Thomas a les doigts plein de pâte, comme environ 80% du temps.

Rien de bien inquiétant; quand on est boulanger-pâtissier, c'est même complètement normal - c'est même préférable. Il vient juste de finir de pétrir une salve de petits pains et, bien évidemment, il en a plein les mains. S'il s'écoutait, il mangerait bien ce qu'il a sur les doigts, mais l'image de son père scandalisé par ses pratiques l'en empêche.

Une fois qu'il est certain que les pains ont la forme qu'il veut, il leur donne une dernière tape affective, histoire de, et se dirige vers l'évier pour rincer ses mains. L'eau froide n'est pas très plaisante, mais il a finit par s'y habituer - et il n'allait pas faire chauffer de l'eau à chaque fois qu'il en a besoin, il n'a pas cette patience. Il regarde à regret les morceaux de pâte qui auraient pu être dans son estomac se disperser dans l'eau. Même dans la mort, son père le hantera toujours.

Il est en train de mettre les petits pains sur la plaque afin de les enfourner lorsqu'il entend le son distinct de la cloche de l'entrée. Considérant l'heure et le panneau "fermé" qu'il est certain d'avoir mis, ça ne peut être qu'une seule personne. Un sourire se dessine sur ses lèvre tandis que la voix qui retenti du côté boutique lui confirme sa pensée. Giorgio est arrivé.

Il prend tout de même le temps de finir de placer ses pains sur la planche, mais ne les enfourne pas de suite, puisqu'il serait criminel de les laisser cramer dans le four traditionnel - qu'il ne maîtrise pas encore parfaitement. Il les mettra lorsqu'ils seront tous les deux dans la cuisine, pour mieux les surveiller.

Thomas prend bien le temps de mettre un peu d'ordre dans la pièce avant de regarder sa tête rapidement dans un miroir de poche. Il replace une ou deux mèches de cheveux, mais le reste lui semble à peu près correct.

"Je reviens," murmure-t-il à ses petits pains en quittant la pièce.

Giorgio a l'air totalement dans son élément au milieu de la boutique, bien qu'il se démarque très clairement, comme Thomas en a le souvenir. Le blond lui adresse un grand sourire, s'approchant de lui à grands pas.

"Bienvenue dans mon humble boutique, Monsieur Di Natale," dit-il, ton léger, une pointe de malice sur le bout de la langue. "Comment vas-tu?"

Il n'est pas certain de quel accueil est approprié; ils ne sont pas assez proche pour de grandes embrassades, après tout. De ce fait, il lui tend simplement une main à serrer. Typique, mais safe. Même si Giorgio ne lui semble pas être le type de mec à être gêné par un câlin de bienvenue, on n'est jamais trop prudent.

Thomas laisse Giorgio l'attirer contre lui pour lui faire la bise avec un grand sourire. Si la bise n'est pas exactement une coutume Irlandaise, elle l'est française, et sa mère ne cessait de la lui faire même s'ils se voyaient tous les jours.

'Pour ne pas oublier', qu'elle lui disait. Avec le temps, son accent français s'en allait, avec lui, il lui semblait, sa propre patrie. Elle n'a jamais regretté son choix de partir (elle ne l'a dit qu'à demi-mots, mais Thomas a bien compris qu'il ne connaîtra jamais sa famille de son côté), mais il était évident que certains aspects de son pays lui manquait. Son sourire quand il lui parlait français lui réchauffait le cœur et...

Elle lui manque.

Il se sépare de l'Italien sans perdre son sourire et avec l'impression que quelqu'un a monté le thermostat de plusieurs degrés.

« Très bien, une journée normale qui se termine. Heureusement qu'on ne sent pas la fatigue, par ici. Et toi ? »

Ah, ça, oui, heureusement, considérant le fait que Thomas dort encore moins maintenant que de son vivant. Il aurait cru la mort plus reposante, mais le voilà qui travaille encore plus dur. Bon, il passe aussi plus de temps avec de l'alcool dans le sang et les lèvres sur quelqu'un, mais c'est vraiment le travail qui l'occupe le plus, n'est-ce pas.
Maintenant, même s'il ne dort que quelques heures (parce que son esprit le force, de ce qu'il a compris, à répliquer un semblant de d'habitude de son vivant), il est aussi frais qu'un gardon au réveil.

