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Amal Khalil
- A 03 102004 74 00 A -

Amal Khalil

En bref

Féminin
Pseudo : Never.
Messages : 156




« Ce soir j'ai de la fièvre
et toi
tu meurs de froid. »
Nom : Khalil.
Prénom : Amal.
Surnom : Aucun.
Sexe :
Âge effectif : 18 ans.
Âge apparent : 18 ans.
Date de naissance : 29/08/1986, Alexandrie, Égypte.
Date de mort : 02/10/2004, Alexandrie, Égypte.
Orientation sexuelle : Asexuelle aromantique.
Nationalité : Égytienne.
Langues parlées : Arabe égyptien (langue maternelle), anglais (niveau scolaire discutable).
Ancien métier : Sans activité professionnelle.
Métier actuel : Idem.
Casier Judiciaire


▬ Crimes commis :
▬ Circonstances du décès :
▬ Péché capital principal :
▬ Péché capital secondaire :
▬ Rapport à l'alcool :
▬ Rapport aux drogues :
▬ Addictions :
▬ Mauvaises attitudes récurrentes :
▬ A été victime :


Physique


Dans la famille, tout le monde est grand ; sauf Amal, qui n'a jamais réussi à dépasser le mètre soixante-et-un, malgré tous ses efforts et ses prières. Petite un jour, petite toujours, comme si une douce ironie avait voulu la garder enfant à jamais. Elle a appris à s'en accommoder et à ne plus détester les objets et étagères en hauteur, mais il n'empêche : ça aurait été drôlement pratique de faire quelques centimètres en plus.
Amal n'a, du reste, rien de bien extraordinaire. Ni visage de mannequin ou formes à couper le souffle. Elle se cache beaucoup, de toute façon, alors ça ne lui aurait pas servi à grand chose d'avoir de superbes hanches. Un visage rond, une peau foncée quoique plus claire que celle de ses sœurs et qu'elle tient de sa mère, deux grands yeux bruns curieux la plupart du temps dégagé par l'éternel hijab dont elle refuse de se séparer pour sortir ou recevoir des invités. Elle a toujours été modeste dans son habillement, fuyant les vêtements trop courts comme la peste et recherchant l'humilité dans les manches longues et les pantalons. Les jupes, bizarrement, ça n'a jamais été son truc. Trop ample, pas assez pratique pour courir. Lorsqu'elle se trouvait chez elle et ne comptait pas sortir, elle attachait ses cheveux en queue de cheval, ou comptait sur sa sœur ou sa mère pour les lui natter correctement. C'est qu'ils ne tiennent pas en place, ces maudits cheveux. Bruns voire noirs, très épais, bouclés et lui arrivant au-dessous des omoplates, elle a toujours refusé de les couper ou les lisser.
Elle préfère rester naturelle au possible, raison pour laquelle elle ne s'est jamais maquillée et ne s'est jamais percé les oreilles. On ne parle pas des tatouages ou n'importe quelle déformation physique passablement immonde, c'est hors de question.
Amal a toujours donné d'elle une impression positive et énergique : toujours à se dépenser et jamais la dernière à courir ou s'exclamer bruyamment, elle a un joli sourire qu'elle n'hésite pas à exhiber pour remonter le moral. Peut-être un peu brusque, elle a la sale manie d'accompagner ses discours de gestes censés appuyer ses propos, mais qui ne servent guère qu'à éborgner ses interlocuteurs.

Amal est une jeune fille qui ne sera jamais ni plus belle ni plus laide qu'une autre. On peut trouver du charme à ses mimiques ou les trouver trop exagérées, penser qu'elle doit perdre du poids ou que, au contraire, ses formes sont très bien là où elles sont. Elle ne se soucie pas de ce que les autres peuvent penser de son physique, n'a jamais été élevé dans un milieu où les apparences priment sur le reste.

Quitte à être aimée, elle préfère l'être pour ses qualités et sa personnalité que son joli minois.
Et ça, c'est on ne peut plus sincère et important pour elle.


Caractère


Toute petite déjà, Amal était une boule d'énergie qui adorait s'amuser avec son frère et ses sœurs. Bagarres, acrobaties, chutes et éclats de rire ont été le quotidien de ses premières années et de toutes celles qui ont suivies, et ce dès qu'elle en avait l'occasion.
Amal sourit et rit facilement, n'est vraiment pas difficile en ce qui concerne les plaisanteries tant qu'elles restent dans le domaine du correct et du décent. La vulgarité, elle ne la supporte pas et la condamne à la fois dans sa bouche et dans celle des autres. Comme mademoiselle n'hésite pas à parler ou dire ce qu'elle pense, surtout lorsqu'elle est en confiance, la vérité peu sortir un peu crue et nue de sa bouche. Il lui faut le temps de la façonner pour ne pas risquer de blesser ses interlocuteurs, mais elle ne s'en laisse pas toujours le temps. Qu'à cela ne tienne : Amal s'excuse et n'a pas peur de faire des efforts pour gommer ou atténuer les traits embêtants de sa personnalité. Elle n'aurait pas été jusqu'à supprimer le naturel, mais un peu de retenue ne fait définitivement pas de mal aux impulsifs.
Amal est une fille Khalil, et ce n'est pas parce qu'elle a toujours été plus discrète que ses sœurs qu'elle ne cachait pas un volcan prêt à exploser. Enthousiaste, volontaire, maladroite, elle s'est pris les pieds dans les fils du regret et n'a jamais réussi à les démêler. Sa vie a été conditionnée par la perte de son père et de son frère et les départs de ses sœurs auxquelles elle tenait plus qu'à tout. Seule avec sa mère, elle s'est trouvée bloquée dans une solitude qui ne lui convenait pas sans oser la briser ailleurs. Elle avait besoin de sa famille, et ses rares amis ne lui procuraient qu'un sentiment de bonheur éphémère qu'elle avait appris à bien masquer. Amal est une éternelle insatisfaite qui aurait aimé que le monde s'arrête de tourner, qui n'avait jamais assez d'amour et d'attention. Elle en demandait plus qu'il ne lui était possible d'en recevoir, et ce vide a fini par la tuer. Amal était égoïste, oui. Encore et toujours une petite fille impatiente qui voyait les heures défiler trop lentement. Butée et incapable d'apprécier la vie une fois cette idée ancrée dans sa petite tête mélancolique.
Amal est courageuse mais a fini par se persuader du contraire ; elle n'aime pas devoir s'occuper des problèmes qui la touchent, mais tend directement la main pour sortir les autres des ennuis. Couarde lorsqu'il s'agit de balayer devant sa porte. C'est tellement, tellement plus facile de pointer des doigts les ennuis des autres.

Mais derrière tout ça, derrière une vie passée à ressasser de vieux souvenirs et des jours meilleurs, Amal est une jeune fille honnête qui possède un cœur en or et de l'énergie à revendre. Une amie qui s'exclame, qui crie, qui s'amuse, qui se mêle de ce qui ne la regarde pas et s'excuse en s'accrochant à vous. Amal n'aime pas qu'on la voit pleurer parce qu'elle a longtemps repoussé ses démons avant de les accepter.
Elle a fait semblant et a rejeté la faute sur les autres, complètement brisée derrière ses propres mensonges et son incapacité à aller de l'avant.

Maintenant, peut-être qu'elle va enfin pouvoir vivre sans chaînes ni regrets.


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« Requiescat in pace »
Pseudo : Jésus.
Âge : 2 Millénaires.
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Amal Khalil
- A 03 102004 74 00 A -

Amal Khalil

En bref

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Histoire



Lonely 2004.

Scritch scritch.

Il aurait eu vingt-cinq ans.
Mais lui aussi serait sûrement déjà parti, bien plus loin qu'il ne l'était maintenant, hors de portée comme tous les autres.

