Immobile, épaule et tempe contre le sol froid, Kenneth resta allongé longtemps encore après s'être réveillé. Il laissa les spasmes lui agiter les doigts, les muscles des jambes ; laissa ses paupières tressauter et hurler contre leur repos forcé. On aurait pu le croire mort. Lui-même n'était pas bien sûr que ce ne soit pas le cas. Peut-être était-il aux portes de l'Enfer, à repousser l'inévitable en préférant se draper de cauchemars.
Le jour où il s'était mis à avoir moins peur d'eux que de se réveiller, il aurait peut-être dû s'inquiéter. Trop tard pour ça.

Mon Dieu, il ne voulait pas se lever.

Quand il s'était réveillé, yeux encore clos, un réflexe qu'il ne s'expliquait pas encore l'avait poussé à tendre le bras ; et plutôt que de s'inquiéter du matelas dur comme de la pierre, de l'absence d'oreiller ou de couvertures, il avait senti son cœur se serrer de ne trouver aucune épaule à secouer. Paupières ouvertes, il n'avait vu que le vide près de lui.
L'idée l'avait plongé dans une telle détresse que, yeux fermés de nouveau, il en avait pleuré. Depuis, il ne bougeait plus. Il n'en voyait pas l'intérêt.
Quelque chose comme du déjà-vu lui martelait les parois du crâne, mais il ne s'autorisa pas à l'écouter. Il se doutait bien que tous les matins se ressemblaient ; y réfléchir ne l'intéressait pas. Ça ne lui aurait rien apporté. Il préférait encore rester allongé là, où qu'il soit, et attendre d'enfin avoir la paix.

Malheureusement, plus le temps passa, plus l'engourdissement de son cerveau se tamisa. Ses neurones se reconnectèrent ; ne pas savoir où il se trouvait commença à l'inquiéter. Il se demanda pourquoi tout était si silencieux. Eut peur d'être mort. Fut soulagé que ce soit peut-être le cas — puis, le cœur noué, terrorisé d'avoir pu penser une chose pareille. Il se rappela des murs blancs, du sol blanc. Bougea les orteils dans ses chaussures cirées. Il ne s'allongeait nulle part avec elles et ne reconnaissait pas l'endroit. Rien n'avait de sens ; il dormait encore peut-être. Ses rêves étaient rarement à ce point vivides, mais c'était encore la réponse la plus logique à ses questions. Le royaume des songes n'avait que trop rarement de sens.
La vie peinait à en avoir plus, ceci dit.

Roulé sur le dos, il ouvrit les yeux.

Le plafond blanc lui gonfla la poitrine d'angoisse ; assis, dos penché, il inspecta ses mains, ses vêtements. Il n'avait pas de soutane sur le dos, mais portait encore la chemise, le pantalon et le col romain qui allaient d'ordinaire avec. Un peu perdu, il regarda autour de lui. Rien ne jonchait le sol ; la pièce était aussi vide et immaculée qu'elle aurait pu l'être. S'il avait rangé son habit quelque part, ce n'était pas ici.
Les deux mains contre le visage, il inspira et expira bien fort contre ses paumes. Ne pas paniquer l'angoissa plus qu'autre chose ; si ce n'était pas un rêve, il avait probablement été enlevé. L'autre réponse logique étant qu'il avait quitté ce monde et se trouvait ailleurs.
Talons enfoncés dans le sol, il recula sans se relever jusqu'à avoir le dos contre un mur. Ne pas avoir vu la paroi venir le fit la heurter plus violemment que nécessaire, et il se reprit la tête entre les mains.

Il n'avait pas envie de hurler ; juste de pleurer. Il se sentait fatigué, ne comprenait rien. Voulait rentrer. Partir. Parler. Voir quelqu'un. Ses souvenirs étaient trop flous pour qu'il réussisse à mettre des images ou des noms sur ses désirs, mais ils n'en restaient pas moins réels. Il voulait aller là. Il voulait les voir.
Tête baissée, il joint ses mains sur ses genoux et récita une prière.

Son nom ne lui serait pas venu instantanément, et il aurait été incapable de réciter son adresse. La prière, pourtant, lui roula sur la langue sans qu'il ait besoin d'y réfléchir, sans hésitation.

« Seigneur Jésus, par cette prière je me remets à toi. J’ai confiance en ta Parole et t’ouvre mon cœur tout entier. Reconnaissant mes péchés, j’implore ton pardon pour chacun d’entre eux. »

L'hypocrisie lui brûla la langue.
Alors, bras noués autour de ses jambes, il se prostra en silence et se résolut à juste attendre.