Suite de A feu couvert.

Comme elle se l'était imaginée, Kosár n'allait plus aller nulle part. Il n'en avait plus la force, et la raison de son état rendait Maeve encore plus confuse. C'était la perte de sang qui l'avait autant affaibli ?
Cependant, de son côté, la jeune fille ne se sentait pas tellement mieux. Pas qu'elle pensait que c'était comparable mais elle n'était pas sûre de quelles ressources elle se servait pour trouver la force de rester debout. La peur avait prit le pas sur sa quelconque colère et le garde en face d'elle décuplait son envie de se terrer sous les lattes du parquet. Il était furieux, avait sorti son arme, mais c'était déjà trop tard et Maeve le savait très bien. Figée, à la merci de Lethe, ses pensées tourbillonnèrent dans sa tête sur ce qui allait lui arriver, sur les raisons de ce qui allait lui arriver. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Tout alla très vite. Le choc, les étoiles, les voix, la douleur. Intense et furieuse, trop intense pour laisser à un quelconque cri la chance de s'échapper.

Quand Maeve se réveilla comme on se réveille d'un mauvais rêve, sa main se porta à l'endroit où la lame l'avait transpercée. Les tremblements de son corps s'intensifièrent alors qu'elle se rendait compte une nouvelle fois de ce qu'il s'était passé. Elle était morte. Si elle ne se souvenait pas de sa première mort, ce nouveau souvenir de la douleur lui faisait comprendre pourquoi. A moins que sa mort n'ait été paisible, ça avait dû faire. très. mal.
Sa réflexion se perdit dans l'émotion qui, auparavant coincée entre son estomac et sa gorge, trouva bon de sortir à ce moment précis. Des larmes qu'elle n'était pas certaine d'avoir retenues de la soirée s'écoulèrent aussi grosses que des balles de ping pong sur ses joues. Oooh, oooh, nooon. Maeve avait mal au cœur, mal au ventre, mal à la tête. L'envie de vomir entre les hoquets et les gémissements qu'elle avait du mal à retenir ne trouvait aucune rédemption. Malgré tout, elle invoqua assez de force pour porter ses genoux contre elle et les serrer entre ses bras tremblant. Les bruits qu'elle émettait à présent étouffés entre ses cuisses, elle sentit l'humidité se former sur le tissu de son pantalon mais n'en avait cure.

Elle ne savait pas à quel moment son esprit commença à se calmer mais, même si elle continuait de renifler et d'avoir du mal à respirer, elle était tout de même en capacité de repenser à ce qu'il s'était passé.
L'adolescente n'était pas sûre, en fait. Après avoir décidé d'aider Kosár, elle n'aurait jamais pensé que les événements auraient pris une telle tournure. Elle n'avait jamais pensé que le Daemon avait fait quelque chose d'assez grave que de la violence aurait pu être utilisée. Les gardes étaient effrayants. Elle n'avait clairement pas assez pris au sérieux sa peur, mais se rendit compte que, elle aussi, elle avait eu peur. Elle n'avait pas voulu rester enfermée, même dans sa propre chambre, et perdre un quelconque contrôle. Se rappelant de ses mots à Kosár, Maeve ravala difficilement sa salive et ses larmes reprirent de plus belle avec son sentiment de culpabilité. Bravo ma belle, t'as tout gagné. Elle n'avait rien géré du tout, elle se rendait compte, trop prise qu'elle avait été par ses émotions. Et maintenant ? Le Daemon avait sûrement été pris et qui savait ce qu'il allait lui arriver. Et qu'était-il arrivé à Simon ? Est-ce qu'Allison restée dans la chambre allait bien ? Et Kenneth ?
T'as beau dire, mais t'es bien qu'une enfant.

Maeve renifla un coup, puis deux, passa inutilement sa main sous ses yeux rouges avant de reposer son front contre ses jambes. Elle espérait que ce ne serait pas un garde qui viendrait la chercher, mais elle espérait tout de même que quelqu'un viendrait la chercher. Elle aurait surtout aimé que ce soit quelqu'un qu'elle connaissait, quelqu'un qu'elle aurait alors pu prendre dans ses bras et serrer, puis être serrée en retour. Des visages flashèrent dans sa tête et sa prise sur ses jambes s'intensifia comme une étreinte fantôme à un être cher absent.
Je veux rentrer.