Très utile, n'est-ce pas. Thomas essaie encore de forcer son esprit a accepter de ne pas dormir du tout, mais il n'y est pas encore. De toute manière, des fois, c'est bien de dormir pendant 12 heures et ainsi d'ignorer... tout.

Il n'a pas le temps de lui répondre que Giorgio a déjà enchaîné, visiblement très enthousiaste d'apprendre.

« J'ai hâte qu'on s'y mette. Montre-moi ton endroit secret. »

Thomas laisse s'échapper un petit rire – pour son enthousiasme, mais aussi pour un double-entendre dont Giorgio n'a probablement même pas l'idée.

Get your mind out of the gutter, Thomas, please.

Il sourit de plus belle.

« Je vais très bien également. J'espère que tu es prêt à mettre la main à la pâte (il lui fait un clin d’œil discret comme un éléphant dans un magasin de porcelaine). Suis-moi. »

Il passe derrière le comptoir et dans les cuisines sans attendre de voir si l'Italien le suit – il n'a nul part d'autre où aller, de toute manière. La cuisine est rustique, comme tout ce qu'il y a sur Asphodèle, mais elle fait certainement le travail une fois que l'on a compris comment se servir de tout. Il n'a pas passé les premiers jours fourré dans la bibliothèque à rechercher comment faire fonctionner son putain de four à pain des années 30 pour rien.

La cuisine est également ordonnée et propre, ce qui pourrait être surprenant lorsque l'on sait qu'elle est seulement fréquentée par Thomas, toutefois il a appris du meilleur – et quand on te rabâche pour le 154384263 fois de nettoyer ton putain de plan de travail, ben, tu le fais systématiquement.

C'est donc fier qu'il se retourne vers Giorgio, avec grand sourire lui fendant le visage.

« Bienvenu dans mon endroit secret. »

L'un d'eux, en tout cas.

« Sympa, non ? »

Spoiler:

Thomas hoche la tête vigoureusement, approuvant les mots de Giorgio. Sentir, c’est bien le plus important dans une cuisine, peu importe ce que l’on y fait. On peut suivre une recette à la lettre, bien entendu, mais où est la passion, l’artisanat dans cela? Son père lui avait appris à ne pas se limiter, car c’était ainsi que l’on progressait, que l’on découvrait de nouvelles recettes. Sans pour autant faire n’importe quoi, bien sûr. On respecte les ingrédients. Les râtés existent, mais ils ne doivent être qu’accidentels.

Mélanger les alcools n’importe comment, oui, pas sa farine et ses oeufs.

« Donc, tu fais tout ça tout seul ? Aucun petit commis ou apprenti ? »

Thomas hoche à nouveau la tête, appuyant une hanche contre le plan de travail métalique déjà entamé par l’usage.

« Pour l’instant, oui. J’espère développer l’entreprise de moi même avant de pouvoir engager quelqu’un. Il faut choisir quelqu’un avec qui l’on peut bien travailler, avec la même éthique, la même vision, ce genre de choses. »

Ça n’est pas chose aisée, vraiment. C’est pour cela que son père formait juste la plupart de ses aides. Genre. Lui. Et sa mère. Nice. Thomas aurait sûrement à prendre un apprenti comme lui, ou bien, avant cela, former un commis pour l’aider à ses tâches. Pour l’instant, tout était encore faisable de lui-même, malgré le retour à la tradition forcée. Pas simple, certes, mais l’avantage est qu’il n’a pas de charges à payer. Si tout est vendu, ben, sa journée est juste terminée. Pas besoin de se casser le dos plus longtemps.

Il fronce les sourcils et laisse s’échapper un petit soupir. Son regard se fait conspirateur.

« Et puis, surtout, il faudrait un rythme un peu plus stable de travail pour moi. Aucun employé ne m’attend dans l’angoisse si j’arrive 3 heures après avec une gueule de bois, tu vois. »

Il devrait peut-être pas dire ça à un collaborateur probable, mais il ne pense pas que Giorgio soit vraiment du type à se faire du soucis pour cela. Il lui adresse un petit sourire charmeur, tout de même, et lisse les angles au cas où.

« Mais, bien sûr, si j’ai une commande importante, j’en fais ma priorité. »

On est pro-fe-ssi-o-nel. On ne boit pas jusqu’à ne plus voir avant une grosse journée.