02|01|04


Lawrence se réveilla avec un mal de crâne à s'en taper la tête contre les murs.
Murs qui, soit dit en passant, n'eurent pas la gentillesse d'arrêter de tourner, ou de changer de couleur pour un truc qui lui pèterait un peu moins les yeux. Rapatrier les mains jusqu'à ceux-ci avec un grognement pour effacer le paysage eut le mérite de calmer la douleur un instant ; sauf qu'il eut alors toute la lucidité nécessaire pour s'inquiéter du fait qu'il venait de se réveiller par terre, dans une pièce vide, et vierge, et blanche.

Son cœur lui sauta dans la poitrine et le redressa sur un genou, en alerte, au mépris du mal de tête qui tambourinait.
Et sans porte, aussi, à priori. Fouiller les murs des yeux ne lui en révéla aucune.

Law ne savait pas ce que c'était que ce foutoir, mais une chose était sûre, il n'avait aucune idée de comment il avait pu arriver là – et là n'était ni chez lui, ni chez Abe. Non, attends, Abe habite à la maison maintenant de toute faç-
L'idée, qui lui avait traversé l'esprit comme une évidence, s'affadit aussitôt pour laisser place à un doute angoissant. Maintenant quand.
Quel jour on est, déjà.
En quelle année.

Il lui fallut un temps presque effrayant pour resituer les dates. C'était flou. Juin 2002. C'était les vacances scolaires. Le. 20 ? Mardi. Quelque chose comme ça. Il avait eu un jour de repos récemment, mais est-ce que c'était la veille, ou l'avant-veille...

Bordel Lawrence Hashem t'as pris quoi.

La partie rationnelle qui commandait à son cerveau lui criait très fort que ce qu'il avait pris, c'était "rien", parce qu'il n'avait plus touché à ne serait-ce qu'un joint depuis 94, et que de toute manière, il avait les idées claires, ni chaud, ni froid, ni mal au cœur, et en somme aucun des symptômes de la gueule de bois.

Migraine mise à part, mais ça, il avait l'habitude.

Mais ça n'avait rien de rassurant, parce que s'il n'avait rien bu et rien fumé, alors c'était qu'on lui avait filé quelque chose. Et pas besoin de dérouler la liste de tout ce qui n'allait pas là-dedans.
Il n'y avait pas quarante endroits où Lawrence s'attendait à se réveiller le matin – ou pas le matin, pour le coup – et aucun n'incluait un quelconque type de cave ou de chambre froide hermétique.

Et impossible de se souvenir ce qu'il faisait la veille ou ce qu'il avait avalé.
Putain.

Sur ses pieds en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, Law fit le seul mouvement susceptible de faire avancer un tant soit peu sa situation, à savoir aller vérifier les murs. Voir si y avait pas une porte ou une trappe planquée quelque part.

Rien n'explosa, mais rien ne se passa non plus.
C'était plus un mauvais pressentiment qu'il avait, là, c'était tous les voyants passés au rouge et une alarme "évacuation immédiate" qui clignotait à la base de sa nuque.

Le sol, froid, tira à son corps un grand frisson ; pourtant, lorsqu’il y posa les paumes pour se redresser et regarder autour de lui, il était tiède.
Timothy avait l’habitude de se réveiller avec la gueule de bois. Ce n’était pas parce qu’il avait été sobre ces dernières années que la sensation de l’étau autour de son crâne disparaissait. Il la connaissait par cœur, elle et les mouvements ralentis, alors que c’était le monde qui ne tournait pas à la même vitesse. Les neurones dans l’ouate, incapables de réfléchir, et les yeux pas fichus de faire la mise au point.

Le flou se dissipa au bout de quelques secondes (même pas si longues). Le mal de crâne et la nausée, eux, restèrent. Il eut un mal de chien à s’asseoir, tant ses bras flageolaient et refusaient de porter son poids. Il chercha machinalement ses affaires d’une main mal assurée, au cas où le blanc ne soit qu’une illusion d’optique, ou le reflet d’un rayon de soleil en plein dans ses yeux. Rien. Ni ses lunettes, ni son réveil, ni son verre d’eau – ni Tara. Il cligna des yeux, et la nausée lui parut soudain bien plus inquiétante.

Il n’avait pas bu. Il ne buvait plus, ça faisait des années. Il ne s’était jamais drogué (dieu merci) et il était trop vieux pour s’être laissé entrainer dans une tournée des bars impromptue. A vingt ans, oui, mais à cinquante ? Avec son passif avec l’alcool ? Non, non. Il était responsable. Il ne pouvait pas avoir bu.

