Elinor apprécia beaucoup le voyage ; les alentours lui auraient sans doute paru étranges si elle ne s’était pas enfermée dans sa bulle d’insouciance, mais sur l’instant, elle parlait et riait comme si on lui avait annoncé la meilleure nouvelle de sa vie. De sa mort. Le concept la faisait un peu frissonner, mais le résultat était saisissant. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas pu marcher comme cela, à l’air libre, si légère ! De surcroît, Styx se révéla aussi enjouée et polie qu’à l’entrée. Elinor lui fit part de ses réflexions et remarques, et elle ne lui demanda pas une seule fois de se taire. Elle était aux anges. Comment un tel miracle avait-il pu se produire ? Elle n’en revenait pas.

Lorsqu’elles arrivèrent dans ce qui ressemblait à un bourg, Elinor ouvrit encore plus grand les yeux. Ça lors ! Elle n’était pas seule ! L’idée la remplit une énième fois de joie. Elle n’aimait guère être seule, cela lui rappelait de longs hivers passés près de la fenêtre, à espérer que ses enfants aillent bien. Ses enfants… Leurs visages souriants lui revinrent en mémoire, et elle eut mal au cœur. Ils allaient lui manquer, mais elle faisait confiance à sa sœur ; elle saurait leur faire oublier la douleur de son absence. Et puis, elle n’avait jamais été très présente pour eux, surtout Harlan. Ils s’en sortiraient sans elle, elle en était persuadée.

Ils seraient plus forts qu’elle ne l’avait été.

Le temps qu’Elinor chasse la tristesse de son esprit et les tremblements de ses mains, elles étaient arrivées devant un très grand bâtiment. Elle leva les yeux, ébahie, avant de trottiner jusqu’à la porte que Styx tenait ouverte pour elle. Cette fois-ci, elles passèrent dans ce qui ressemblait à un hall d’accueil ; Elinor tourna machinalement sur elle-même pour tout observer.
Le bureau que lui désigna sa guide était occupée par une jeune femme brune, l’air occupée, et Elinor se sentit désolée de devoir l’embêter. Elle ne voulait pas l’assommer de questions, mais Styx avait raison. Elle ne savait rien de cet endroit, et si elle devait y vivre, autant avoir un maximum de cartes en mains. Remplie d’une détermination soudaine, Elinor hocha la tête.

Elle aurait préféré que Styx reste près d’elle pour la guider, mais elle devait avoir du travail. Elle lui adressa un signe et un sourire, et lui dit qu’elle espérait aussi la revoir : une fois sa silhouette avalée par les grandes portes, la jeune femme se tourna vers le bureau.

Allez, Elie, un peu de courage, se dit-elle en parcourant les quelques mètres qui les séparaient, les mains croisées devant sa longue jupe. N’osant pas élever la voix, elle attendit qu’on la remarque pour demander tout bas :

« Mademoiselle Styx m’a dit que vous pouviez m’aider. »

Elle se fit soudain la remarque que Styx était peut-être mariée ; n’aurait-elle pas dû dire « madame » ? Elle avait l’air si jeune…