La jeune fille passa ses mains peintes en jaune dans ses épais cheveux, le front contre ses jambes repliées. Tu vas t'en aller, l'épouser, avoir des enfants, et il n'y aura plus de place pour nous.

Ce sera un accident.
Personne ne saura.

Badaboum.



« Pardonne-moi, maman. »



▬ Septembre 1990, Alexandrie, Égypte.

Badaboum.

« Uuuurgh, lâche-moi, tu m'étrangles !

-Jamais ! Pas avant que tu t'avoues vaincu.

-Mamaaaaan... »

Nawal lança un regard amusé à ses aînés qui avaient, au nom de l'ennui, réquisitionné le tapis du salon pour en faire un ring de catch improvisé. Un sourire entendu de Basim balaya l'urgence de la situation, l'incitant à se préoccuper de sa vaisselle plus que de son fils, lequel tapait frénétiquement contre le sol en essayant d'échapper à l'étreinte de sa cadette.
Mais elle sert fort, se plaignait-il chaque fois qu'elle lui tordait le bras pour le mettre sur le carreau ; et ce n'étaient pas les dix centimètres qu'il lui prenait qui allaient l'aider à l'en décrocher.

Sur le côté, Yasmin n'osait pas comparer son frère à un ver de terre – pas à voix haute, mais Amal pouvait sans peine affirmer qu'elle le pensait, toute hilare qu'elle était derrière son torchon. La benjamine empilait consciencieusement les assiettes que sa mère lavait et que sa grande sœur essuyait, forte de son utilité toute récemment trouvée. Du haut de ses quatre ans, les tâches à lui confier manquaient cruellement.
A la faveur d'un répit, elle déporta son regard brun sur le pugilat qui se poursuivait en crescendo de cris et d'insultes, juste à temps pour voir son père se lever.

« Tu fais mal, Dina !

-Si tu me supplies je te lâcherai. Peut-être. »

Deux mains puissantes soulevèrent la gamine de terre, l'arrachant au t-shirt de son frère avec un cri surpris. Les deux petits bras trouvèrent instinctivement le cou du sauveur opportun, qu'elle serra de toutes ses forces.

« Regarde comme j'ai été forte, papa !

-J'ai vu ça, ma fille. Mais ce serait bien si tu pouvais éviter d'étrangler ton frère. Allez Mohammed, relève-toi. »

Après avoir effectué quelques roulades sur le tapis brodé, le petit garçon se redressa souplement, chassant la poussière de son pantalon. Chez d'autres, la langue qu'il tira à sa sœur aurait pu lui valoir des réprimandes plus sévères que le froncement de sourcils de Basim.

« Je m'en fiche d'abord, tu verras plus tard, je serai champion de boxe. »

Sans laisser le temps à quiconque de répliquer quoi que ce soit, Mohammed prit Yasmin dans ses bras et la fit tourner sur elle-même, manquant d'emporter quelques bibelots au passage. Les cris ravis qu'elle poussait valaient toujours plus que des assiettes brisées.

« Et Yasmin viendra m'encourager dans les gradins !

-Mohammed, moi aussi, moi aussi !

-Oui, toi aussi Amal. »

Dans un élan de courage, il tendit la main pour hisser la petite sur son autre épaule ; mais un poids plume sur chaque bras, c'était encore trop pour sa fluette silhouette. Il ploya, vaincu par la gravité, mis à terre une fois de plus par les poignets délicats de Dina, qui avait jugé bon de quitter l'étreinte de son père pour achever le garçon.

« Faible, renifla-t-elle avec un air faussement méprisant, laisse-les finir la vaisselle et va t’entraîner si tu veux pouvoir me battre un jour. »

Nawal regarda sans consternation ses enfants se débattre sur le sol, des rires aigus plein les oreilles. La jeune femme n'avait rien d'une marâtre et certains lui reprochaient même de manquer de sévérité, son mari en premier lieu. Pourtant, ce furent ses mains qui se saisirent du torchon que tenait précédemment Yasmin. Levant ses yeux sombres vers lui, Nawal le vit peindre un sourire presque gêné sur ses lèvres.
Le geste, rare, méritait justification. Basim avait beau aimer sa famille, il restait avare en mots d'amour.

« On ne va pas les déranger alors qu'ils s'amusent. »

Il avait aussi cette manie de formuler ses questions sur le ton d'une affirmation – tant et si bien que Nawal ne savait jamais si elle devait répondre ou non. Elle se contenta de hocher la tête, passant ses mains brunes sous l'eau tiède.
A quatre pas derrière eux, Mohammed s'accrochait au pied de la table, Dina et Amal agrippées à une jambe et Yasmin à l'autre.

« Vous allez m'écarteler, arrêtez !

-Chochotte ! Ça risque pas, avec la force de Yas-

-EH ! Moi aussi je suis super forte ! Regarde ! »

La fillette poussa un cri de guerre entendu dans un quelconque film avant de tirer de toutes ses forces – arrachant son frère à son refuge précaire et les emmêlant à nouveau dans un méli-mélo de bras et de jambes.
Demain, les bleus allaient pleuvoir.

« Yasmin ! T'exagères !

-C'est toi, tu m'as mise au défi !

-Les filles, vous êtes folles. »

Amal ravala un éclat de rire, la gorge écrasée par le bras de son grand frère. Elle n'arrivait plus du tout à bouger et avait du mal à respirer, mais la boule qui lui pesait sur la poitrine se diluait en irrépressibles hoquets amusés. Ça, elle savait qu'elle n'en mourrait pas, ni maintenant ni jamais.

Si seulement.

« Les enfants, vous allez vous salir.

-Désoléééés... »

Elle sentit qu'on la relevait et arrangeait ses cheveux, sans parvenir à savoir si les mains qui la soutenaient étaient celles de Mohammed, Dina ou Yasmin. Ça n'avait pas vraiment d'importance ; elle avait reçu de l'affection à parts égales de chacun d'eux.
Amal  trottina jusqu'à sa mère et passa les bras autour de la longue jupes qui lui tombait sur les jambes. Elle ferma les yeux, bercée par une odeur qu'elle connaissait depuis toujours.

« T'es même pas un bon boxeur.

-Blablabla. »

Elle sourit.
Elle était persuadée que personne au monde n'avait de meilleure famille que la sienne, que personne au monde ne riait autant chaque jour. Comment est-ce que ça aurait pu être possible, quand elle avait si mal aux côtes et que les cinq meilleures personnes de l'univers habitaient sous son toit ?

Amal aimait sa ville et sa famille. Elle aimait sa maison aussi, même si elle était petite et qu'elle devait partager sa chambre avec ses sœurs. Même si Mohammed et Dina mettaient toutes les chaises à terre en se battant, même si Yasmin ne savait pas se taire.

« Amal. »

Ces sourires étaient remplis d'affection et tenaient son bonheur en haleine du bout des doigts.



« Je m'en souviens plus. »

L'évidence s'était superposée au visage blanc comme neige sur la toile. Elle ne pouvait ni tracer le contour de la bouche ni celui des yeux ; ils ne lui revenaient pas.
Elle se souvenait de la chaleur de son nom sur sa langue et des boucles brunes contre sa joue les jours d'orage.

Les détails éparses et trop souvent insignifiants ne lui permettaient pas de replacer une véritable image sur ses traits. Les rires étaient fugaces et les ombres montées de toutes pièces.

Elle avait tout oublié de lui.

C'est normal Amal. Tu avais seulement cinq ans, après tout.



▬ Octobre 1991, Alexandrie, Égypte.



« MOHAMMED ! »

Les yeux d'Amal passèrent du bitume à la jupe brune de sa mère sans qu'elle s'en rende compte.



Amal tordait le drap entre ses petites mains, les yeux rivés au lit du dessus, où Yasmin sanglotait depuis des heures. Elle pleurait depuis trois jours, elle n'avait pas arrêté une seule fois – et leur père s'en exaspérait tellement qu'elle restait souvent cloîtrée dans la chambre sans en sortir.
Lui aussi, il était triste. Pour lui aussi, c'était dur.

Elle n'avait toujours pas trouvé le mot magique qui puisse leur faire retrouver le sourire. Amal ne comprenait pas tout.

« Yasmin... »

Les sanglots cessèrent brusquement, puis reprirent en concert sourd, étouffés dans un oreiller. Amal se mit à genoux sur le matelas et tendit le bras vers le bord du lit, cherchant l'épaule de sa sœur. Une main la repoussa violemment et, blessée, elle n'insista pas. Un regard au lit à sa droite lui fit savoir que Dina dormait, ou faisait semblant de dormir. En fermant les yeux et se concentrant très fort, elle ne trouvait pas les respirations lentes et paisibles des jours d'été. Dehors, Alexandrie ne se taisait jamais vraiment.

La rumeur enflait sans que le sommeil daigne lui attraper la main. Amal eut beau remonter le drap jusqu'à sa tête et s'y enfouir complètement, elle entendait toujours Yasmin pleurer. Elle savait que Dina gardait les yeux ouverts dans l'obscurité, et qu'elle ne lui dirait rien, même si elle le lui demandait.

Amal se sentit seule pour la première fois de sa vie, alors qu'elle se savait entourée. Que ses sœurs se trouvaient dans la même pièce, que ses parents dormaient juste en face. Les larmes montèrent à ses yeux, elle roula dans son lit  jusqu'à ce que ses paupières n'en puissent plus.

Tellement seule.



« Tu es sûr que ça va s'arrêter ? »

Une main passa dans ses cheveux emmêlés, accompagnée d'un rire discret vite couvert par le tonnerre. Amal se serra un peu plus dans les bras qui tentaient désespérément de la rassurer.

« Mais oui. Dors, tu verras, demain il n'y aura plus rien. »

Les yeux fermés, elle s'imaginait ailleurs, loin sur le port d'Alexandrie que venaient lécher des vagues vieilles de plusieurs millénaires.




▬ Mai 1994, Alexandrie, Égypte.

« Dina, j'ai oublié ma trousse !

-Dinaaaaa, j'ai faiiim...

-Vous n'aviez qu'à prévoir tout ça avant de sortir. Hors de question qu'on fasse demi-tour. »

Yasmin et Amal soupirèrent en chœur, sans parvenir à ralentir leur aînée, dont elles avaient du mal à suivre les longues foulées. On ne plaisantait pas avec Dina et la ponctualité ; ça ne dérangeait pas vraiment Amal d'arriver en retard, surtout si c'était pour ne pas mourir de faim en classe après.
Mais ça dérangeait Dina, alors personne n'avait le droit de rebrousser chemin. Slalomant habilement entre les gens pressés, elle tenait si fort sa main que la petite était tentée de protester. Seule la détermination quasi robotique de sa grande sœur l'en empêchait et la maintenait coite comme une pierre. Sa mère ne la forçait jamais à avancer si vite et ne serrait pas autant. Mais depuis que leur père était malade, elle était trop occupée pour les amener à l'école et se préoccuper de leurs moindres soucis.

Amal en ressentait une jalousie enfantine que les toux persistantes chassaient bien heureusement au grand galop. Elle avait hâte que la journée se finisse pour pouvoir serrer son père contre elle.

Lui qui n'avait jamais été en bonne santé, miné par des années de travaux et une enfance passée sous un soleil brûlant, le deuil l'avait encore plus affaibli.
Naïve comme son jeune âge pouvait lui permettre de l'être, Amal priait pour sa guérison prochaine – rien d'autre.

Dina, à treize ans, sentait déjà le poids des responsabilités écraser tous ses jeux d'enfants.

« Allez, dépêchez-vous. »

Et Yasmin et Amal de ne pas comprendre pourquoi leur sœur en faisait autant.
Le bruit des roues lancées à toute vitesse contre l'asphalte réveilla les enfants, qui s'arrêtèrent brusquement au bout du trottoir. L'étreinte se fit étau mais personne ne pensa à se plaindre, comme hypnotisé par les klaxons et les cris lancés depuis les vitres baissées. Alexandrie ne se taisait jamais, non ; elle était toujours en effervescence, comme une fourmilière où trois petites filles n'auraient pas dû se promener seules.

S'il avait regardé avant de traverser, elles n'auraient pas eu à s'en inquiéter.

« On y va. »

Amal serait restée éternellement de l'autre côté de la route si Dina n'avait pas pris les devants, les traînant résolument à sa suite. Yasmin tremblait et les ralentissait inconsciemment, terrorisée, mais elle faisait semblant de ne rien voir. Elle avançait, encore et encore, n'aurait laissé ses pieds trébucher pour rien au monde, même pas pour ça.

Amal regardait le foulard de sa sœur se balancer, se rendant confusément compte qu'elle ne connaîtrait jamais tous les sacrifices auxquels elle consentait et consentirait à l'avenir. Dina était sévère, courageuse, déterminée et, entre toutes ses qualités, butée et incapable d'accepter la défaite. Elle l'admirait énormément, se raccrochait trop souvent à elle maintenant que Mohammed n'était plus là.

Ils se ressemblaient tellement.
Tu n'as pas pleuré, pourtant. Pas devant nous.

Sans elle, Amal se serait encore tenue à l'autre bout, incapable de faire le premier pas.

« Dina, j'ai f-

-Plus tard. »

Toutes les leçons qu'elle lui avait apprises s'étaient perdues quelque part entre amertume et désespoir.



« J'ai peur. »

Les mots s'étaient enfuis comme des voleurs par ses lèvres entrouvertes, lui blessant cruellement la langue. Elle avait fait demi-tour, les mains tenant le voile au dessus de ses cheveux mal attachés. Un  cul-de-jatte sans le sou lui avait balancé une remarque dont elle n'avait pas eu le temps de s'offenser.

A travers les artères de la ville où le sang pulsait sans cesse, la réalité lui était revenue en travers de la figure, maudit boomerang dont elle n'arrivait pas à se débarrasser. Elle était incapable de le faire, incapable. Seule, elle n'était rien.

Elle avait arrêté sa course à l'angle d'une rue, une tresse à demi défaite lui tombant sur l'épaule. Il faisait froid.
Et seule, elle l'était pour de bon.

Oh, maman.



« Yasmin, tu crois que les gens peuvent mourir de tristesse ? »



▬ Février 1996, Alexandrie, Égypte.

Assise contre le matelas, Amal avait passé le drap autour de ses épaules et le serrait contre son cœur. Dans un coin de la chambre, une horloge marquait les secondes et les heures, en écho avec le chant de quelques oiseaux près de la fenêtre.
La fillette se laissa tomber à terre, la moquette contre sa joue. Derrière la porte fermée, les ombres se succédaient sans s'arrêter, et elle pouvait deviner les pas aux craquements qui faisaient vibrer le plancher. Ceux de sa mère, discrets et traînants, ceux de Dina, fermes et légers, ceux de l'oncle Ihsan, lourds et forts à l'oreille. Un ballet muet et dansant se jouait dans la pièce d'à côté, dont elle ne récoltait que de très vagues bribes. Pas assez pour comprendre ce que les grands se racontaient.

Et ceux de Yasmin...

Les yeux bruns de sa sœur apparurent dans l'encadrement de la porte, précédés d'un faible craquement. Elle se glissa dans la chambre sans un bruit, et se fit une place à côté d'Amal dans le drap crème. Épaule contre épaule, les deux sœurs laissèrent le silence roi un bon moment.
Puis Yasmin se décida à le briser, sûrement car il lui pesait bien plus qu'à elle.

« Oncle Ihsan a dit qu'on allait pouvoir garder la maison.

-Tant mieux, murmura Amal, qui ne se voyait pas vivre ailleurs. Elle avait grandi entre ces murs, elle y avait passé les meilleures années de sa vie. Un palais n'aurait pas suffi à effacer l'affection qu'elle portait à ces vieilles pierres abîmées par le soleil.

-Il a aussi dit qu'il allait nous aider, mais qu'on allait aussi devoir se priver de beaucoup de choses. Forcément... on pourra pas vivre comme avant. »

Elle n'avait pas besoin de le lui dire. La perte d'un frère faisait couler les larmes, la perte d'un père faisait couler les finances. Leur mère ne travaillait pas, elle n'avait pas fait d'études et ne savait ni lire ni écrire : même si elle se trouvait un travail, ils n'arriveraient pas à en vivre.

« Tante Anisa viendra nous voir demain. Elle veut aider maman pour... pour tout ça. »

« Tout ça ». Amal ferma les yeux et posa sa tête sur l'épaule de Yasmin ; celle-ci ne l'en délogea pas et se tut.
Leur père était mort de maladie, mais elles savaient qu'il n'avait jamais pu se remettre de la mort de Mohammed. Que sa santé avait décliné à cause du chagrin, et qu'il n'avait pas trouvé la force nécessaire pour combattre la maladie. Les draps portaient encore son odeur, leurs cœurs se souvenaient de ses rires et ses sourires. Il n'avait pas toujours été très gentil avec elles, il les avait souvent disputées, et il les avait parfois même frappées : mais il les avait aimées, et c'était l'essentiel. Tout partait de l'amour qu'il avait porté à sa famille. C'était tout ce qui comptait.

« Il me manque déjà. »

Yasmin passa un bras derrière les épaules de sa cadette et l'étreignit délicatement. La disparition n'avait pas été aussi brutale que celle de leur frère, mais elle avait été aussi dure à supporter. Elles auraient eu besoin de bras plus épais que les leurs pour étouffer la douleur et l'absence.

Une fois Ihsan parti, la maison retrouvait des allures de tombeau et plus aucune voix masculine n'y résonnait.

« T'es nul, t'es même pas capable de te défendre !

-Tu verras, quand je serai plus grand, tu diras plus ça !

-Moi je crois en toi !

-Moi aussi !

-Heureusement que vous êtes là pour me soutenir ! Si je devais compter que sur Din-AAAH !

-Dina, arrête de martyriser ton frère !

-Lâche-le avant de lui casser quelque chose. »


Elles laissèrent les photos prendre la poussière.



▬ Novembre 1998, Alexandrie, Égypte.

La mère et la fille s'observaient en chiens de faïence, et Amal pouvait presque apercevoir des étincelles s'échapper de leurs yeux sombres à intervalles réguliers. Presque cachée derrière la table (quand bien même elle savait qu'elle avait le droit d'être là), elle traçait anxieusement les contours de leurs traits tendus.
Il était rare de voir Nawal disputer ses filles, encore plus avec ce regard fixe qui n'augurait rien de bon. Dina finit par tourner la tête et pousser un soupir agacé, déclenchant le début des hostilités.

« Tu dois t'excuser.

-Je ne vois pas pourquoi je devrais m'excuser de m'être défendue.

-Il y a bien d'autres moyens de se défendre qu'en cassant le bras de quelqu'un.

-Je l'ai tordu, son bras ! Au pire, je lui ait déboîté l'épaule. Pas de quoi en faire tout un plat.

-Malika s'est plainte à moi de ton attitude. Elle dit que tu as déjà menacé Rashid de lui casser un bras auparavant.

-Si son fils savait mieux se tenir, je n'aurais pas à le menacer. Alors oui, je plaide coupable, je lui ai sans doute un peu crié dessus quand il allait trop loin.

-Ce n'est pas une attitude convenable, Dina. »

La jeune fille murmura quelque chose d'inintelligible avant de passer ses mains sur son visage. Avec les années, le caractère de Dina allait en s'imposant, de plus en plus décidé et autoritaire. Elle ne laissait pas les garçons s'approcher d'elle et allait même jusqu'à retourner leurs provocations, les menaçant s'ils osaient se montrer trop entreprenants. Le voisinage était riche en idiots de ce genre, Rashid Shalhoub en tête. Après quelques altercations parsemées de menaces en tout genre, Dina avait fini par en avoir assez – le pauvre avait eu le poignet retourné et n'avait pas attendu pour aller se plaindre à sa mère.
Heureusement pour Dina, les deux femmes s'entendaient très bien et la dispute avait été réglée à l'amiable et sans faire trop de bruit. Malika connaissait le caractère un brin trop espiègle de son aîné.

Ça n'avait pas empêché Nawal d'avoir une petite discussion avec sa fille, dont les principes s'éloignaient de plus en plus des siens.

« Et quoi ? Il faudrait que je baisse la tête et les laisse faire ?

-Ce serait toujours plus honorable qu'agresser quelqu'un.

-Ce serait surtout pitoyable ! Si agir comme ça te conviens, c'est ton problème ; mais laisse-moi régler les miens comme je l'entends ! »

Elle avait élevé la voix plus qu'Amal le jugeait raisonnable. Toujours à l'abri de sa cachette de fortune, elle vit le regard de sa mère s'embuer sans pouvoir rien y faire.

Certaines choses restaient en travers de la gorge – il manquait le deuxième côté de la balance pour équilibrer les conflits. Nawal détestait y avoir recourt d'elle-même, mais elle n'avait plus le choix.

« Ton père n'aurait pas aimé que tu me parles ainsi. »

Dina se figea, et toute trace de colère disparut de son visage sur la seconde. Elle ouvrit la bouche pour répliquer mais les mots y restèrent coincés. Phalanges blanches à force de serrer les poings, elle baissa les yeux.

« Désolée. »

Elle se leva sans rien ajouter et fit claquer la porte derrière elle. En un soupir, Amal rejoignit sa mère, sur l'épaule de laquelle elle posa une main timide.

« Maman... »

Nawal y superposa des doigts rendus forts par les travaux ménagers et qui avaient pris l'habitude de ne pas trembler. Son sourire était serein, sinon quelque peu mélancolique.

« Je vais bien, habibti. Ne t'en fais pas. »

La chaleur dans sa voix l'incitait toujours à la croire – parce qu'une des plus grandes qualités de Nawal, c'était sa sincérité. Elle ne s'était jamais vantée d'être intelligente ou particulièrement jolie ; mais honnête, toujours. Elle s'y attachait comme à un inestimable trésor.
Ton père m'aimait pour ça.

« Elle t'aime, tu sais. »

Un « je sais » mourut sur ses lèvres, étouffé par le tissu de la robe d'Amal. La fillette resta longtemps accrochée à sa mère, ses cheveux lui chatouillant le cou. Elle ne sortait plus beaucoup parce qu'elle avait peur de rentrer et de ne plus la retrouver. Elle ne voulait pas avoir à regretter son sourire et ses caresses ; elle en pleurait déjà trop.

« Je suis là. »

Amal le savait.
Elle avait toujours aussi mal au cœur.



1999

« Au Caire ? »

Amal lança un regard indécis à sa mère, qui lui renvoya un joli sourire. Yasmin n'avait pas l'air d'en mener plus large.

« Oui. Oncle Ihsan a dit qu'il était d'accord. Il connaît des gens là-bas qui vont m'héberger. »

C'était rare de voir Dina heureuse, ces temps-ci. Elle avait passé les fins d'années dans des livres et les repas à faire la tête. Pour elle comme pour les autres, le manque et la tristesse s'étalaient sur plusieurs années et sous diverses formes.
Ses lèvres si joyeuses ne cessaient de s'étirer d'un bout à l'autre de son visage. Amal piocha un morceau de viande, l'estomac serré.
Mais c'est loin d'ici, Le Caire. Pourquoi ne pas faire tes études à Alexandrie ?

Dina voyait loin et ne manquait pas d'ambition. Elle voulait faire des études et trouver sa place. Yasmin, qui la pressait de questions, les alignant sans lui laisser le temps de s'exprimer, l'imitait dans ses moindres faits et gestes. Elle aussi quitterait leur petite maison dans quelques années. Le temps d'avoir un bagage suffisant, d'avoir la permission...

Elle allait suivre Dina, où qu'elle aille.

« C'est une chance. »

Elle sentait bien à sa voix qu'elle pensait ce qu'elle disait. Dina qui ne se cachait pas et avançait en renversant tous les obstacles. Dina qui était sûre d'elle et n'avait peur de rien. Sa grande sœur.

« C'est fantastique ! »

C'est horrible.
Égoïste jusqu'à la moelle, Amal hocha la tête et lui offrit un sourire en carton-pâte.



▬ Mars 2000, Alexandrie, Égypte.

Un arc-en-ciel monochrome traversa la feuille de part en part. La main moite autour du manche du rouleau, Amal étala le jaune vif à l'aide de ses doigts, avec une insistance presque rageuse. Dehors, il faisait beau, mais difficile d'en vouloir au temps toujours tempéré de Janvier à Décembre. C'est la mer Méditerranée qui fait ça ; elle l'avait entendu elle ne savait plus où, sûrement en classe.
A Alexandrie, il fait bon toute l'année.

Sans préavis, la jeune fille laissa tomber le pinceau dans le pot de peinture ; des centaine de petites étincelles dorées vinrent consteller son jean jusqu'à ses genoux. Elle avait beau couvrir les feuilles de couches de peinture, la peine à l'âme ne s'estompait pas. Elle ne savait plus quoi faire pour oublier et s'occuper. Même aller en cours ne l'ennuyait plus autant qu'avant. Ça faisait des années qu'elle était assez grande pour s'y rendre seule.

Elle passa une main dans ses tresses défaites, soulevant le papier de l'autre. Juste en dessous des coups de pinceau hasardeux, un visage en Picasso dévoilait de longues boucles brunes et un sourire magnifique. Elle le fit vite disparaître en entendant la porte claquer sur ses gonds, sachant pertinemment qui venait de martyriser la poignée.

Dina s'était envolée pour Le Caire et sa mère ne claquait jamais les portes. Quant aux autres...
Les fantômes ne faisaient pas de bruit.

« Hey, Amal ! »

Yasmin ferma la porte d'un coup de hanche adroit, sautillant jusqu'au centre de la pièce, les mains dans le dos. Elle lui lança un regard complice, illuminant le visage de sa cadette.

« C'est vrai ?! Donne, donne, s'il te plaîîîîîît !

-Eh, un peu de patience ! Eeeet... tada ! »

La jeune fille lui présenta un éclair au chocolat qui disparut aussitôt. Elle se laissa tomber à terre en tailleur face à Amal, une pâtisserie semblable entre les doigts. Elle n'eut pas le temps de la porter à ses lèvres que sa petite sœur en avait déjà englouti la moitié.
Bouche-bée devant un tel appétit, elle lui lança un regard désapprobateur.

« Tu vas t'étrangler.

-Mais non, c'est juste... »

Trop bon. Les pâtisseries de Fannie avaient du succès dans la famille ; dès qu'elle pouvait, Yasmin en rapportait à la maison en cachette – puisque leur mère ne les voyaient pas d'un très bon œil.
Yasmin avait le chic pour trouver les bons amis, de ceux qui vous refourguaient leur matériel de peinture qu'ils n'utilisaient plus et cuisinaient comme personne.

Une fois l'éclair disparu et les mains pleines de chocolat essuyées sur un chiffon propre, Amal observa pensivement les traits de son aînée. Comme si elle craignait de les oublier le lendemain et ne pas avoir l'occasion de les observer à nouveau, elle emmagasinait un maximum de détails en mémoire. Il en était allé de même pour Dina le mois précédant son départ. C'était un tic dont elle n'arrivait plus à se débarrasser, sa petite déraison.
Elle s'était aperçue que Dina et Yasmin ne se ressemblaient pas beaucoup ; il y avait quelque chose de chez leur père qu'elle retrouvait chez Dina et pas chez Yasmin ; un certain nombre de points communs entre cette dernière et leur mère qui n'allaient pas à Dina.

Lorsqu'elle prenait les photos entre ses doigts et regardait Mohammed, elle y voyait tout de suite un air de famille avec Dina. Des deux premiers aux deux cadets, la ressemblance était plus vague, moins prononcée.

Mais il n'y avait pas que le physique qui comptait ; quand Yasmin relevait brusquement la tête avec cet air étonné, elle ressemblait à tout le monde dans la famille.

« A quoi tu penses ? »

Amal mima son expression sans s'en rendre compte.

« A rien, pourquoi ?

-T'avais l'air pensive. Et... uh. »

Elle n'eut pas à se demander longtemps ce qui avait pu tirer cette mine dégoûtée à sa sœur ; elle l'avait prise par les épaules et faite pivoter en moins de temps qu'il n'en fallait pour dire « ouf ». Les caresses familières de ses doigts dans ses mèches désordonnées la fit sourire.

« C'est un vrai champ de bataille, ça va pas du tout.

-Je peignais. En plus on est à la maison, on s'en fiche.

-Non, on s'en fiche pas. Reste là, je vais chercher la brosse. »

Et des élastiques. Amal fixa le bout de ses baskets jusqu'à ce qu'elle revienne, armée comme un chevalier et brosse en mains. Dina avait beau être la plus forte et la plus courageuse, personne ne coiffait aussi bien que Yasmin. Les gestes assurés et francs, elle redessinait une forme correcte aux tresses de sa petite sœur.

« Dis, Yasmin...

-Hm ?

-Tu crois qu'elle reviendra nous voir, Dina ?

-Eh ? (concentrée sur les cheveux peu coopératifs d'Amal, elle mit trois bonnes minutes à poursuivre) Bien sûr, pourquoi elle ne reviendrait pas ? Le Caire, c'est pas la porte à côté, mais c'est pas non plus à l'autre bout du monde. »

Amal fit la moue tout en sachant que Yasmin avait raison. En avion, le trajet se faisait très bien. Il n'empêchait que...

« Voilà, tu es présentable maintenant ! »

L'adolescente tira sur les tresses bien attachées, appréciant le travail impeccable de Yasmin. Impossible de les coller par mégarde sur la toile pleine de peinture fraîche.
Son sourire avait tendance à faner vite, raison pour laquelle elle le forçait à tenir.

« T'as raison, je m'en fais pour rien.

-Ouais, c'est tout toi. »

Elle n'osa pas lui demander si elle comptait rejoindre Dina au Caire après le lycée – si elle aussi comptait faire ses études loin d'elle et de leur mère. Elle avait peur d'entendre la réponse.

La salle où Amal passait ses journées à peindre avait été la chambre de Mohammed, avant que la voiture ne le fauche en pleine rue. Les meubles avaient été réutilisés ou relégués dans un coin, où ils dormaient sous un linceul poussiéreux. Ses jouets enfermés dans un carton que plus personne n'ouvrait. Leurs parents avaient refusés que le temps s'arrête sans oser jeter ce qui lui appartenait. Passer à autre chose et ne faire tout qu'à moitié, comme la plupart des gens.

Amal avait partagé sa chambre avec ses sœurs dès sa naissance.
Elle redoutait l'instant où, les lits faits, elle ne serait plus qu'à elle.



« Insha'Allah. »



▬ Juillet 2002, Alexandrie, Égypte.