Mais alors quoi ? Où était-il ? Aux urgences ? Il avait peut-être fait une mauvaise chute. Tara l’avait emmené à l’hôpital, et on l’avait mis sous morphine. Ca aurait expliqué la désorientation, la perte de repères et de mémoire (il ne se souvenait ni du jour ni du mois). Ca n’expliquait pas son pull et l’absence de cathéter sous la peau, mais…

Ce fut à ce moment que Timothy se rendit compte qu’il n’était pas seul. Contre le blanc des murs et du sol, la silhouette à quelques pas de lui se détachait avec une clarté quasi douloureuse. Une boule à la gorge, il recula jusqu’à toucher un mur, effrayé, pire qu’un animal acculé.
Alors c’était ça ? On l’avait kidnappé, on allait demander une rançon à sa famille ? Sa pauvre mère. Elle ne méritait pas ça. Pas après tout ce qui lui était arrivé.

Les vêtements et la coiffure du garçon lui semblaient surgir tout droit d’un quartier malfamé de Philadelphie – ou d’une autre époque.

Lorsqu'il fit un énième tour de la pièce du regard et accrocha soudain la silhouette du gars tout déboussolé en plein milieu, Law se demanda d'abord si c'était le mal de crâne qui le lui avait fait louper les premières fois, ou s'il avait des hallus.

What the fuck.

What the fuck indeed. A part le fait qu'il venait de se matérialiser de nulle part - Law essaya une seconde fois de trouver une explication logique et n'en vit aucune - le mec venait pas de chez lui : vu sa dégaine et sa tête, il aurait tout aussi bien pu débarquer d'une autre planète, d'ailleurs.
Et puis, des blancs, chez lui, y en avait pas. Simple.
Le dernier à avoir croisé son chemin c'était l'autre connard de-
La pensée, venue comme une certitude, s'effilocha aussitôt et lui échappa, et Law se retrouva à froncer les sourcils et à supposer que le dernier, c'était Walsh. Ou un autre mec avec une gueule de camé qu'il pouvait pas voir.
Ce qui, curieusement, n'aida pas à le mettre dans de meilleures dispositions.

« ... T'es qui, toi. » Il tapa du plat de la main contre le mur avec un bruit mat qui ne lui apporta aucune satisfaction. « Qu'est-ce qu'on fout là. »

Il disait on, mais pensait à moitié je, parce que si le type était dans son secteur c'était pas pour rien, et la merde n'arrive jamais par hasard.

Sauf que.

Il savait reconnaître la peur et détectait l'agressivité à un kilomètre. Et son copain de chambre, là, il était aussi flippé que lui.
Ce qui, au final, était pas plus rassurant.
Le jeune homme s'accroupit lentement pour se retrouver à la même hauteur que son interlocuteur - quoiqu'à l'autre bout de la pièce - la main toujours collé au mur.
Il était froid.

« ... T'en sais rien, hein. » Ça se voyait à sa tête.

What. The. Fuck.
Lawrence avait fait des conneries, mais aucune qui puisse encore lui retomber sur le coin de la gueule là, maintenant.
Alors quoi ?

Le mec tirait la gueule, et Timothy eut très peur de se faire racketter voire planter tout court ; et c’était pas du racisme, juste un peu de préjugés mélangés à la situation dans laquelle il se trouvait. A savoir : désorienté, malade, enfermé dans une pièce toute blanche avec un inconnu. Qu’on lui jette la première pierre.
Heureusement pour lui, l’inconnu en question ne sortit pas de lame. Il se contenta de frapper le mur en lui demandant ce qu’ils foutaient ici, question à laquelle Tim n’avait aucune réponse et qui le fit naturellement paniquer. Quant à « qui » il était, pas sûr que dire « Timothy Osborne, enchanté » lui apporte quoi que ce soit. C’était pas ce que le type voulait entendre.
Silence.

Il déglutit. Il avait soif. Envie de s’allonger. Chaque bruit perçait ses tympans. La sensation de gueule de bois lui donnait envie de paniquer. Quand le type s’accroupit, il le suivit des yeux comme un petit animal acculé. C’était pas parce qu’il lui avait pas déjà sauté dessus qu’il ne le ferait pas. Les gens sont imprévisibles, surtout en situation de stress. Suffisait qu’il sorte un truc qui le fasse revenir sur ses paroles, et là…

« N-non. Je me suis réveillé là, j’en sais rien. »

Sa voix lui semblait engourdie mais moins rocailleuse que d’habitude. C’était déjà ça.

« J’ai rien fait, j’ai aucun souvenir de rien, je… »

Il pinça les lèvres, incapable de continuer. Il se souvenait s’être couché, mais tout avait l’air bizarrement lointain et il ne faisait pas confiance à sa mémoire. Peut-être qu’il était sorti, qu’il était tombé dans un guet-apens, que…
Que quelque chose, merde. C’était quoi cet endroit bizarre ? Qu’est-ce qui leur était arrivé ? il avait besoin d’une explication rationnelle. Ou pas rationnelle, tant que l’explication impliquait pas d’alcool.

Même les petits hommes verts, il prenait.