Puisque vous avez besoin de votre numéro, et que vous devrez bien aller le chercher un jour ou l'autre — à moins de ne vouloir vous faire arrêter régulièrement et payer des amendes pour pas grand chose —, vous décidez d'accepter la proposition de l'autre daemon. Ce sera peut-être moins fastidieux ou désagréable à deux. Qui sait.
Vous repassez par chez vous ou non ; prenez votre temps ou non. Quoi qu'il en soit, vous devez attendre que le train passe. Difficile de se rendre en ville autrement.
Sans votre numéro, vous êtes en fraude constante. Heureusement que vous n'avez pas besoin de ticket pour prendre le train ; heureusement que personne ne vous contrôle. Vous n'avez pas le plus atypique des physiques, pour un daemon. Ce serait bien le moment qu'on vous accuse d'être un humain sans uniforme.
Prouver son appartenance à un groupe n'est pas forcément agréable. Vous n'êtes sans doute pas fâché d'éviter ce contretemps.
Lorsque vous arrivez aux quais du centre-ville, il y a de l'animation. Un certain nombre de policiers ; du monde, comme d'habitude, mais peut-être un peu plus d'agitation. Vous ne sauriez dire si c'est dû à ce qui vient de se passer dans l'Érèbe ou non. La présence de plus de forces de l'ordre que d'habitude, sans doute — d'autant plus concernant ceux qui disparaissent dans le train derrière vous.
Pas trace d'Eeva. Ceci dit, vous l'avez peut-être juste ratée. Pour peu qu'elle soit arrivée avant, se soit trouvée dans un wagon plus loin que celui où vous vous êtes assis et qu'elle en soit sortie aussi vite, vous ne l'auriez pas vue.
Rien d'étonnant ni de suspect. Elle vous a dit que vous vous retrouveriez là-bas, de toute façon. Si elle n'y est pas, vous pourrez l'attendre.
Vous faites le chemin jusqu'aux bureaux et, une fois à destination, constatez l'absence de cette dernière. Vous ne savez pas bien si vous êtes censée l'attendre dehors ou dedans ; au niveau du secrétariat général ou de celui de la police. "Là-bas", c'est vaste.
Vous n'avez pas à vous poser la question très longtemps ; cinq minutes plus tard, une voix que vous reconnaissez sans mal vous interpelle.

Habillée d'un long poncho dans des tons neutres, ballerines blanches aux pieds, la daemon vous adresse un signe de bras enthousiaste. Elle se sera au moins changée avant de venir, à l'évidence ; le tissu est suffisamment long pour cacher son corps jusqu'à mi-cuisses, mais vous supposez qu'elle n'est pas restée en maillot dessous.
Probablement.

« T'as pas trop eu à attendre ? J'ai essayé de me dépêcher, mais j'avais un truc à faire vite fait avant. »

Tout en s'expliquant, elle vous rejoint et pousse les portes d'entrée des bureaux. Ses pas sont assurés ; elle n'attend pas qu'on la guide ni qu'on lui donne la permission avant de traverser le hall et de bifurquer vers le couloir de droite. Vers ce que Lethe aura qualifié de commissariat, vous supposez.
Les deux personnes chargées de l'accueil des nouveaux sont occupées à regarder une feuille derrière le même bureau ; la secrétaire, au bout du hall, ne vous accorde pas un regard.

« Elle t'a dit quelque chose, après que je sois partie ? Cocytus. »

Il est vrai qu'elle est partie avant que vous vous sépariez.
Et vous avez le temps de discuter un peu avant d'arriver, vous supposez.

Les yeux d'Eeva se lèvent vers votre visage ; de manière inconsciente ou volontaire, elle ralentit le pas. Les grandes enjambées guerrières sont assez peu adaptées à la discussion, vous supposez. Plus facile de parler quand on ne court pas.
L'expression de la daemon vire rien moins qu'ennuyée lorsque vous mentionnez un excès de zèle. Son regard se détourne vers le couloir que vous traversez ; un soupir lui file entre les dents. Pour autant, elle n'a pas l'air pressée de vous interrompre. Ni de prendre la parole, à en juger par le court silence qui suit votre dernière affirmation.
Elle relève ensuite la tête vers vous, grimace aux lèvres.