Il faisait chaud ; le soleil tapait contre sa tête recouverte d'un tissu léger. Ici, l'odeur de la mer était plus forte que n'importe où ailleurs, et elle la respirait à goulées avides. Elle avait besoin des cris et des rires d'Alexandrie, sa maison était trop souvent plongée dans le silence depuis que Yasmin avait fait ses valises. Assise sur un muret de pierre qui avait connu des jours meilleurs, elle regardait l'eau grise s'agiter sous ses pieds.

Les sirènes du port d'Alexandrie,
Chantent encore la même mélodie, wowowo...


Il lui venait à l'esprit qu'elle n'avait pas toujours été aussi mélancolique. Que petite, elle riait sincèrement sans avoir à se forcer. Amal savait parfaitement que le bonheur passé lui manquait, que tout était mieux avant, et qu'elle n'avait pas la force d'accepter que quand le temps passait, il passait pour de bon.
Claude François lui chantait dans les oreilles à répétition depuis qu'elle s'était levée, mais elle n'arrivait pas à savoir d'où ça venait. Peut-être que sa mère l'avait fredonné en faisant la vaisselle ou en rangeant les vêtements ? Un petit garçon passa en courant et hurlant derrière elle, lui arrachant un sursaut qui failli la balancer à l'eau. Avec un soupir, elle passa ses jambes de l'autre côté du muret et se remit debout. Ses mains chassèrent la poussière de ses cuisses et rajustèrent son foulard.

J'ai plus d'appétit qu'un Barracuda ~

Elle aurait bien aimé revenir en arrière, quand ils se poursuivaient dans les rues sous le regard attentif de leurs parents. Quand il y avait trop de bruit chez eux et que la grosse voix de leur père résonnait pour ramener le calme. Quand personne n'avait encore tiré sa révérence. Mine de rien...

Amal tendit les bras et esquissa un pas de danse sous l’œil intrigué d'une petite fille et de sa mère, un peu plus loin. Rythmée par un tempo inaudible, elle fit jouer ses jambes comme le lui avait appris sa tante, des années plus tôt. Deux petites mains enjouées saisirent son gilet, et Amal prit les mains de la fillette dont les deux couettes bouclées s'agitaient au gré des sauts qu'elles enchaînaient sur le sol poussiéreux.

Les deux yeux noirs s'accordaient parfaitement avec le teint mat et les cheveux bruns. Et dans quelques années, qu'est-ce que cette petite fille deviendrait ? Est-ce qu'elle aussi partirait, resterait-elle près de sa mère, lui ferait-elle de la peine ?

On s'en fiche, pensa-t-elle, soudain consciente que la gravité ne pesait plus sur ses épaules, on danse et on rit.

Alexandrie, où tout commence et tout finit.



▬ Août 2003, Alexandrie, Égypte.

« C'est vrai ?!

-Puisque je te le dis. »

Nawal se fit étrangler dans les règles de l'art par sa benjamine enthousiaste, résolue quant à son sort. Une fois libérée, elle prit une grande inspiration salvatrice, suivant les bonds d'Amal à travers tout le salon. Oh, le vase d'Aminah...

« Je suis consciente que ça te fasse plaisir, mais si tu pouvais éviter de tout casser...

-Eeeeh, oui, désolée ! (elle redressa la poterie juste à temps, un sourire gêné aux lèvres) J'ai juste cru qu'elle passerait pas de tout l'été !

-Tu connais ta sœur, voyons. Toujours ponctuelle. C'est juste que cette année, elle ne vient pas seule. »

Amal haussa les sourcils, curieuse, lorsque sa mère lui adressa un sourire complice.



« YASMIIIIN ! »

La jeune femme hurla en retour, les yeux rivés à la porte qu'Amal venait d'enfoncer avec la délicatesse et la discrétion d'un troupeau d'éléphant. Le livre qu'elle lisait fit un atterrissage forcé sur la table de chevet, en écho à sa petite sœur, qui venait de se jeter sur le lit du bas.
Une seconde plus tard, elle aperçut sa tête dépasser du rebord du lit. Yeux écarquillés, le cœur battant encore la chamade, elle lui asséna un coup sur le crâne.

« Ça va pas, non ?! J'ai pas envie de mourir aussi jeune !

-Désolée, je me maîtrise plus ! »

Je vois ça, crièrent les yeux de Yasmin en prenant le plafond à témoin. Les piaffements impatients d'Amal la ramenèrent bien vite à la réalité.

« Qu'est-ce qui se passe pour que tu manques de démolir toute la maison ?

-Tu savais que Dina avait un petit ami ? »

Menton contre la paume de sa main droite, elle laissa s'échapper un rire amusé.

« Rien que ça ? Ben, oui, je sais. On vit dans le même appartement, hein. »

Les yeux d'Amal s'ouvrirent en grand et elle se laissa retomber sur le matelas du dessous avec un cri d'agonie franchement bien imité. Histoire de s'assurer que tout allait bien, Yasmin s'agrippa à l'échelle et fit danser sa queue de cheval à l'envers.

« On me dit jamais rien à moi ! Se plaignit la forme enfoncée dans son oreiller, je suis toujours la dernière à savoir !

-Roh, c'est bon, n'en fais pas tout un plat ! Dina voulait pas que tu le saches avant qu'elle l'ait présenté à maman. (d'un mouvement rendu souple par une habitude de petite fille, Yasmin rejoignit sa cadette et s'allongea à côté d'elle) Elle aime pas trop qu'on se mêle de sa vie privée, de toute façon.

-Et ça la dérange pas, maman, qu'elle ait un petit ami ?

-Apparemment pas. Elle avait l'air plutôt heureuse, en fait. »

Amal fit la grimace contre le tissu qui sentait bon la lessive. Tant que ça leur faisait plaisir, leur mère ne disait jamais rien. Depuis la dispute pour le bras tordu de Rashid, Dina avait fait en sorte de ne plus trop faire de vagues, et elle ne l'avait plus entendu crier. Leur mère était trop gentille.
Peut-être qu'elle les aimait trop.

Sur cette pensée, Amal se redressa et entreprit d'assommer sa sœur de questions.

« Il s'appelle comment ? Il a quel âge ? Il fait quoi comme études ? Comment ils se sont rencontrés ? Est-ce qu'il est gentil, au moins ?

-Wowowow, pas tout à la fois ! Protesta Yasmin en prenant Amal par les épaules pour la faire taire. Même moi je sais pas grand chose, tu sais. A part qu'il s'appelle Hassan et que son père possède l'école dans laquelle ils étudient. Et... »

Un cri surpris la coupa sans lui laisser le temps de finir.

« L'école ! Rien que ça ! »

Yasmin savait s'entourer et Dina pêchait les meilleurs poissons – elle ne lui avait quand même pas cassé le bras, à lui, si ? A ce moment-là, Amal ne put que fixer Yasmin fulminer sur ses mauvaises manières, la bouche figée, sans savoir quoi ajouter.
Ses sœurs étaient vraiment très fortes.



▬ 15 Août 2003, Alexandrie, Égypte.

« Pssst, Hassan. »

Le jeune homme sursauta, lançant un regard circulaire au salon où il se tenait ; il n'aperçut Amal qu'à travers son verre, entre salle à manger et cuisine. Il s'approcha d'elle, curieux, et retint une exclamation surprise lorsqu'elle le traîna par le bras jusqu'à une chaise.
Il s'y assit avec la docilité d'un otage face à une kalashnikov tandis que la jeune fille prenait celle qui lui faisait face, mortellement sérieuse.
Ils restèrent une minute ou deux sans parler, et qui parurent durer toute une éternité à Hassan. Dans la chambre de Nawal, Yasmin, Dina et leur mère triait de vieilles photos et de vieux vêtements dans des cris entrecoupés de rires qui leur parvenaient bizarrement étouffés.

« Euh...

-Tu aimes Dina ? »

La question le laissa pantois. Mais, complaisant, il y répondit avec un sourire.

« Bien sûr que je l'aime. Pourquoi tu...

-Et tu ne vas pas lui faire de mal, hein ?

-Pourquoi je lui en ferais ?

-On ne sait jamais. »

Perplexe, il préféra attendre qu'elle lui parle à nouveau plutôt que briser le silence qui s'était installé.
Hassan trouvait à la famille de Dina une simplicité qu'il appréciait et il s'y était tout de suite senti à l'aise. Ses sœurs étaient adorables, sa mère gentille, et la maison regorgeait de personnalité. Pour un petit garçon élevé entre ciel et terre, habitué à voyager et à avoir tout ce qu'il désirait, la vie de quartier contrastait énormément avec tout ce qu'il avait connu ; mais ce n'était pas déplaisant pour autant.

Néanmoins, il se demanda soudain s'il avait cru avoir à tort cerné Amal ; les sourcils froncés de l'adolescente ne lui paraissaient plus le moins du monde naïfs et chaleureux.

Elle s'inquiète pour sa sœur, laisse-la faire.

« Et tu vas l'épouser ? »

Pourquoi avoir choisi de reprendre une gorgée à cet instant précis, déjà ? Il avala de travers et manqua de s'étouffer, tirant un réflexe inquiet à Amal.

« Ça va ?

-Oui, c'est rien, ça va. »

Trois quintes de toux plus tard, il avait tout loisir de s'indigner de sa question.

« Nous n'en sommes pas encore là, alors cette question est... comment dire...

-Désolée. Mais si tu l'aimes, tu devrais songer à l'épouser.

-C'est privé.

-Quand même. »

Hassan poussa un soupir, ramenant avec précaution la tasse jusqu'à ses lèvres. Amal posa les talons sur le bord de la chaise et passa ses bras autour de ses jambes, passant ses yeux des lunettes rectangulaires du jeune homme à ses habits bien découpés. Beau, riche, cultivé, un bel avenir devant lui ; il n'aurait rien perdu en épousant Dina, elle était déterminée et travailleuse comme personne. Et ça aurait sûrement rassuré leur mère de savoir sa fille à l'abri du besoin. Ils avaient dû tant se priver dans les années qui avaient suivies la mort de leur père... Amal se souvenait avoir eu faim de nombreuses fois avant de s'endormir. Et puis, il avait l'air tellement gentil.
Tu es un garçon bien.

Les autres ne revenaient pas, s'attardant un peu trop sur les souvenirs. Elle ne les entendait plus et tout à coup, la maison lui parut vide de vie.

« Tu trouves pas que cette maison fait un peu vide ? »

Elle guetta la moindre étincelle dans les yeux d'Hassan, qui déporta son regard vers le papier peint usé et les photos qui y étaient accrochées.

« Dina m'avait prévenu que ça manquait d'hommes, dans la famille, mais que c'était normal et que je ne devais pas m'en faire.

-Elle t'as dit pourquoi ?

-Non. Elle n'avait pas l'air d'avoir envie d'en parler, alors je n'ai rien demandé. »

La jeune fille déplia les jambes, son esprit vagabondant du port à la salle où toutes ses peintures séchaient lentement. Elle ne pouvait pas nier ; n'importe qui s'en serait aperçu en regardant les clichés.

« Notre frère a été renversé par une voiture quand il avait douze ans et notre père est mort de maladie peu après. Ils t'auraient aimés, je pense. Tu as l'air d'être quelqu'un que tout le monde apprécie.

-Je suis désolé.

-Merci. »

Elle souriait à nouveau, sans un gramme de tristesse. Peut-être que Dina lui en voudrait pour ça, peut-être qu'Hassan ne lui dirait rien. Dans tous les cas, il avait le droit de savoir.
Elle n'était pas juste, à cacher toutes ces choses à quelqu'un qui comptait pour elle.

« Dina n'a pas l'air d'aimer en parler.

« Elle déteste ça. Je ne l'ai jamais entendue les évoquer, et dès qu'on fait mine d'en parler, elle change de sujet. C'est son moyen à elle de faire le deuil, j'imagine, faire comme s'ils n'avaient jamais existé. Mais c'est triste, pour elle et pour eux.

-Et toi ?

Amal tressaillit, comme si elle ne s'était pas attendue à ce que les questions puissent lui être retournées. Elle cessa de balancer ses jambes sous la chaise, immobile jusqu'au bout des doigts, la bouche sèche.

Ah.

« Moi ? »

Elle fixa ses doigts crispés sur son verre et le liquide qui y oscillait de droite à gauche.

« Je... »



« On reviendra. »

Hassan posa une main sur l'épaule d'Amal et serra doucement. Son sourire était plein de chaleur et de compassion.

« Tu sais, mes sœurs habitent à Port-Saïd. Même si c'est loin, on continue de se voir et on ne se perd pas de vue. »

Elle lui sauta au cou sans se soucier des protestations de Yasmin.
Merci.



▬ Février 2004, Alexandrie, Égypte.

Ça ne marchait pas.
Après un grognement destiné à souffler toute sa frustration, elle abattit le pinceau contre la toile blanche. Il laissa sur son chemin un trait orange vacillant, rehaussé de jaune et de violet. Chaque fois qu'elle voulait donner de la couleur à son œuvre, c'était toujours le même cinéma ; les fils s'emmêlaient et plus rien n'allait. Vaincue, elle passa un coup de rouleau blanc sur le tout, redonnant au chantier une apparence immaculée.

La troisième de la journée. Si ça continuait, elle allait...

« Amal ? »

Oh, mince.
Elle voulut reculer et trébucha sur un pot (miracle ! ) encore fermé. Lorsque Nawal poussa la porte, elle trouva l'artiste en herbe assise sur son séant, de la peinture des pieds à la tête. Elles échangèrent un sourire amusé avant que la porte ne se referme.
Clac.

« Ma fille, mais qu'est-ce que tu fabriques ?

-Je peins. A terre. C'est une nouvelle forme d'art. »

La mère de famille évita tous les objets qui parsemaient le sol, les pans de sa longue jupe attrapant de temps à autre les poils colorés d'un pinceau éméché. Arrivée à la hauteur d'Amal, elle passa la main sur les taches colorées dont elle avait réussi à enduire son t-shirt et sa chevelure.

« Tu t'ennuies ? »

En plein dans le mille. Amal s'écroula sur les genoux de sa mère, la tête contre le tissu doux de ses vêtements. Elle ne leva les yeux vers elle qu'après un instant bénéfique de silence où les cris des vendeurs leur parvenaient par la fenêtre entrouverte.

« Un peu.

-Tes sœurs ont téléphoné. Elles reviendront cet été, peut-être avant.

-C'est loin.

-Pas tant que ça. »

Et sa mère, si bonne, si gentille, replaça tendrement une mèche qui s'était égarée sur son front. Amal en aurait pleuré.
Elle avait vécu la misère et avait perdu des frères et sœurs ; de faim, de maladies... Elle n'avait pas pu aller à l'école, n'avait appris ni à lire ni à écrire. Avait réussi à trouver quelqu'un qui l'aime pour ce qu'elle était, l'avait épousé, en avait eu des enfants. Puis elle avait perdu son fils, et l'homme qu'elle aimait. Lentement mais sûrement, ses filles quittaient le nid pour ne plus y revenir. Elle restait seule avec ses souvenirs, sans personne pour la soutenir. Et elle arrivait encore à sourire et désirer le meilleur pour elles, sans égoïsme ni arrière-pensées.
Rien ne la dérangeait tant qu'elles étaient heureuses. Si solide, si belle. Sa mère.

« Mais Amal, pourquoi tu pleures ? »

Elle qui avait un sixième sens et entrait toujours dans la pièce quand elle se sentait mal.

« Je te laisserai jamais toute seule, maman. »

Nawal chassa tout doucement les larmes de ses joues et appuya sa main fraîche sur son front. Tellement, tellement d'amour.

« Tout ce qui m'importe, c'est que tu sois heureuse. Ne t'occupe pas de moi, ma fille, moi j'ai déjà vécu. »

Amal enfouit son visage contre sa poitrine, les épaules secouées d’incontrôlables sanglots.
Elle ne comprenait pas comment Dina et Yasmin pouvaient partir sans se retourner, sans même une pensée pour tous les sacrifices auxquels leur mère avait consenti pour les élever. Elle les détestait pour les avoir laissées toutes seules, pour ne pas avoir eu la pitié de s'assurer que leur mère ne manquerait jamais de rien. Égoïstes.

Alors qu'elle savait que l'égoïste, dans l'histoire, c'était elle.

Nawal se mit à murmurer une comptine apprise dans son enfance, d'une voix que les années avaient eu la bonté de ne pas casser. C'était tout ce qu'elles avaient bien voulu leur épargner. Tout le reste, elles l'avaient enfermé dans un coffre à jouets scellé.

Ne t'en fais pas pour moi, je suis heureuse comme ça.
Désolée, maman. Pardonne-moi. Pardonne-moi.



Du bout du pinceau, l'artiste signa l’œuvre caricaturale. Les feuilles défilèrent en claquant jusqu'à la dernière, qui n'arborait qu'un arc-en-ciel en forme de sourire. C'était tout ce qu'elle avait été en mesure de peindre dans d'autres tons que le marron, le beige et l'ocre qu'elle affectionnait. Sans faire de bruit, elle cala le chevalet contre le mur et rangea les pots de peinture les uns à côté des autres, queue leu-leu joyeuse et colorée.

Elle n'avait jamais voulu grandir. Elle n'avait jamais voulu voir les années défiler avec cette constance agaçante, ni les changements qu'elles apportaient avec elles. Elle aurait aimé que tout reste figé à une époque plus belle et désormais trop lointaine, où personne n'avait encore fui cette maison.  Où son frère était encore en vie, où son père les grondait encore – où Dina et Yasmin dormaient encore avec elle. Des rires, il n'y en avait plus.

Scritch, scritch. Amal gratta un peu de peinture verte du bout des ongles, de ses doigts remplis de jaune dune ou désert. Mohammed aurait eu vingt-cinq ans cette année. Il aurait été adulte, peut-être père. Et elle, elle ne voulait jamais avoir vingt-cinq ans si c'était pour tout abandonner comme l'avaient fait ses sœurs.

Elle se prit la tête entre les mains. C'était le crime parfait, personne ne pourrait s'en douter et personne ne s'en douterait jamais.

Amal Khalil, 01/10/2004.



▬ 2 Octobre 2004, Alexandrie, Égypte.



La lumière du phare d'Alexandrie,
Fait naufrager les papillons de ma jeunesse.




Driiiiiing.

« J'arrive, j'arrive ! »

Yasmin laissa tomber ses crayons et quitta le bureau, ouragan qui fit voler quelques feuilles en passant par-dessus le sofa. Une fois le combiné à l'oreille, elle lâcha un soupir soulagé et s'exclama, toute sourire :

« Yasmin à l'appareil ! »

Trois secondes de conversation confuse suffirent à lui faire froncer les sourcils. Accompagnant ses mots de grands gestes de la main libre, elle ordonna, aussi sévèrement qu'elle le put considérant l'identité de son interlocuteur :

« Du calme, maman, je te comprends même pas. Répète lentement. »

Qu'est-ce qu'il se passe ? Son sourire chuta et ses traits suivirent. Le téléphone commença à trembler entre ses doigts et à vouloir s'en échapper tant les secousses se faisaient nombreuses.

« DINA ! »



▬ Août 2015, Alexandrie, Égypte.

« C'est qui, là ?

-Ton grand-père avec son père. Ils avaient construit un bateau pour pouvoir naviguer sur la mer.

-Cooool ! Il est encore là, le bateau ? »

Nawal partit d'un grand éclat de rire sous l’œil sceptique du petit garçon.

« Oh non, mon chéri ! Ça fait longtemps qu'il a coulé. »

Il poussa un soupir triste qui lui en rappela un autre. Juste à côté de lui, son cousin avait empoigné une vieille photo de famille et scrutait les visages un par un avec toute la concentration de ses cinq ans récemment atteints.

« C'est qui, là, mamie ? »

Nawal suivit la silhouette qu'il pointait du doigt, passant ses mains dans ses épais cheveux bouclés. Ça faisait longtemps que plus personne ne s'était intéressé à ces vieux clichés mangés par la poussière qu'elle chérissait pourtant de tout son cœur.

« Mon fils. Regarde, là c'est ta mère, là c'est ta tante Yasmin, et...

-Où ça, maman ? Les interrompit le second en passant sous son bras pour coller son nez sur la photo.

-Là, tu le saurais si tu faisais attention. Et là, c'est... »

Elle buta sur la fillette qu'elle tenait contre elle une ou deux secondes avant de compléter, d'un ton aussi naturel que possible :

« C'est ma dernière petite fille, Amal. »

Deux mentons curieux se levèrent vers elle.

« Pourquoi on les a jamais vu, eux ?

-Parce qu'ils sont partis avant votre naissance. Comme le temps passe vite. »

Elle lui prit délicatement le cadre des mains pour le reposer sur l'étagère. Les prunelles brunes des petits garçons continuèrent leur observation minutieuse, jusqu'à ce que deux mains ne les empêchent de tirer un énorme tableau de son tiroir.
Clac.

« Eeeeh, Ahmed, je voulais juste regarder !

-Tu peux demander à mamie de le sortir. Tu vas tout casser. »

Le manque de confiance que son cousin avait en lui le blessa profondément. Digne dans son t-shirt kaki, il prit la main du plus jeune pour l'emmener vers la cuisine où les attendaient des boissons fraîches, non sans avoir grommelé quelques insultes au préalable.
Nawal tapota l'épaule d'Ahmed, déjà si grand et mature pour son âge.

« Tu devrais aller surveiller Mohammed, il est capable de passer par la fenêtre avec Haji. »

Il grimaça et jeta un regard presque désespéré vers les fils de perles qui séparaient les deux pièces.

« Tu as peut-être raison », consentit-il à admettre avec une exaspération bien dissimulée. La vieille femme attendit que des éclats de voix résonnent entre les murs pour  prendre une photographie plus récente et tracer le sourire radieux d'une adolescente de seize ans en costume traditionnel.

« Habibti, j'espère que tu es heureuse, maintenant. »

Parce que moi je le suis.


Amal Khalil ▬ « Je pense tout et son contraire, comme un enfant » 83b75636e2f06d7dd13adb7945c629c5

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Vous êtes officiellement validée ♥ BWAHHHHH COMMENT JE TE HAIS. *jette des cailloux sur Alma* (oui, je sais, mais c'est trop tentant de l’appeler comme ça). Sinon ta fiche était bien, comme d'habitude. J'ai tout lu d'un coup et c'était cool. TRÈS COOL. J'étais triste. ;A; COMME D'HABITUDE. Et je te hais.
Donc en gros tout est parfait, nickel chrome, rien à redire, perfectissimo tout ce que tu veux ♥ ♥ ♥ Je t'envoie donc te promener avec les autres dans Asphodèle pour faire une grosse fiesta party hard. Ma façon de valider est de moins en moins officielle mais on s'en fiche.

Tu peux dès à présent recenser ton avatar, ton métier et demander une chambre pour t'en faire un petit nid douillet. Tu peux également poster une demande de RP ou créer ton sujet de liens. Ton numéro va t'être attribué sous peu et tu vas être intégrée à ton groupe dans l'instant. Tu arriveras dans la pièce Nord.

JE TE HAIS PASSIONNÉMENT ♥

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