Il se passe un temps. Les minutes s'écoulent et s'enchaînent ; on peut entendre la pluie battre contre le toit et les murs et, fatalement, personne ne vient ouvrir la porte.
Personne d'autre n'arrive, non plus. C'est toujours un risque, lorsqu'on se retrouve dans une des pièces d'arrivée. Que quelqu'un d'autre meurt — à Asphodèle ou dans le monde des vivants — et vienne faire coucou sans prévenir. Ca impliquerait la venue d'un garde. A priori.
Mais personne n'apparaît, et personne ne vient, et au bout de dix, quinze minutes, tout est redevenu silencieux au-dehors.
Une fois que l'averse a cessé, il ne faut pas longtemps pour que la porte ne s'ouvre. Une femme au physique typiquement asiatique — typée vietnamienne, peut-être — vêtue de l'uniforme de la police se glisse à-demi dans l'entrebaîllement.
En voyant Maeve, elle plisse les yeux derrière ses lunettes. Sa veste cache largement sa silhouette, mais on peut à minima deviner des épaules solides.
La différence de stature est évidente, pour le coup.

« Vous venez de revenir, ou d'arriver ? »

Elle n'ajoute rien et n'ouvre pas complètement la porte.
Les policiers n'accueillent pas les nouveaux arrivants seuls. La méprise pourrait être embêtante, effectivement, si ça a une quelconque importance.

A force de renifler, Maeve n'aurait su dire si elle pouvait toujours sentir son nez. En fait, elle n'était pas non plus sûre de sentir le reste de son corps. Membres engourdies par la position tenue trop longtemps, elle eut presque du mal à disloquer ses doigts entre eux et doucement faire glisser ses bras le long de son corps. Sa poitrine, moins compressée par ses propres cuisses, se libéra et aida sa respiration à s'apaiser. L'adolescente ne savait pas depuis combien de temps elle s'était retrouvé dans la pièce, ne savait pas non plus si elle était restée complètement consciente tout le long. Combien de temps les gens prennent, d'habitude, pour récupérer quelqu'un ? Pour son arrivée, ça n'avait pas eu l'air bien long mais les circonstances étaient différentes.
Bien que son esprit était plus calme, il lui donnait toujours l'impression désagréable de vibrer derrière sa frange. Pareil pour sa nausée qui donnait toujours l'impression de se cacher sous une pierre à la façon d'un serpent. Prêt à tout moment pour sortir de sa cachette et frapper d'un coup de dents.
Finalement, Maeve fut tirée de force de son état semi-léthargique par un son qui sonnait comme une once d'espoir et de libération. Avant qu'elle ne se rende vraiment compte de ce qu'il se passait, l'adolescente était déjà sur ses pieds et manqua même de se rétamer la figure à cause de ses genoux tremblants.

" Euh, je-... revenir. J'étais chez moi, je ... "

Comment dire ...?
Ses mots ne se montrèrent pas moins maladroits, bloqués entre panique et sincère soulagement. Cependant, l'inquiétude pouvait se lire dans ses yeux alors qu'elle tremblait et espérait avec appréhension que la policière n'était pas accompagnée d'un garde. Malgré son envie profonde de se jeter dans les bras de la première personne venue, ses jambes tremblotantes restèrent clouées sur place.

La policière regarde Maeve se relever et l'écoute sans broncher ; et si ses paroles ne sont pas des plus explicites, elles semblent lui suffire. Suffisamment pour ouvrir la porte plus en grand, en tout cas, et rentrer d'un pas dans la pièce.
Elle n'en fait pas plus, et sort un carnet de sa sacoche.
Elle s'apprête à dire quelque chose, mais ses yeux se reposent sur Maeve. Elle la regarde, une seconde ou deux, puis fronce les sourcils sur une moue inquiète.

« Je vais avoir besoin de savoir ce qui vous est arrivé. Que s'est-il passé ? Vous vous souvenez ? »

La question est vague — volontairement, sans doute. Il y a ceux qui reviennent pour raisons médicales autorisées ; ceux qui ont un accident. Ceux qui sont partis se promener dans les hors-limites. Ceux qui se sont suicidés. Ceux qui ont été pris dans une bagarre. Et ceux qui, parfois, se sont pris un coup de cendrier particulièrement violent de manière parfaitement volontaire.
Il y a un tri à faire.

A la question, Maeve hocha simplement la tête. Son interlocutrice semblait seule et inoffensive. Rien qui ne lui inspirait du danger, en tout cas, ce qui lui changeait des autres individus avec qui elle avait eu affaire ce soir.

« Il y avait des gens chez moi, et un garde, Lethe, m'a attaquée. Il m'a ... »

Le souvenir ressurgissant la fit blêmir et baisser la tête. Sa main vint instinctivement serrer le tissu de son haut, prêt du centre de sa poitrine. Elle sentait à travers le linge les battements accélérés de son corps qu'elle tenta de calmer de nouveau avec de profondes inspirations.
Secouant la tête, Maeve essaya de reprendre sur elle et s'avança pour s'approcher de la policière et de la sortie. Prudemment pour ne pas trébucher dans le néant.

La policière attrape son crayon et le fait courir sur la page de son carnet en hochant la tête, concentrée.
Ça ne dure pas.
Les notes cessent aussi brusquement que Maeve mentionne un garde — et lorsqu'elle donne son nom et poursuit son explication, la jeune femme a relevé la tête et la dévisage. Ses sourcils froncés se retrouvent vite accompagnés d'une grimace ; et pas d'une grimace contente, clairement.
Elle semble inquiète au mieux. Choquée au pire.

« Il y avait un garde ? Chez vous ? Et il vous a tuée ? »

La confusion reprend le pas sur le reste — mais malgré tout, elle secoue la tête et écrit quelques lignes rapides sur son carnet.

« Nous ne sommes plus du tout dans le cadre de ce que je peux faire ou non, là, grommelle-t-elle. Donc écoutez. Je vais avoir besoin de vos noms et prénoms. Ensuite, est-ce que vous pensez que vous serez en sécurité chez vous pour la nuit ? »

Son ton de voix est compatissant ; l'expression de son visage aussi.
Et elle est inquiète. Ça se voit.

A la première réaction, Maeve ne peut que hocher la tête en déglutissant. La policière lui avait ôter les mots de la bouche et c'était tant mieux. Malgré son apparente surprise, elle ne remit pas en doute sa parole et l'adolescente s'en voyait un peu soulagée.
Elle lui donna donc sans rechigner son nom et prénom en prenant le temps de les épeler machinalement. Pour le reste, elle se demandait intérieurement si elle avait vraiment envie de rentrer ... D'un côté, elle voulait s'assurer que ses colocataires allaient bien, bien sûr, mais l'anxiété rôdait toujours dans un coin. Et s'ils étaient toujours là ? Mais, à priori, ils n'avaient aucune raison d'être restés. Ils avaient obtenu ce qu'ils voulaient et elle aurait sûrement plus de chances de les recroiser en allant ailleurs que chez elle. Maeve aurait pu décider de plutôt se rendre chez quelqu'un d'autre. Il y avait quelques personnes avec qui elle aurait bien aimé pouvoir se blottir à ce moment précis mais, vu l'heure tardive, ça devrait fatalement attendre.

« Euh, je ... je pense, je suppose. Ils ont du partir ... Je n'ai plus de fenêtre mais ... Mes colocataires doivent toujours y être aussi, normalement. »

S'ils ne leur est rien arrivé ... Allison s'était montrée bien silencieuse dans sa chambre et Maeve n'oubliait pas l'autre garde qui avait disparu. A tous les coups, il l'avait rejointe ? Et Simon, elle ne l'avait pas du tout entendu non plus. Oh, what bloody a mess.

Une brève hésitation passe sur le visage de la policière lorsque Maeve lui donne son nom et son prénom, vite balayée lorsqu'elle les épèle. Ne reste qu'une lenteur dans la notation, pas très assurée, qui laisse à penser qu'elle n'a pas encore entièrement l'habitude des caractères romains.
Ceci fait, elle tapote le crayon contre sa lèvre avant de tout ranger dans sa sacoche d'un geste sec. Tout ça pour ressortir l'ensemble en grimaçant une seconde plus tard, lorsqu'il est fait mention d'une fenêtre brisée.
Elle gratte quelque chose de plus sur la page, concentrée.

« Très bien. Alors. » Elle range crayon et carnet dans son sac, qu'elle ferme cette fois avec un clic définitif. « Ce que vous allez faire, c'est rentrer chez vous, vérifier que vous êtes à l'abri, et vous remettre de vos émotions. Je ne vois pas pourquoi qui que ce soit reviendrait, mais si c'était le cas... Tant que le vent ne se lève pas trop, il y aura des policiers un peu partout en ville. Allez chercher quelqu'un au premier problème, ou réfugiez-vous chez un voisin. »

Disant cela, elle ouvre grand la porte et s'écarte pour lui permettre de sortir.

« La police va passer chez vous demain. C'est une certitude. Essayez de rester disponible, au moins jusqu'à treize heures. Pareil pour vos colocataires. »

Elle attend patiemment que Maeve soit sortie avant de fermer derrière elle. Ensuite, elle pose une main réconfortante sur son épaule.

« Vous voulez que je vous raccompagne jusqu'à chez vous ? »

Alors que la policière parlait, Maeve hocha la tête pour confirmer qu'elle comprenait ce qu'elle lui disait. Elle se sentait plus concentrée et alerte, l'énergie lui étant revenu malgré ce que son corps pouvait lui en dire. Rentrer, se reposer et se remettre. Quelles bonnes idées. Heureusement qu'elle savait que la pièce où elle se trouvait n'était pas loin des quartiers d'habitation, mais l'adolescente se révéla tout de même soulagée par la dernière proposition de son interlocutrice.
Elle lui offrit un sourire ravi, bien qu'un peu plus faible que d'habitude pourrait observé n'importe laquelle de ses connaissances, et hocha doucement la tête :

« Oui, je veux bien, merci. »

Ça la rassurerait. Et une présence pourrait l'aider à garder la tête hors de l'eau.