« Ça m'étonne pas, en vrai. Les gardes, c'est genre... Sécurité musclée. Je vois pas trop pourquoi ils s'amuseraient à prendre des numéros. Mais bon — en même temps j'en sais rien, moi, c'est pas clair leur histoire. »

Ses derniers mots ne sont ni plus ni moins qu'un grommellement irrité. Elle n'a pas l'air très sûre de ce que les gardes peuvent ou ne peuvent pas faire ; vous la comprenez sans doute, étant donné que vous avez accepté de donner votre numéro sans broncher.
Que ce ne soit pas habituel, ou que ça ne vous soit en tous les cas jamais arrivé à vous, ne veut pas forcément dire que c'est interdit. Que ce n'est pas dans leur juridiction. Et dès lors qu'il y a un doute, eh bien — il faut choisir entre remettre l'autorité en question et abdiquer sans broncher.
Les gardes peuvent faire peur. Beaucoup abdiqueraient, à priori.

« Après ils sont en conflit, oui, donc. » Elle hausse les épaules d'un geste sec. « Ça se trouve elle a dit ça juste parce qu'elle l'aime pas. Je sais pas c'est quoi, leur problème, mais y'en a un. Cocytus fait toujours "nooon, j'aime tout le monde, gnagnagna", tu parles. C'est une connasse. Lethe, au moins, on sait ce qu'il pense. Enfin peut-être. »

Vu son air blasé, le contenu des pensées en question n'a pas l'air de beaucoup l'impressionner.

« Ah ! C'est ça que je disais, tout à l'heure. J'ai entendu dire qu'elle avait un truc à voir avec son... » Elle plaque sa main contre son œil droit, juste le temps pour vous de comprendre de quoi elle parle. « Enfin j'ai entendu parler de Kharon, aussi, donc je sais pas. Un des deux. Ça m'étonnerait pas, ils sont bizarres. À tous  les coups Phlege a pris aussi. Moi j'ai pas confiance. »

Vous n'avez pas l'impression que son avis sur la question soit très étudié, mais elle en a un. Ça, c'est certain.
Et d'après la rumeur qui va croissante — et l'inconnu en uniforme de police que vous croisez en sens inverse, signe de tête poli à l'appui — vous ne devez plus être très loin de vôtre destination.

Votre question tire un haussement d'épaule indécis à votre compagne de route. Ses ballerines foulent discrètement le sol, le pas volontairement plus léger que quelques instants plus tôt. Vous n'avez pas l'impression que la délicatesse soit sa plus grande qualité. Avoir de la force dans les jambes et une bonne partie de son poids dans le bas du corps ne doit certainement pas aider.
Pas d'avis sur ce qui peut faire du mal à un garde, en tout cas, à en juger par sa gestuelle. La suite lui tire une grimace, ce qu'elle a de lèvres pincées entre ses dents. Très bonne question. Vous aimeriez à penser que des gardes dangereux ou incompétents seraient tenus à l'écart d'une arme. D'un insigne. De responsabilités.
On ne laisse pas un danger public s'occuper du public en question.
Simple comme bonjour. Logique. Élémentaire.

« Mmmh. Ça, je sais pas. Pas sûre qu'elle se balade beaucoup là-bas, mais j'ai jamais entendu dire qu'elle avait carrément pas le droit de le faire. C'est bizarre. »

Nouveau haussement d'épaules ; elle croise les bras, mal à l'aise. Lorsqu'elle reprend la parole, c'est un ton plus bas.
Vous bifurquez sur la gauche. Passez devant des escaliers ; repartez à droite.

« Après qu'est-ce qu'on en sait, hein, de ce qu'ils fichent vraiment. Ils peuvent pas passer leurs journées à faucher les guignols qui vont dans les hors-limites et à ramener les humains aux bureaux. »

Une hypothèse raisonnable. Leurs attributions précises ne sont pas connues du grand public ; pour autant que vous en sachiez, ils s'occupent principalement de ces deux secteurs. Sans doute qu'ils participent aussi à des affaires de police. De prévention. De répression.
Tout est possible. Vous pouvez tout imaginer.
Ils peuvent tout aussi bien ne rien avoir à faire de leurs journées, et juste être là pour faire peur.

