'il affiche fièrement sur lui — pas au début —, mais Yordanka sent le changement s'installer. Son comportement changer. Il est plus nerveux. Se met à leur répondre, à ne plus être d'accord avec tout. Les dîners s'écourtent ; il les évite. Hristo grogne et soupire, Yordanka piétine et fulmine, mais que peuvent-ils faire ? S'il décide de croire des imbéciles, c'est son choix. Ils ne peuvent pas l'en empêcher.
Peu après les vingt-trois ans d'Atanas, sa copine tombe enceinte. Il est extatique, mais à moitié seulement ; il n'a pas trop d'argent, est un peu en froid avec ses parents, et ses amis sont toujours aussi infréquentables. Viktoria a peur pour lui. Pour elle. Pour eux. Il n'arrive pas à se sortir de là. Aurait besoin d'aide.
Or si Yordanka aimerait qu'il arrête de traîner avec des gens qui vont finir en prison d'ici deux ou trois ans, elle n'approuve pas non plus l'autre côté de la balance. Elle ne veut pas qu'il se mette à embrasser des garçons ou à agiter les mauvaises banderoles ; elle veut juste qu'il arrête de foutre sa vie en l'air pour rien. De risquer sa vie pour rien. Pas pour rien, corrige la petite voix dans sa tête. Au moins, il se bouge. Il fait quelque chose.
L'immobilité la pèse. Quelque part, elle l'envie. Elle aimerait encore avoir l'âge de courir dans les rues en hurlant ce qu'elle pense haut et fort. Parfois, elle regrette de s'être mariée.
Lui, il envie la vie qu'elle a jeté à la poubelle. Des parents aimants qui osent croire qu'il faut accepter son prochain ; une soeur pleine d'idées, un frère gentil. Souvent, il regrette de ne pas avoir vraiment fugué.

Assis l'un à côté de l'autre, des bleus différents au cœur, ils se taisent à défaut de savoir quoi dire.

Face à eux, Hristo soupire.



Yordanka Stoyanova ▬ Get back, put your hands up - kinda messed up, but it's tough luck ; 190716080221905077
     
Yordanka Stoyanova ▬ Get back, put your hands up - kinda messed up, but it's tough luck ; 190716080221844008
« Requiescat in pace »
Pseudo : Henri-Georges.
Âge : 10 ans.
Avatar : lotsa shit
Comment avez-vous connu ce forum : Par Remy :$
Autres : Je veux du FRIC.




Yordanka Stoyanova ▬ Get back, put your hands up - kinda messed up, but it's tough luck ; C0149544098cd37c6f6d9371cc77d65d
« Now you made the big time, and your name's in lights ;
And you just sold the movie rights to your life and your struggle
Like the boy in the bubble - oh my god,
Well - I think I might die.
'Cause you're just so fake ;
Think I've had about all I can take.
What's that ? You say I've got you all wrong ?
Oh sorry - must be my mistake. »

Now you tell me what you think I wanna hear:

Aether
- NO DATA -

Aether

En bref

Féminin
Pseudo : Nii'
Messages : 426


Félicitation

Vous êtes officiellement validée ♥

Hinhin swastikas  Yordanka Stoyanova ▬ Get back, put your hands up - kinda messed up, but it's tough luck ; 1614271194

Tu peux dès à présent recenser ton avatar, ton métier et demander une chambre pour t'en faire un petit nid douillet. Tu peux également poster une demande de RP ou créer ton sujet de liens. Ton numéro va t'être attribué sous peu et tu vas être intégrée à ton groupe dans l'instant. Tu arriveras dans la pièce Nord.

BABY'S GOT A GUN

Permission de ce forum:

Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum