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Alexine Castain
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Alexine Castain

En bref

Féminin
Messages : 19




How I wish I could surrender my soul
Shed the clothes that become my skin
See the liar that burns within my needing
How I wish I'd chosen darkness from cold
How I wish I had screamed out loud
Instead I've found no meaning
Nom : Castain
Prénom : Alexine
Surnom : Alex; Lexi
Sexe : Féminin
Âge effectif : 22 ans
Âge apparent :22 ans
Arrivé depuis : Vient d'arriver
Date de naissance : 19/08/1972.
Date de mort : 25/08/1794
Orientation sexuelle : Pan
Groupe : Commotus
Nationalité : Française
Langues parlées : Français, latin débutant
Ancien métier :Plante verte
Métier actuel : Musicienne
Casier Judiciaire


▬ Crimes commis :
▬ Circonstances du décès :
▬ Péché capital principal :
▬ Péché capital secondaire :
▬ Rapport à l'alcool :
▬ Rapport aux drogues :
▬ Addictions :
▬ Mauvaises attitudes récurrentes :
▬ A été victime :


Physique


La première chose que l'on remarque chez Alexine, c'est sa longue chevelure rousse, dont elle est très fière. Elle la met en avant et en prend très grand soin, et cela se voit. Lâchées, ses jolies boucles lui arrivent bien en dessous des hanches. De manière non conventionnelle pour son époque, c'est ainsi qu'elle les préfère, libres et fiers. Leur couleur si vive est le seul véritable héritage que son père a bien pu lui laisser, la seule chose qui la rattache vraiment à lui.  Lorsque l'on arrive à quitter des yeux sa chevelure, c'est dans les siens que l'on se plonge. Il sont d'un joli vert, grands et encadrés de longs cils clairs qu'elle noircit dès que l'occasion se présente. Son visage est bien proportionné, lui offrant une beauté reflétant celle, bien connue, de sa mère. Une visage doux, des beaux yeux vert perçant et un teint de porcelaine,ce sont là l'héritage que sa mère lui a donné. Lorsque le soleil tape un peu trop, de légères taches de rousseur ressortent sur le bout de son nez, mais rien qu'un peu de poudre ne peut couvrir. Alexine a de quoi faire des jalouses, et elle le sait bien - trop bien. Son corps est, lui aussi, un de ses atouts. Alexine a des courbes généreuses et gracieuses qu'elle sait mettre en avant. Sa poitrine et son fessier sont particulièrement développés, et sont les premiers endroits où vont s'amasser les kilos lorsqu'elle en prend - et elle en prend assez régulièrement. Son poids fait le yoyo; tantôt elle prend 10 kilos, tantôt elle en perd 7, puis en reprend, puis… Selon les périodes, selon les saisons, selon ses humeurs. Elle n'a jamais été en surpoids, ni jamais en dessous d'un poids raisonnable, alors elle fait peu attention à tout cela. De toute façon, ça ne sont pas quelques kilos qui iraient la rendre laide, alors peu importe. Elle est née bénite, c'est comme ça. Elle n'est pas bien grande, juste 1m62, mais elle n'aurait que faire de longues jambes de toute façon. Elle se trouve très bien comme elle est, et n'a pas encore trouvé quelqu'un pour lui dire le contraire.
Plutôt coquette, elle aime s'apprêter de belles choses, et si ça brille, c'est un bon bonus. Elle se sentirait un peu nue de se balader sans accessoires à présent qu'elle est si habituée, mais elle ne s'intéresse pas forcément aux modes, préférant faire les choses à sa façon si elle le peut. Elle n'ira pas jusqu'à être indécente, ceci dit, et montrer ses jambes reste un énorme non, ceci dit elle n'est pas contre découvrir de nouvelles choses en matière de vêtements et accessoires.  


Caractère


Alexine est une jeune femme qui peut paraître assez intimidante tant son attitude et son physique hurlent son assurance. Il est très clair qu'elle n'est pas quelqu'un qui se laisse marcher sur les pieds, au contraire, elle est du type à écraser les autres sans ciller. Sa confiance en elle est remarquable, et ne fait pas toujours l'unanimité, bien que, honnêtement, cela ne l'affecte pas. On ne l'aime pas, et alors? Alexine ne se pliera pas pour rentrer dans les bonnes grâces de quelqu'un, peu importe l'importance que cela pourrait avoir, et au grand damne de sa famille. Si elle peut accepter une contrainte ou un ordre, elle le fera sans se changer elle. Alexine, on l'accepte ou on la quitte, c'est tout. Si on l'accepte, elle se révèle être une personne sur qui l'on peut compter, quelqu'un qui, au prix de sa propre personne, restera loyale et dédiée. Alexine peut être un véritable amour quand elle le veut, avec la bonne personne, sans pour autant se perdre dans la douceur, il ne faut pas espérer de miracle non plus. Mais voilà, il faut arriver à l'accepter, elle, ses opinions, et son attitude qui, on ne peut pas le cacher, parfois déplaisante. Alexine, en plus d'avoir un fort caractère, est arrogante, ce qui est une conséquence directe de sa confiance en elle. Elle se pense supérieure, intouchable, magnifique, et cela se reflète dans ses paroles et ses actes. Si elle ne vous pense pas digne d'elle, elle va vous le faire comprendre en quelques secondes et sans ménagement. Bien qu'assez ouverte d'esprit sur certaines choses, elle n'en reste pas moins vaniteuse et matérialiste. La beauté occupe une grande importance dans sa vie, et elle ne le cache pas.
Au dessus de tout cela, Alexine est également quelqu'un qui désire ce qu'elle ne peut pas avoir. Elle ne peut pas être libre, alors elle voudra l'être. Elle ne peut pas avoir cette personne? Alors elle la voudra. C'est un véritable cercle vicieux qui se referme sur elle chaque minute qu'elle respire. Si dans sa vie passé elle devait faire preuve d'un minimum de restreinte vis-à-vis de sa famille envers laquelle elle était loyale, il en sera certainement tout autre dans cette vie là. Elle continuera de désirer l'inaccessible, et lorsqu'elle l'obtiendra, désirera quelque chose d'encore plus impossible.
Alexine, aussi confiante qu'elle est, reste une personne avec un coeur et des sentiments. Et des sentiments, elle en a, un peu trop à son goût. Elle est triste, elle est heureuse, elle veut tout casser, elle l'aime, elle est seule, elle est détestée, elle déteste. Si elle est bonne menteuse, elle n'est pas forcément très bonne pour cacher ses émotions. Elle attendra le bon moment, mais soyez sûr qu'elle explosera plus rapidement qu'on ne le pense. Elle est plus fragile qu'elle ne le pense, et plus blessée qu'elle ne l'avouera jamais.
Elle a la peau dure, Alexine, mais même un diamant peut se briser sous les coups.


Histoire


Septembre 1776 —

Alexine a 4 ans quand elle découvre que son père n'est pas son père, pas vraiment.

Ca n'avait rien d'un secret, vraiment, mais son jeune esprit, à peine assez développer pour comprendre les mystères de  la vie, n'a jamais fait un vrai rapprochement. Honoré la traite exactement comme sa fille, avec une grande douceur et toujours le sourire aux lèvres. La couleur des cheveux, à son âge, c'est juste un couleur de cheveux. Et puis, son grand-frère est comme elle, alors elle n'a jamais eu de raisons de douter.

Charles-Eugène, cependant, est bien rapide à lui montrer ses erreurs.

"Ca n'est pas ton père, Alexine," lui dit-il, un bon matin, juste après qu'Honoré se soit éclipsé de la grande salle-à-manger. "Arrête de l'appeler ainsi."

Alexine cligne de ses grands yeux verts, incapable de comprendre ce que lui raconte son grand-frère. Elle, tout ce qu'il l'intéresse vraiment, c'est de savoir s'il va jouer avec elle. A en croire son visage fermé, probablement pas.

"Pas mon père?" demande-t-elle d'une petite voix, essayant de comprendre l'information.

Charles-Eugène hoche la tête gravement.


"Oui, il est juste un usurpateur."

Bien qu'Alexine n'a aucune idée de ce que je veux dire usurpateur, elle hoche la tête à son tour, répétant doucement le mot autant pour elle-même que pour montrer à son frère qu'elle est intelligente.

"Mais alors," commence-t-elle, sourcils froncés par la concentration, l'information faisant doucement son chemin dans sa petite tête, "il est où mon père?"

Son frère la regarde pendant de longues secondes, expression d'abord figée, puis indéniablement attristée. Il doit être très loin, son père.

"Notre père est mort."

Oh. Très, très, très loin. Mort ça veut dire qu'il ne reviendra jamais. Ca veut dire qu'elle ne le verra jamais. La pensée la rend triste, pour une raison qu'elle n'est pas sûre de comprendre elle-même.  Elle baisse les yeux sur sa jolie robe , incertaine de ce qu'elle doit dire ou faire dans ce genre de situations.

Son frère adoré a l'air si triste, elle n'a pas l'habitude. Il a souvent l'air grognon, mais avec elle, il est toujours doux. Il n'est jamais triste, jamais comme ça.

"Il était comment, notre père?" demande-t-elle doucement, relevant ses yeux pour croiser ceux si similaires de son frère. A présent qu'elle y fait plus attention, elle se rend compte comme ils sont similaires tous les deux, et comme Godefroy, son petit-frère, est si différent, avec ses grands yeux marron et ses cheveux bruns.

Charles-Eugène semble pensif pendant de longues secondes.

"Il était drôle," dit-il, et la simple pensée semble lui réchauffer le cœur puisqu'il esquisse un sourire. "Il était aussi gentil et attentionné. Il nous aimait, beaucoup."

Alexine hoche la tête lentement, tentant tant bien que de mal de poser ces caractéristiques sur un visage. C'est flou, et très compliqué, surtout pour une gamine de 4 ans. Elle l'imagine comme son frère, grand, beau et fort. Elle l'imagine avec un grand sourire et l'associe à une image rassurante.

"Il te manque?" questionne-t-elle, un peu maladroitement.

Charles-Eugène lui répond par un tendre sourire et des bras qui l'enlacent.

"Tous les jours."

——

Peu à peu, l'image de son père, son véritable père, se développe dans son esprit, effaçant peu à peu le sourire d'Honoré avec celui d'un inconnu aux traits de son frère. Peu à peu, naît un sentiment négatif qu'elle n'a pas les mots pour décrire lorsqu'elle regarde son beau-père.

Peu à peu, ce sentiment la ronge jusqu'à ce que même les grands yeux bruns de son petit-frère - son demi-frère - lui laisse un mauvais goût dans la bouche.

Jusqu'à ce qu'elle commence à en vouloir à sa mère, elle-aussi, elle, son sourire, ses yeux doux et son amour.

——

Son père lui manque sans qu'elle ne l'ait jamais vu.

——
Août 1779 —

Anatole Castain est un garçon timide, et Alexine Villefort semble être son exact opposé.

Ils ont beau avoir le même âge, et Anatole un poignée de centimètres en plus, des deux, c'est clairement lui qui est intimidé.

Du haut de ses 7 ans, tout juste acquis il y a de ça une semaine, Alexine fait la loi, et les invités ne font pas exception.

"Aller, dépêchez-vous, on a pas toute la journée!"

Théoriquement, ils avaient toute la journée, pour sûr, mais Alexine n'était pas du genre patiente et Anatole n'était pas du genre pressé, alors ça promettait. Quant à Godefroy, qui avait insisté pour les suivre - et que sa mère avait insisté pour qu'il les suive - malgré l'évident dédain d'Alexine, faisait tout son possible pour marcher aux côtés de sa sœur.

Edgar, le petit frère d'Anatole du même âge que Godefroy, se remettait d'un coup de froid et était donc resté à l'intérieur avec les adultes, ce qui n'était pas pour déplaire à Alexine.

A la limite, elle pouvait semer Godefroy sans aucun regrets, autant elle ne pouvait pas perdre le pauvre petit Edgar.

Anatole semble presser le pas quelque peu, mais juste un peu. Il semble plus inquiet qu'autre chose.

"Etes-vous sûre que c'est vraiment prudent..."

Alexine lui lance un regard curieux, quelque peu agacé.

"Prudent? C'est un jardin, pas une forêt vierge," fait-elle, un peu hautaine.

Ca n'a pas l'air de convaincre Anatole, du tout. Elle lève les yeux au ciel et s'arrête pour attendre qu'il arrive à sa hauteur. Godefroy l'imite, grands yeux bruns se baladant entre sa grande-soeur et sa pauvre victime. Visiblement habitué au caractère de chien de la rousse, il a l'air tout à fait à l'aise.

"Promis, rien ne va vous sauter dessus," dit-elle, bien que son ton malicieux ne soit pas du tout rassurant.

Anatole semble encore plus mal à l'aise.

"Il y a juste deux ou trois ours entre deux arbres, mais rien de bien grave."

Les beaux yeux bleus du garçon s'ouvrent en grand, panique lisible sur tout ses traits tendus. Alexine rit de bon cœur, et Godefroy l'imite, même s'il n'a pas l'air très certain de quoi il rigole.

"Je rigole, détendez-vous. On dirait que vous ne sortez jamais de chez vous."

Anatole finit par la rejoindre, les épaules basses, une moue légèrement boudeuse sur son visage rond.

"Arrêtez de vous moquer de moi," dit-il, à mi-chemin entre blessé et honteux. "Mon père n'aime pas trop que l'on sorte."

Cela explique certaines choses. Alexine lui sourit, plus moqueuse de rassurante.

"Ca se voit," fait-elle, laissant glisser ses yeux verts sur le garçon de la tête jusqu'aux pieds. Son teint porcelaine, son corps maigre et son inquiétude sont plus qu'évident.

Godefroy hoche la tête, un air grave sur son petit visage.

Anatole n'a pas le temps de répliquer, puisqu'Alexine saisit sa main - toute douce et délicate - dans la sienne et l'entraîne à sa suite sans autre forme de procès.

"Allez, dépêchons-nous. Quand la nuit tombe, les loups sortent."

——

Décembre 1780 —

Les dix doigts sur le clavier du piano, Alexine se sent en paix.

Lorsqu'elle s'assoit sur le petit tabouret, la noirceur de sa rancune et la tristesse sans nom qui serre son coeur s'envolent. Elle qui ne sait pas rester en place plus de cinq minutes en temps normal, peut passer des heures à jouer sur le grand piano noir du salon.

Elle est talentueuse, certains iraient même jusqu'à dire prodigieuse pour ses huit ans, et, bien sûr, les compliments y sont pour beaucoup dans son amour pour l'instrument, mais c'est bien plus que cela.

"Tu me rappelles ton père; lui aussi adorait le piano."

C'est la première fois que Rosalie lui parle de son père. La première fois qu'Alexine entend sa voix trembler. La première fois qu'elle la voit les yeux humide. La première fois qu'elle réalise que sa mère est également une personne, vulnérable et sensible.

Elle est trop jeune pour vraiment comprendre tous la complexité de la vie et des sentiments, mais elle est comprend déjà une chose, la plus importante de toutes.

Rosalie avait aimé Valantin plus que tout au monde, et elle l'aimera sans nul doute jusqu'à son dernier souffle.

Si elle ne parlait pas de lui, ça n'était pas parce qu'elle l'avait oublié, ni même qu'elle voulait l'oublier, mais tout simplement parce que la douleur de l'avoir perdu était encore trop accablante. La plaie ne cicatrisait pas et continuait de saigner peu importe les soins apportés.

On dit que le temps soigne toutes blessures, celle ci en requiert juste énormément.

Alexine fait danser ses doigts sur les touches, et soudain, c'est une toute autre dimension qui s'ajoute à son amour initial pour la musique. A côté d'elle, elle s'imagine son père. Son sourire ferait fondre de la neige en plein Décembre, et son rire réchaufferait le coeur de n'importe qui. Il a exactement la même couleur de cheveux qu'elle, et ses yeux brillent comme les siens. Il n'a plus exactement les mêmes traits que Charles-Eugène à présent; ils sont plus fins, plus gracieux. Il a le visage plus anguleux, mais la douceur qui danse dans ses yeux fait qu'il n'est pas du tout intimidant.

Il n'est pas là, mais c'est  tout comme pour Alexine.

A travers la musique, le vide qu'elle ressentait se voit comblé; c'est un peu superficiel, et complètement irréel, mais pour la petite fille, c'est suffisant. De toute façon, l'on ne peut pas ramener les morts à la vie, alors ça doit suffire.

La dernière note retentit; Elle résonne longuement dans le grand salon.

Alexine est une petite fille heureuse - presque.

——

Septembre 1781 —

Il pleut et Alexine s'ennuie à mourir, ce qui, pour tout le monde qui l'entoure, est une très mauvaise chose.

Mettez dans la même pièce une Alexine qui s'ennuie, Anatole, Godefroy et Edgar, et voilà une recette pour une bien belle catastrophe.

"Je m'ennuie," dit-elle, tripotant une longue mèche rousse avec un air qui veut clairement dire 'Divertissez-moi, esclaves'.

Un silence s'en suit. Les trois garçons se regardent. Alexine trône en reine sur le sofa tandis que les deux plus jeunes se sont contentés du sol, joués en bois étalés par terre. Anatole est debout, mains sur les livres de la bibliothèques comme s'il allait vraiment lire quelque chose.

Ce qu'il n'allait certainement pas faire en la présence d'Alexine.

"Euh. Lisez un livre?" ose-t-il dire, yeux bleus fuyant, conscient que l'offre ne va pas lui convenir.

Elle hausse un sourcil. Les épaules du garçon retombent.

"Oubliez ce que je viens de dire."

Alexine hoche la tête. Sage décision.

Godefroy lui tend un cheval de bois, un grand sourire peint sur ses lèvres. Alexine a beau essayer de le lui retirer, l'enfant est plus résilient qu'un chêne centenaire.

"Vous pouvez jouer avec nous!"

Alexine le regarde avec dédain.

"Je ne suis plus une gamine," dit-elle, repoussant le jouet avec un pied tout en gardant les bras croisés sur son torse.

Le garçon ne semble pas plus affecté que ça par le refus catégorique de sa soeur, haussant tout simplement les épaules pour se tourner à nouveau vers Edgar. Le petit blond ne semble pas avoir quoi que ce soit à lui proposer - ou bien il s'en fiche tout simplement. Quoi qu'il en soit, il ne pipe mot, ni ne bouge d'un poil.

Anatole semble se résigner à prendre sur lui et sauver les deux plus jeunes, puisqu'il quitte sa bibliothèque - avec visible regret- et se tourne entièrement vers elle. Incapable de se décider entre croiser les bras ou les laisser pendre bêtement, il finit par les mettre derrière son dos, son malaise plus qu'évident émanant de tout son corps.

"Que voulez-vous faire?"

Ah, elle préfère ce genre de réponses. Il est intelligent, le petit Anatole, ou bien il a passé trop de temps à ses côtés, déjà, et sait comment lui plaire. Quoi qu'il en soit, cela lui plait, à Alexine.

Bien que, bon.

"Si je le savais, je ne serais pas en train de m'ennuyer."

Elle regarde Anatole se décomposer à nouveau, et décide qu'elle a pitié de lui, satisfaite comme elle était de sa réponse. Comme quoi, aller dans son sens est toujours une bonne idée.

"Vient là," lui fait-elle, tapotant doucement de sa petite main l'espace restant à côté d'elle, plutôt restreint du fait qu'elle est en plein milieu du canapé.

Que ce soit le fait qu'elle vient de s’adresser à lui à la deuxième personne ou qu'il a juste peur de s'asseoir à côté d'elle, le résultat est l'expression de panique ultime sur le visage du jeune Castain.

Amusée, Alexine lève les yeux au ciel. Les réactions du blond la font toujours rire. Au moins, lui, comparé à Godefroy ou Edgar, en a, des réactions, faisant de lui, pour son plus grand malheur, son petit préféré.

"Je ne vais pas te manger, promis; je veux juste parler."

Bien que ça n'a pas l'air de le rassurer pour le moins du monde, il s'exécute. L'autre avantage d'Anatole, c'est qu'il est très obéissant. Il se faxe comme un lettre à la poste entre la rousse et l'appuie-bras, essayant tant bien que de mal se rapprocher plus à ce dernier que de la première.

Alexine lui sourit, bienveillante, visiblement peu affectée par le malaise du garçon et son regard fuyant.

"Bien, parlons! Quel genre de femme souhaiterais-tu épouser?" demande-t-elle, sans préliminaires ni gêne.

Le joli teint porcelaine de son ami vire à un joli rouge coquelicot, très appréciable pour la petite rousse. C'est une jolie couleur sur lui, cela jure juste merveilleusement avec ses jolis yeux bleus et ses cheveux blonds. Elle a l'occasion de le voir souvent ainsi - uniquement par son propre fait, d'ailleurs - et elle adore. Lui, visiblement, moins.

Il lui faut probablement toute la retenue du monde pour ne pas qu'il s'exclame "n'importe qui mais pas toi" et partir en courant dans l'espoir qu'elle ne l'attrape pas. Heureusement pour lui, Anatole est un jeune garçon déjà très habile dans le domaine de la diplomatie et de la retenue.

Au lieu de lui cracher au visage, donc, il fait de son mieux pour calmer son coeur et ses instincts. Il lui adresse un léger sourire sans même la regarder.

"Une personne élégante et délicate, avec un joli sourire," dit-il doucement, espérant qu'Alexine ne le prenne pas pour une attaque personnelle.

Alexine le prend plus pour un compliment qu'autre chose, puisque sa première pensée est "tout moi", sans pour autant qu'elle soit intéressée par Anatole. Cela tient plus de l'égocentrisme d'une enfant de neuf ans que d'un véritable désir d'être celle qu'il lui faut. Anatole est six pieds sous terre sur sa liste de potentiels maris, et rien ne pourrait changer ça, vraiment. S'il est une bonne victime, il n'est pas vraiment son mari idéal.

Elle hoche la tête et s'apprête à répliquer, toutefois, comme à son habitude, Godefroy lui coupe la parole.

"Moi je veux une fille gentille comme Anatole, belle comme toi, Alexine, et intelligente comme Edgar!"

Elle l'aurait bien remis à sa place si le compliment ne lui avait pas fait très plaisir. Oui, oui, bien sûr, elle est jolie, elle comprend. Elle est l'idéale pour tous, elle comprend. Bon, on repassera sur les deux autres qualités attribuées aux deux garçons, mais elle veut bien comprendre que Godefroy ne veuille pas qu'ils se sentent délaissés; sinon, clairement, il se serait contenté de la mentionner elle.

Alexine, satisfaite, se tourne vers le dernier.

"Et toi, Edgar?"

Le petit blond ne lève pas le regard, encore une fois, mais elle ne lui en tient pas rigueur. Il est timide, Edgar. Et pas très sociable. C'est pas grave.

"Silencieuse," est le seul mot qu'il prononce. Encore une fois, elle ne lui en tient pas rigueur. Peu importe.

Le silence retombe alors qu'Alexine attend. Et attend. Personne ne semble comprendre ce qu'elle attend, jusqu'à ce qu'Anatole ait le déclic, après au moins 2 minutes de silence complet - qui semble plaire à Edgar.

"Et vous, Alexine, votre futur mari?"

Bien que cela semble très évident que la question lui fait énormément plaisir de par son énorme sourire, Alexine fait en sorte de garder son calme. Elle replace une longue mèche rousse, l'air rêveur.

"Il ne sera comme aucun de vous," clarifie-t-elle en premier, histoire de se débarrasser de leurs espoirs."Il sera brave, beau, intelligent et incroyable. Il sera mon chevalier et je serais sa belle princesse et on sera plus heureux qu'un roi et sa reine!"

Sa définition enthousiaste se perd sur Anatole et Edgar, mais Godefroy, lui, semble au moins aussi enthousiaste que sa soeur.

"Woah, c'est génial!" s'exclame-t-il, applaudissant sur son cheval en bois, qu'il n'a toujours pas lâché depuis tout à l'heure.

Alexine hoche fièrement la tête, persuadée que ses mots deviendront un jour réalité.

Anatole lui adresse un nouveau sourire, un peu plus sincère que le précédent.

"J'espère que nos souhaits se réaliseront."

Alexine n'a pas le temps de lui répondre qu'elle en est certaine, puisque c'est ce moment que choisit la mère des Castain pour leur annoncer qu'ils doivent rentrer.

Anatole est plus rapide que l'éclair à s'échapper, mais Alexine ne s'en vexe pas du tout. Après tout, ils ne seront pas séparés pour bien longtemps, et elle aura plein d'autres occasions de le taquiner.

Bien plus qu'elle ne pourrait l'imaginer, sans doute.

——
Mai 1783 —

C'est une journée magnifique pour un mariage. Le soleil est de sorti, mais la température est douce et la brise légère. Tout le monde a enfilé ses plus beaux vêtements et leurs plus beaux sourires pour l'occasion.

Charles-Eugène et Zéphyrine resplendissent comme jamais, l'image parfaite d'un couple de jeunes mariés s'aimant vraiment, heureux et pétillants.

Alexine, elle, n'est pas exactement heureuse, ni pétillante. Bras croisés et moue boudeuse sur son joli minois, elle s'est plantée sous un arbre et n'en bouge plus depuis qu'ils sont revenus de l'église, environ trente minutes auparavant. Malgré sa magnifique robe, spécialement faite pour l'occasion, et les nombreux mets proposés qui la rendrait si heureuse d'habitude, elle est sombre et de mauvaise humeur.

L'idée de perdre son grand-frère adoré aux bras d'une autre lui reste en travers de la gorge.

Ça n'est pas qu'elle n'aime pas Zéphyrine, au contraire, Alexine apprécie énormément la petite brune aux yeux doux, c'est plutôt que, même si sa femme avait été la plus merveilleuses de toutes, elle n'aurait toujours pas accepté le mariage. Cela faisait déjà plusieurs années que Charles-Eugène avait commencé à se distancer d'elle, ce qui l'avait blessé, déjà à l'époque, alors l'idée de complètement perdre sa présence... Cela lui était insupportable.

Ils avaient toujours été proches dans son enfance, bien que Charles-Eugène ait toujours été un peu froid - ce qu'elle attribuait à sa personnalité. Il avait été le seul avait qui elle partageait le même père, et ce fait lui avait toujours été très cher, à elle autant qu'à lui, elle le pensait. C'était une relation privilégié au sein d'une famille toujours grandissante, une famille dont elle n'avait pas l'impression de faire vraiment parti. Alexine, prise entre deux feux, avait privilégié son véritable frère au dépit de son demi-frère et de ses demi-soeurs.

Et à présent qu'il partait, que lui restait-elle? Une rancune sans vrai fondement et une relation pitoyable avec sa famille.

Elle soupire pour la centième fois de la journée.

"C'est un bien long soupir, gente demoiselle."

Alexine lance un regard assassin à Anatole, qui ne semble pas s'en formaliser. Il a l'air d'un vrai jeune homme à présent, du haut de ses 11 ans - 11 ans qu'elle n'a pas encore, elle - et Alexine n'évoque plus en lui la même peur-panique d'il y a quelques années. Il lui adresse un grand sourire, s'approchant d'elle pour se planter à ses côtés, regard rivé sur la vague de convives.

Pas vraiment d'humeur à discuter de manière civile, Alexine se contente de l'ignorer plutôt que d'être blessante, pour une fois.

Et pour une fois, Anatole semble d'humeur à discuter, lui.

"Il fait beau, le couple est heureux, il y a de la nourriture à foison, alors pourquoi est-ce que la jolie petite sœur fait la tête?"

Yeux rivés sur le couple du jour, Alexine fronce les sourcils.

"Je ne fais pas la tête", grogne-t-elle, bien qu'il est très clair que c'est le cas.

Anatole a la grâce de ne pas lui rire au nez.

"Ah, vraiment? On dirait, pourtant, avec tes sourcils froncés et tes lèvres pincées."

Cette fois-ci, elle tourne la tête pour mieux le poignarder de ses yeux. Anatole continue de lui sourire, l'air absolument ravi. Godefroy commençait à déteindre sévèrement sur lui, il semblait, ce qui était inquiétant.

Elle se détourne rapidement du blond pour chercher le brun dans la foule, et surtout pour se donner quelque chose à faire.

"Eh bien, tu as tort. Je suis très heureuse."

Elle le trouve en train d'engloutir une grande portion d'amuse-gueules sous le regard horrifié mais admirateur d'Elaine, sa petite sœur, et de Joseph, leur cousin. En somme, un Godefroy en forme.

Anatole ne répond rien pendant un long moment, et Alexine finit par penser qu'il a tout bonnement abandonné. Bien sûr, ce serait beaucoup trop simple, mais elle espère toujours un peu qu'Anatole redevienne le petit garçon docile d'il y a quelques années. Au fond, quand il avait peur d'elle, il ne l’enquiquinait pas avec des conversations inutiles.

Mais Anatole a 11 ans, à présent, et même si elle le dépasse de quelques petits centimètres pour l'instant, il ne s'écrase plus face à elle.

"Tu sais, commence-t-il, voix paisible, Zéphyrine ne va pas te le prendre. Il restera ton grand-frère malgré tout."

Alexine sait. Elle sait tout cela. Zéphyrine ne l'empêchera jamais de voir Charles-Eugène, et elle sera même ravie de la voir. Elle est la belle-sœur rêvée, vraiment.

Elle sait, mais prétend que c'est la raison pour laquelle elle déteste ce mariage. Mais au fond d'elle, tout au fond d'elle, elle connaît la véritable raison. Ça n'est pas de Zéphyrine qu'elle a peur, ça n'est pas elle, ni le mariage qui va lui faire perdre son frère. La personne qui l'éloigne vraiment de Charles-Eugène, c'est Charles-Eugène lui-même. Il est celui qui détruit leur relation, pièce par pièce.

Mais ça, ça elle ne se l'admettra jamais, parce que ça fait trop mal de se dire que la personne qu'elle aime le plus au monde, en qui elle a le plus confiance, ne pense même pas qu'elle vaut un peu de son temps, un peu de son affection.

Alors c'est de la faute de Zéphyrine, c'est e mariage, de sa mère, de son beau-père, de frère, de sœur, de tout, mais pas de la sienne.

"Je sais" dit-elle, regard toujours rivé sur Godefroy pour ne pas avoir à affronter le regard perspicace de son ami.

"Ils t'aiment, eux aussi, fait-il sur le même ton serein, comme s'il parlait à un animal sauvage prêt à bondir. Même si tu n'es pas la plus douce des sœurs, ils t'aiment quand même."

Douce est un sacré euphémisme pour ne pas dire qu'elle est absolument horrible, et Alexine lui est reconnaissante de sa douceur, bien qu'elle s'applique quand même à lui lancer un regard indigné pour la forme.

Et ça aussi, elle le sait, même si elle n'est pas certaine de le mériter.

"Je suis une sœur en or" s'offense-t-elle, mais le sourire qui s'étire sur ses lèvres indique que les petits mots bien placés d'Anatole fonctionnent.

Il la connait un peu trop bien à présent.

"Bien sûr. La plus adorable", dit-il, moqueur. Avant qu'elle n'ait le temps de s'offusquer plus, il lui attrape le bras et continue précipitamment: "Vient, allons manger quelque chose avant que Godefroy ne dévore tout."

Avec un grand sourire, elle le laisse l'entraîner dans la foule pour rejoindre le dit garçon. Celui-ci les accueille avec un grand sourire idiot et la bouche pleine. Elaine, l'air aggravée d'une femme d'âge moyen du haut de ses six ans et demi, se plaint immédiatement à Anatole, qui rit de bon cœur.

Le cœur emplit de soleil, Alexine se trouve à sourire tout aussi bêtement.

Ah, pense-t-elle, moi aussi, je les aime.

——
Mars 1785 —

En y repensant, c'était vraiment très prévisible, ces fiançailles; c'était gros comme le château de Versailles, cette histoire.

Pourtant, quand on le leur propose - ou annonce, pour être plus exact, parce qu'ils n'ont pas vraiment de choix, on ne va pas se le cacher - les deux jeunes se regardent d'un air ahuri, tous deux complètement pris de cours par la nouvelle.

"Anatole et moi? On va se marier?"

Rosalie la regarde un peu étrangement, et Honoré a l'air assez peu à son aise. Du côté des Castain, Lucien semble passablement énervé par sa question (ou bien c'était son visage naturel, Alexine ne savait trop dire), tandis que sa femme, Augustine, lui adresse un sourire qui lui rappelle énormément ceux d'Anatole.

Anatole qui n'en mène pas large à ses cotés.

"Oui, c'est ce que je viens de dire, jeune fille", répond Lucien, un peu sec sur les bords.

Alexine est presque certaine qu'elle n'imagine pas les regards réprobateurs de Rosalie et d'Augustine.

"Vous êtes tous les deux d'accord, n'est-ce pas", demande (comprenez 'déclare') Lucien, un sourire peu avenant sur ses lèvres et une envie d'en finir avec cette affaire très transparente.

Anatole et Alexine échangent à nouveau un regard, et bien que toujours sous le choc, ils ont tous deux bien compris qu'il n'y a pas de refus possible.

Anatole prend l'initiative de parler en premier. Il a l'air sûr de lui, bien qu'Alexine le connaisse assez bien pour voir à quel point l'annonce l'a chamboulé.

"Bien sûr, ce serait un grand honneur pour moi d'épouser Alexine."

Lucien a l'air parfaitement satisfait, et il s'apprête à conclure l'affaire, sans aucun doute, quand Honoré lui coupe la parole.

"Et, toi, Alexine, es-tu d'accord?" lui demande-t-il avec une voix douce qui lui laisse une illusion de choix. Et peut-être qu'elle en a vraiment un, de choix, à en croire le regard de son beau-père.

Alexine a beau ne pas être très proche de lui, la manière dont il se préoccupe toujours de son bien-être et de son bonheur la touche énormément - surtout en cette situation difficile. En vue de l'attitude de la jeune fille envers lui la plupart du temps, il aurait de quoi la détester, et pourtant... Il la traite comme si elle était sa véritable fille, et parfois, cela la rassure.

Mais elle leur a assez causé de problèmes comme ça, elle en est consciente. Elle est également consciente que se brouiller avec les Castains pourrait être un problème majeur, et elle n'a pas envie de ça. Elle n'est plus une enfant en constante rébellion. Elle est une jeune femme avec des responsabilités et des années perdues à des sentiments négatifs à rattraper.

Et puis, épouser Anatole, son ami - son meilleur ami -, ne semble pas être une chose si atroce.

Elle sourit à son beau-père.

"J'en serai ravie."

——

"Désolé pour mon père, il est un peu....

-Brut? Sec? Imbuvable?"

Anatole lui sourit. C'est un sourire un peu pale, éreinté pas l'un de ceux qu'elle lui connaît, ceux qui lui remontent le moral et lui mettent du baume au cœur, mais c'est un sourire quand même.

Elle ne peut pas lui en vouloir, ça n'est pas comme si elle sautait de joie non plus après cette annonce.

"Oui, tout cela. Il a un bon fond, et il veut le mieux pour sa famille, mais... Il n'est pas fin diplomate."

Ah, Anatole, toujours le bon mot, même dans ce genre de situation. C'est admirable, vraiment.

"Ça n'est rien de grave, et en tous les cas, ça ne m'importe pas vraiment; après tout, ça n'est pas lui que je vais épouser, non?"

C'est étrange, cette toute nouvelle notion, ce développement pourtant si naturel. Juste quelques heures auparavant, ils parlaient de manière totalement amicale, et à présent, les voilà fiancés.

Et encore plus étrange, le fait que son cœur soit en paix avec cela aussi rapidement.

Anatole laisse s'échapper un petit rire à l'image de son sourire, et, sans autre forme de procès, pose sa tête sur l'épaule de son amie - sa fiancée. Alexine aurait été surprise s'ils n'avaient pas été si proches depuis des années.

Pour toutes ces années où elle avait été horrible avec lui, elle lui devait bien d'être une solide épaule sur laquelle il peut se reposer.

"Je suis content que ce soit toi, Alexine", lui dit-il tout doucement, sincérité palpable dans chacun de ses mots.

Elle ferme les yeux et laisse un sourire se peindre sur ses lèvres. Il n'y a pas vraiment de joie, mais il n'y a pas non plus de tristesse, ni de regrets. C'est bien, c'est mieux qu'elle n'aurait pu l'espérer. Une part d'elle, celle de l'enfant qui rêvait d'un charmant chevalier, est déçue, bien sûr, mais l'autre part, la part de la jeune femme à la maturité grandissante, réalise que c'est probablement la meilleure offre qu'elle n'aura jamais.

Alors elle sourit, elle accepte.

Elle ne répond rien, mais la main qui se pose sur celle d'Anatole lui murmure un "moi aussi" serein.

——

Août 1785 —

C'est peut-être le soleil d'été qui l'assomme malgré son grand chapeau, ou la lourde chaleur qui fait des choses à sa tête - ou bien les hormones; certainement les hormones- mais en tous les cas, le jeune palefrenier lui semble particulièrement attirant.

Elle ne connaît pas encore son nom, mais elle est certainement que par la fin de la journée, elle connaîtra ça, et peut-être même plus.

Alexine vient d'avoir treize ans, et elle s'est fiancée il y a juste quelques mois. Avant qu'elle soit officiellement bloquée de toute relation, elle pense qu'elle a bien le droit de découvrir le monde...

"Jules Martin," lui dit-il, un large sourire sur son visage bronzé. De manière strictement objective -ce qu'elle n'était pas-, Jules n'était pas vraiment un canon. Il ne sortait pas du lot, mais il n'était pas non plus laid, et ses bras bronzés aux muscles se contractant de manière ensorcelante lorsqu'il portait quelque chose le rendait définitivement craquant.

Et Alexine a le cerveau d'une adolescente de treize ans.

"Jules, répète-t-elle, voix mielleuse, papillonnant de ses longs cils clairs, c'est un beau nom."

A en croire la couleur rouge que prend ses joues, il n'a pas l'air d'avoir l'habitude de parler à des jolies demoiselles nobles qui le complimente. Alexine ne voit pas pourquoi.

"Merci, Mademoiselle Villefort," répond-t-il, et Alexine se dit qu'il a des beaux yeux. Ils sont bruns, certes, mais un beau brun. Et souriants. Elle les aime beaucoup.

"Oh, je vous en prie, appelez moi Alexine."

Cela semble déstabiliser le garçon au plus haut point, puisqu'il se met immédiatement à bégayer:

"Qu-que-quoi?Je-Je n'oserais pas Mademoiselle!"

Oh, qu'il est mignon.

"Je vous assure, ça n'est pas un problème. Personne n'est là pour vous taper sur les doigts, et je n'en piperais pas mot."

Sur ces paroles, elle replace une longue mèche rousse derrière son oreille, ajustant son joli chapeau avec des mouvements bien contrôlés. La manière dont ses beaux yeux bruns suivent ses mouvements la satisfait pleinement. Bien, elle semble être douée dans la matière. Tous ses atouts étaient comme perdus sur Anatole, vu leur longue histoire commune. Et puis, elle n'en avait que faire d'attirer son regard sur elle, en fait. Elle n'avait jamais été attirée par lui, pas de cette manière, et elle doutait que cela change un jour.

"Si-si vous le souhaitez, Mademoiselle Vi-Alexine."

Malgré le très visible embarras du jeune homme, il lui adresse un sourire qui l'enchante d'avantage. Il lance un regard furtif à sa fourche, toujours entre ses mains, puis à Alexine. De toute évidence, le choix est vite-fait, puisqu'il retourne immédiatement son regard vers elle.
Bien.

"Parfait. Dites-moi, Jules, quel âge avez vous?

- Seize ans, depuis peu", répond-t-il, l'air toujours un peu nerveux, mais en progression.

Seize ans? Juste trois de plus qu'elle, c'est bien. Un bon âge. Pas trop vieux, mais pas trop jeune non plus. Vu son entourage, elle ne peut rêver mieux.

Elle lui sourit et lisse un pan de sa robe comme s'il n'était pas déjà parfait.

"Nos anniversaires doivent être proches, dans ce cas, se réjouit-elle.

-Oh, oui, le 19 Août, n'est-ce pas? Votre anniversaire était une belle célébration."

Bien sûr que ç'avait été une belle célébration. Elle venait de se fiancer et ses parents ne l'avaient pas encore assez crier sur tous les toits. Elle avait dû se tenir droite toute la journée et se retenir d'inhaler toute la nourriture à sa portée. Bien heureusement, Anatole avait été une grande aide, restant à sa côtés pour la plupart de la journée avec son beau petit sourire enchanteur. Les adultes l'adorent. Bien sûr, ils l'adorent elle aussi, mais lui, c'était vraiment naturel.

Elle... Elle serrait les dents et souriait, c'était déjà ça.

"Je vous remercie, dit-elle, se précipitant de passer à autre chose. Vous venez de commencer à travailler ici, n'est-ce pas? Je ne vous ai pas vu auparavant."

Et pourtant, elle en passait du temps, dehors, lorsqu'elle ne jouait pas du piano ou du violon - sa nouvelle lubie. Sa mère et Honoré étaient bien trop occupés avec les petites sœurs et le petit Louis (Elaine était grande et traînait dans les pattes de Godefroy, mais ça n'était pas le cas du reste de la tribu) pour faire attention à tout ses faits et gestes, alors elle était partiellement en paix, du moment qu'elle faisait ce qui lui était demandé. En plus, maintenant qu'elle était fiancé, ils avaient un soucis en moins.

"Oui, c'est ça. Ça va faire deux semaine, j'pense", dit-il, et Alexine hoche la tête. Deux semaines... elle avait été trop occupée par les préparatifs et les visites, alors forcément, pas trop de temps de décompresser dehors.

Enfin, quoi qu'il en soit, elle était libre maintenant (presque), et lui... Lui l'était aussi, elle imaginait.

"Bienvenue chez nous, Jules. J'espère que tu t'y plairas bien," lui dit-elle, armée de son plus joli sourire.

A en croire, son sourire, il s'y plait déjà.

Et elle lui plait déjà.

——

A vrai dire, il ne se passe pas grand chose, à part quelques baisers volés et des rires étouffés. Alexine aime bien Jules parce qu'il est grand, fort et différent - très différent- de tout le monde qu'elle peut côtoyer au quotidien, et il l'aime parce que, eh bien, qu'y a-t-il à ne pas aimer chez elle? C'est léger, c'est gentil, mais c'est tout.

Jules est juste un peu de fraîcheur et de couleur dans une vie monotone.

Pour quelques mois, c'est assez, pour la suite, c'est trop.

Elle est franche avec lui - peut-être un peu trop, d'ailleurs, vu son air dépité-, mais vraiment, à quoi s'attendait-t-il? Elle est fiancée, elle est riche, elle est magnifique, et il est...un palefrenier. Une fois l'enchantement des premières semaines passées, il n'y avait plus rien de spécial, à part un acte de rébellion mal ficelé. Personne ne suspectait quoi que ce soit - même Anatole, et c'est dire vu la perspicacité du garçon - et elle était lassée.

Elle lui annonce que c'est fini le 25 octobre, un jour après la naissance de la petite dernière, Rose.

La semaine d'après, il n'est déjà plus là.

Elle balaie cette histoire d'un revers de main.

——

Février 1786 —

Godefroy lance un morceau de pain sur Anatole. Alexine enfonce son talon dans son pied tout en souriant gentiment à la pauvre petite Lucie Vayres, jetée en pâture au milieu des animaux sauvages que sont son frère - surtout lui -, sa soeur et son beau-frère. Son demi-frère,  allant maintenant sur ses douze ans, laisse échapper un petit cri que tout le monde ignore, sauf Lucie, bien sûr. Anatole, toujours bon diplomate, tente de détourner son attention en lui demandant si elle a fait bon voyage.

A côté de lui, Edgar fait la tête - pas que ce soit vraiment un grand changement par rapport à d'habitude. Elaine, de l'autre côté de Godefroy, fait également la tête - ça non plus, ça n'est pas un énorme changement. Adèle et Léontine auraient certainement adoré participer au goûter avec les grands, et avaient été très déçues de ne pas pouvoir, mais étant donné leur jeune âge, les parents avaient décidé plus sage de ne pas les mettre à une table avec. Avec le reste.

Alexine comprend.

Godefroy lui lance un regard à mi-chemin entre la rancune et les larmes.

"Tiens toi tranquille," lui murmure-t-elle vivement une fois qu'elle est certaine qu'Anatole distrait bien la petite Lucie. Manquerait plus que la petite rapporte à ses parents qu'ils ont été exécrables avec elle. Rosalie allait les écarteler, elle qui est déjà si fatiguée par sa dernière grossesse.

Et elle ne donnait pas cher de la peau d'Anatole non plus. Lucien Castain lui donne toujours la chaire de poule.

"Mais c'est ennuyaaaaant," réplique-t-il, voix un peu trop élevée au goût d'Alexine, qui lui pince discrètement la cuisse.

Il se mord la lèvre pour ne pas faire de bruit, mais ne manque pas de froncer les sourcils pour lui signaler son mécontentement.

"Tran-Quille. Compris?"

Le petit brun hoche la tête, toutefois Alexine n'est pas certaine de l'efficacité de son message. Très probablement, ça ne servira à rien, et Godefroy continuera d'être un petit diable. Elle a envie de lui mettre la tête dans son thé.

Au lieu de cela, elle se tourne à nouveau vers Lucie. Celle-ci, âgée de onze ans tout juste, est absolument adorable. Ses cheveux châtains, ses yeux chocolat et son petit sourire timide, tout indique qu'elle va devenir une jeune fille respectable et souriante. Son regard glisse sur Godefroy, Edgar et Elaine. Pas comme ces trois là.

Anatole croise son regard et lui sourit. Alexine a assez d'années de pratique pour comprendre qu'il veut qu'elle reprenne un peu la discussion. Elle espère que c'est pour pincer Edgar sous la table.

Mais vraiment, ça le tuerait de sourire un peu?

"Dites-moi, Lucie, est-ce que vous avez des frères ou soeurs? Il ne me semble pas en avoir vu vous accompagnant."

La petite semble instantanément soulagée de son changement d'interlocuteur, ce qui surprend quelque peu Alexine. La plupart du temps, les personnes préfèrent parler à Anatole. Peut-être n'est-elle pas habituée aux garçons? Curieux.

"Ma plus grande-soeur, Louise, est mariée, dit-elle doucement, mais très distinctement, et mon grand-frère, Antoine, est resté à la maison parce qu'il n'est pas très bien."

Alexine lui adresse un grand sourire qu'elle pense chaleureux.

"Je vois. Ça doit être sympathique d'être la petite dernière."

Dieu seul sait qu'elle aimerait l'être, la petite dernière.

Lucie reste silencieuse un temps de trop, et cela a pour effet de de faire monter l'anxiété chez Alexine. Et si elle avait eu un frère ou une soeur et l'enfant était mort? Après tout, elle-même en avait déjà perdu deux. Elle ne se souvenait pas de Valantin, mort lorsqu'elle avait deux ans, mais Charles-Eugène lui avait parlé assez de lui pour qu'elle ait l'impression de l'avoir perdu, lui aussi. Elle avait un vague souvenir de Madelaine, cependant la pauvre petite n'avait pas vécu guère plus de trois mois.

Lucie finit par reprendre, un petit sourire se dessinant à nouveau sur ses lèvres, au grand soulagement d'Alexine.

"C'est bien, mais parfois, j'aimerais avoir quelqu'un de mon âge avec qui parler, comme vous."

C'est certainement un tout nouveau point de vue, pour sûr. Alexine pense qu'elle peut comprendre, un peu. Elle imagine qu'au moins, elle a eu la 'chance' de toujours avoir Godefroy dans les pattes au cas-où elle s'ennuyait. Et Anatole, bien sûr, vu la fréquence des visites. Edgar c'était. Edgar.

Wow, Anatole devait se sentir vraiment seul chez lui; elle a un soudain élan d'affection pour le pauvre garçon. Elle espère qu'Adèle et le petit Eugène rendent sa vie un peu plus trépidante ces derniers temps.

Godefroy la prend de cours - les prend tous de court, d'ailleurs, en s'exclamant:

"Tu nous as nous maintenant, t'inquiètes pas!"

Alexine lui aurait bien écrasé le pied (encore une fois) sous la table pour sa familiarité, toutefois son interruption a le mérite de faire rire Lucie une fois le choc passé.

Elle leur adresse un large sourire, joues rougies et yeux brillants.

"Oui, vous avez raison. Merci."

Alexine veut la serrer dans ses bras et ne jamais la lâcher.

——

Avril 1786 —

Absorbée par le son harmonieux des notes, Alexine ne l'entend pas venir, et manque, bien évidemment, de tomber en sursautant violemment quand retentissent des applaudissements derrière elle. Sa tête tourne si rapidement vers le son qu'elle se demande si elle ne l'a pas cassé dans le mouvement.

Anatole se tient tranquillement dans l'encadrement de la porte, un sourire espiègle sur ses lèvres. Il a quatorze ans à présent, et il devient plus effronté chaque jour qui passe - du moins, avec elle. Tragiquement, il est toujours aussi beau.

"C'était magnifique, Mademoiselle."

Alexine lui jette un regard noir.

"Tu aurais pu me prévenir, mon cœur a faillit me faire défaut."

Il a au moins la décence d'avoir l'air un peu désolé. Il rentre entièrement dans la pièce pour se rapprocher d'elle.

"Désolé, c'est que tu étais tellement concentrée, je ne voulais pas te déranger."

Il tire une chaise d'autour de la petite table pour s'y installer tandis qu'Alexine appuie plusieurs fois sur un la grave.

"Qu'est-ce que tu viens faire là? Je ne me souviens pas qu'on m'ait annoncé que les Castains venaient aujourd'hui."

Sinon, sa mère aurait insisté pour qu'elle se coiffe, au moins, au lieu de laisser ses longs cheveux roux cascader dans son dos.

"C'est parce que c'est juste moi, répond-t-il, et Alexine n'a même pas besoin le regarder pour savoir qu'il est en train de regarder ses ongles. Et Adèle, aussi, parce qu'elle voulait venir jouer avec Léontine."

La pensée de la petite blonde avec sa petite soeur la fait sourire. Les deux sont absolument inséparables depuis leur enfance, et Alexine est certaine que, si elles le pouvaient, elles vivraient juste l'une chez l'autre.

"Et ton père ne t'a pas forcé à sortir Edgar? Je suis surprise."

Cela fait rire Anatole, et Alexine sourit en appuyant sur un do aiguë. Ce pauvre vieux Edgar, toujours aussi peu adepte des sorties, qu'elles soient en famille ou en grand comité. D'un côté, Alexine le comprend, il est parfois lourd de devoir toujours être au top, mais Edgar ne s'inquiète même pas d'être au top. S'il est là, c'est déjà plus qu'un miracle.

"Oh, il l'a lourdement impliqué, mais Edgar se sent 'fébrile' aujourd'hui," dit-il avec sa plus belle imitation d'Edgar et son ton flegmatique.

Alexine tente tant bien que de mal de ne pas éclater de rire, bien qu'il n'y a personne pour l'entendre. Elle garde son sérieux tant bien que de mal, s'appliquant à jouer quelques notes pour se calmer. Une fois l'urgence passée, elle se décide enfin à se tourner vers Anatole, qui lui adresse un grand sourire satisfait.

Elle prend sur elle pour changer la conversation, mais ne peux pas empêcher son propre sourire.

"Ma mère sait que vous êtes là, au moins?

-Monsieur Villefort nous a accueilli, donc j'ose espérer que oui."

Alexine se mord la lèvre pour ne pas rire, et Anatole hausse un sourcil.

"Quoi?

-'Monsieur Villefort'", répète-t-elle, imitant à la perfection l'intonation hyper respectueuse de son fiancé. L'effet est immédiat: ses oreilles s'enflamment et son expression fond en une moue boudeuse qui la fait sourire.

"Alexine," fait-il sur un ton qui se veut sérieux mais trahi son embarras. Elle rit et se déplace sur sa banquette pour qu'elle puisse l'atteindre en se penchant vers lui pour lui pincer la joue. Il repousse sa main d'un mouvement nonchalant.

"Désolée, c'est juste irrésistible, à chaque fois."

S'il avait été un peu moins en contrôle, Alexine est certaine qu'il lui aurait tiré la langue. En échange, il s'éclaircit la gorge et elle récupère sa main, tout sourire.

"Tu sais, quand tu joues du piano, j'ai vraiment l'impression que tu es une personne radicalement différente. Heureusement, en quelques secondes, tu me ramènes à la réalité."

Sûrement, elle aurait dû se sentir insultée, mais vu que c'est Alexine dont on parle, la reproche lui passe par dessus la tête et elle continue de lui sourire. Anatole semble abandonner le combat.

"Enfin, passons. Où sont Godefroy et Elaine? demande-t-il finalement, oreilles reprenant lentement leur couleur pale d'origine.

-J'imagine que Godefroy est en train de faire des bêtises et qu'Elaine le suit comme son ombre pour s'offenser de tout ses faits et gestes?"

Ça a le mérite de faire rire Anatole, à nouveau. L'image ne peut être plus claire, vraiment, d'autant plus qu'elle est probablement vraie. L'avantage d'Elaine c'est qu'elle est très douée pour réprimander Godefroy à sa place, et qu'elle est également très douée pour l'occuper. Honnêtement, Alexine n'est pas certaine de qui est le plus à plaindre des deux - et lequel est le plus insupportable.

Au moins, ils ont le mérite d'être amusant pas comme. Edgar.

Bien qu'il le soit à sa façon - et surtout, à son insu.

Un grand cri leur signale que les deux diables sont dans le coin. Le regard qu'elle échange avec Anatole lui indique clairement que lui aussi a compris que c'était la fin de leur relative tranquillité.

Les regards rivés sur l'entrée de la pièce, ils attendent avec patience l'entrée des deux petits monstres. Ils n'ont pas à attendre longtemps, ceci dit, puisqu'Elaine apparaît, ses petits sourcils froncés dans une expression de jugement extrême.

"On a pas le droit, Godefroy! gronde-t-elle bruyamment, et si personne ne savait que le garçon faisait quelque chose de douteux, maintenant toute la demeure était au courant.

-Shhhh, personne n'a besoin de savoir!" réplique Godefroy, apparaissant à son tour dans l'encadrement de la porte, un sourire suffisant peint sur ses lèvres.

La ressemblance est indéniable entre les deux: les mêmes cheveux bruns ondulant légèrement, la même nuance de marron dans leurs yeux, et bien sûr, une attitude exécrable très similaire, même si dans un sens différent. Ils ressemblent vraiment à une frère et une soeur, et parfois, Alexine se trouve à les envier, avant de se rappeler qu'elle est clairement beaucoup plus jolie.

"Personne n'a besoin de savoir quoi?" demande Anatole, un petit sourire amusé sur le bout des lèvres.

Les deux têtes brunes se tournent plus vite que l'éclair vers eux, et le cou d'Alexine lui fait mal pour ceux des deux autres.

"Anatole!" s'exclament les deux Villefort en un parfait chorus qui ne fait qu'accentuer leur ressemblance. Les deux grands sourires béats qui viennent illuminer leur visages sont, eux aussi, d'une ressemblance troublante.

Et sur ce, Anatole voit deux tempêtes brunes arriver à toute vitesse sur lui. Alexine, voyant la chose venir, se hâte de se pousser en arrière. Bien sûr, ce qui devait arriver arriva, et lorsque l'impact des deux Villeforts fait basculer le Castain et sa chaise, Alexine est loin de la zone dangereuse.

L'image est sûrement attendrissante, mais Alexine pense surtout qu'elle est hilarante.

Anatole lui lance un regard assassin, écrasé sous le poids de Godefroy, un grand enfant de douze ans, et Elaine, une petite fluette de neuf ans, comme si c'était de sa faute si son frère et sa soeur l'adorent. On récolte ce que l'on sème, et Anatole sème beaucoup d'affection, malheureusement pour lui.

Elaine a la décence de se redresser rapidement, visiblement très embarrassée par ce qu'il vient de se passer. Godefroy, en revanche, semble disposer à rester au sol le plus longtemps possible, et Alexine sait à quel point il est impossible à déloger, tel un chêne centenaire.

Anatole semble se résigner, posant une main sur la chevelure du garçon.

"Heureux de vous revoir aussi, mais n'est-ce pas un peu exagéré? On s'est vu juste la semaine dernière."

Elaine semble outrée de la question.

"C'est déjà trop long!" dit-elle avec ses sourcils froncés comme à son habitude.

Godefroy semble approuver cela, posant son menton sur la poitrine d'Anatole pour le regarder. Alexine n'est pas certaine de la beauté de la vue, mais passons.

"Oui, vraiment trop long. Tu devrais vivre ici, affirme-t-il avec fermeté. De toute façon, tu es déjà fiancé avec Alexine, donc tu fais parti de la famille."

Logique implacable dans le cerveau des deux bruns, sans nul doute, puisqu'Elaine acquiesce immédiatement. Anatole la regarde avec supplication, comme s'il s'attendait vraiment à ce qu'elle l'aide. Elle lui adresse un sourire innocent. Pas son problème. Elle lit un "traître" sur ses lèvres et sourit de plus belle.

"Je suis flatté, mais ça ne fonctionne pas tout à fait comme ça, dit-il doucement. Et puis, je pense qu'Alexine ne serait pas d'accord."

Ah, le bâtard.

Deux paires d'yeux marrons se posent sur elle. La vague impression qu'elle est une mère débordée de deux enfants espiègles la tenaille.

Elle espère que ses enfants ne seront pas aussi turbulents.

Godefroy semble qu'elle est trop longue pour répondre, puisqu'il prend à nouveau la parole:

"Alexine est totalement d'accord, je l'ai vu au fond de ses yeux."

L'affirmation est tellement inattendue qu'Alexine éclate de rire sous le regard stupéfié de Godefroy et Elaine, peu habitués à voir leur grande soeur ainsi.

Elle rit et rit et rit jusqu'à ce qu'elle en ai mal au ventre, jusqu'à ce qu'elle en ai les larmes aux yeux.

Elle rit pendant au moins deux ou trois bonnes minutes, sans avoir le pouvoir de s'arrêter, sans avoir de contrôle sur son corps, et pour une fois, ça fait du bien.

Lorsqu'elle commence -enfin- à se calmer, elle essuie les larmes sur ses joues et repose son regard sur le petit groupe.

Elaine a l'air vaguement inquiète, mais Godefroy, qui s'est enfin redressé, a un grand sourire sur les lèvres. Anatole, à présent assis sur le sol à côté de lui, a également le sourire. Il a l'air étrangement soulagé, sans qu'Alexine n'arrive à saisir pourquoi.

"Mon Dieu, désolée, réussi-t-elle à articuler, finalement. Il m'a surpris, et...

-C'est ma spécialité, oui, merci", dit son demi-frère, bras croisés sur sa poitrine bombé, l'air fier même le cul sur le sol.

Alexine rit à nouveau, de manière beaucoup plus légère et contrôlée cette fois.

"Il semble que ce soit le cas, en effet, oui."

Godefroy lui adresse un large sourire qui se veut innocent, avant de dire:

"Du coup, ça veut dire que tu es d'accord pour qu'Anatole emménage ici, non?"

Elle le menace de lui envoyer la partition sur la figure avec un grand sourire tandis qu'Anatole tente tant bien que de mal de dévier la conversation, la petite Elaine accrochée à son bras le regard plein d'espoirs.

Une belle brochette d'idiots, vraiment, mais, étrangement, Alexine est heureuse d'en faire partie.

——




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Alexine Castain
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Alexine Castain

En bref

Féminin
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Histoire


Juillet 1786 —

La grossesse de Rosalie est un véritable enfer. Alexine la voit peu puisqu'elle passe une grande partie de son temps au lit et au calme, mais à chaque fois, son coeur se serre un peu plus. A chaque fois, elle a l'air encore plus pâle, plus fatiguée, plus fragile.

Alexine a un peu peur, à vrai dire.

Très peur, même.

Il n'y a rien qu'elle puisse faire pour l'aider directement, toutefois elle peut sans doute soulager un peu sa pauvre mère en s'occupant des enfants.

Bien sûr, il y a des nourrices, cela va de soit, mais Alexine était bien placée pour savoir qu'une nourrice, ça ne remplace pas la famille.

Et puis, Léontine, Camille, Louis et Rose sont des gentils enfants.

Enfin. Léontine et Louis, au moins. Camille c'est... Autre chose. Rose est trop petite pour être considérée quoi que ce soit, et Alexine la laisse entre les mains professionnelles des nourrices.

Ça lui laisse trois gosses dans les pattes.

Anatole est toujours heureux d'aider quand il le peut, et Godefroy aime bien venir juste pour exciter Camille et la faire hurler pendant deux bonnes heures après son départ, mais Elaine reste distante et n'est pas une grande aide en générale.

Lucie est une véritable bouffée d'air frais lorsqu'elle arrive avec son joli petit sourire et sa douceur naturelle. Alexine est plus qu'heureuse que ses parents aient décidés de venir vivre dans le coin.

Elle est à peine plus haut que trois pommes, et Alexine trouve ça vraiment attendrissant lorsqu'elle prend Louis dans ses petits bras.

"J'ai toujours voulu avoir des petit-frères et soeurs, alors ça n'est pas du tout un problème," lui dit-elle quand Alexine s'excuse de lui faire subir tout cela.

"Tu pourrais en prendre une, je ne dirais rien", réplique la rousse à mi-voix, comme si elle lui disait un secret.

Cela la fait rire, et met du baume au coeur d'Alexine. Elle se demande si elle ne peut pas l'échanger avec Godefroy, par hasard.

Ou Camille. Qui est en train de faire un concours de hurlement avec un arbre, visiblement.

"Prend Camille", ajoute-t-elle après réflexion, ce qui ne manque pas de faire pouffer un peu plus la petite Vayres à ses côtés.

"Je doute que mes parents soient vraiment d'accord avec ce choix.

-Doute raisonnable."

Léontine, qu'elle soit bénie, décide que Camille s'est assez écorchée la voix et interrompt son 'jeu' pour lui proposer autre chose. La négociation a l'air compliquée, et Alexine commence à s'inquiéter que Camille ne gagne et convainc Léontine de crier à son tour. Bien heureusement, il n'en est rien, et Léontine saisit la main de sa petite-soeur pour la mener vers un parterre de fleur.

Alexine se tâte à leur dire que les fleurs, c'est sacré, avant d'abandonner l'idée. Si cueillir quelques fleurs empêche Camille de grimper aux arbres et manger des feuilles, alors qu'il en soit ainsi.

A en croire l'expression de douloureuse acceptation de Lucie, elle en est venue à la même conclusion. C'est ce que passer du temps avec Camille fait: cela rend même les plus gentilles de filles un petit peu rebelle.

"Vous pensez qu'elle va se calmer avec l'âge?" finit-elle par demander, une main caressant les soyeux cheveux bruns de Louis, qui a l'air de s'être assoupi dans ses bras. Il pourrait vraiment être son frère. Il a les cheveux plus foncés qu'elle, et la visage de la jeune fille est indéniablement plus délicat, mais elle a la même affection pour lui qu'une grande-soeur - enfin, une grande-soeur correcte.

Un regard sur Camille, son grand sourire et ses deux mains pleine de terres lui fait répondre:

"Non, je ne pense pas."

Godefroy ne s'est pas vraiment calmer, après tout.

"Et je pensais t'avoir dit de me tutoyer, non? Nous sommes amies, après tout," dit-elle, reposant ses yeux verts sur la petite châtain, dont les joues rosissent à vu d'oeil.

"Désolée, je ne suis pas encore habituée."

Lucie lui avait dit que là où elle habitait avant, elle n'avait que très peu l'occasion de voir du monde, et encore moins des gens de son âge, et de ce fait avait rarement eu des amis.

Elle replace le petit garçon aussi bien qu'elle le peut. Pour une petite fille de sa taille et de
son poids, ça devait commencer à lui faire lourd. Alexine lui adresse un sourire, et tend ses bras.

"Tiens, donne moi Louis, tes jambes et bras vont s'endormir."

Lucie semble soulagée, lui adresse un petit "merci" soufflé et la laisse prendre Louis, qui ouvre à peine les yeux, très peu dérangé d'être déplacé, ou bien trop fatigué par son début de journée pour réagir. Il se met immédiatement à son aise dans ses bras.

Elle ne veut pas l'échanger, lui.

Il est dommage qu'elle ait pris tant d'années à réaliser que, malgré le fait qu'ils ne partagent pas le même père, ils sont quand même sa famille et n'en ont très clairement que faire du fait que ses cheveux sont roux et pas marrons,comme eux.

Lucie l'aide beaucoup à réaliser sa chance d'avoir des courir dans tous les sens, aussi.

Elle repose son regard sur Léontine tentant d'apprendre à Camille comment faire une couronne de fleurs, de toute évidence. La plus petite a la langue qui dépasse au coin de sa bouche dans sa concentration, et Léontine a l'air plutôt heureuse d'avoir réussi a captiver son attention.

Même Camille est attachante, à sa façon de gamine insupportable. Elle a beau hurler et courir partout, elle est une enfant très affective et son enthousiasme est quelque peu contagieux.

Elle passe une main dans les cheveux de son petit-frère, sourire aux lèvres.

C'est une belle journée.

——

Mars 1787 —

La nouvelle n'est pas vraiment une surprise; Alexine avait senti quelque chose depuis la première visite de Lucie. Après tout, il n'y a pas d'amitié qui intéresse vraiment les parents, dans leur monde. Ç'avait été le cas avec elle et Anatole, et s'avait été le cas avec Charles-Eugène et Zéphyrine avant eux. D'une certaine manière, c'était plutôt sympathique de la part de leurs parents de les laisser faire connaissance au lieu de les jeter tête la première dans le mariage.

D'une autre, c'était un peu traître.

Les fiançailles de Godefroy et de Lucie sont une évidence, vraiment.

Alexine est contente - elle l'est vraiment - parce que ça veut dire que Lucie fait vraiment parti de sa famille maintenant, mais... Si elle et Anatole s'entendaient très bien, Godefroy et Lucie se parlaient à peine.

Lucie était d'une timidité maladive à côté de lui, et Godefroy... Godefroy était Godefroy.

Peut-être que le fait que Lucie passait la plupart de son temps chez les Villefort avec elle avait un impact sur cela. Peut-être.

Les seuls moments où ils étaient tous ensemble étaient quand Anatole était là.

Et aujourd'hui, pour les sept ans de Léontine, ils étaient au complet.

Les temps morose les empêchait d'aller dehors, alors le groupe s'était réfugié dans l'une des nombreuses salles de la demeure. Pour le plus grand soulagement de tous les 'grands', les petits étaient occupés dans une autre pièce avec une armée de nourrices, les laissant au calme.

Comme à son habitude, Alexine s'est installée à son piano. Elle ne joue pas vraiment, à part quelques notes par ci par là, mais c'est là où elle se sent la plus à l'aise. Lucie s'est installée non loin d'elle sur un fauteuil, là où Anatole se place d'habitude. Ce dernier est affalé sur le sofa, Elaine à sa droite, Godefroy à sa gauche. Il a l'air vaguement mal à l'aise tandis qu'Elaine fusille son frère du regard. Godefroy semble tout à fait à son aise, si ce n'est un peu ennuyé, sa tête sur l'épaule du blond.

Edgar, qui ne cache pas qu'il a été complètement forcé de venir, s'est mis dans un coin de la pièce avec un livre et ne pipe mot, comme à son habitude. Parfait.

Alexine repose son regard sur Lucie, qui a les yeux rivés sur ses doigts.

"Tu veux jouer?"

Lucie, l'air de quelqu'un ayant été pris la main dans boîte de cookie, rigole nerveusement, les joues rouges.

"Oh, non, non, je ne sais vraiment pas jouer, je ne veux pas casser les oreilles de tout le monde.

-Je peux toujours t'apprendre quelques notes", lui dit Alexine, un petit sourires aux lèvres.

Elle entend Godefroy pouffer derrière elle, et se tourne pour lui lancer un regard noir.

"Alexine joue très bien, mais elle est une horrible enseignante."

La rousse lève les yeux au ciel.

"C'est parce que tu as deux mains gauche et la capacité de concentration d'un bébé de trois mois, Godefroy."

Anatole éclate de rire, ce qui lui vaut un coup de coude dans les côtes. Lucie se mord la lèvre pour ne pas rire, Elaine sourit, et Alexine est persuadé d'avoir vu Edgar esquisser un sourire.

"Elle n'a pas tort, Godefroy, tu es un peu comme un bébé", dit Anatole bondissant sur ses pieds pour éviter un nouveau coup dans les côtes.

Godefroy le suit immédiatement, une moue boudeuse sur le visage.

"Je suis très mature", réplique-t-il avec l'irritabilité d'un enfant capricieux, poursuivant les grandes jambes d'Anatole autour de la table dans un pas volontaire.

"Il me rappelle plus un petit chien, non? Regarde, il te suit partout", taquine Alexine, ouvertement moqueuse.

Godefroy reporte toute son attention sur elle, l'air furibond, alors qu'elle lui adresse un sourire innocent et se met à jouer un air guilleret.

Anatole profite de son manque d'attention pour rejoindre le brun et lui tapoter la tête avec affection.

"Gentil, gentil, on ne mord pas les filles."

Et donc, en toute logique, Godefroy le mord lui. Alexine rit de l'air offusqué de son fiancé, et Lucie la rejoint, discrètement mais sûrement. Elaine, elle, semble personnellement atteinte par cette attaque et tire à nouveau la tête.

Edgar lâche un petit "tu l'as bien cherché" à son frère, tandis que Godefroy sourit tel un seigneur face à son petit peuple.

C'est au tour d'Anatole d'avoir l'air boudeur. Il vient se réfugier à ses côtés, tel un enfant dans les jupons de sa mère, et Alexine le laisse s'asseoir à côté d'elle.

"Il m'a vraiment mordu, se plaint-il, frottant son avant-bras meurtri tout en suivant du regard le petit diable brun qui retourne s'asseoir sur le canapé.

-Depuis le temps, tu devrais savoir que Godefroy est un véritable sauvage."

Fier de lui, souriant de toutes dents, Godefroy n'essaie même pas de la contredire. Anatole se tourne vers Lucie, qui a un petit sourire sur les lèvres et les yeux rivés sur Godefroy.

"Fait attention à toi, ma petite Lucie, ton fiancé est une terreur."

Elle se tourne vivement vers eux, joues rosissant à vu d'oeil.

"Je-Je ferais attention!"

Alexine lui adresse un sourire rassurant, attendrie.

"Ne t'en fais pas, je suis là pour le tenir s'il le faut."

Elle ignore Godefroy qui lève les yeux au ciel et murmure quelque chose dans sa barbe en faveur du joli sourire que la petite Vayres lui offre.

"Merci, Alexine."

——
"Lucie est tellement plus mignonne que toi", lui dit Anatole, un sourire aux lèvres, un peu plus tard dans la journée, pendant que Lucie est occupée avec Léontine et Adèle.

Alexine lui donne une petite tape sur le bras.

"Je suis absolument adorable."

Anatole rit de bon coeur. Ses doux yeux bleus se reposent sur Lucie, un petit sourire sur les lèvres.

"Je ne dis pas ça pour te le reprocher, c'est juste que j'ai un peu peur qu'elle ne se fasse manger. Godefroy n'est pas très tendre."

Alexine hoche la tête, cherchant le dit garçon du regard. Elle le trouve en train de se disputer à mi-voix avec Elaine, comme souvent.

"C'est vrai, Godefroy est un horrible petit lutin (la description fait sourire Anatole), mais... Je pense que tu sous-estimes Lucie. Je veux dire, elle arrive à maîtriser Camille, alors."

Son fiancé pouffe, regard se posant instinctivement sur la petite fille qui est occupée à terrorisé le petit Eugène.

"Tu as sans doute raison, en effet. Quiconque peut maîtriser Camille peut survivre à Godefroy."

——

Octobre 1787 —

C'est la rare détresse des notes de piano qui la tire de sa lecture et la pousse à abandonner Léontine, qui s'était assoupie à ses côtés. C'est une après-midi douce, le soleil d'automne brillant fébrilement à travers les fenêtres sur les habitants somnolent de la demeure.

Elle lui lance un dernier regard attendri avant de s'engouffrer dans les couloirs en direction du bruit. C'est son piano, elle en est certaine, et peu de personnes y jouent dans sa famille. Godefroy y est affreux et n'y touche pas, Honoré est occupé, sa mère récupère douloureusement de son accouchement (et de la mort de l'un des jumeaux, quelques jours à peine après sa naissance; c'est un coup dur, pour eux tous), Léontine dort, et Alexine défend à tous les autres d'y toucher, de peur qu'ils cassent quelque chose ou mettent de la morve partout - enfin, comprenez surtout, Camille.

Ça ne laissait vraiment qu'une option: Elaine.

Elaine n'est pas une pianiste née, c'est certain, et elle n'a pas non plus la patience pour s'améliorer. De plus, elle s'énerve plutôt rapidement s'il n'y a pas signe de progrès dans les minutes qui suivent et de ce fait, touche rarement à un instrument.

Alexine est donc surprise de la trouver penchée sur une partition, épaules voûtées et tendues par la concentration - et probablement de l'énervement aussi. Elle serait presque mignonne si ce n'était pas pour l'horrible série de sons (parce qu'on ne peut pas décemment appeler ça une mélodie) qu'elle provoque en martelant les touches.

Pauvre piano.

"Tu sais, ça irait beaucoup mieux si tu étais un peu plus douce", annonce-t-elle, poussant sa voix pour qu'elle couvre le boucan du diable de sa petite-sœur.

De manière prévisible, Elaine saute au plafond. Elle lui lance un regard noir une fois qu'elle eu assez récupéré de sa surprise, avant de se tourner à nouveau vers le clavier.

"C'est facile à dire pour toi", bougonne-t-elle avant d'appuyer sur une touche qui arrache une grimace à Alexine.

La rousse s'avance dans la pièce jusqu'à être derrière Elaine, dont les épaules montent un peu plus sous son regard. Alexine pose ses mains dessus.

"Détends-toi, c'est pas une question de vie ou de mort, et ça influence ta musique."

Bien que les épaules s'abaissent, la moue boudeuse sur le visage de la petite brune ne s'en va pas, et elle arrête d'appuyer sur les touches entièrement.

"Peut-être que c'est une question de vie ou mort, qu'est-ce que tu en sais."

Alexine laisse s'échapper un petit rire qui semble d'autant plus offusquer la petite demoiselle.

"Quelqu'un te menace de mort si tu n'arrives pas à jouer un air?

-Laisse-moi tranquille", marmonne Elaine, oreilles rouges.

Alexine sourit et lâche ses épaules pour tirer une chaise jusqu'à côté d'elle, la même qu'Anatole ou Lucie prennent quand ils viennent l'écouter jouer. Elle se penche un peu en avant histoire d'être clairement dans son champ de vision, et donc impossible à ignorer.

"Dis-moi donc pourquoi tu dois absolument jouer du piano."

Elaine la regarde fixement pendant quelques secondes, yeux durs, avant de détourner le regard, son expression fondant à nouveau en une moue boudeuse, comme ayant décidé qu'Alexine n'essaie pas de la duper ou quelque chose du genre.

"Tu vas te moquer de moi.

-Non, jamais", ment-elle avec un joli sourire.

Visiblement, Elaine ne la croit pas, mais décide que son besoin d'exprimer ses problèmes est supérieur à la peur qu'Alexine lui rit au nez.

"Le garçon que j'aime... Sa fiancée (le mot est dit avec un certain dégoût qui fait sourire sa sœur) joue très bien du piano, et il la regarde tout le temps."

Alexine, qui sait pertinemment de qui Elaine parle, se retient de peu de faire un commentaire amusé sur la situation. En même temps, elle comprend que de parler d'aimer un homme en face de ladite fiancée qui est bonne en piano soit un peu inconfortable.

Qui lui a dit de tomber amoureuse d'Anatole, aussi, hein. Il y a beaucoup d'hommes autour d'elle qu'elle aurait pu aimer, comme Edg-.... oui, bon, peut-être pas lui. Comme Joseph, leur gentil cousin, ou bien...

Alexine commence à voir le problème.

"Et tu veux apprendre à jouer pour... Un garçon qui va se marier avec une autre de toute façon?"

Elaine vire au cramoisi en quelques secondes.

"Ça ne te regarde pas", réplique-t-elle sèchement.

Alexine, encore une fois, se retient de ne pas rire. C'est vrai que, une fois énoncé à haute voix par quelqu'un d'autre, la situation est cocasse.

"Si tu veux apprendre le piano, ne le fait pas pour quelqu'un d'autre, Elaine: fait le pour toi, et si cela plaît à un beau garçon, alors tant mieux. Si cela n'arrive pas, tant pis pour lui, mais au moins, tu auras toujours ça pour toi."

Elaine la regarde comme s'il lui était poussé une deuxième tête pendant qu'elle parlait.

Mon dieu, Anatole déteignait sur elle, elle parlait avec raison et gentillesse.

Avant qu'elle ne puisse se raviser, Elaine repose ses doigts sur les touches, les joues rouges mais le regard étrangement serein.

"Apprend-moi."

Alexine lui sourit.

"Bien mademoiselle."

——

Juillet 1788 —

Alexine n'est pas idiote, elle sait bien que le mariage approche à grands pas. Elle a quinze ans, seize dans un mois, et à cette époque l'année prochaine, elle s'attend à être mariée. La pensée qui ne l'affolait pas - lui plaisait même un peu - auparavant commence à la travailler.

Anatole est le meilleur choix qu'elle aurait pu avoir, mais... Mais c'est Anatole.

Une petite voix au fond d'elle lui répète qu'il vaut peut-être un peu mieux qu'elle. Et qu'elle n'arrivera jamais à se forcer à avoir des sentiments pour lui, peu importe sa gentillesse, peu importe sa beauté, peu importe qu'il est le garçon qui la fait le plus sourire.

Elle ne l'aimera jamais, et ça lui fait franchement mal au coeur.

Elle se demande si sa mère avait aimé Honoré dès le début - si elle l'aimait même à présent. Bien sûr, elle ne lui demande pas, parce qu'elle a peur de se prendre un mur et de la fâcher, d'autant plus que parler de son père était encore tabou, seize ans plus tard.

Il avait dû être un grand homme pour qu'il lui manque autant.

Elle avait entendu de son oncle François, qui avait été son meilleur ami pendant des années, qu'il était un homme droit, même si blagueur, et qui aimait sans compter. Il lui avait raconté des anecdotes avec un grand sourire mélancolique avant de changer de sujet.

Il aurait dû être avec lui quand il était mort.

Quoi qu'il en soit, sa mère n'est pas une option pour ce genre de questions. Elle avait pensé à Zéphyrine, mais clairement, Zéphyrine avait aimé Charles-Eugène depuis leur rencontre. Elle n'avait jamais rencontré la soeur de Lucie, et son cercle s'arrêtaient pratiquement ici, sa mère refusant catégoriquement qu'elle rencontre sa tante et ses oncles du côté de son père.

De ce fait, elle était seule face à ses peurs et Anatole...

Alexine est certaine qu'elle n'imagine pas la distance qu'il y a entre eux ces derniers temps. Il visite toujours aussi fréquemment, toujours accompagné d'Adèle, parfois d'Eugène, et rarement d'Edgar, mais elle n'a pas l'impression de le voir. Il passe beaucoup de temps avec Godefroy (ce qu'elle comprend, les deux ont toujours été proches et l'âge ne fait qu'aider), et même lorsqu'il est avec elle (ce qui arrive de plus en plus rarement), il n'a pas l'air avec elle.

Bien sûr, cela ne fait rien pour apaiser la tempête à l'intérieur de son coeur et de sa tête. Si le mariage brise leur amitié, elle n'est pas certaine que c'est vraiment sa meilleure option.

Alors elle joue: piano ou violon, peu importe, du moment que ça l'empêche de penser. Au bout d'un moment, malheureusement, même le piano qui l'a toujours réconfortée, finit par la rendre malheureuse.

Elle se sent seule, plus que jamais.

"C'est joli, mais c'est plutôt triste comme morceau, non?"

Lucie lui offre un grand sourire, et Alexine pense qu'elle va fondre en larmes. Cela doit se voir, puisque la jeune demoiselle s'empresse de s’asseoir à côté d'elle, sourcils légèrement froncés.

"Qu'est-ce qu'il se passe? Quelque chose ne va pas?"

Rien ne va, absolument rien, mais face aux grands yeux inquiets de sa jeune amie, Alexine se sent sourire. Elle prend une de ses mains dans les siennes. Lucie a des petites mains, encore potelées de son enfance, toutes douces comme celles de Constantin. A côté des siennes, rugueuses par la pratique et ses longs doigts fins, elles ont l'air adorable.

"Je suis un peu triste, mais rien que de te voir, je me sens déjà mieux."

Les joues de la demoiselle rosissent un peu, comme à chaque fois qu'on lui fait un compliment, mais c'est son magnifique sourire qui met du baume au coeur d'Alexine.

"Tu m'embarrasses, répond-t-elle, toujours souriante. Mais je suis contente de te voir aussi."

Sur ce, elle serre un peu plus sa main dans la sienne, et Alexine doit se retenir de ne pas la serrer dans ses bras. Une bouffée d'air frais en plein après-midi d'été, cette fille, vraiment.

"Alors, que se passait-il chez toi que tu étais si occupée?

-Oh! Et bien tu vois, mon frère va bientôt se fiancer et..."

Alors que Lucie lui explique avec tous les détails possibles et imaginables ses dernières semaines, Alexine sent la tempête de ses inquiétudes se calmer pour laisser sa place au grand soleil qu'est sa petite Lucie.

——

Mars 1789 —

Léontine est tombée très malade quelque part en Janvier. Elle a bien lutté, pour une petite gamine frêle, mais peu après son dixième anniversaire, la maladie avait eu raison d'elle.

C'est un coup dur, pour tous. La pauvre petite était aimée de tous, une adorable enfin avec un sourire à toute épreuve. Jusqu'au dernier jour, elle leur souriait, avant de tomber inconsciente et de ne plus jamais rouvrir les yeux.

Bien sûr, c'est toujours une tragédie lorsqu'un enfant meurt, surtout à cet âge, mais d'une certaine manière, Alexine est persuadée que ça l'est encore plus parce que c'est Léontine.

Rosalie n'a pas l'air d'avoir fermé l'oeil depuis le janvier, et même si elle ne pleure pas ouvertement, elle a les yeux humides en permanence. Honoré est dévasté, mais essaie de tenir le coup pour sa famille.

Godefroy a pleuré plusieurs heures, et Elaine reniflait en permanence, yeux gonflés par les larmes. Louis passe la plupart de son temps dans la chambre vide de sa soeur à regarder par la fenêtre comme si la pluie allait lui ramener sa grande-soeur. Camille est silencieuse, et même si Rose est encore un peu trop jeune pour comprendre, elle doit ressentir l'atmosphère car elle aussi, reste silencieuse.

Adèle est inconsolable. Elle pleure depuis qu'elle a appris la nouvelle, il y a deux jours, et n'arrête que lorsqu'elle s'endort d'épuisement dans les bras de sa mère. Même Edgar, d'habitude si froid, a l'air attristé par la nouvelle. Eugène serre sa grande soeur dans ses bras et pleure avec elle. Anatole essaie tant bien que de mal de sourire et d'aider autour de lui, mais il est clair qu'il est bouleversé.

Ils y avaient cru, tous. Si quelqu'un pouvait battre la maladie, c'était Léontine.

Lucie est un océan de tristesse. Elle était très proche de Léontine, qu'elle considérait pratiquement comme sa petite soeur.

Pourtant, la première chose qu'elle fait lorsqu'elle arrive, c'est de prendre Alexine dans ses bras.

"Est-ce que ça va? Tu tiens le coup?" lui demande-t-elle, ses petits bras incroyablement forts autour de sa taille.

Et Alexine essaie, elle essaie vraiment, de ne pas éclater en sanglots. Elle a réussi à tenir pendant deux jours, elle a réussi à rester claire et opérationnelle pendant ces deux jours, à garder toute sa tristesse au fond d'elle, mais dans les bras de Lucie, elle n'y arrive plus.

Alors elle fond en larmes.

Elle fond en larmes et Lucie aussi. Elles ont probablement l'air très fines à pleurer comme ça en plein milieu d'un couloir, mais peu importe.

Léontine est morte, et Alexine a l'impression qu'on lui a arraché une partie de son coeur.

Léontine est morte.

Et Alexine va se marier dans quatre mois à un meilleur ami qui s'éloigne d'elle un peu plus chaque jour.

Elle pense que, pour une fois, elle a le droit de pleurer.

——

Juin 1789 —

En vue des rumeurs courant dans villes et campagnes, le mariage se voit accéléré, alors au lieu d'attendre juillet, c'est début juin qu'Alexine se voit revêtir sa magnifique robe blanche. Le nombre d'invités avait diminué considérablement, lui aussi, ce qui n'était pas pour déplaire à la mariée, dont les nerfs étaient à vif et la santé mentale au bord du gouffre. La mort de Léontine lui pèse toujours sur le coeur, et même si Anatole s'était quelque peu rapproché d'elle ces derniers temps, ils étaient loin d'avoir retrouvé leur amitié d'antan.

Anatole lui manque, même s'il se tient à ses cotés, un sourire pâle sur ses lèvres alors qu'il remercie les convives.

La cérémonie est un interminable, et Alexine se demande si elle ne ferait pas mieux de fuir là, maintenant, pendant qu'elle le peut encore. Elle croise le regard de Lucie, droite comme un piqué à côté de Godefroy, son grand-frère, Antoine, de l'autre. Elle avait eu l'occasion de le voir une fois auparavant, et bien qu'il avait les mêmes boucles que sa soeur, son regard était bien plus froid. Sa fiancée n'avait pas pu faire le déplacement. Tant mieux. Le moins de personnes il y a, le mieux.

Lucie lui adresse un sourire encourageant, et Alexine se détourne d'elle avec grande peine pour reposer ses yeux sur le visage de son futur mari. Anatole la regarde, et Alexine le connaît assez pour savoir qu'il a également très envie de se sauver en courant. L'image lui semble plutôt comique, les deux futurs époux partant en courant de la cérémonie avant d'avoir prononcé les vœux fatidiques, et l'espace d'un instant, elle a envie de rire.

Elle parvient à se contenir, mais ne peux effacer le grand sourire qui trouve sa place sur ses lèvres. Anatole y répond, glisse une main dans la sienne, et à travers son gant de satin, sa chaleur la rassure.

Ça va aller, pense-t-elle lorsqu'Anatole énonce ses vœux, peu importe qu'ils se soient éloignés un temps, ils surmonteront tout ça. Si ça n'est pas par amour, ce sera au moins par amitié.

Leurs lèvres se rencontrent pour une première fois, et son cœur est calme.

——

L'après-midi est déjà bien avancée quand Alexine décide de se retirer quelque temps dans sa pièce favorite. Elle apprécie l'attention et la présence de personnes qu'elle voit rarement à cause de la distance (son frère et la famille de sa mère, par exemple), mais son corps avait du mal à suivre toute cette agitation. Alexine a l'impression d'avoir été en apnée depuis le début de l'année, et de ne pas s'en sortir.

Elle avait perdu Anatole de vue depuis un petit moment, mais cela ne l'inquiétait franchement pas. Il était probablement en train de faire copain-copain avec ses cousins.

Les couloirs déserts lui sont agréables, et elle en apprécie le silence ponctué des rires qui arrivaient à pénétrer à l'intérieur des épais murs. Et des rires qui venaient de dedans ces murs.

Curieux. Sourcils froncés, la curiosité prend le dessus sur sa fatigue, et elle se dirige vers les rires. La bibliothèque, il semble, puisque lorsqu'elle est assez proche, elle commence à entendre des voix qui murmurent de manière peu discrète. Puis un rire.

Celui-là, elle le reconnait. Godefroy.

Le rire est suivi d'un "shhh" peu discret et masculin. Et une voix. Qu'elle reconnait également.

Elle ouvre la porte, et soudain tout fait sens de la manière la plus atroce possible.

Les lèvres d'Anatole sur celles de Godefroy répondent à toutes ses interrogations.

Anatole la voit, trop tard. Il pousse Godefroy, grand yeux bleus rivés sur elle, horrifié. Godefroy, lui, prend son temps pour se tourner vers elle, et semble bien moins horrifié que son ami.

"Alexine, commence Anatole, s'approchant à grand pas d'elle, ça n'est pas ce que-..."

Alexine lève une main en l'air, expression stoïque figée sur son visage.

"Non. Je ne veux rien entendre. Ni de toi, ni de Godefroy, ajoute-t-elle lorsqu'elle voit son frère (son frère!) ouvrir la bouche derrière son amant. Nous allons retourner dehors et finir cette journée comme on l'a tous commencé. On va sourire et faire comme si de rien n'était, c'est bien clair?

-Mais, Alex-..., essaie à nouveau Anatole, stoppé net par le regard qu'elle lui lance.

-Je ne suis pas assez claire, Anatole?"

Il se tait. Godefroy soupire et Alexine doit faire preuve d'un sang froid incroyable pour ne pas lui envoyer son poing sur la joue.

"Sortez. Maintenant."

Godefroy ne rechigne pas, et s'avance jusqu'à la porte tout en contournant du mieux possible sa soeur, puisqu'il n'est pas encore assez fou pour s'approcher d'une Alexine fulminante - et encore plus lorsqu'elle le fait sans éclats de voix. Anatole semble hésiter, même quand Godefroy se tourne vers lui.

"Vient, Anatole."

L'entendre dire son nom la rend presque plus furieuse - presque.

"Alexine... Je-....

-On parlera ce soir", le coupe-t-elle, sèchement. Il hoche la tête, mais ne bouge pas vraiment pour autant.

"Tu ne viens pas?"

S'il lui parle une fois de plus, elle va l'encastrer dans la bibliothèque.

"J'ai besoin de quelques minutes si je ne veux pas planter l'un d'entre-vous avant la fin de la journée."

Et Dieu seul sait combien elle le veut en ce moment même.

Si la réponse lui convient ou si c'est la peur qui le fait bouger, peu importe, l'important est que lui et Godefroy partent et la laisse seule.

Elle ferme la porte et s'efforce de marcher jusqu'à un fauteuil pour s'y effondrer.

Et là, seule et désabusée, elle éclate d'abord de rire, puis en sanglots.  

La vie est une putain de catin.

——

Lorsqu'Alexine et Anatole se retirent enfin, la nuit est tombée depuis un petit moment. La plupart des invités étaient partis plus tôt, mais une partie de personnes habitant plus loin étaient logés sur place ou chez les Castains.

Les Vayres étaient rentrés chez eux, bien entendu, mais pas avant que Lucie la serre dans ses bras. Alexine lui avait sourit et assuré qu'elle était heureuse avant qu'elle n'aille rejoindre Antoine, sa fiancée et ses parents.

Elle et Anatole avaient souhaité une bonne nuit aux quelques âmes survivante, recevant des clins d'oeils et voeux suggestifs en réponse.

La nuit de noce allait être sportive, ça, Alexine ne pouvait pas leur enlever, mais pas dans le sens qu'ils semblaient tous le penser.

Une fois qu'ils sont seuls dans le couloir, le sourire d'Alexine disparaît entièrement et elle se met à marcher beaucoup plus vite. Anatole ne fait aucun commentaire, mais elle peut sentir son angoisse grandissante sans le regarder. Il a l'avantage de ses grandes jambes pour ne pas se faire distancer, et c'est bien tout.

Elle s'engouffre dans sa chambre avant lui, et entreprend immédiatement de défaire sa coiffure tandis qu'Anatole rentre à son tour. Il ferme la porte derrière lui, mais pas à clé.

"Godefroy? demande-t-elle sèchement, doigts empêtrées dans ses longues mèches rousses et un grand nombre de barrettes.

-Il a dit qu'il va nous rejoindre", répond Anatole, dont le malaise est très évident dans sa voix.

Alexine hoche la tête et laisse le silence l'emporter à nouveau. Sourcils froncés, elle se regarde dans le miroir pour voir un peu plus clair dans ses mouvements. Vu le temps passé sur ses cheveux ce matin-même, ça n'est pas franchement surprenant qu'elle galère pour tout enlever. Elle pose une bonne dizaines de barrettes sur sa coiffeuse, et sa coiffure a à peine bougée. Dans le miroir, elle voit qu'Anatole est toujours debout à côté de la porte, immobile et très mal à l'aise.

Tant mieux, d'un côté, elle veut qu'il se sente mal. D'un autre, il la fait se sentir encore plus mal.

"Assis-toi, tu m'angoisses à rester planté là-bas."

Il souffle un "d'accord" maladroit et s'exécute immédiatement, disparaissant ainsi de son champ de vision et du miroir. Parfait. Elle pose une autre pile de barrettes et ses cheveux commencent enfin à tomber sur ses épaules. Franchement peu pratique cette coiffure. Elle se demande si cela casse l'ambiance pour les couples qui veulent vraiment coucher ensemble lors de leur nuit de noces, parce que ça lui casse les pieds, à elle, et elle n'est certainement pas à deux doigts de coucher avec Anatole.

La porte s'ouvre quand elle dépose une autre pile sur la table. Godefroy n'a même pas pris la peine de toquer, mais il a au moins la décence d'être silencieux et stoïque.

"J'ai presque fini", fait-elle comme s'ils avaient le choix d'attendre.

Son demi-frère hoche la tête et disparaît lui aussi du miroir. Elle préfère ne pas les voir.

Cela prend au moins dix minutes de plus, et personne ne pipe mot jusqu'à ce qu'elle ait déposé sa dernière barrette sur la coiffeuse, sa longue chevelure rousse cascadant enfin librement jusqu'à ses hanches. Elle se sent un peu mieux, déjà.

Jusqu'à ce qu'elle se tourne vers son mari et son demi-frère, tous deux assis sur le sofa dans un coin de sa chambre, silencieux et regardant partout sauf l'un et l'autre.

Elle prend une grande inspiration. Elle peut régler ça calmement, de manière parfaitement civilisée. Elle peut faire ça.

Deux paires d'yeux se tournent vers elle.

"Depuis combien de temps?" demande-t-elle, bras croisés sous sa poitrine.

Godefroy et Anatole échangent un regard, une communication non-verbale qui ne fait qu'attiser la colère dormante d'Alexine. Godefroy se détourne le premier.

"Environ un an", répond-t-il, la regardant droit dans les yeux.

Un an. Tout s'explique. Anatole ne s'est pas éloigné d'elle parce qu'il avait des doutes sur leur mariage (bien que, en quelque sorte, si), mais tout simplement parce qu'il ne pouvait pas la regarder droit dans les yeux sans se sentir coupable.

La pensée, au lieu de l'apaiser, la rend encore plus furieuse. Elle s'était tant inquiétée, s'était sentie si seule et misérable tout ce temps pendant que son fiancé - son meilleur ami - s'envoyait en l'air avec son frère!

"Un an, répète-t-elle, voix vibrant de colère. Un an entier. Et vous comptiez m'en informer à un moment ou bien vous attendiez que quelqu'un vous attrape sur le fait et m'en informe?"

Anatole regarde Godefroy, anxieux, mais le brun continue de la regarder sans laisser paraître plus qu'un léger malaise. Il reste silencieux, alors Anatole prend sur lui.

"On n'allait pas... Enfin, on fait très attention, alo-...

-Alors pourquoi, Ô grand Dieu, est-ce que vous étiez en train de batifoler dans une salle accessible par tous le jour de notre mariage!"

La colère a pris le dessus sans qu'elle ne s'en soit aperçu, et le ton de sa voix monte plus qu'elle ne l'aurait souhaité, mais c'est trop tard.

"Si vous alliez me disgracier de la sorte, au moins faites le discrètement et fermez à clé, imbéciles!"

Anatole semble de plus en plus alarmé et anxieux, mais Godefroy de plus en plus dur et froid.

"Alexine, je n'ai jamais voulu te faire du tort", commence Anatole, se levant de son siège, mains en face de lui comme pour tenter de calmer un animal sauvage particulièrement dangereux. Alexine ne le laisse pas continuer.

"Tu n'as jamais voulu me faire du tort? En couchant avec mon frère? Mon frère Anatole! Tu aurais pu choisir n'importe qui, mais mon frère?!

-Ton frère? Je suis ton frère maintenant, hein?"

Godefroy ne s'est pas levé, lui, et sa voix est parfaitement stable. Glaciale, comme son regard, mais d'une stabilité et d'un calme remarquable. Alexine repose son regard sur lui, croise le sien. S'il veut jouer à ça, elle est très bonne au jeu de la colère froide, elle-aussi.

"Je suis ton frère seulement que ça t'arranges, non? dit-il, ignorant le regard paniqué d'Anatole qui lui souffle d'arrêter tant qu'il en est encore temps.

-Qu'est-ce que tu essaies d'insinuer, Godefroy? Mettons tout au clair maintenant, tant qu'on y est, réplique-t-elle, baissant à nouveau le ton de sa voix.

-Ne fait pas l'hypocrite, Alexine, on sait bien tous les deux que tu ne m'as jamais considéré comme ton frère. Toi et Charles-Eugène, vous vous êtes toujours sentis supérieurs à nous, non?" crache-t-il, sous le regard de sa demi-soeur qui s'assombrit à vu d'oeil. Sans doute aurait-il dû en rester là, mais il n'y a plus de retour en arrière, et il a tant de choses sur le coeur qu'il n'a jamais pu lui dire, alors ce sera maintenant.

"Tout ça parce que notre mère vous préfère. Tout ça parce qu'elle aimait votre père et pas le nôtre. La vérité, c'est que vous serez bien heureux si on crevait tous, hein? Tu devais être tellement contente quand Léontine est finalement morte qu-... "

Alexine le gifle. Le coup est parti tout seul, mais elle ne le regrette pas une seule seconde.

"Comment oses-tu. Comment oses-tu me dire ça, articule-t-elle avec difficulté, larmes de rage se mêlant aux larmes de peine provoquée par ses mots. Comment oses-tu insinuer que je ne vous aime pas? Que je me réjouis de la mort de Léontine, ma petite soeur!"

Respirer lui devient de plus en plus difficile alors que sa colère et sa tristesse l'étouffe.

"Je l'aimais plus que je ne m'aime! Je l'aimais de tout mon coeur! Ma pauvre Léontine, mais pauvre petite puce, elle..."

Sa voix se perd dans ses sanglots et l'espace d'un instant, elle se perd, elle aussi. Elle sent des bras autour d'elle, et se laisse aller quelques secondes avant que sa fierté ne l'emporte à nouveau. Elle repousse vivement Anatole, dont le visage peiné lui fait mal au coeur plus qu'il ne fait monter la colère.

Elle renifle bruyamment et efface ses larmes d'un revers de main, étalant sans doute un peu de noir autour de ses yeux, mais peu importe.

Godefroy a perdu de sa superbe devant elle, mais ne semble pas sur le point de se rendre non plus. Alexine se rend compte que c'est un peu de sa faute, aussi, s'ils en sont à ce point, toutefois il a été trop loin. Il y a des choses qu'ils doivent mettre au clair, maintenant.

"Je ne suis pas parfaite, Godefroy, et j'ai fait de nombreuses erreurs, j'en suis consciente. Tu dis que notre mère me préfère, mais c'est faux. Notre mère ne pouvait même pas me regarder parce que me voir lui rappelait trop mon père. Vous aviez Honoré, et nous..."

Elle se souvient de la solitude, de son petit coeur se teintant de noir jusqu'à ce qu'elle se mette à détester tout le monde. Elle se souvient de Charles-Eugène s'éloignant d'elle, et d'elle, seule avec ses peurs et sa nostalgie d'un père qu'elle n'a jamais vu.

"Il est vrai que je vous ai détesté. Que je t'ai détesté, dit-il, appuyant son regard sur un Godefroy dont les épaules s'abaissent de plus en plus. Mais j'étais une enfant sans père, jalouse, égoïste et seule, alors je n'avais que ça, ma haine, et à peine l'ombre d'un grand-frère. Oui, j'étais cruelle, et oui, j'ai même souhaité que vous disparaissiez à plusieurs reprises. Mais, Godefroy, si tu penses un seul instant que j'entretiens ce genre de pensées à présent, tu te trompes."

Elle prend une grande inspiration, chasse ce qu'il lui reste de larmes avec les palmes de ses mains moites, et affronte à nouveau le regard de son frère, dont l'attitude laisse à penser que sa propre colère l'a quitté.

"Alexine, souffle-t-il, yeux ronds et voix ayant perdu toute son intensité.

-Non, laisse moi finir, Godefroy. Il m'a fallu du temps, mais j'ai fini par comprendre que j'avais été idiote; je m'étais piégée tout seule dans une illusion créée de toute pièces, et j'ai eu du mal à m'en sortir. Je m'étais isolée toute seule, comme une grande, et j'étais passée à côté d'une famille; imparfaite et un peu différente, mais une famille à laquelle j'appartiens malgré tout. Toi, Elaine, Louis, Léontine, Camille, Rose, Constantin, et même Honoré, vous êtes ma famille, et je mourrais de chagrin si vous veniez tous à disparaître.

"Quand Léontine nous a quitté, j'ai... Je pense que je ne m'en remettrais jamais. Elle me manque chaque jour qui passe un peu plus, et le fait que tu penses que je m'en fiche, ça me.... Ça me blesse vraiment beaucoup, Godefroy. Plus que n'importe quoi que tu as pu faire. Plus que le fait que toi et Anatole vous me mentez depuis un an."

Les deux se regardent, culpabilité et peine mêlée.

"On avait peur, murmure alors Anatole, incapable de croiser son regard.

-Peur? Peur de quoi? De moi? De ma réaction? Que j'aille tout dire à nos parents? C'est ce que tu penses de moi vraiment de moi, Anatole?"

Il ne répond rien, et ça fait encore plus mal.

"Je pensais que notre amitié était plus profonde que ça, mais j'ai du me tromper. Honnêtement, que vous soyez ensemble, je m'en fiche éperdument. Je ne suis pas amoureuse de toi, Anatole, je suis ton amie, souligne-t-elle, un peu plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu. Que tu aimes les hommes, peu importe. Que tu aimes mon frère, je l'accepte. Mais que tu aies une si basse opinion de moi au point que tu me caches ça, c'est ça qui me met vraiment en colère."

Tête basse et yeux fuyants, il murmure un "désolé" presque inaudible qu'elle choisit d'ignorer, considérant que la sincérité n'y est pas. Godefroy semble de plus en plus mal à l'aise sous son regard, mais a au moins le courage de la regarder dans les yeux.

"Vous voyez, si vous m'aviez tout de suite dit ce qu'il se passait au lieu de mettre une distance entre nous - qui m'a vraiment blessée, soit dit en passant -, tout cela ne serait pas en train de se produire.

"Je ne dis pas que je n'aurais pas eu une réaction un peu déplaisante, parce qu'honnêtement, je ne sais pas ce que j'aurais fait, mais jamais je n'aurais fait quelque chose pour vous blesser de manière volontaire. Je ne dis pas que je suis parfaite, je pense que l'on a établi que je ne l'étais pas. Je dis juste que, parce que j'ai de l'affection pour vous deux, et parce que je ne veux pas vous perdre, j'aurais accepté et je vous aurais même aidé. Et nous nous serions marié, tout comme, parce que depuis nos fiançailles je voulais t'épouser, Anatole; non pas par amour, mais parce que tu es mon meilleur ami et je pensais que s'il fallait en épouser un, j'étais heureuse que ce soit toi. "

Le silence retombe lourdement sur eux, et Alexine se sent soudain vraiment fatiguée, à présent qu'elle a complètement vidé son sac. Sa robe la serre, ses yeux lui font mal et elle a l'impression qu'elle va s'écrouler d'un moment à l'autre, mais sa colère s'est éteinte et même si la douleur reste, elle est au moins satisfaite d'avoir dit tout ce qu'elle avait sur le coeur.

Finalement, c'est Godefroy qui prend la parole. Il a la joue rouge à présent, et cela lui apporte une petite pointe de satisfaction malgré tout.

"Je suis désolé, Alexine. Je pense qu'il y a eu trop d'incompréhensions entre nous, et même si tu m'as blessé auparavant, je vois à présent que je suis également en faute. J'ai rejeté le blâme sur toi et j'ai dit des choses horrible, alors je tiens vraiment à m'excuser. Je... Je sais combien tu tenais à Léontine, finit-il à mi-voix, visiblement peu fier de ses propres paroles.

-Je n'ai pas toujours été très tendre avec toi non plus, alors je te dois également des excuses, répond-t-elle, esquissant un petit sourire.

-Je pense qu'au niveau de la tendresse, on doit se valoir à peu près", fait-il, souriant à son tour.

Anatole s'éclaircit la gorge à ses côtés.

"Et je m'excuse, également. J'ai été idiot. (Alexine acquiesce gravement, ce qui fait sourire Godefroy et détend un peu Anatole.) Tu n'es, certes, pas la plus douce et empathique des filles, mais tu es mon amie depuis notre plus jeune âge. Il est vrai que tu me faisais franchement peur quand nous étions enfant, dit-il, sourcils légèrement froncés comme s'il se souvenait d'un très mauvaise souvenir. Cependant, ce temps là est passé depuis longtemps, et tu me connais mieux que personne, tout comme je te connais mieux que personne.

"Ma peur de te parler de mon - umh- orientation, en premier lieu, n'était fondée que sur mon propre petit théâtre interne. Mon angoisse à l'idée que je te dégoûte ou te perde m'a complètement rendu aveugle au fait que ça n'était que ma propre imagination. Quand j'ai commencé à avoir des sentiments pour Godefroy, cette angoisse a pris le dessus sur tout. Et quand nous avons débuté notre relation, je m'étais tellement persuadé que tu me détesterais que j'ai voulu à tout prix que tu ne le découvres jamais. C'était une erreur."

Si Alexine se retient de dire "non, sans rire?", c'est vraiment parce qu'elle a une volonté de fer.

"Je m'excuse, sincèrement, du fond de mon coeur, d'avoir entretenu des pensées aussi désobligeantes envers toi. Seulement, et cela n'excuse en rien ce que nous avons fait, mais essaie juste de te mettre un peu à notre place: nous sommes un couple de deux hommes dans une société qui pénalise ce genre de relations, alors je pense que nos peurs sont, quelque part, un peu fondées."

Lorsqu'elle le met en perspective de cette façon, elle réalise ce qu'ils avaient pu redouter tous les deux. Le monde n'est pas simple lorsque l'on aime quelqu'un du même sexe, et, même si Alexine est compréhensive, il n'en est pas de même pour une grande partie des personnes les entourant. Ceci dit...

"Dans ce cas, apprenez à fermer les portes à clé avant de vous sauter dessus, crétins", fait-elle, sans aucun mordant et avec un petit sourire.

Anatole vire au cramoisi tandis que Godefroy croise les bras sur sa poitrine, un petit sourire aux lèvres.

"N'est-ce pas, Anatole?

-Si tu ne t'accrochais pas à moi comme une sangsue dès que l'on passe la porte, j'aurais peut-être le temps de bien vérifier que j'ai tourné la clé!"

Les regarder ainsi se chamailler la ramène quelques années auparavant, et ce semblant de normalité lui fait énormément de bien. Ils ne sont plus les mêmes, et ils ne le seront plus jamais, mais au moins, ils sont ensemble, et c'est le plus important.

En parlant d'ensemble, cela lui fait penser...

"Lucie ne sait pas?"

Les deux pairs d'yeux ronds qui se tournent vers elle sont assez pour lui répondre.

Oh, pauvre fille.

——

Les mouvements du peuple leur laisse peu de choix, et quelques jours après les célébrations du mariage, ils sont déjà en train de se préparer pour un long voyage vers le centre de la France, où se trouve le frère de Rosalie, Audric, prêt à les accueillir.

Il avait été décrété qu'Alexine suivrait sa famille, et donc qu'Anatole la suivrait, elle. Les Castain partent plus au nord, et les Vayres retournent dans leur demeure d'origine. Cependant, de peur de perdre toute connexion entre les deux familles (et parce que Lucie leur avait demandé), Lucie fut confiée aux Villefort.

La séparation, de tous les côtés, avait très certainement été très compliquée, toutefois la certitude que ça n'était qu'un au revoir et non un adieu avait rendu cela plus supportable.

Ils avaient fait bon voyage malgré la peur, et Audric, sa femme, Jeanne, et leurs deux filles (la troisième étant mariée et chez son mari), Mathilde et Iseut, leurs avaient réservé un accueil chaleureux.

Ils s'étaient paisiblement installés dans le grand manoir, et la taille du domaine faisait définitivement la joie des plus petits (bien que l'on veille au grain à ce qu'ils ne s'éloignent pas trop). Mathilde et Iseut ayant des âges similaires aux leurs, et toutes deux étant d'une grande gentillesse, ne fait qu'aider l'intégration des enfants Villefort à leur nouvelle demeure.

Malgré tout, la peur et l'insécurité les rongent, et les nouvelles ne semblent pas très bonnes pour eux. Pour autant, la vie ne s'arrête pas.

——

——

Février 1790 —

Lettre froissée dans une main, Anatole, visage enfouie dans le cou d'Alexine, pleure à chaudes larmes. Augustine Castain s'est éteinte après avoir donné naissance à une petite fille, Luce, qui ne vivra pas au delà d'une semaine.

Sa mère est morte et il ne peut même pas aller à ses funérailles.

"Je suis désolée, Anatole" lui murmure-t-elle, une main caressant ses cheveux blonds avec douceur. Il n'y a rien d'autre à dire, et rien qu'il ne veuille entendre de toute manière.

C'est cruellement, tellement cruel. Ils étaient tellement certains qu'ils se reverraient dans à peine quelques mois.

Sur le bureau se trouve encore sa dernière lettre dans laquelle elle lui raconte avec une pointe d'humour les exploits de son jeune frère, et avec une pointe de désespoir, la tristesse de sa soeur. Edgar se porte bien, comme l'on peut s'y attendre, et son père est aussi solide que toujours (aussi désagréable aussi, même si elle ne l'écrit qu'à demi-mots).

Elle-même se porte parfaitement bien malgré sa grossesse, et a hâte de lui offrir une nouvelle petite-soeur (parce qu'elle sent que s'en est une).

Et s'en avait été une, une petite-soeur; seulement, elle n'avait jamais eu l'occasion de la tenir, et elle n'avait jamais eu l'occasion de grandir.

Et Anatole n'a jamais eu l'occasion de leur dire au revoir.

Godefroy les rejoint discrètement, et pose son doucement sa tête sur l'épaule tremblante de son amant, une main chaude et rassurante posée sur son dos.

Il n'y a pas de mots échangés.

——
Mai 1790 —

Alexine n'est pas jalouse de Mathilde, elle a juste un peu les nerfs à vif, et tout l'énerve. Mathilde est un peu comme un dommage collatéral, en quelque sorte. C'est une gentille jeune fille avec des beaux cheveux blonds et des jolis yeux bleus qui scintillent comme l'eau de l'océan au soleil, et il se trouve qu'elle a le même âge que Lucie. De par ce fait (et simplement par ce fait), il leur faut donc être les meilleures amies du monde.

Et Alexine, de trois ans leur aînée, n'est pas l’équation, ce qui est absolument tragique et inacceptable.

Lucie était son amie avant que cette petite blonde n'apparaisse.

Mathilde la regarde avec des yeux ronds lorsqu'elle s'assoit à côté d'elle sans rien demander alors qu'elles profitent du doux soleil de printemps en extérieur. Lucie lui adresse un grand sourire qui la satisfait entièrement, Iseut sourit timidement, tandis qu'Elaine lui envoie un regard suspicieux. Il est vrai qu'Alexine n'a pas pour habitude de se joindre au groupe, pas lorsqu'elles sont toutes les quatre ensemble, en tout cas. Apparemment, sa 'maturité' ne convient pas au groupe de jeunes femmes non-mariées et plus jeunes.

Et il est vrai qu'Alexine préfère son piano ou Anatole (et par extension, Godefroy), la plupart du temps, simple question de facilité. Au moins, il n'y a personne qu'elle pourrait possiblement vexer de ses paroles. Mathilde et Iseut ont l'air fragiles, et Alexine n'est pas certaine que Rosalie lui pardonne si elle se met à dos les filles de son frère (qui les accueille gracieusement, rappelons-le).

"De quoi parliez vous?" demande-t-elle, mine de rien, rejetant une longue mèche rousse derrière son épaule.

Lucie, comme à son habitude, ne semble pas le moins du monde touchée par le malaise les entourant.

"Nous parlions d'enfants, et de combien nous voulions en avoir", répond-t-elle avec un grand sourire.

Ah, oui. Sujet de conversation fascinant. Elle pose son regard sur sa soeur, qui hausse les épaules, lèvres pincées, puis sur Mathilde qui esquisse un petit sourire.

"Et combien d'enfants voudriez vous, toutes?"

Connaissant Lucie, elle en voulait sans doute une petite armée. Elle espère qu'ils auront son caractère plutôt que celui de Godefroy. Elaine en voudrait avec Anatole, sans nul doute, et probablement le moins possible. Elle n'a jamais été bonne avec les enfants. Mathilde et Iseut... Alexine n'en a aucune idée. Probablement quatre ou cinq ou dix, qui sait.

"Je pense que cinq est un bon nombre! Trois garçons et deux filles, c'est bien, non?" fait Lucie, ses grands yeux marrons se baladant de fille en fille.

Encore une fois, Alexine prie pour qu'ils soient tous comme elle, ses enfants. Quoi qu'il en soit, son rêve ne semble pas si compliqué. Contrairement à Anatole, Godefroy ne semble pas avoir de problèmes à s'imaginer avec une femme. Anatole... Disons que le mariage n'est pas prêt d'être consumer à cette vitesse. Pas qu'Alexine soit vraiment pressée non plus. Coucher avec Anatole n'est pas vraiment dans sa liste de choses à faire absolument, loin de là. Enfin, il faudra bien, un jour, qu'ils se décident à essayer, ou les choses vont prendre une mauvaise tournure.

"C'est un bon nombre, affirme-t-elle sagement. Et toi, Elaine?

-Deux enfants c'est déjà pas mal", répond sa jeune soeur, sourcils froncés et manque d'envie flagrant. Alexine laisse un sourire se dessiner sur ses lèvres. C'était prévisible.

"Espérons que ton mari soit de cet avis."

La notion d'un mari la rend encore plus bougonne, et elle murmure quelque chose pour elle-même qui sonne drôlement comme "il n'aura pas le choix". Il n'y a pas encore eu (à la connaissance d'Alexine) de candidats potentiels, ni vraiment le temps d'y penser avec le climat actuel des choses, mais Elaine a quatorze ans à présent, et Rosalie n'est pas franchement du genre à être patiente. Que ce soit par sécurité ou simplement par praticité, ses enfants seront vite fiancés. Alexine lui donne un délai de deux ans avant qu'elle n'ait un fiancé.

Honnêtement, elle est plutôt impatiente de voir quel pauvre garçon sera choisi pour être le mari d'Elaine. Qui qu'il soit, elle lui souhaite bien du courage.

Elle se détourne de sa soeur pour reporter son attention sur Mathilde, qui tente de fuir son regard immédiatement. Visiblement, Alexine est toujours aussi intimidante qu'elle l'était dans son enfance.

Parfait.

"Et toi, Mathilde, quel serait ton souhait?

-Oh, je pense comme Lucie, cinq enfants. Quatre ça n'est pas si mal non plus..."

Bah tiens, ça l'aurait étonnée aussi, qu'elle pense autre chose que comme Lucie. Franchement, elle pourrait penser d'elle-même. Alexine ne retient de ne pas lever les yeux au ciel, lui adressant un joli sourire qui n'atteint pas ses yeux en échange.

"Je vois. Je suis certaine que ton mari en sera très heureux."

Mathilde lui sourit également, mais il est clair qu'elle est également peu à l'aise avec le sujet. Elle a quinze ans déjà, et pas l'ombre d'un mariage se profile à l'horizon. Contrairement à sa soeur, Audric est un peu laxiste et assez peu concerné par le mariage de ses filles. Hermine, la fille aînée, a épousé un homme non-noble bien que possédant une fortune non-négligeable, mais surtout, un homme qu'elle aime. Elle imagine que Mathilde, elle-aussi, aura le choix - un vrai choix, pas l'illusion de choix qu'Alexine et Anatole avaient eu.

Peut-être que cela la rend un peu jalouse. Elle n'est pas mécontente de son mariage, mais elle n'en est pas satisfaite non plus. C'est un peu dur de se dire que l'on s'est mariée avec un homme qui ne la désirera jamais, surtout quand l'on est, comme Alexine, très fière de son physique. Elle estime qu'il est son atout principal, et la voilà avec un homme qui n'en pense rien.

Honnêtement, ça fait un peu mal.

Honnêtement, elle se sent mal.

Enfin, il est trop tard pour avoir des regrets à présent - ni même une illusion de regrets. Ils sont mariés jusqu'à ce que la mort les sépare, et elle a juré qu'elle garderait à jamais le secret de son mari, même s'il lui en coûte.

De toute manière, il n'y a pas de retour en arrière possible.

Elle s'habille de son plus beau sourire, tasse ses pensées et se tourne vers la petite Iseut.

"Et toi, Iseut?"

Elle aussi, le temps venu, elle aura le choix.

Alexine sait qu'elle n'est pas très juste de les détester pour quelque chose comme ça, mais il lui faut bien quelqu'un à qui en vouloir.

Après tout, elle ne peut pas haïr son propre mari.

——

Il n'y a pas d'épiphanie soudaine, de grand moment de réalisation ou même de choc. C'est quelque chose de progressif, de silencieux; c'est une succession de petites choses qui la font se rendre à l'évidence.

Alexine a des sentiments pour Lucie, c'est un fait avéré et elle ne peut rien y faire.

C'est la proximité avec Mathilde qui lui a vraiment mis la puce à l'oreille, mais en réalité, cela fait bien longtemps qu'elle en est plus ou moins consciente. Elle a toujours eu un faible pour la petite Vayres, bien que ce fut totalement innocent et par adoration pendant de longues années.

Mais Lucie a bien grandi, et avec elle, les sentiments d'Alexine aussi.

Accepter qu'elle aime les femmes tout comme elle aime les hommes n'est pas vraiment une étape difficile pour Alexine. De un parce que cela fait déjà un moment qu'elle a commencé à avoir des doutes, et de deux parce que Godefroy est comme elle. Elle l'a accepté lui et son mari, alors elle ne voit pas pourquoi elle ne pourrait pas s'accepter elle.

De toute façon, ça n'est pas comme si elle allait agir sur ses désirs, elle.

Avoir des sentiments pour Lucie, c'est une toute autre affaire bien plus compliquée. Lucie est plus qu'une petite amourette de passage; elle est sa meilleure amie et fait partie de sa famille, et elle ne peut pas se permettre de perdre cela. Il y aussi le très clair fait que Lucie n'a pas ce type d'attirance pour les femmes, et qu'elle va se marier avec son très cher frère.

Elle commence un peu à comprendre Godefroy et Anatole à présent, et leur peur d'étaler au grand jour leurs sentiments, même à quelqu'un de confiance.

Et elle commence aussi à vraiment comprendre qu'ils n'aient pas pu résister à leurs sentiments et désirs. Après tout, si Lucie partageait les mêmes sentiments avec elle, elle n'est pas certaine de pouvoir la repousser. Enfin, la question est vite réglée considérant que ça n'est absolument pas le cas.

Elle devait avoir fait quelque chose de vraiment horrible dans une vie antérieure pour mériter tout ça.

Alexine hésite longuement, mais finit par se dire qu'il n'est pas nécessaire d'informer Anatole de ses sentiments. Par culpabilité, il serait capable de l'encourager à agir, et cela finirait par poser des problèmes. Godefroy n'est pas une option non plus, surtout parce qu'il serait capable d'en faire allusion à Lucie et lui mettre la puce à l'oreille.

Pour des raisons évidentes, Lucie est également rayée de la liste.

Et encore une fois, Alexine réalise à quel point son cercle d'ami est limité. Considérant le fait que c'est probablement uniquement de sa propre faute, elle n'a pas franchement le droit de se plaindre.

Enfin, manquerait plus qu'elle aille faire copine-copine avec Mathilde, ça serait la cerise sur le gâteau.

De toute manière, elle en vient à la conclusion qu'il est mieux que personne ne le sache du tout, comme ça il n'y a aucun risque que Lucie s’aperçoit de quelque chose. Un secret n'est jamais mieux gardé que lorsqu'il n'est jamais divulgué.

Et même si ça fait mal, le piano sera le seul témoin de sa douleur.

——


Alexine Castain ♠︎  « No one can rewrite the stars; 200509025632133765
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Alexine Castain
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Alexine Castain

En bref

Féminin
Messages : 19



Histoire


Septembre 1791 —

"C'est un morceau bien triste."

Alexine devrait être habituée aux personnes se faufilant derrière elle lorsqu'elle joue, mais non, elle sursaute toujours. Lorsqu'elle se retourne, elle s'attend à voir Lucie, comme d'habitude (elle est la seule qui commente sur les émotions), cependant au lieu de sa charmante chevelure brune, c'est la longue crinière blonde de Mathilde qui l'attend.

Nul besoin d'être charmante, dans ce cas.

"C'est un morceau comme un autre", répond-t-elle, sans prendre la peine de cacher son irritabilité. Aujourd'hui, elle n'est vraiment pas d'humeur à faire une gentillette conversation. Elle se détourne de Mathilde rapidement, mais ne repose pas ses doigts sur les touches. La présence de la jeune femme lui enlève son envie de jouer.

Elle est presque certaine que Mathilde lève les yeux au ciel. Toutefois, elle ne part pas.

"Tu aimes trop la musique pour vraiment penser cela."

Alexine serre les dents et ferme les yeux. Ne pas se disputer avec les filles de son oncle, on respire.

"Parce que tu me connais si bien, n'est-ce pas?" dit-elle, yeux rivés sur la partition. Bien sûr, Mathilde a vu juste, c'est un morceau triste, et Alexine est triste, mais elle n'a pas envie de le lui admettre à elle.

Il y a un soupire derrière elle et le bruit de froissement d'une robe. Elle doit croiser les bras sur sa poitrine.

"Je ne suis juste pas aveugle. Et si tu ne me détestais pas sans raisons, nous pourrions peut-être faire connaissance."

Son ton sec prend un peu Alexine par surprise. Mathilde est d'un naturel très doux et avenant, alors elle doit vraiment être frustrée pour lui parler de cette manière. D'un côté, ça n'arrange pas l'humeur d'Alexine; d'un autre, elle trouve qu'elle ne déteste pas cette nouvelle facette de la personnalité de la jeune fille.

Elle prend la partition dans ses mains et commence à la feuilleter sans vraiment la regarder.

"Je ne te déteste pas, dit-elle sur le même ton, je n'ai juste pas envie d'apprendre à te connaître."

Ca n'est ni vraiment vrai, ni vraiment faux. Elle n’arbore par de sentiments de haine envers Mathilde, mais elle déteste plutôt l'essence même de son existence, c'est différent. Enfin, elle ne le prendra pas beaucoup mieux, alors.

"Et pourrais-je savoir pourquoi donc?" demande sa cousine, voix ne laissant transparaître aucun sentiment si ce n'est de l'irritabilité. Elle n'a pas l'air blessée par ses paroles, en tous les cas.

Alexine referme la partition et la repose sur son support.

"Tu ne m'intéresses pas, c'est comme ça."

Et sur ce, elle se lève et se tourne vers Mathilde qui la regarde, très peu impressionnée, bras croisées sur sa poitrine. Elle est un peu plus grande qu'Alexine malgré leurs trois ans de différence, et même si Alexine se fiche éperdument de sa taille, elle n'aime pas le fait que ça lui donne le dessus sur un point.

"Vraiment? Juste ça? C'est un peu... puéril et arrogant comme attitude, non?"

Alexine mimique sa position, croisant ses bras sur sa poitrine, le regard dur.

"Et? Tu crois que j'en ai quelque chose à faire? Parce que tu te trompes, Mathilde. Je me fiche de ton opinion, donc tu peux la garder."

Oui, bon, on repassera pour le "ne pas se mettre ses cousines à dos", mais elle l'a cherché.

La blonde ne se démonte pas malgré le ton glacial d'Alexine, et elle monte un peu dans son estime malgré tout. Ça fait du bien de voir quelqu'un qui ne fuit pas son regard et évite la confrontation avec elle. C'est rafraîchissant.

"Très bien. Au moins, je vois que je ne me suis pas trompée sur ton sujet: tu es vraiment une personne abjecte, Alexine."

Eh bien, elle ne lésine par sur les mots, la petite Mathilde. Elle doit vraiment la détester pour qu'un être si doux lui adresse des mots si durs.

Pas qu'Alexine en ait quelque chose à faire. Elle hausse les épaules.

"Bon, si tu as fini de me juger et de me donner ton opinion sur ma personne, est-ce que je peux partir? J'ai d'autres choses plus importantes à faire que de me prendre le bec avec une personne sans importance."

Encore une fois, si ses mots la blesse, Mathilde ne laisse rien paraître sur son visage, si ce n'est une extrême méprise. C'est une jolie expression sur son visage, vraiment. La conversation a au moins eu le mérite de faire monter en flèche son intérêt pour elle, même si Alexine s'efforce à lui faire comprendre le contraire.

Sûrement, c'est l'ennui et la tristesse qui la poussent à continuer ce petit jeu, mais il n'empêche que c'est plutôt amusant.

Mathilde rejette une longue mèche blonde par dessus son épaule, prenant tout son temps pour lui adresser un dernier regard hautain avant de se décaler légèrement vers la droite.

"J'ai fini, en effet. J'ai assez vu ton détestable visage pour aujourd'hui, tu peux y aller."

Oh, quel petit ange. Alexine lui adresse son plus beau sourire hypocrite, prenant soin de l'effleurer en passant à côté d'elle.

"Passe une belle journée, Mathilde."

Elle ne lui répond pas, et Alexine ne se retourne pas.

——

Mai 1992—

Honnêtement, Alexine s'ennuie à mourir.

La mariage de sa cousine (du côté d'Honoré) est quelque chose de discret et sobre, et s'ils ont fait le déplacement depuis leur jolie campagne, c'est vraiment parce qu'il s'agit de leur famille. Honoré est très heureux de revoir son frère, et c'est réciproque, et Alexine est contente de voir un peu de monde différent, et c'est très bien, mais mon Dieu, que c'est ennuyant.

Sophie est très jolie, certes, et elle a l'air plutôt heureuse aux bras de son mari, un certain Georges de Baulny, grand brun aux yeux bleus et une démarche un peu gauche. Au moins, ils ont l'air d'avoir un minimum de sentiments, mais Alexine ne saurait trop dire. Après tout, on lui avait souvent dit qu'elle et Anatole avaient l'air très amoureux.

Alors que, bon, Anatole est très amoureux, certes, mais de son frère.

D'ailleurs, les deux sont ensemble, en train de discuter avec le plus jeune de leur cousins, Joseph, et une jeune femme dont elle n'a pas le nom, mais semble être très proche du garçon. Les Gueret ont choisi de ne pas faire le déplacement (ce qu'Alexine comprend, surtout en cette période), et Alexine regrette un peu l'absence de Mathilde. Au moins, avec elle, elle n'aurait pas le temps de s'ennuyer entre deux pics.

Les Castain ne sont pas là aussi, et là encore, Alexine en viendrait presque à regretter Edgar, qui, à défaut d'être très bavard, avait des expressions très amusantes lors de ce genre d'événements. Enfin, à en croire les dires, bientôt ce sera au mariage de Lucien qu'ils assisteront; Alexine se garde bien d'en faire des commentaires à Anatole, toujours accablé par la mort de sa mère. Même si elle ne dit rien, elle n'en pense pas moins.

Les Vayres (juste les parents) avaient fait le déplacement, et c'était avec eux qu'était Lucie. Cela faisait un petit moment qu'ils s'étaient vu, et Alexine leur laisse donc quelque temps pour se retrouver.

Quand à eux-mêmes, ils avaient décidé de laisser les plus jeunes (Camille, Louis, Rose et Constantin) sous la tutelle d'Audric et de Jeanne. Alexine soupçonne qu'à l'origine, sa mère ne souhaitait juste pas avoir Camille dans les pattes, mais que la laisser seule et prendre ses frères et sa sœur auraient causé un scandale. Bien sûr, Camille, forte de ses 11 ans à présent, avait protesté, sans obtenir gain de cause, bien entendu, pour le plus grand plaisir des plus âgés. Camille a beau avoir grandi, elle reste une jeune fille... Compliquée.

Si Honoré était en train de rire avec son frère, Rosalie, une main ferme posée sur le bras d'Elaine, parle avec une femme d'âge moyen dont le nom échappe à Alexine. A côté d'elle se trouve deux garçons, probablement ses fils, et à partir de ça, il n'est pas compliqué pour elle de comprendre ce qui est en train de se passer. A en croire la posture rigide d'Elaine, elle aussi comprend le manège de sa mère.

Pauvre fille.

Alexine se tâte à aller les retrouver (simplement parce que cela lui semble incroyablement drôle à regarder), mais hésite avec Anatole, Godefroy, Joseph et sa cavalière qui semblent s'amuser énormément. N'ayant finalement pas trop envie d'être courtoise, elle décide que rejoindre les trois garçons est préférable.

Un verre de vin rouge à la main, elle s'approche d'eux avec un grand sourire. Joseph, la voyant arrivée, le lui rend immédiatement.

"Alexine, vient donc parier combien de temps ta chère petite sœur va tenir avant de renverser son verre sur l'un des garçons Horville."

Ah, ils sont tous sur la même page, semble-t-il. La jeune femme à côté de lui lui donne un gentil coup de coude.

"Moins fort, ils vont nous entendre."

Anatole l'accueille avec un sourire et une main sur le milieu de son dos (jamais sur le bas, bien sûr), et Godefroy tente de noyer son rire dans son verre. Alexine repose son regard sur la silhouette tendue de sa sœur avec un sourire en coin.

"A vu d’œil, elle en est au stade des prières. Je lui donne une quinzaine de minutes avant qu'elle ne trouve un moyen de s'échapper.

- Une quinzaine? C'est généreux, tout ça, dit Joseph, l'air pensif. Je lui en donnais cinq, mais elle a l'air de bien tenir.

-Oh, elle a plus d'endurance que ça, ne la sous-estime pas, réplique Anatole. Elle supporte Godefroy et ma chère femme à longueur de journée depuis sa naissance, après-tout."

Alexine lui écrase le pied sans ménagement, ce qui provoque un cri étouffé et Rosalie tourne la tête rapidement en leur direction pour les assassiner du regard. Elaine tourne également la tête, mais c'est plus pour tenter de trouver une distraction. Son regard désespéré traîne un peu trop longtemps sur Anatole, qui lui adresse un petit sourire désolé. Ils ne peuvent pas la sauver maintenant.

Les deux garçon les regarde aussi, à présent, et Alexine se demande lequel sa mère essaie de mettre avec sa sœur. Elle espère que c'est celui de droite, avec son grand sourire et ses cheveux en arrière, parce que l'autre a l'air un peu mou et Elaine n'en ferait qu'une bouchée même si elle fait deux têtes de moins que lui. Au moins, le premier a l'air d'être mentalement résistant.

Ils finissent par tous se détourner d'eux, et Godefroy s'empresse de demander:

"Vous pensez que c'est lequel des deux, le candidat?"

La jeune femme (dont Alexine ne connaît toujours pas le nom, mais note la beauté de ses yeux gris) sourit.

"C'est Mathieu, celui de droite, j'en mettrais ma main à couper.

-Oui, c'est sans doute lui; il est plus âgé et toujours célibataire", Joseph acquiesce sagement.

Très bien, parfait, son préféré.

"Ça va être un beau spectacle."

Alexine, au fil de la discussion, finit par obtenir le nom de la jeune femme; il s'agit de la cousine du marié, Elisabeth Perret, une jolie demoiselle très amie avec Joseph depuis quelques années. C'est une demoiselle charmante qui ne manque pas de répartie ou de commentaires à faire, et Alexine regrette qu'elles n'aient pas l'occasion de se voir plus souvent.

Elaine, quand à elle, tient au moins vingt-cinq minutes avant de s'excuser, prétextant un malaise pour s'échapper dehors. Elle passe le restant du mariage à jouer à cache-cache avec sa mère, toutefois lorsqu'ils repartent la journée d'après, il semble qu'elle ait tout de même parler un peu plus à ce fameux Mathieu.

"C'est un goujat de la pire espèce", dit-elle, les joues rouges et une moue boudeuse sur le visage.

Alexine n'aura pas plus de précisions, bien malheureusement.


——

Juillet 1792 —

L'anniversaire d'Amaury Villefort, le fils de Charles-Eugène et Zéphyrine, est plus une excuse pour se retrouver en famille qu'autre chose; en vu du climat politique, ils en ont bien besoin. Cela fait un petit bout de temps qu'Alexine n'a pas eu l'occasion de revoir son frère aîné, et les petits garçons ont bien grandi, déjà. Ils ont tous deux la chevelure noire de leur mère, mais les même yeux verts de leur père.

Si Simon est un enfant calme, il ne peut en être dire de même sur Amaury. Ensemble avec Camille et Louis, ils forment un trio infernal qui apporte désolation et terreur sur leur passage.

Si Alexine les trouve amusant de loin, elle les trouve terrible lorsqu'elle doit les poursuivre dans les couloirs du manoir. Lucie, Godefroy et Anatole sur ses talons, elle se guide aux éclats de rire enfantins et se laisse porter par son envie de les étrangler. Bien entendu, on les a chargés de la lourde tâche de garder un oeil sur Camille et Louis, et bien entendu, Rosalie va les étrangler eux s'ils cassent quelque chose ou se cassent quelque chose.

Heureusement, pour l'instant, cela ne semble pas le cas, mais ne saurait tarder.

"Je suis sûr qu'ils ne font rien de mal, Alexine, lui dit Godefroy, le ton traînant à l'image de ses pieds sur le sol.

- Je ne parierais pas là dessus."

D'une porte entrouverte sur leur droite provient un grand éclat de rire, celui de Camille, et Alexine se demande à quelle sauce elle va bien pouvoir les manger, tous. Elle la pousse avec un peu plus de force que nécessaire, la faisant claquer contre le mur violemment, et attirant l'attention des trois terreurs dont le sourire s'efface immédiatement.

"Est-ce que je peux savoir ce que vous n'avez pas compris dans 'pas d'exploration du manoir' au juste?"

Louis adopte immédiatement une posture de honte, tête et épaules basses, tandis que Camille affiche une moue boudeuse. Amaury s'empresse de descendre de la chaise installée près du bureau de son père, son expression indiquant qu'il est conscient qu'ils n'ont pas le droit d'être ici.

"On ne fait rien de mal", réplique Camille, beaucoup plus brave (ou juste franchement inconsciente) que les deux autres.

Avant qu'Alexine n'ait le temps de l'incendier, Lucie prend le relais, s'avançant dans la pièce avec son petit sourire rassurant.

"Peut-être, mais on vous a dit que vous n'avez pas le droit de monter à l'étage, non?"

Les trois enfants hochent la tête lentement, et Lucie croise les bras sur sa poitrine, fronçant les sourcils pour se donner un petit air sévère qui la rend juste franchement plus adorable. Alexine a envie de la prendre dans ses bras, encore une fois.

"Elle vous a peut-être l'air bête, mais c'est une règle, alors vous devez la respecter. Vous comprenez?"

Encore une fois, ils hochent la tête en parfaite unisson, et Lucie perd immédiatement son air sévère pour afficher un grand sourire.

"Bien, alors retournons ensemble en bas."

Camille a l'air à deux doigts de protester, mais le regard insistant de sa soeur et de son frère semble la convaincre qu'elle n'a vraiment pas si envie que ça d'être à l'étage. Elle souffle un petit 'd'accord' et ils sortent tous de la pièce en file indienne, Lucie fermant la marche, ses mains sur les épaules de Camille. Elle est à peine plus grande que la jeune adolescente, et Alexine ne peut s'empêcher de trouver ça adorable.

Une fois la pièce évacuée, Alexine prend en compte le bazar dans le bureau. Connaissant Charles-Eugène, ça n'est définitivement pas ainsi que la pièce est en général. Elle soupire.

"Vous venez? demande Lucie, se tournant vers elle et les deux garçons.

-Je vais ranger un peu leurs bêtises et je vous rejoins.

-Je vais t'aider", interjette Anatole, sans grande surprise

Godefroy semble hésiter entre raccompagner les monstres et Lucie, ou nettoyer. Son regard se pose sur Anatole, et cela semble gagner la bataille.

"Je reste aussi. Tu vas pouvoir te débrouiller? demande-t-il doucement à Lucie, qui lui adresse un sourire en retour.

-Oui, bien sûr! S'il le faut, j'en croque un", dit-elle avec un clin d’œil qui fait fondre le cœur d'Alexine, et fait sourire Anatole et Godefroy.

Sur ce, elle se détourne d'eux, poussant Camille doucement vers l'avant.

"En route mauvaise troupe!"

Une fois que la présence lumineuse de Lucie s'est éloignée, Alexine repose son regard sur le désastre de la pièce. Désolant.

"Je m'occupe du bureau, dit-elle aux deux grandes perches à côté d'elle, vous faites le reste. Le premier bruit suspicieux que j'entends, je vous poignarde avec une plume.

-Bien capitaine", répond Godefroy, sourire amusé audible dans sa voix.

Le bureau est sans dessus-dessous, c'est à se demander si Amaury n'a pas passé deux jours entiers à le désorganiser. Elle commence par remettre un peu d'ordre dans les papiers et replacer les plumes soigneusement. De grâce, il n'a pas renversé d'encre, malgré le fait que le pot soit ouvert. Enfin, même s'il l'avait fait, Amaury n'est pas sa responsabilité alors on ne pourra pas la blâmer pour ça...

Un papier attire son attention dans le tiroir grand ouvert juste à la droite du bureau. Il s'agit d'une lettre comme il y en a beaucoup sur le bureau, sauf que celle-ci lui semble différente. L'écriture délicate, la jolie signature, les quelques mots qui attirent le regard... Elle n'est pas une fouineuse, mais sa curiosité est piquée et elle prend la lettre dans ses mains.

Elle le regrette presque immédiatement.

Le parfum est la première chose qui la choque.

Les mots sont ce qui la prend à la gorge.

L'implication est ce qui la met vraiment en colère.

"Le salopard."

Les mots s'échappent de sa bouche, et elle ne les regrette pas. La colère monte, rapide et monstrueuse, si intense qu'elle en tremble presque. L'image de Zéphyrine et son beau sourire est omniprésente dans son esprit; douce, gentille, adorable Zéphyrine, qui aime son mari et ses enfants du fond de son coeur.

Elle ne mérite pas ça.

"Alexine? Qu'est-ce qu'il y a?" demande Anatole non-loin d'elle, mais c'est Godefroy qui arrive à côté d'elle en premier.

"Alexine?"

D'un geste nonchalant, elle plaque la lettre contre le torse de son frère, le calme de son expression et de ses mouvements cachant un feu ardent.

"Je vais le tuer", dit-elle alors qu'Anatole pose un main sur son épaule, regard rivé sur Godefroy, dont le visage se décompose un peu plus au fil des lignes.

Lorsqu'il arrive à la dernière ligne, son visage se ferme entièrement. Sans dire un mot, il donne la lettre à Anatole, qui la lit à son tour.

Alexine, elle, est sur le point d'exploser. Elle a pesé le pour et le contre faire irruption dans le salon pour assassiner son frère, et le pour remporte largement la bataille dans son esprit étouffé par la colère.

Godefroy semble s’apercevoir de ses intentions puisque lorsqu'elle se tourne vers la porte, il l'arrête d'une main ferme.

"Où comptes-tu aller, Alexine?" demande-t-il même s'il est clair qu'il a compris ce qu'elle veut faire.

"Je vais lui remettre les idées en place", répond-t-elle avec euphémisme, yeux rivés sur la porte avec obstination plutôt que sur son frère. Anatole semble avoir finit sa lecture puisqu'elle entend une injure à mi-voix.

Godefroy soupire.

"Bien que l'idée me réjouis, je ne pense pas qu'elle soit bien sage, et tu le sais très bien."

Alexine a bien envie de lui mettre sa soudaine sagesse là où elle le pense. C'est un peu culotté de sa part de lui parler de sagesse, surtout venant de lui.

Elle lève les yeux vers lui, déterminée à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Pas là-dessus, pas maintenant.

"Je pense, au contraire, que c'est une excellente idée. Zéphyrine a le droit de savoir, affirme-t-elle, la gorge serrée.

-Si elle ne le sait pas déjà", fait la petite voix d'Anatole derrière elle.

Elle se tourne vivement vers lui, sourcils froncés. Bien que la pensée lui avait traversé l'esprit, elle l'avait vite balayée de son esprit tant elle lui est douloureuse. Peut-être qu'elle se sent un peu trop concernée par toute cette histoire pour être vraiment objective, pour voir les choses en face.

Anatole lui adresse un petit sourire attristé, l'air pitoyable.

"Tu y as pensé, n'est-ce pas? Il est probable qu'elle le sait déjà et le cache."

Il ne dit pas 'comme toi avec nous', mais le sous-entendu est là, et Alexine n'aime pas la façon dont son coeur se serre.

Sa colère (sa peine) est plus profonde qu'elle n'apparaît en surface. Si l'idée que Charles-Eugène trompe sa femme lui est si insupportable, ça n'est pas juste parce que c'est un acte qu'elle pensait indigne de son grand-frère adoré, ou ignoble pour la pauvre Zéphyrine, bien que cela a un grosse importance, mais parce qu'elle se voit dans Zéphyrine.

La trahison, la solitude, la tristesse, la colère qu'elle ne peut pas exprimer, l'insécurité qui en découle, et l'impuissance, si forte et imposante. Elle est spectatrice de son propre destin, et même si elle a parfois l'illusion du choix, l'illusion qu'elle a le contrôle sur quelque chose, elle sait, au fond, que ça n'est pas vrai.

Elle est bloquée dans un mariage sans amour avec un garçon homosexuel qui sort avec son demi-frère, et elle ne peut même pas être en colère contre lui ou Godefroy ou qui que ce soit. Elle est bloquée dans ce mariage alors qu'elle aime une femme, qui plus est, la future femme du dit demi-frère, et elle ne peut rien faire pour changer sa situation.

Putain de belle vie.

Les larmes commencent à couler d'elles-mêmes; elle les a garder sous chaîne pendant trop longtemps, et la situation n'a fait que les déclencher.

"Alexine, murmure tout doucement Anatole, posant une main sur son épaule en guise de réconfort.

-C'est juste, c'est trop horrible pour Zéphyrine, c'est trop injuste", articule-t-elle entre deux sanglots.

C'est trop injuste pour moi.

Anatole la prend dans ses bras, et au lieu de la réconforter, sa chaleur la rend encore plus triste.

Peut-être que dans un autre monde, ils auraient pu vraiment s'aimer.

Peut-être que dans un autre monde, elle aurait pu être libre de décider de son propre destin.

La main qui caresse ses cheveux et la douce voix qui murmure 'désolé' ne font rien pour arrêter le torrent d'émotions qui lui transperce le cœur.

Elle ne veut pas qu'il soit désolé, elle ne veut pas qu'ils aient tous à souffrir de cette vie. Elle veut qu'ils soient tous heureux, libre d'être avec la personne qu'ils aiment vraiment sans avoir la peur au ventre à chaque seconde qui passe.

Mais ça n'est pas possible, n'est-ce pas?

Elle n'a que ses yeux pour pleurer.

——

Si elle décide de ne rien dire à Zéphyrine, ou d'accrocher Charles-Eugène, elle n'est pas tout à fait capable de cacher ses sentiments, pas cette fois. Ses yeux sont gonflés et la façon dont Anatole la colle pendant toute la soirée, et l'attention particulière que lui porte Godefroy sont des signes plutôt flagrant que quelque chose s'est passé pendant le laps de temps où ils étaient tous trois dans le bureau.

Cela lui fait mal au coeur de mentir à Lucie, mais, tristement, elle commence à en avoir l'habitude. Il y a trop de choses qu'elle ne peut pas se permettre de lui dire, et Lucie porte ses sentiments sur son visage.

Il n'y a pas certitude que Zéphyrine ait connaissance de l'amante de son mari, mais par précaution, et si elle venait à briser tout ce que sa belle-soeur avait eu le courage de construire, elle s'en voudrait à jamais.

Après, si après tous les sacrifices qu'Alexine a fait, l'on venait briser avec perte et fracas la parfaite façade de son mariage, elle n'est pas certaine de s'en remettre un jour.

Le trio évite du mieux qu'ils le peuvent de se retrouver avec Charles-Eugène. Alexine sait que, venant d'elle, ne pas parler avec son grand frère alors qu'elle en a l'occasion est très étrange, mais n'a pas confiance en sa capacité à se contrôler face à lui.

Le mythe si parfait de son grand frère s'effrite depuis déjà quelques années, et cela même si elle s'était désespérément accrochée à lui - ou plutôt, à l'image parfaite qu'elle la jeune enfant impressionnable s'est faite de lui. Et l'image de son père, bien sûr, qu'elle n'a pu imaginer qu'à travers lui et les récits dont on lui faisait part (trop peu nombreux, trop peu satisfaisants).

Elle a appris, depuis le temps, à faire une différence entre Valantin Donnet et Charles-Eugène Villefort, mais une partie d'elle fera toujours un peu le rapprochement, faute d'autre référence.

Mais voilà que le mythe vole (enfin) en éclats, et Alexine se sent vide.

Toute cette admiration, toute cette douleur, toute cette solitude qu'il lui a imposé, et tout ça pour.... Ca? Un frère qui lui accorde à peine un regard et trompe sa femme sans aucun remords, et Dieu seul sait quoi d'autre.

Charles-Eugène est juste un autre homme, et elle est juste une autre idiote.

——


Lorsqu'ils rentrent au manoir Gueret, Alexine prétexte être malade et s'enfonce dans ses draps pendant plusieurs jours.

Elle ne pleure pas (elle en a assez de verser des larmes), mais refuse de voir qui que ce soit et passe ses journées à regarder le plafond ou la fenêtre, désabusée et vide.

La vie n'a plus rien à lui offrir à part de la peine, il semble.

Et Alexine ne peut rien faire d'autre que de l'accepter.

——

Contre toutes attentes, c'est Godefroy qui fait le premier pas.

Il rentre sans toquer dans la chambre de sa soeur et impose sa présence en s'asseyant sur son lit comme s'il était dans sa propre chambre.

"Tu as l'air absolument horrible", est la première chose qu'il lui dit lorsqu'elle pose ses yeux sur elle, surprise évidente sur son visage fatigué.

"Sans vouloir te faire offense", rajoute-t-il, nonchalant.

Si Alexine ne s'était pas sentie si fatiguée jusqu'aux os, elle lui aurait jeté un de ses nombreux oreillers à la figure. A la place, elle le regarde fixement, sourcils vaguement froncés.

"Qu'est-ce que tu veux?

-Juste des nouvelles de ma grande soeur adorée, fait-il, sourire espiègle sur le bout des lèvres. Alors, comment va-t-elle?"

Alexine soupire, détournant ses yeux de lui pour regarder par la fenêtre. Le soleil est au rendez-vous aujourd'hui aussi; elle a un peu l'impression qu'il se moque d'elle et de son humeur morose.

"Très bien", dit-elle, bien que ce soit très clairement faux. Elle n'est pas d'humeur à jouer au chat et à la souris avec Godefroy. Bien sûr, elle sait qu'il ne va pas la laisser tranquille avant d'avoir obtenu ce qu'il veut; elle n'est pas certaine de ce que c'est, et elle n'a pas vraiment envie de le découvrir.

"Vraiment? Dans ce cas, que fait-elle au lit passé midi?" dit-il, et elle n'apprécie pas le ton amusé qu'il prend.

"Ce que je fais ne te concerne pas", répond-t-elle sans lui adresser un regard, désintéressée et lasse.

Lorsque Godefroy ne répond pas et qu'elle sent qu'il se lève du lit, elle pense d'abord qu'il va tout simplement s'en aller; mais, bien sûr, ça n'est pas du tout ce qu'il a en tête. Au contraire, il fait le tour du lit pour venir se planter entre son regard et la fenêtre, comme l'insupportable garçon qu'il est. Il croise les bras sur la poitrine, toute trace d'amusement ou d'espièglerie absente sur son visage.

"C'est ce que tu crois, mais ça n'est pas le cas. Ta santé, ton humeur, et même ton bonheur, tout cela me concerne. Je pensais c'était clair, depuis le temps."

Elle lève les yeux au ciel, exaspéré. C'est un bien beau discours, tout ça, mais ça n'est qu'un discours.

"Si c'est par culpabilité, tu peux te garder tous ces bons sentiments", dit-elle, sèche comme du foin au soleil. Elle en a plus qu'assez de la culpabilité et des regards inquiets qu'on lui lance en coin; ils ne feront rien pour soulager sa peine, de toute manière. Au moins eux on une chance d'être un peu heureux, alors qu'ils en profitent.

Godefroy ne semble pas bien prendre ses paroles à en croire son expression; elle peut voir sa colère monter à vu d'oeil. Elle est trop fatiguée pour crier aujourd'hui, alors qu'il en finisse vite.

"Ca n'est pas de la culpabilité, Alexine! Est-ce si dur de croire que j'ai de l'affection pour toi? Que j'en ai quelque chose à faire que tu vas mal? Parce que c'est le cas; je tiens à toi, aussi étrange que cela puisse te sembler."

Alexine n'a pas de mots, alors elle ne dit rien, se contente de regarder son frère s'animer en face d'elle. Sa colère lui est incompréhensible, comme ses mots, comme ses sentiments.

Il soupire, faisant un pas vers elle pour s'asseoir à nouveau sur le lit, et cette fois elle le suit du regard. Il pose une main sur la sienne, et elle ne la retire pas.

"Je te suis reconnaissant d'accepter ma relation avec Anatole, en encore plus de nous couvrir, dit-il doucement, et même s'il y a une part de moi qui se sent coupable de t'infliger tout cela, ça n'est pas ce qui influence mon affection. Que tu le veuilles ou non, tu es ma soeur, et même si notre relation a plutôt très mal commencé, je t'apprécie."

L'honnêteté de ses mots et la douceur de ses yeux la prend de court, et bien qu'elle est réticente à le croire mot pour mot, elle doit admettre qu'il y a sûrement une part de vérité. Godefroy a beau être très bon pour choisir ses mots et tisser ses phrases avec une grande attention, il ne mâche, en général, pas ses mots avec elle. Après tout, il n'a pas d'apparence à maintenir auprès d'elle, alors à quoi bon.

"Tu n'es pas la plus simple des personnes, et tu as un caractère de chien la plupart du temps, pour être honnête, ajoute-t-il avec un petit sourire qu'elle a presque envie de répliquer, mais tu es une personne entière, franche et loyale, et j'apprécie cela. Tu aurais pu trouver mille moyens de nous enfoncer, et tu as choisi de nous accepter et de nous aider. Tu as beau être sèche dans tes mots, tu as un bon fond, et c'est ce qui importe le plus."

Alexine ne pleure pas, même si les mots de son frère lui pique les yeux, mais elle serre sa main dans la sienne et lui adresse l'ombre d'un sourire. Étrange comme des mots peuvent avoir un tel effet sur le coeur d'une personne même dans la plus sombre des pénombres. Elle ne savait pas qu'elle avait besoin de cela; visiblement, si, puisque c'est très efficace.

Godefroy lui sourit et elle a l'impression de revoir le petit garçon têtu et bienveillant qu'il était. Il n'a pas vraiment changé, au fond, tout comme elle, sur de nombreux points.

"Tu mérites d'être heureuse, Alexine. Tu as le droit d'être en colère, tu as le droit d'être triste, tu as le droit de crier et de pleurer, mais tu as aussi le droit au bonheur, toi aussi. Je sais que la situation ne s'y prête pas forcément, et c'est regrettable, mais je suis certain que tu peux aussi y trouver un peu de bonheur malgré tout. Et, crois moi, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour te l'offrir."

Et elle le croit. Elle ne devrait certainement pas, parce qu'elle a trop perdu à croire la mauvaise personne, mais elle le croit. C'est l'honnêteté qu'elle lit dans ses yeux, la chaleur de sa main et de son sourire, ses actions passés, et ses mots qui sonnent juste et résonnent dans son coeur.

Elle mérite d'être heureuse.

D'une certaine façon, l'entendre de la bouche de quelqu'un d'autre rend cela réel et justifié. Ca n'est pas de l'égoïsme pur et dur, mais juste une question d'humanité. Son désir de bonheur est normal, il est humain et complètement justifié.

Elle a le droit d'être humaine.

"Et, pardonne-moi du terme, mais Charles-Eugène est un sacré con", ajoute Godefroy avec sa nonchalance naturelle qui la fait pouffer de rire.

Ça aussi, ça lui fait du bien.

"Merci, Godefroy", dit-elle, souriante, et elle espere que ses yeux seront assez pour lui exprimer ce qu'elle ne veut pas dire à voix haute.

Moi aussi, je t'apprécie, idiot de frère.

Il lui sourit en retour, et, sans aucun signe avant-coureur ou avertissement, il tire les draps d'un coup sec.

"Allez, debout maintenant!"

Elle lui jette son oreiller dans la figure.

——

Août 1792—

Alexine est de bonne humeur. Il fait beau, c'est son anniversaire et elle est entourée de personne qu'elle aime (et quelques autres, aussi). Vingt ans c'est un bel âge, elle pense, pour être heureuse.

Il n'y a pas de grande fête (le climat politique est tel qu'ils ont peur de même franchir la porte ces derniers temps); juste les habitants habituel du manoir réunis autour d'un bon repas et un beau gâteau. Rien n'est bien extravagant, mais Alexine ne le voudrait pas autrement. La paix récemment retrouvée dans son esprit se ressent et fait du bien à tous, elle la première.

Elle n'irait pas jusqu'à dire qu'elle est vraiment heureuse, toutefois elle n'a plus envie d'être malheureuse, et c'est déjà un grand pas en avant. Au lieu d'énoncé tout ce qu'elle trouve atroce dans sa situation, elle a commencé à se dire tout ce qu'y va, et tout ce qui pourrait être bien pire.

Même si son mariage avec Anatole n'est pas idéal sur de nombreux points, Anatole n'en reste pas moins un garçon très agréable avec un beau visage et des bonnes manières.

Elle a toujours plus ou moins envie de lui faire manger le gâteau par les narines, mais elle est sur la bonne voie.

A la huitième allusion de son oncle, Audric, sur un futur enfant, et à la huitième dérobade d'Anatole, elle est presque certaine qu'elle va étrangler l'un ou l'autre.

Elle adorerait dire à son oncle qu'elle aussi voudrait bien voir l'ombre d'un enfant se dessiner à l'horizon, mais que son mari ne veut même pas effleurer un petit bout de sa peau nue; malheureusement, elle ne peut pas dire cela, alors elle se contente de rire bêtement et d'acquiescer, faute d'avoir quelque chose de constructif à dire.

Au bout de trois ans de mariage, ça commence à être très louche qu'elle ne soit pas enceinte. Si Anatole passe quelques nuits avec elle, rien ne se passe. Il se met à un bout du lit, ferme les yeux et l'ignore complètement.

Il fuit lorsqu'elle essaie de confronter sur le sujet, et même sa toute nouvelle positivité ne suffit pas à apaiser ses nerfs sur ce problème précis.

Lorsque sa mère, inquiète lui demande d'une voix douce entre deux bouchées si elle veut une infusion pour favoriser l'arrivée dans bébé, elle se promet que ce soir, elle couchera avec Anatole, coûte que coûte.

——

Anatole sent quelque chose, elle le voit bien. Il ne refuse pas de la suivre jusqu'à sa chambre, ceci dit, et c'est déjà ça de gagné. Il a l'air plutôt mal à l'aise quand elle referme la porte derrière eux, mais ne montre pas de signes de fuite.

Elle s'apprête à lui parler de ses plans pour la nuit quand Anatole l'interrompt.

"Je sais ce que tu vas dire, et je suis d'accord avec toi; il est temps qu'on-euh- qu'on le fasse quoi", finit-il, les joues rougissantes.

Alexine est tellement surprise qu'elle ne sait même pas quoi dire. Elle ouvre et referme la bouche plusieurs fois avant de se ressaisir. Bien, au moins il se montre raisonnable et, euh, motivé.

"Oh. Bien, fait-elle, un peu bêtement, clignant de ses yeux ronds. Dans ce cas, on devrait se déshabiller. J'imagine.

-Oui, se déshabiller", répète-t-il sans bouger d'un cheveu.

La soirée s'annonce longue et compliquée.

Il y a quelques longues secondes pendant lesquelles rien ne se passe. Ils se regardent sans bouger ou rien dire, l'embarras presque tangible dans l'air.

Et puis, d'un coup, ils s'activent. Autant en finir vite avec ça, après tout. Anatole, bien sûr, va beaucoup plus vite qu'elle, et est très vite à ses sous-vêtements alors qu'elle essaie encore de ses dépêtré de sa première couche. Elle essaie de ne pas le regarder, surtout parce qu'elle n'a jamais un homme pratiquement nu de sa vie et que cela l'embarrasse au plus haut point, mais aussi parce qu'Anatole a l'air encore plus mal à l'aise qu'elle. Alors qu'elle arrive enfin à s'extirper d'une partie de sa robe, il semble prendre conscience de la difficulté de la chose et s'approche un peu d'elle.

"Euh, je peux t'aider, si tu veux, dit-il, hésitant, joues enflammées.

-Oui, s'il-te-plaît, sinon on en a pour la nuit."

C'est, les yeux fermés, l'expérience la plus étrange de sa vie. Entendre Anatole jurer à mi-voix derrière sur la complexité de ses habits tandis qu'il la déshabille avec des mains malhabiles et se dire que dans quelques minutes (ou heures, elle n'est pas certaine du temps que cela va prendre) elle va perdre sa virginité avec ce même homme (qui sort avec son demi-frère, pour que ce soit encore plus ambigüe) est franchement bizarre.

L'atmosphère, la situation, eux; tout lui semble irréel jusqu'au bout de ses doigts.

Lorsqu'il ne lui reste (enfin, après une quinzaine de minutes) plus que sa chemise sur les épaules, elle prend le temps de ramasser ses habits pour les remettre bien. Anatole l'imite avec les siens, et bientôt ils sont tous les deux sans rien d'autre à faire que de... eh bien, faire.

"Allons sur le lit", dit-elle, s'efforçant à le regarder dans les yeux. Il n'y a pas de quoi être timide, c'est un acte tout à fait normal et... Et c'est tout.

Ils s'installent sur le lit, l'un en face de l'autre, sans rien dire, le regard fuyant.

"On devrait tout enlever", propose Anatole, et Alexine acquiesce sans que le coeur n'y soit. Elle n'a pas honte de son corps de quelque façon que ce soit, même si elle a perdu un peu de poids lors de sa grande crise existentiel qu'elle n'a pas eu le temps de reprendre.

Elle va pour retirer sa chemise (la dernière barrière mentale et physique) et Anatole fait de même pour ses sous-vêtements. D'un geste rapide, la chemise se retrouve au sol, emportant avec elle sa dignité.

Complètement nus, ils se regardent droit dans les yeux, l'un attendant sans doute que l'autre face le premier pas.

Voyant qu'ils ne vont arriver à rien, et désirant en finir au plus vite, Alexine prend la décision de prendre les devants. Sans autre forme de procès, elle pose son regard sur le sexe de son partenaire quelques secondes avant de le regarder à nouveau dans les yeux. Visiblement, toute la situation est aussi excitante pour lui qu'elle l'est pour elle - si ce n'est encore moins.

"Tu, euh... Tu peux penser que je suis Godefroy?" dit-elle, mourant instantanément à l'intérieur à l'énonciation de cette phrase. Anatole, les joues d'un rouge flamboyant, hausse un sourcil, regard glissant rapidement sur la silhouette très féminine d'Alexine.

"Je ne veux pas t'offenser, Alex, dit-il, une pointe d'amusement présente dans sa voix malgré tout, mais ça ne va pas être possible du tout."

Elle rit. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle rit. L'anxiété et l'embarras ont visiblement raison d'elle, mais aussi d'Anatole, puisqu'il se met à rire lui aussi. Ils ont l'air de deux personnes auxquelles il manque quelques cases à rire comme ça, nus comme des vers et à un bonne trentaine de centimètres l'un de l'autre.

Il lui faut un petit moment avant qu'elle ne récupère une partie fonctionnelle de son cerveau, mais lorsque c'est chose faite, elle s'éclaircit la gorge et se rapproche sensiblement de son mari. La pression et l'embarras, malheureusement, ne se sont pas envolés avec leurs rires. Alexine a un peu envie de pleurer.

"Tu peux toujours essayer de fermer les yeux?"

Anatole lui lance un regard un peu étrange.

"Je ne veux pas te vexer, dit-il, comme si ses sentiments étaient vraiment une priorité dans leur situation.

-Je ne serais pas vexée; tu n'aimes pas les femmes en général, ça n'est pas juste moi."

Parce que ça, ça la vexerait à coup sûr.

"Alors ferme les yeux, pense à un beau gosse et, euh, laisse la nature te donner une érection, je suppose?"

Le regard mi-amusé, mi-alarmé d'Anatole la fait sourire nerveusement. Il soupire doucement.

"On peut toujours essayer.

-D'accord. Je vais me taire pour te donner un maximum d'immersion."

Après une dernière expression exprimant la désolation d'Anatole face à ses paroles, il ferme enfin les yeux, et Alexine se tait.

Il y a un grand silence. La main d'Anatole se positionne stratégiquement. Instinctivement, Alexine la suit du regard.

Grand silence.

Anatole ouvre les yeux.

"Tu sais, je peux sentir ton regard même les yeux fermés, dit-il, accusateur. Si tu pouvais ne pas me regarder, je pense que ça m'aiderait.

-Oh. Oui. Bien sûr. Désolée."

Sur ce, il referme les yeux et Alexine s'empresse de regarder ailleurs et nulle-part, tout sauf Anatole.

La nuit risque d'être très longue, pense-t-elle alors qu'elle écoute la respiration d'Anatole et les obscures bruits que sa main fait.

Très longue et pas dans le bon sens du terme.

——

Si la préparation lui semble éternelle, l'acte n'est pas beaucoup mieux.

Alexine a l'impression que cela dure des heures. Il n'y a pas de plaisirs, pas de passion, juste deux personnes copulant parce que c'est leur devoir.

Si Anatole réussit après un long moment et beaucoup d'imagination à atteindre l'orgasme, il n'a pas l'air très accompli ou heureux, mais très fatigué. Une fatigue surtout mentale qu'Alexine ressent également très rapidement (et même pendant l'acte).

Ils fixent tous les deux longuement le plafond, allongés l'un à côté de l'autre sous les draps.

Ils ne disent rien, mais leur pensée est la même:

Par pitié, qu'ils n'aient pas à faire ça trop souvent.

——

Avec le temps et la pratique, ça devient un peu plus facile.

Mais juste un peu.

——

Mai 1793 —

La visite de courtoisie des Horville n'a, bien sûr, rien de courtois et tout d'une visite pour régler les sombres détails de fiançailles.

Elaine est d'humeur massacrante tout du long, bien entendu, considérant qu'elle la future fiancée. Lorsqu'elle n'est pas collée à Godefroy ou Mathilde et Lucie, elle passe son temps à poignarder Mathieu du regard, ou carrément à se quereller à mi-voix avec lui tandis qu'il sourit de toutes ses dents.

Alexine l'aime bien, ce Mathieu. Il est drôle, exubérant et déborde de confiance en lui-même qui fait de lui un garçon solide. Elaine aura beau lui casser les pieds à longueur de journée, Alexine est certaine que cela n'aura pas d'effets réellement néfastes.

Il est très clair qu'Elaine, tout comme elle, n'a pas vraiment le choix au sujet de son mariage. Alexine compatit, elle compatit vraiment, même si elle est certaine qu'il pourrait y avoir bien pire homme que Mathieu.

Le soir où les fiançailles sont 'officiellement' annoncées, Elaine ne fait même pas l'effort de tenir son sourire et s'échappe à la première occasion.

Alexine croise le regard inquiet d'Anatole, puis de Lucie. Elle croise également le regard assassin de sa mère et décide qu'il vaut mieux essayer de raisonner avec Elaine qu'avec elle.

En tant que grande-sœur, elle se sent presque responsable de s'occuper de ça.

"Je vais chercher Elaine", murmure-t-elle rapidement à son mari qui lui demande si elle désire qu'il vienne avec elle.

Bien qu'Anatole est bien meilleur qu'elle pour s'occuper des caprices de sa sœur, il est également l'homme qu'Elaine aime depuis son plus jeune âge, et le voir ne ferait qu'empirer la chose, sans nul doute. Elle lui répond donc de garder un œil sur sa mère, au cas où, et s'éclipse à son tour.

Elle n'est pas surprise de voir Mathilde dans le couloir; Lucie semble avoir décidé qu'il est préférable que tout le monde ne disparaisse pas d'un seul coup du dîner.

Sans dire un mot (ce qui est préférable), elles se mettent à la recherche d'Elaine.

Cette dernière n'est pas bien compliqué à trouver, honnêtement; il suffit d'écouter les reniflements pour savoir qu'elle est dans le coin de l'un des salons. Recroquevillée sur elle même, dos tourné à la porte, ses petites épaules tremblent au rythme de ses sanglots. Alexine n'est pas certaine s'ils sont de colère ou de tristesse véritable, mais cela lui fait mal au coeur d'une manière ou d'une autre.

"Elaine, dit-elle doucement une fois arrivée à sa hauteur.

-Est-ce que ça va?" demande Mathilde, et Alexine doit se retenir de lui envoyer un regard désobligeant. Il est très clair que ça ne va pas du tout, nul besoin de remuer le couteau dans la plaie.

Alexine s'agenouille du mieux qu'elle le peut à côté d'elle, encombrée par sa robe. Elle pose une main sur les omoplates de sa soeur, se penchant légèrement en avant pour tenter d'apercevoir son visage. Le jeune fille renifle, bruyamment, entre deux sanglots, et tourne légèrement la tête vers elle.

"Je-je ne veux p-pas me ma-marier", articule-t-elle difficilement avant d'éclater de plus bel en sanglots.

Alexine, le cœur serré, repousse une longue mèche brune de devant ses yeux, un petit sourire triste aux lèvres.

"Je comprends, dit-elle doucement, mais crois-moi, ça n'est pas la fin du monde, Elaine, même si tu en as l'impression pour l'instant."

Dieu seul sait qu'elle y avait pensé, elle, à la fin du monde.

"Je ne vais pas te mentir et te dire que tu vivras un conte de fée, mais je suis certaine que tu seras au moins un peu heureuse."

Il lui avait fallu du temps, à elle, pour distinguer le bon du mauvais, (pour distinguer du bon tout court, à vrai dire), mais rien n'est toujours entièrement noir.

Elaine renifle à nouveau, bruyamment, toutefois ses sanglots semblent s'apaiser peu à peu.

"Et puis, dit Alexine avec un petit sourire, Mathieu a l'air d'être un homme avec lequel tu ne t'ennuieras jamais."

Cela ne fait pas rire Elaine, mais le regard noir qu'elle lui lance est un bien meilleur signe qu'Elaine reprend ses esprits.

"Il est horrible", marmonne-t-elle tout en essuyant ses larmes avec le revers de sa main.

Alexine entend Mathilde étouffer un rire, et elle ne peut vraiment pas lui en vouloir. Elle sourit à sa sœur dont les larmes coulent toujours sur son air renfrogné.

"Je n'irais pas jusqu'à dire cela. Il a du caractère, c'est certain, mais toi aussi, tu en as."

Et ça promet beaucoup de belles choses à voir, deux caractères explosifs comme ça. Alexine est presque envieuse (presque).

Elaine reste silencieuses pendant quelques secondes, une ombre s'installant sur son visage.

"Et s'il ne m'apprécie pas? murmure-t-elle finalement, détournant son regard d'Alexine. J'ai mauvais caractère, je suis têtue, je ne suis pas très jolie et je ne sais même pas bien jouer d'un instrument.

-Tu es un peu sévère avec toi même, Elaine."

Mathilde, qui s'était tu jusque là, s'agenouille de l'autre côté de la jeune fiancée. Elle pose une main juste à côté de celle d'Alexine, son petit doigt effleurant le sien. Alexine la regarde instinctivement, mais Mathilde ne semble pas s'être aperçu de la proximité de leurs main. Elle a l'impression que sa main va s'enflammer d'un moment à l'autre.

Mais ça n'est pas à propos d'elle ou de leur petite gué-guerre, alors elle fait de son mieux pour l'ignorer et repose son regard sur le visage tourmenté de sa sœur.

"Tu as beaucoup de qualités, Elaine, tu ne t'en rends juste pas compte, lui dit doucement la blonde, un sourire rassurant sur ses lèvres roses. Tu es charmante d'une façon qui t'es propre, tu ne baisses jamais les bras et tu ne te laisses pas marcher sur les pieds. Tu es également une jeune fille très sensible avec un bon cœur. A mes yeux, ce sont là de très bonnes qualités.

"Oh, et tu es très jolie", rajoute-t-elle rapidement avec un clin d’œil.

L'espace d'un instant, Alexine a l'impression qu'Elaine va se jeter sur Mathilde pour un câlin impromptu, et peut-être que c'était ce qu'elle comptait faire si Mathieu n'avait pas choisi ce moment pour rentrer dans la pièce.

"Oh. Est-ce que j'interrompe quelque chose?"

Toutes trois se tournent vers lui. Il a l'air un peu gauche et mal à l'aise même s'il sourit. Alexine lui rend son sourire et enlève sa main du dos de sa sœur pour se relever. Cette dernière s'empresse d'essuyer ses larmes, et, avec l'aide de Mathilde, se lève à son tour.

"Juste une discussion entre filles, lui répond Alexine avec un sourire qui n'atteint pas les yeux.

-Oui, nous avons terminé, reprend Mathilde, ignorant de manière pratiqué le regard de détresse qu'Elaine lui lance. Et je pense que vous avez beaucoup de choses à vous dire, alors Alexine et moi allons vous laisser..."

Voyant qu'Alexine est sur le point de protester (plus par principe que parce qu'elle a réellement une objection), elle ne lui laisse pas le choix et saisit sa main, l’entraînant vivement à sa suite sous les regards ébahis des deux fiancés, restés pantois face à la tornade blonde.

"Essayez de revenir en un seul morceau", leur dit-elle avec un grand sourire.

Si Alexine a beaucoup de choses à dire, tout reste coincé dans sa gorge, soufflée par la tournure des choses. Regard rivé sur les boucles blondes dansant sur les épaules de la jeune femme, elle se laisse portée par le courant.

Elle avait appris, au cours des années, que Mathilde est bien loin d'être le petite fille au caractère pâle qu'elle avait cru; et aujourd'hui encore, elle le lui prouve. Il est dur de rendre Alexine complètement muette, mais pour le coup, c'est chose faîte.

Ça n'est que lorsqu'ils sont presque de retour dans le grand salon qu'elle reprend ses esprits. Sa main, toujours dans celle plus petite de Mathilde, est chaude; c'est très désagréable.

"Tu peux me lâcher maintenant", dit-elle, plus sèche qu'elle ne l'aurait voulu. Elle a la désagréable impression que ses joues sont rouges.

Elles ont marché vite.

"Oh", est le seul bruit qui sort de la bouche de Mathilde lorsqu'elle s'arrête de marcher. Elle lâche aussitôt sa main, et Alexine la récupère avec hâte.

Mathilde pose son regard sur elle quelques longues secondes, sans rien dire, et Alexine le soutient, sourcils légèrement froncés.

"Qu'est-ce qu'il y a?" finit-elle par demander, irritation grandissante.

Mathilde a l'air sur le point de lui répondre, mais ses mots se perdent dans la voix de Lucie.

"Oh, vous êtes revenues? Comment va Elaine?"

Alexine ne perd pas une seule seconde et pose immédiatement son regard sur Lucie. La jeune femme a un petit sourire inquiet sur les lèvres et les joues un peu rougies - sûrement par le vin. Alexine sent son cœur se serrer pour s'apaiser aussitôt.

Le regard de Mathilde reste lourd sur elle pendant une poignée de secondes avant qu'elle ne se tourne aussi vers Lucie. Elle retrouve presque aussitôt son sourire.

"Elle va bien, juste un petit moment de doute" dit Alexine, s'avançant vers Lucie.

Lucie lui sourit et Alexine oublie presque aussitôt ce que Mathilde voulait lui dire.

Ça ne devait pas être bien important, de toute manière.

——

Elaine et Mathieu refont leur apparition une dizaine de minutes plus tard; plus de traces de larmes sur le visage rouge d'Elaine, ou de malaise dans le grand sourire de son fiancé alors qu'ils se querellent comme des enfants à mi-voix.

"Ils s'entendent bien, on dirait", lui murmure Anatole avec un petit sourire amusé, soulagement évident sur son visage.

Alexine ne peut qu'approuver.

——

Octobre 1793 —

La visite des Castain, bien qu'elle fut annoncée, est inattendue. Terrés dans leur campagne aux alentours de la Bretagne, ils n'avaient pas fait d'apparitions depuis la mort d'Augustine.

Les nouvelles avaient été peu fréquentes, elles aussi, Augustine ayant été celle qui les envoyait. Edgar n'étant pas du genre à envoyer des lettres, c'était Adèle qui, lorsqu'elle ne se sentait pas mal, écrivait à son grand-frère. Eugène, âgé de onze ans à présent, ne manquait pas d'y ajouter son petit mot.

Ni Anatole, ni Alexine ne s'attendait à ce qu'ils fassent le chemin.

Lucien a l'air bien fatigué, que ce doit du voyage ou par son âge, mais toujours aussi sévère. Il salue son fils avec rigidité avant de s'empresser de saluer ses hôtes. Pas de petit mot doux, pas de gentille attention, pas même une main chaleureuse. Alexine a mal pour lui.

Edgar (récemment fiancé comme Eugène leur avait écrit avec enthousiasme) a l'air toujours aussi détaché et ennuyé, mais au moins, il prend le temps de parler avec son frère et semble réellement heureux de le voir.

Adèle est magnifique. La voir aussi grande et belle fait un petit pincement au cœur d'Alexine. Léontine aurait eu quatorze ans, elle aussi, si la maladie ne l'avait pas emportée. Malheureusement, aussi belle qu'elle est, Adèle a l'air aussi triste que lorsqu'elles sont vues la dernière fois, peu avant de partir pour la campagne. La mort de Léontine et celle de sa mère l'ont beaucoup affectés, et la distance entre leurs deux familles n'a pas amélioré les choses.
Elle enlace longuement son grand-frère, puis Alexine.

Eugène se jette sur eux. C'est un petit garçon intrépide et joyeux que même le regard sévère de son père ne peut arrêter. Il est la bouffée d'air frais de la famille, et même si Edgar le regarde d'un air exaspéré, Alexine peut dire qu'il l'aime beaucoup.

Lorsqu'il se met à crier avec Camille, Louis et Constantin, elle comprend un peu Edgar.

Le temps morne d'octobre ne gâche pas la bonne humeur ambiante (même si Lucien semble aussi joyeux qu'un mur de pierre, comme à son habitude).

Il y a de l'agitation partout et Alexine a l'impression de retrouver son chez-elle, un semblant de normalité. Se retrouver dans la même pièce avec Godefroy, Anatole, Elaine, Edgar et Lucie, comme lorsqu'ils étaient encore des jeunes adolescents, lui fait chaud au coeur.

C'est étrange de se dire qu'ils sont tous fiancés (ou mariés pour elle et Anatole) à présent. Ils ont tous bien grandi, et c'est un peu triste à dire, un peu triste à vivre.

Mathilde s'est presque naturellement greffée au groupe, et Alexine trouve que cela ne la dérange pas. Elle ne sait pas depuis quand le changement s'est opéré, mais elle a finit par vraiment apprécier la jeune fille.

Pas qu'elle irait le lui dire; ça ne serait pas amusant, sinon, et elle a encore égoïstement besoin de ça.

Lorsque Godefroy commence à se disputer avec Elaine sous le regard exaspéré d'Anatole, que Lucie et Mathilde rient et qu'Edgar lève les yeux au ciel, Alexine se sent complète et heureuse.

Vraiment heureuse.

——

La joie est de courte durée et lorsque les Castain partent, le visage sombre d'Anatole lui indique que la dernière discussion avec son père ne lui a pas plu (et qu'elle ne va pas lui plaire à elle non plus).

"Je dois retourner au nord; père faiblit et il souhaite que je reprenne ses affaires. Edgar n'est pas assez social, et Eugène est trop jeune. Je suis la seule véritable option qu'il a."

La nouvelle a l'effet d'un coup de massue sur Alexine. S'il doit partir alors, en tant que sa femme, elle doit partir avec lui. Elle doit quitter sa famille.

Elle doit quitter Lucie.

Anatole soupire, la tête entre ses mains.

Il doit quitter Godefroy.

"J'ai réussi à négocier jusqu'au mariage de Lucie et Godefroy, dit-il, relevant la tête pour la regarder, un mince sourire sur les lèvres, mais après cela nous devons partir."

Il a l'air tellement fatigué et fébrile qu'elle a envie de l'enlacer. Elle se contente de poser une main sur l'une des siennes et de serrer.

Elle n'avait pas oublié le mariage (difficile de l'ignorer quand il commence à être la discussion à la mode ces derniers temps), mais elle aimerait qu'il vienne plus lentement. Maintenant, elle aimerait qu'il ne vienne jamais.

Cela leur laisse au moins huit mois, si ce n'est plus. C'est déjà ça de gagner.

Elle lui sourit.

"Alors profitons de ce temps avant qu'on ne doive rejoindre le grand méchant loup."

Anatole ne réfute pas le surnom de son père, et son sourire s'agrandit. Il pose une main sur sa joue pour l'attirer vers lui et dépose un baiser sur son front.

Un 'merci' silencieux bien qu'elle n'a rien fait pour le mériter.

Elle l'accepte avec grâce et un sourire.



Alexine Castain ♠︎  « No one can rewrite the stars; 200509025632133765
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Alexine Castain
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Alexine Castain

En bref

Féminin
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Histoire


Mars 1794 —

La date du mariage est choisie avec soin fin août. Alexine n'est ni mécontente, ni vraiment contente. Cela leur laisse un peu plus de temps, mais pas tant que cela non plus.

Lucie, elle, semble beaucoup apprécier l'annonce.

Godefroy est d'humeur massacrante et les baisers volés avec Anatole ne font que le rendre plus furieux. Heureusement (pour lui parce qu'Alexine l'aurait étranglé), il reste très courtois avec Lucie et se montre sous son meilleur jour la plupart du temps.

Pour toute personne extérieure, il a même l'air heureux.

Pour eux, qui le connaissent sur le bout des doigts, il est très clair qu'il est mécontent de son sort.

Lucie, malgré tous les efforts de son fiancé, semble le sentir, ce qui n'est pas surprenant considérant le nombre d'années qu'elle a passé à leur côté.

"Il n'a pas très envie de m'épouser, n'est-ce pas?" demande-t-elle doucement, penchée sur sa broderie tandis qu'Alexine, ayant abandonné l'idée de sortir quelque chose de potable en broderie, parcours des partitions à la recherche de son prochain morceau. Mathilde, non loin d'elle, essaie tant bien que de mal d'aider Elaine à faire quelque chose de correct. Iseut, déjà une experte en la matière, les regarde avec un petit sourire amusé, la petite Rose assoupie sur son épaule.

Camille, comme à son habitude, préfère courir dans les couloirs avec ses deux frères, au plus grand damne de sa mère.

A l'entende des doutes de Lucie, Alexine manque de lâcher tout ce qu'elle a dans ses mains (ce qui est une grande quantité de papier). Lucie ne semble pas s'en apercevoir.

Elle s'éclaircit la gorge délicatement. Comment tourner autour du pot sans tomber de dedans?

"Je ne pense pas que tu sois directement en cause, dit-elle lentement. Il est toujours un peu immature dans sa tête."

Sans compter le fait qu'il est très amoureux de mon frère et qu'après le mariage ils vont être séparés pour un laps de temps indéfini.

Rien de bien important.

Lucie ne répond rien pendant quelques longues secondes, et Alexine suppose qu'elle se concentre sur sa broderie, alors elle continue sa recherche. Elle est en train de reposer quelques livrets quand la jeune femme reprend la parole.

"Il aime quelqu'un d'autre, n'est-ce pas?"

Alexine se fige immédiatement dans son geste. Cela ne dure que quelques secondes, à peine, mais pour quelqu'un qui la regarde avec attention, c'est un signe de trop. Elle tourne la tête vers Lucie et constate que, bien heureusement, la jeune femme ne la regarde pas. Elle finit de poser son livret lentement.

Prendre trop de temps pour répondre aura l'air suspicieux, mais répondre trop vite le sera également. Elle doit penser, vite.

Maintenant devrait être bon.

"Je ne pense pas que ce soit ça non plus, ou alors je ne suis pas au courant."

Mentir à Lucie lui arrache toujours un peu la gorge, toutefois si ce petit mensonge peut protéger tout le monde, alors elle doit le faire. Elle se détourne de la bibliothèque pour prendre place autour de la table et poser les partitions qui lui pèsent sur les bras. Il devrait y en avoir assez pour la garder occupée. Elle sent un regard insistant sur elle, mais elle n'a pas à en chercher la provenance pour savoir que c'est Mathilde. Ces derniers temps, son regard la dérange, surtout parce qu'il a l'air de voir à travers elle, et Alexine redoute ce qu'elle peut bien voir. Elle essaie d'éviter d'être seule avec elle, et cela semble réciproque, pour l'instant, toutefois Alexine a l'impression que cela ne va pas durer.

Lucie, les épaules tombantes et les yeux rivés sur son oeuvre, reste silencieuse quelques secondes de plus, doigts figés.

"Tu as sans doute raison, c'est probablement juste toute l'angoisse du mariage qui me monte à la tête, dit-elle doucement, ses doigts s'activant à nouveau sur la broderie. Ça doit le tracasser aussi."

Oh, la pauvre n'a pas idée à quel point la seconde partie est vraie. En plus du mariage, c'est le départ de son amant qui taraude le petit Godefroy, et il n'y a rien à faire contre une chose comme pour l'autre.

Alexine aussi a le cœur lourd rien que de penser à leur départ. En plus de vivre avec Lucien, c'est vivre à proximité d'une ville qui l'inquiète aussi. Bien que la situation semble se calmer, elle ne sent pas en sécurité, et pour leurs futurs enfants... Elle espère qu'ils ne verront pas le jour dans cette situation.

Bien sûr, et heureusement, il y aura Edgar, Adèle et Eugène avec eux, mais les désavantages sont bien plus nombreux que les quelques avantages qu'elle peut y trouver.

Enfin, de toute manière, il n'y aura pas le choix.

"Oui, répond-t-elle avec un petit sourire même si Lucie ne peut pas la voir, c'est sûrement tout cela. Je sais que c'est plus simple à dire qu'à faire, mais essaie de ne pas t'en faire, tout va très bien se passer."

Probablement. Godefroy a tout intérêt à bien se tenir, de toute manière, s'il veut de la liberté de mouvement. Et puis, Alexine ne pense pas se tromper en disant qu'il apprécie Lucie même s'il n'a pas de sentiments d'amour pour elle. Il ne ferait jamais rien pour la mettre dans une mauvaise posture.

Lucie se tourne vers elle pour lui sourire.

"Merci, Alexine. T'avoir à mes côtés m'aide beaucoup, tu sais?" lui dit-elle tandis que le cœur d'Alexine tente de s'échapper de sa poitrine.

L'expression de son amie s'assombrit légèrement quand elle continue:

"Tu vas beaucoup me manquer."

La sourire qu'Alexine lui rend est aussi triste que le sien.

"Toi aussi, tu vas beaucoup me manquer."

La pauvre petite ne sait pas à quel point. Rien que d'y penser, elle a l'impression que son cœur va se déchirer en mille morceaux.

Mais ça n'est pas la fin du monde, elle le sait.

Elles vont vivre, toutes les deux, et être heureuses malgré tout, loin l'une de l'autres.

Tout comme Anatole et Godefroy.

Le temps ne s'arrête pas pour un cœur brisé.

——

Avril 1794 —

"Godefroy aime Anatole, n'est-ce pas?"

Alexine fait une fausse note; elle est bruyante, mais moins bruyante que le bruit de son cœur.

Mathilde, plantée à côté d'elle, la regarde avec une certaine curiosité et un air de supériorité.

Alexine jette un coup d’œil à la porte pour constater avec soulagement qu'elle est fermée et que personne d'autre n'est dans la salle.

Mathilde lève les yeux au ciel.

"Je ne suis pas assez idiote pour prendre le risque d'avoir un public quand je dis des choses comme ça."

Alexine a presque envie de lui faire manger une partition, mais choisi d'être plus subtile en la poignardant du regard.

"Tu ne devrais pas dire des choses comme ça tout court, siffle-t-elle, joues rougies par la colère et l'anxiété. Tu pourrais ruiner des vies avec des présomptions de ce type."

La blonde hausse un sourcil.

"Mais ça n'est pas une présomption, puisque c'est la vérité."

L'aplomb avec lequel elle parle déstabilise presque Alexine, toutefois elle a passé trop d'années à mentir avec ce même aplomb pour abandonner maintenant.

"Tu n'en sais rien, Mathilde. Je pense que je serais la première à savoir si mon mari aimait mon frère, non?"

Mathilde sourit. Oh, ça ne lui dit rien qui vaille.

"Qui a parlé d'Anatole aimant Godefroy? J'ai dit que Godefroy l'aimait, pas le contraire."

Alexine fronce les sourcils, et même si la panique monte dans sa gorge, elle refuse d'y céder.

"Tu joues sur les mots; c'était lourdement sous-entendu."

Sa défense n'a pas l'air d’impressionner Mathilde, ni de la faire changer d'avis, mais elle son visage s'adoucit légèrement. Elle fait un pas vers elle et sa voix baisse d'un ton.

"Je sais que tu les protèges, Alexine, mais je ne vais pas utiliser cette information contre eux, ou contre toi."

Et qu'est-ce qui lui dit que Mathilde dit la vérité? Qu'est-ce qu'il lui dit que, dans un excès de colère contre elle, son mari ou son frère, elle décide qu'elle n'en a rien à faire, en fait.

Rien, absolument rien, et c'est bien ce qui lui fait si peur.

Elle ne fait déjà pas confiance à Lucie, alors elle n'est pas prête de faire confiance à Mathilde.

"Tu te fais un roman, Mathilde. Comme je te l'ai dit, je ne sais rien, et je doute que ce que tu avances soit vrai."

Mathilde a l'air sur le point de l'étrangler avec ses cheveux. Elle se contient avec une évidente difficulté, toutefois elle ne semble pas du tout ébranlée par la défense d'Alexine, au contraire. Chaque seconde qui passe, elle semble un peu plus certaine de ce qu'elle dit.

"Tu ne me fais pas confiance, énonce-t—elle au lieu de s'énerver, je comprends, c'est de bonne guerre; je pense que je ne te ferais pas confiance avec ce genre de choses non plus."

Alexine imagine que c'est également juste de penser ainsi, bien qu'elle sait qu'elle n'irait pas colporter des informations aussi importantes dans le but de blesser quelqu'un. Après tout, même avec Charles-Eugène elle s'était tue, malgré la tentation.

Et puis, contre toutes attentes, elle apprécie trop Mathilde pour la détruire.

Pas assez pour lui faire confiance, ceci dit, surtout avec deux autres vies sur le fil.

Mathilde semble comprendre que son argumentaire ne l'impressionne pas puisqu'elle soupire.  Puis la pousse pour s'asseoir à côté d'elle. Trop stupéfaite par cette soudaine décision pour protester, elle lui laisse de la place sur le banc. C'est un peu serré, surtout avec les robes, mais elles tiennent même si cela veut aussi dire qu'elles sont pratiquement collées l'une à l'autre.

Alexine a, plus que jamais, très envie de fuir.

Elle ne le fait pas, bien sûr, parce que fuir indiquerait que Mathilde a clairement raison, et elle ne peut pas lui offrir cela sur un plateau d'argent.

Cette dernière tourne la tête vers elle, visiblement très peu gênée par cette distance, elle. Alexine, bien entendu, fait de même. La proximité ne la gêne jamais. En temps normal.

Elle n'a pas l'impression que c'est vraiment un temps normal.

"Je ne vous veux aucun mal, ni à toi, ni à Anatole ou Godefroy. Je n'irais pas le répéter à qui que ce soit, sois en assurée. Je veux juste..."

Elle s'arrête, cherchant visiblement la meilleur façon de tourner sa phrase et Alexine a un peu trop de temps pour regarder son visage de près. Il ne sort pas vraiment du lot, mais il a son charme, c'est certain. Elle a des longs cils, tient, ils sont juste tellement blond et si rarement maquillés qu'on ne les voit presque pas, de loin. Avec un peu d'effort, elle serait jolie et...

Et ça n'est clairement pas le moment de penser à cela.

La main de Mathilde qui glisse sur la sienne la prend tellement par surprise que son cœur fait un bond dans sa poitrine. Ses yeux luttent pour ne pas regarder. Bête réflexe, vraiment, puisqu'elle sait parfaitement ce qu'il se passe. Elle ne retire pas sa main.

"Je veux t'aider, Alexine."

Sa longue réflexion n'est pas très fructueuse si c'est vraiment son argument.

"Tu veux m'aider?" demande-t-elle, son ton montant immédiatement dans les aiguës tant elle est surprise, et à deux doigts de lui rire au nez.

Mathilde lui répond par un hochement de tête, puis:

"Je sais que c'est complètement idiot, surtout vue notre relation, mais c'est ainsi. Je sais bien qu'il n'y a pas grand chose que je peux faire, mais si j'étais dans une situation similaire, j'aurais aimé avoir quelqu'un avec qui le partager. Un si gros secret... Ça ne doit pas être simple tous les jours."

Alexine aimerait bien lui dire que, si elle veut vraiment l'aider, elle va laisser tomber sa petite quête pour la vérité et les laisser tous tranquille, mais rien ne sort. Elle cligne des yeux, bêtement, incapable d'articuler le moindre commentaire désobligeant.

C'est ennuyeux cette honnêteté éblouissante qu'elle a, la blonde. Elle ne lui a jamais menti, ne s'est jamais montré hypocrite envers elle et porte son cœur sur la main tout en restant entière et fidèle à son caractère.

C'est ennuyeux parce qu'Alexine a envie de la croire.

Et peut-être que c'est parce qu'elle a le cœur lourd et fatigué de toutes ces années, et peut-être que c'est juste qu'elle l'apprécie vraiment, Mathilde, mais elle a envie de la croire, de tout lui déballer sur le champ et sans épargner le moindre détail.

C'est une bien dangereuse envie qu'elle a là, et elle devrait certainement ne pas y répondre. Ce serait bête de tout gâcher pour une pulsion égarée, non?

Mathilde serre sa main dans la sienne et Alexine envoie valser ses doutes avec ses peurs.

Elle laisse sa tête tomber sur l'épaule de sa cousine et ferme les yeux.

"Je te crois."

Et si cela doit tout lui coûter, eh bien ainsi soit-il.

——
Mathilde ne dit pas grand chose après cela, et Alexine ne parle pas beaucoup non plus.

La vérité est moins lourde sur sa langue qu'elle l'est sur son cœur, et une fois qu'elle est sortie de sa bouche, le soulagement est si grand qu'elle a presque envie de pleurer.

Ça n'est pas grand chose, et au final, le secret reste le même et doit rester ce qu'il est, un secret, mais avoir quelqu'un d'autre avec qui porter le fardeau, quelqu'un qui n'est pas concerné directement, aide vraiment.

Elle n'a pas à contenir ses sentiments, elle n'a pas à être forte.

Il y a peu de mots, mais c'est mieux ainsi.

La main de Mathilde dans la sienne, auparavant si brûlante, devient un réconfort chaleureux au fil des secondes.

Malgré tout, le sentiment de sécurité ne réussit pas à l'envahir entièrement. Elle n'est pas certaine de ce qu'il la retient d'être complètement à l'aise avec Mathilde, et elle n'est pas certaine de vouloir savoir ce que c'est.

C'est peut-être mieux ainsi; elle n'a pas besoin d'une raison de plus de vouloir rester.

——

Juillet 1794 —

Etre enceinte est une chose étrange autant qu'elle est désagréable. Le docteur lui a annoncé qu'elle entrait dans son troisième mois, et elle a déjà envie de se défenestrer.

D'un côté, c'est un énorme soulagement, pour elle comme pour Anatole. Leurs vaillants efforts ont fini par porter leur fruit, même si ça n'était pas très agréable.

Sa mère est, bien entendu, aux anges. C'est la première fois qu'Alexine la voit lui sourire comme ça en ses presque vingt-deux ans d'existence, c'est dire à quel point elle rayonne de joie. Mais cela rend aussi l'idée de partir beaucoup plus difficile, pour l'une comme pour l'autre. Rosalie est triste de ne pas pouvoir être là pour Alexine jusqu'au bout de la grossesse, et surtout pour la naissance. Alexine est triste de ne pas avoir sa mère pour lui tenir la main et lui donner des conseils.

Chez les Castain, à part Adèle, il n'y a guère d'autres femmes, et encore moins ayant déjà donné naissance. Elle est certaine qu'elle aura les meilleurs soins et les meilleurs personnes pour l'assister, mais du reste... Elle sera seule.

Que ce soit la grossesse ou la date approchante, Alexine a de plus en plus de mal à accepter ce départ.

Les cris de ses frères et sœurs lui manquent déjà.

Et Lucie. Et Mathilde. Et Iseut. Et Godefroy. Et Elaine. Et sa mère. Et même Honoré.

Ah, elle n'a vraiment pas envie de partir. Elle s'est trop habitué à sa petite vie tranquille chez les Gueret maintenant.

Aucun moyen de rendre la séparation plus supportable maintenant.

Elle soupire, une main posée sur son ventre, le regard posé sur Constantin, Louis et Camille s'amusant à voir qui va récolter le plus de terre sur leurs vêtements.. Elle aurait aimé que son enfant naisse ici, dans un milieu calme avec un grand domaine sur lequel il peut courir, entouré d'une grande famille aimante avec d'autres enfants avec qui il peut jouer...

"Tu as l'air bien triste, ma chère femme."

Alexine tourne son regard vers Anatole, debout à côté d'elle et souriant. Même s'il a l'air un peu fatigué, il est toujours aussi beau, et Alexine lui envie un peu cela. Ses cheveux blonds, un peu plus long que d'habitude, sont attachés en une petite queue de cheval basse qui lui va plutôt bien, mais est également étrange sur lui. Ses yeux bleus, illuminés par le soleil éblouissant du début d'après-midi, n'ont pas changés, eux, depuis qu'ils se connaissent, si ce n'est pour cette pointe de tristesse qui les hante depuis quelques années à présent. Elle est plus présente ces temps-ci; lui aussi redoute leur départ.

Elle lui adresse un sourire, chaleureux mais gris.

"Je pensais juste à notre enfant, dit-elle, et elle ne manque pas de remarquer comment cela agrandit le sourire de son mari, et de comment il aurait été heureux ici."

Le sourire d'Anatole s'efface quelque peu, et son regard devient lointain quelques longues secondes. Elle sait qu'il pense comme elle; même s'il est heureux de retrouver sa famille, ici aussi, ils sont sa famille.
Puis, il la prend par surprise en s’accroupissant à côté d'elle, posant une main sur la sienne, sur son ventre. Il lui sourit, yeux pétillants, joie évidente sur son visage.

"Peu importe où on est, peu importe avec qui, je sais qu'il sera heureux. Et nous aussi."

L'assurance avec laquelle il lui affirme cela lui fait chaud au cœur et la rassure. Elle ne sera pas toute seule, elle ne sera jamais toute seule, puisqu'il sera toujours là pour elle. Il est avec elle depuis son plus jeune âge, et restera avec jusqu'à leurs vieux jours. Peu importe qu'il n'y a pas d'amour entre eux, il y a bien plus que cela. Ils ont un lien tissé sur des longues années, une amitié presque aussi vieille qu'eux, et ça, rien ne pourra jamais leur enlever.

Elle repousse une longue mèche blonde derrière l'oreille d'Anatole, un geste affectueux comme tant d'autres entre eux.

"Tu as raison; nous serons heureux."

Ils feront une bien belle famille.

——





Alexine Castain ♠︎  « No one can rewrite the stars; 200509025632133765
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Félicitation

Vous êtes officiellement validée ♥️

SUP ALEXINE ?? ON T'ATTENDAIT TOUS AVEC IMPATIENCE MA BICHE

Au cas où tu l'aurais pas compris, je vote Edgar président. Sans aucune raison valable. Je vote juste pour lui. Il égaie le monde partout où il passe (mais si, un peu d'imaginatitgkfc).
ET L'UST ENTRE MATHILDE ET ALEXINE LAAA je suis outré qu'elles ne se soient jamais roulé le patin du siècle. Je gasp d'outrage. Je suis offensé. On sait tous que Mathilde n'attendait que ça. Elle peut mentir, mais je ne la croirai pas. J'ai tout vu dans ses yeux et les mains qu'elle arrêtait pas de coller à celles d'Alexine.
Sinon je demande plus de Charles-Eugène et d'Honoré. Je les ai clairement pas assez vus. Je voulais fonder le fan-club de C-E et j'ai pas assez de matière là, ça va pas du tOUT. D'ailleurs en plus du Lucie/Mathilde et du Mathilde/Alexine, je propose le Charles-Eugène/Anatole. Je dis ça comme ça...... En passant...
Comment ça c'est inadapté, c'est très adapté comme ship ok

Plot twist : Godefroy avait tout manigancé pour garder Anatole pour lui tout se/EXPSLHRGF/
Ou bien DOUBLE plot twist : Elaine avait tout manigancé pour elope avec Anatole. Sans savoir qu'en fait....
TRIPLE plot twist : Mathilde avait tout man/EXPLOSE/

Ok j'arrête. Validation. Je valide.

Par contre y'a pas de mal de fautes, donc si un jour tu veux relire... Dis-moi  Alexine Castain ♠︎  « No one can rewrite the stars; 1614271194

(genre "une adorable enfin avec un sourire à toute épreuve" au lieu de enfant, même si c'était drôl/BRIQUE/)



BON ALLEZ en route madame Castain. Je la vois garder le nom de son mari post-mortem, btw. La petite coquine.

Tu peux dès à présent recenser ton avatar, ton métier et demander une chambre pour t'en faire un petit nid douillet. Tu peux également poster une demande de RP ou créer ton sujet de liens. Ton numéro va t'être attribué sous peu, AVANT LA NOUVELLE ANNÉE, et tu vas être intégrée à ton groupe dans l'instant. Tu arriveras dans la pièce Sud.

Sick burn, Lucie.

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