Qui le saurait ?

« En tout cas, moi, je pense que y'a qu'un garde qui peut faire mal à un autre garde. Parce que sinon, euh... »

Vue la tête qu'elle tire, pas difficile de deviner qu'elle n'apprécie pas cette perspective. S'il y a quelqu'un d'autre (ou autre chose) capable de mettre à terre un garde, alors elle ne veut pas y penser.
Ce qui peut se comprendre.
Sur la fin de sa phrase, vous entrez dans le secrétariat de police. Il y a du mouvement ; policier, principalement. Vous voyez peut-être un ou deux civils attendre dans un coin, mais le reste des personnes qui passent portent la veste et le brassard des forces de l'ordre.
Eeva, motivée, part directement poser les paumes contre le bureau de la secrétaire.

« Bonjour ! Lethe nous a pris nos numéros. Il a dit qu'on devait venir les chercher ici. »

Ça a le mérite de laisser la secrétaire perplexe, sur le coup. Elle vous lance un "un instant..." précautionneux, sourcils haussés puis froncés, avant de se mettre à bouger des papiers devant elle, sous la partie haute du bureau.
Dans votre dos, vous entendez des éclats de voix mécontents. Quitte à attendre, vous pourriez aller voir si quelqu'un dit quelque chose d'intéressant ; il y a des chaises, là-bas, tant qu'à faire. Vous pouvez aussi rester bien sagement à côté d'Eeva le temps que la secrétaire se décide à trouver quoi faire de vous. Comme ça, vous pourrez écouter ce qu'elle dit et agir en conséquence.
La daemon n'a pas l'air dérangée à l'idée de mener les opérations, en tout cas. Vous doutez qu'elle vous empêche de bouger ou non.

C'est vous qui voyez.

Vous vous éloignez un peu ; Eeva vous jette un coup d’œil en vous voyant bouger, mais ne semble pas s'en préoccuper outre-mesure. Son attention revient rapidement se poser sur la jeune femme face à elle, toujours en train de bouger des papiers, tapant d'un doigt palmé contre le bureau pour montrer son impatience.
À moins qu'elle ne tente de l'intimider pour la faire aller plus vite. Auquel cas ça n'a pas l'air de marcher fort. La tentative resterait louable, vous supposez.
Le coin le plus stratégique étant celui près du couloir face auquel vous êtes arrivé, tout près des chaises, c'est là que vous vous mettez. Eeva-Tuuli est à votre droite, un peu en avant ; le couloir directement près de vous ; les discussions en face ; et, plus loin, le couloir d'où vous venez, qui donne sur le hall et les escaliers.
Pour l'instant, les seules choses qui attirent votre attention sont la discussion d'un côté et les tapotements pressés d'Eeva contre le bureau du secrétariat de l'autre. Vous savez ce qui se passe là-bas (contrairement à la policière, à l'évidence), donc vous reportez votre attention sur les éclats de voix étouffés.

Trois personnes semblent en grande discussion. Des policiers, d'après leurs vestes et brassards. Celui que vous voyez le mieux est grand et a les épaules larges ; la peau claire, des cheveux courts, plutôt blonds. Des yeux marrons. Un peu de barbe et de moustache. Rien de particulier ni de marquant, si ce n'est qu'il a l'air inquiet. Voire excédé.
La seconde est très petite, comparée à lui. Peau halée, cheveux au carré, yeux bruns. Inquiète également.
Du dernier, vous ne voyez que le dos. Vous pouvez dire que c'est un homme, probablement, et qu'il a les cheveux très foncés ; courts, ondulés. Plus petit que le premier, et que vous. Impossible de donner plus de précisions.

« Écoute, je suis d'accord avec toi. » Le troisième homme ; celui qui vous tourne le dos. « Mais qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ?

— Rien. J'ai compris. » Le premier. La frustration glisse dans chacun de ses mots ; de là à dire qu'il est en colère, il n'y a qu'un pas. « Tu es sûr qu'il n'a pas juste —

— Sûr ? Non. Mais presque. À moins qu'il ne soit capable de respirer sous l'eau, évidemment — alors tu m'excuseras d'encore douter de ses compétences, mais j'émets tout de même un doute sérieux sur la question. »

À cela, l'autre répond par un froncement de sourcils, prêt à rétorquer — sans trop de gentillesse, vous le craignez.
La jeune femme passe une main sur son bras, sans mot dire. Il lui jette un regard en biais et se détend un peu.

« Ça fait une heure, Yakov. Une heure. »

Son ton se fait suppliant. Pour un peu, vous auriez envie de dire qu'il est nerveux. Voire qu'il a peur.

« ... J'ai remarqué. »

Ni animosité ni froideur dans la voix, cette fois. Au pire, il est désolé ; au mieux, il est inquiet. Difficile à dire. Vous ne voyez pas son visage. Juste ses bras croisés et sa tête un rien baissée.
Sur votre droite, vous entendez Eeva s'exclamer un "PARDON ?" suffisamment sonore pour attirer l'attention d'absolument tout le monde dans sa direction.
Plus offensée qu'autre chose, en soi — mais vous devriez peut-être aller voir.
À moins que vous ne préfériez suivre la conversation, et espérer qu'elle vous fasse un compte-rendu acceptable plus tard.

À priori, Eeva ne va pas mourir de combustion spontanée dans la seconde. Vous lui faites confiance pour ne tuer personne, ne pas faire de scandale et ne pas vous attirer plus d'ennuis que vous n'en avez (peut-être) déjà. Ce serait ennuyeux — et ce à plusieurs titres. Pas uniquement parce qu'elle aurait commis un meurtre.
Lorsque vous reportez votre attention sur le reste de la pièce, les policiers viennent de lâcher votre consœur des yeux. Le blond soupire ; la jeune femme lui dit quelque chose, mais vous ne saisissez pas quoi. Elle parle trop bas pour que, même à cette distance, vous puissiez espérer comprendre plus que des sons épars. Toujours est-il qu'il lui adresse un sourire triste et un hochement de tête, et qu'elle répond en lui frottant le bras de nouveau. Quoi qu'elle ai dit, vous supposez que ça ne devait pas être horrible. Encore moins cruel.
Les personnes qui traversent le secrétariat, dans un sens ou dans l'autre, ne s'attardent jamais. Vous entendez des bribes de conversations quand un duo s'engouffre dans une pièce, mais rien de marquant ; vous notez tout de même que personne ne cherche à entamer une conversation avec les trois que vous surveillez. Des signes de tête sont échangés quand quelqu'un passe à proximité, mais ils doivent sembler suffisamment occupés et — ou — sérieux pour se garantir un minimum de tranquillité.

Après quelques secondes de blanc durant lesquelles vous entendez surtout Eeva grommeler allez savoir quoi de sûrement très poli sur votre droite pendant que la secrétaire lui demande de se calmer, le dénommé Yakov soupire.

« Je peux demander à Styx de longer la rivière dans les hors-limites, si elle a le temps et que vraiment tu crois qu'il aura pu se faire entraîner jusque-là sans se noyer. Mais j'ai du mal à y croire. Javier a de la force, soit, mais il a aussi des réflexes de vivant — et je t'assure que la rivière ne plaisantait pas. »

Des réflexes de vivant. Jolie manière de dire qu'il doit respirer. À supposer que le potentiel noyé en question soit humain, ou ne soit pas au moins partiellement marin, vous doutez en effet qu'un séjour prolongé sous l'eau puisse lui avoir été bénéfique.
Eeva-Tuuli a l'habitude d'être dans l'eau. Elle est faite pour ça ; c'est visible. Net. Pour autant, elle a eu peur de se noyer. Alors quelqu'un d'autre...

« ... Non, je sais. Je te crois, c'est juste — je m'inquiète, soupire l'autre. S'il était mort, il devrait être revenu depuis longtemps.

— Alors soit il ne l'est pas, soit il y a un problème. C'est tout. »

Le côté très pragmatique de son collègue semble chagriner le policier plus que l'offenser ou l'énerver ; il croise les bras, malheureux, et secoue la tête de gauche à droite.
Vous n'entendez pas ce qu'il répond, cependant. Une main s'abat sur votre bras avec force et conviction, rapidement suivi par la voix ennuyée de votre compagne d'infortune, et chasse tout le reste.

« Okay, alors. Lethe a bien déposé nos numéros là, il a juste tout mal foutu comme d'habitude. » Un bref coup d’œil vous apprend qu'elle parle suffisamment fort pour avoir de nouveau attiré l'attention des policiers ; celui qui vous tournait le dos vous lance un regard à demi discret seulement. « Bref — en gros on est noté comme fraudeurs, c'est pareil que si on avait été fauchés. Ils ont pas l'habitude des daemon, blablabla, incompétents, on va devoir payer une amende pour récupérer nos numéros. »

Ah.
Elle lève les yeux au ciel, bras croisés.

« On peut aussi genre. Contester les dires de Lethe, et dire que y'a eu abus de pouvoir ou je sais pas. Tu parles, ça va rien donner, grommelle-t-elle. Tu veux faire quoi ? »

Une bonne question, effectivement. En soi, vous étiez dans les hors-limites ; contester tiendrait un peu du mensonge. Voire complètement. Vous doutez qu'ils se préoccupent trop des circonstances, atténuantes ou non. Et il y avait un autre témoin. Voire deux.
... Pas sûr que Cocytus aille défendre son collègue, ceci dit.

Mais voilà. C'est l'un ou l'autre, quoi qu'il en soit.

Eeva vous adresse une grimace mi-compatissante, mi-en colère. Vous ne pensez pas que ce soit contre vous. Elle est irritée par la situation de manière générale ; ça se voyait déjà dans l'Érèbe, ça se voit d'autant plus à présent. Les conséquences de sa petite promenade dans les hors-limites (ses, même — elle y est retournée volontairement) ne semblent pas lui faire plaisir.
Vous pouvez comprendre. Elles ne vous font pas plaisir, à vous non plus. Après tout, la situation était exceptionnelle ; particulière. Il y avait des personnes en danger. À aider. À sauver, même : c'était plus ou moins une question de vie ou de mort, pour Eeva. Vous ne seriez pas allé sauter les barrières juste pour ennuyer les gardes.
Et même si vous l'aviez fait, eh bien. Ce n'est pas le cas, présentement. C'est l'important.

« Oh, non. Va falloir qu'on signe un truc, et après ils vont nous les rendre. Si tu peux pas payer tout de suite, ils enverront juste une relance genre, euh... C'est au bout d'un mois, je crois, répond-elle, concentrée. Et si tu paies toujours pas ils viennent t'embêter, et si tu peux pas payer tu te retrouves à faire du travail d'intérêt général et blablabla. Tout ça. »

Malgré sa prose tant précise qu'élégante et les éclats de voix agités qui reprennent non loin, vous en tirez l'essentiel. Soit vous payez maintenant, soit vous payez plus tard, soit vous effectuez des travaux d'intérêt général.
Avant d'en venir à l'autre option, elle vous saisit le bras à peu près doucement et vous incite à vous baisser. À l'évidence, elle préfère éviter que la secrétaire l'entende.

« Et rien ? Je pense pas. Sauf si quelqu'un — » Elle se dessine des cornes, ennuyée. « — décide de nous traiter de menteurs. Là, je sais pas. Au pire, le temps qu'ils gèrent le machin, on aura rien à payer et rien d'écrit sur notre casier. Mais bon, je suis vraiment pas sûre que ça marche. Enfin, à la fin, quoi. Au début si mais. »

Une solution à moyen-terme, à minima. Ça implique de remettre la parole de Lethe en cause — et donc de dire qu'il a menti à la police, ce qui n'est pas rien — et de peut-être vous faire taper sur les doigts plus tard ; ça peut aussi vous sauver de tous problèmes, et éviter d'être potentiellement catalogué comme sauteur de barrières.

« Javier ! »

Et quelqu'un d'autre vient d'arriver, apparemment.
Impossible d'en savoir plus tant que vous n'aurez pas donné de réponse à Eeva ; elle tient votre concentration en otage plus fort qu'un geôlier, prête à vous secouer si vous vous égarez même un instant.

« Si t'es chaude... ? » La langue d'Asphodèle vous permet de l'entendre passer du féminin au neutre, incertaine, à mi-chemin du mot. « Je remplis leur machin et on conteste. Sinon tant pis, moi je m'en fous. Faut juste qu'on soit d'accord, quoi. »

Ça semble mieux, effectivement. Si l'un de vous dit "si si, on était bien là-bas, on le mérite" et que l'autre scande "JAMAIS je n'ai posé UN SEUL PIED dans les hors-limites", il va y avoir conflit d'intérêt.
Bien sûr, vous pourriez aussi aller expliquer la situation vous-même. Au moins, vous seriez sûr des mots qui vont être mis dans votre bouche. Impossible de savoir ce qui se passe autour de vous si vous êtes occupé à signer des papiers, ceci dit.

Donc.

Eeva regarde vos épaules s'affaisser, et la finesse de ses lèvres fait qu'elles disparaissent aussitôt pincées. Elle vous regarde ; jette un coup d'œil par-dessus son épaule, en direction du secrétariat à proprement parler. Vous voyez presque les rouages tourner dans sa tête pendant les quelques secondes où elle ne dit plus rien, concentrée et sage.
Vous doutez que ça dure. Elle n'a pas l'air du genre à rester en pla — ah.
Une tape énergique sur votre bras vient accompagner le pouce qu'elle lève dans votre direction — et qui, étant donné les circonstances, peut sembler vaguement inquiétant. Elle a l'air très sûre d'elle, d'un coup.

« Gotchu, assène-t-elle dans un anglais à l'accent pour le moins mémorable. T'en fais pas, je vais gérer ça. Bouge pas. »

D'un pas conquérant, elle fait demi-tour et part claquer la main contre le bureau de la secrétaire. Très littéralement. Ça la fait sursauter (la pauvre), mais vous doutez que votre présence aurait changé quoi que ce soit ; pas sans littéralement attraper la main de la daemon avant qu'elle n'ait pu frapper le bois avec.
Abandonnant votre sort à la délicatesse toute relative de votre comparse, vous reportez votre attention sur ce qui se passe de l'autre côté de la pièce.

Le temps qu'Eeva procède à son conseil de guerre, un autre homme est arrivé ; grand, la peau mate, foncée, vêtu de la veste de la police. Ses cheveux bruns sont un rien en désordre et il ne vous semble ni heureux ni tranquille, mais il rassure tout de même son collègue blond avec une persévérance qui force le respect.
La crédibilité laisse à désirer, certes, mais il aligne les "ça va" aux "je vais bien" avec une cohérence remarquable.

« Ça va, je te dis.

— Javier.

— Je t'assure, c'est passé, ça...

— Passé ? Mourir ?

— ... C'est pas la première fois, et — »

Le premier homme — celui dont vous ne connaissez toujours pas le nom — laisse un grondement lui filer entre les lèvres ; la seconde suivante, les mains qui tenaient les bras de son collègue lui passent dans le dos et derrière la nuque.
L'autre se tend ; proteste. Vous voyez son corps se crisper de bas en haut, doigts appuyées contre son épaule pour tenter de l'éloigner. Il résiste. Et pas juste un peu : même d'ici, vous voyez que l'autre doit y mettre de la force pour l'empêcher de se soustraire à son étreinte.
Puis, d'un coup, il abandonne.
Ses bras retombent le long de son corps. Son front cogne doucement contre l'épaule de son collègue, cachant son visage à votre vue. Tout son corps soupire en silence.

Un moment de silence passe.

« Tu étais où, Javier ? »

De là où vous êtes, vous ne voyez pas l'expression sur le visage du blond ; encore moins la tête que peut faire le grand blessé. Vous notez tout de même que le dénommé Yakov a l'air suspicieux plus qu'autre chose, que la jeune femme qui était avec eux a disparu vous ne savez où, et que le blond serre son collègue plus fort face à la question.

« Comment ça, où ? J'étais dans une rivière, et après j'étais dans ma pièce avec un mal de crâne carabiné. Je n'ai pas vraiment eu le temps de faire un jogging. »

Aucune animosité dans sa voix ; il vous semble surtout fatigué. Il ne fait même pas mine de vouloir relever la tête pour répondre.

« ... Ça fait une heure, Javier. Tu es sûr que tu n'as pas perdu connaissance ? »

À cela, il relève la tête ; en profite pour faire un pas en arrière et glisser hors de portée de tout bras consolateurs.
Il pourrait difficilement avoir l'air moins confus.

« Pardon ? »

L'autre policier ne le lâche pas des yeux.

« On en parlera ailleurs. Plus tard. J'ai encore des rapports à faire et parlé à trop de monde pour deux semaines.

— Okay ! C'est bon ! »

La voix d'Eeva vous coupe dans votre contemplation, et vous empêche d'entendre la réponse des autres policiers. Elle vous adresse un grand sourire et vous plaque votre numéro sur le torse, côté adhésif en premier. Il reste accroché à votre haut comme un trophée, à peu près aussi fier qu'elle.

« J'ai réglé ton amende. » Elle vous attrape le bras et vous entraîne vers le bureau. « Bon, faut que tu signes, par contre. Ensuite on sera libres ! Liiibres. »

Elle exagère la fin de la phrase, clairement ennuyée, en adressant un froncement de sourcils à la secrétaire. Le sourire de cette dernière oscille à mi-chemin de la grimace.
Vous ne doutez pas qu'elle ait hâte de vous voir partis, elle aussi. La manière dont elle vous tend la feuille et un crayon ne ment pas.

Si vous ne savez pas lire l'anglais, Eeva vous la dicte ; en essence, c'est juste un papier indiquant que vous êtes passé aujourd'hui récupérer votre numéro, que c'est bien le vôtre, que vous avez conscience des raisons pour lesquelles il vous a été confisqué et des charges qui sont liés à cet évènement. En l'occurrence : être allé dans les hors-limites.
Rien de nouveau. Vous savez, effectivement.

Rien de bizarre là-dedans, à priori.

La secrétaire vous regarde prendre le crayon, sourire soulagé au visage. Eeva, elle, se contente de s'accouder au bureau (sans gêne aucune) et de lever les yeux au plafond. Elle vous paraît un peu embarrassée par votre réponse, mais ça ne dure pas ; son énergie revient aussi vite effacer tout le reste.

« Nooon, laisse. Sérieux. Tu m'as aidée, je t'aide ! C'est normal. Ça me fait plaisir. »

Un haussement d'épaule vient accompagner son grand sourire. Derrière le bureau, la secrétaire récupère votre feuille et vous remercie avant de vous adresser un "au-revoir" qui pourrait tout aussi bien être le plus poli des "oust, allez-vous-en". Le message est clair, au moins. C'est déjà ça.
Tout en vous attrapant le bras pour vous entraîner à sa suite, et non sans avoir accordé un froncement de sourcils à l'employée, Eeva reprend :

« Je suis pas, euh. Dans le besoin. Ça va. » Semblant enfin se rendre compte qu'elle est un peu trop tactile, elle vous libère et se remet à distance raisonnable. « Puis j'ai pas besoin d'un vingt-cinquième bikini, il paraît. »

Son sourire prend un angle coupable tandis qu'elle lève les yeux au ciel. Vous dépassez les policiers dont vous avez espionné la conversation ; le plus petit d'entre eux — Yakov ? — disparaît par une porte, laissant ses deux collègues entre eux. Le blond persiste à tapoter les bras de l'autre comme une mère inquiète et, si vous n'entendez pas ce qu'ils se disent (ils ont largement baissé le ton), vous devinez au ton que ni l'un ni l'autre n'est rassuré. Les raisons, c'est autre chose — mais ils ne vont pas passer une bonne journée, vous le craignez.
Elle a dû mal commencer, tant qu'à faire.

Un peu comme la vôtre.

« Bon après si t'es riche te gêne pas, hein ! Mais ça me dérange pas. »

Elle ne laisse rien passer qui puisse vous faire croire le contraire, en effet. Si ça la dérange, elle sait le cacher ; et à la façon dont vous l'avez vue réagir jusqu'ici, vous n'êtes probablement pas convaincu qu'elle soit du genre à cacher quoi que ce soit. Ni à savoir le faire, ni à avoir envie de le faire.
Elle vous paraît plutôt directe. Et franche.
Trop, peut-être.

Le chemin jusqu'à l'entrée des bureaux ne va pas être long ; si vous avez encore quelque chose à lui dire ou à lui demander, c'est sûrement le moment.

Eeva-Tuuli vous sourit, les deux pouces levés pour marquer son assentiment. À l'évidence, elle vous apprécie suffisamment pour ne pas juger les perspectives "super copines" et "si tu as besoin de moi tu me demande" comme étant des corvées. Et pas uniquement parce que vous avez l'avantage de ne pas être Cocytus. Vous espérez qu'elle n'aime pas chaque habitant d'Asphodèle sauf le garde. Ce serait légèrement inquiétant.
Pour qui, c'est autre chose.
Lorsque vous baissez le ton, elle se rapproche un peu de vous sans s'arrêter de marcher pour autant. Les couloirs sont des lieux de passage ; les policiers, employés ou visiteurs que vous pouvez croiser sur le chemin ne vous prêtent pas plus d'attention que ça. Malgré tout, inutile de se donner des airs de comploteurs finis en s'arrêtant dans un coin pour marmonner.
Elle n'a pas l'air de vouloir rester là, tant qu'à faire.
Vos paroles lui font froncer  les sourcils. Elle réfléchit en silence un moment après que vous vous soyez tu, sa réflexion trahie uniquement par un "mmm" à peine audible.

« Ça me dit rien, non. Enfin pas le truc de la rivière, en tout cas. L'Érèbe fait pas ça aux daemon. Les humains, bon. Je sais pas. » Elle hausse les épaules, l'air de dire "pas mon problème". « Y'a pas trop de courant, d'habitude. Là c'était juste. Pire. Mais j'ai été dessous, eh bah — si tu te fais emporter, tu te noies, ça c'est sûr. J'ai eu de la chance de pouvoir m'accrocher à un truc et d'être bonne en apnée. »

Elle croise les bras, moue aux lèvres.

« Kharon doit être bon en apnée aussi. Enfin Lharon, corrige-t-elle en soufflant un rire par le nez. C'est résistant, ces machins-là. Par contre mourir et pas revenir tout de suite, c'est... »

Silence.

« ... Bizarre. Jamais entendu ça. Enfin tu me diras, je fais pas super gaffe non plus à ces trucs-là ? Je veux dire — les gens que je connais ont pas trop tendance à aller mourir, donc. Ouais. »

Une affirmation aussi logique que rassurante. À moins de travailler dans un secteur très à risque, ou de passer son temps à sauter les rubans, vous doutez que grand monde se retrouve à devoir reset en continu. Encore faudrait-il se rendre compte du problème pour savoir qu'il y en a un.
Et c'est sans compter sur le fait qu'Eeva comme vous êtes des daemon, et que vous ne revenez pas à un endroit fixe. Sans personne pour vous dire "ça fait une demi-heure", vous ne pouvez pas jurer que vous vous en rendriez compte.
Rassurant.

Arrivés près du hall, Eeva pousse un gros soupir et accélère la marche. La longueur de vos enjambées vous permet de la suivre en bien moins de pas ; elle tient la porte d'entrée ouverte pour vous puis étire ses bras au-dessus de sa tête.

« Aaaah. Je hais les bureaux. » Au cas où le message ne serait pas bien passé, elle grimace. « Bon, j'ai d'autres trucs à faire en ville, je vais en profiter vite fait. »

Sur quoi elle vous enlace (avec plus de force que nécessaire, sans trop de surprises) et vous adresse un grand sourire puis, une fois un peu éloignée, un signe de la main.

« Si j'ai besoin d'un truc j'hésiterai pas, t'inquiète ! On se revoit plus tard ! Bisous ! »

... Et elle est partie.
Bon. Au moins, elle est repartie de meilleure humeur qu'elle n'est arrivée. Vous aurez la satisfaction d'avoir un peu amélioré sa journée en l'accompagnant.
Et vous n'avez rien eu à payer.
Autre avantage non-négligeable à ne pas oublier.