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Chérif Bouzidi
- C 15 052052 57 11 B -

Chérif Bouzidi

En bref

Masculin
Pseudo : Nii'
Messages : 12




Pull the strings, the people dance
On a leash like sheep herd,
Cash advance ;
Put enough in your pocket,
Your life’s a loan -
Till you can’t get straight,
Deep red, full blown.
You got no one to turn to
And people you owe ;
You’re a dope, head shakin’,
Battered, broke.
Life is tough, man.
We go on with the show.
This life is tough, man.
And everybody knows.
Nom : Bouzidi.
Prénom : Chérif.
Surnom : Chéri, Rif, Rifraf.
Genre : Masculin.
Âge effectif :  69 ans.
Âge apparent : 27 ans.
Arrivé depuis : J6 M4 A2.
Date de naissance : 11/01/1983.
Date de mort : 23/05/2052.
Orientation sexuelle : Homosexuel.
Groupe : Commotus.
Nationalité : Franco-algérien.
Langues parlées : Français, arabe algérien, genre deux mots d'anglais et d'espagnol (qui impliquent tous de niquer ta mère).
Ancien métier : Il a bossé en usine, mais là il chômait dur (pas de son fait stp).
Métier actuel : ???
Casier Judiciaire


▬ Crimes commis :
▬ Circonstances du décès :
▬ Péché capital principal :
▬ Péché capital secondaire :
▬ Rapport à l'alcool :
▬ Rapport aux drogues :
▬ Addictions :
▬ Mauvaises attitudes récurrentes :
▬ A été victime :


Physique


• Chérif fait 1m60 ; alors oui, il est petit. Pas besoin de le lui répéter, il SAIT. MERCI.
• Ni bodybuilder ni frêle, c'est un habitué du sport qui, à cette époque, passait la moitié de son temps à ne pas pouvoir tenir en place.
• Il a des épaules, pas beaucoup de graisse. Du muscle, surtout dans les bras. Il peut courir longtemps ; il a de l'endurance, même si la clope aide pas. Si y'a besoin de sauter par-dessus des trucs ou de défoncer des mères, il peut y mettre son poids.
• Alors c'est pas un gros poids, mais du coup c'est mieux que rien. Il est pas sans défense.
• Il fait pas fragile, non plus — même si, okay, les t-shirts informes et les jeans trop bas aident pas à repérer qu'il a des muscles.
• L'uniforme peut que lui faire du bien, à ce niveau-là.
• Ses cheveux sont bruns, foncés, et toujours très courts. Il aime pas les avoir dans les yeux ou même les sentir lui chatouiller les oreilles. À ras, c'est très bien.
• Côté yeux, même chose : ils sont très bruns, sans rien de particulier. La plupart du temps, ils paraissent même presque noirs. Très foncés.
• Joli menton, mâchoire correcte, nez... existant. Il n'y a rien qui marque, chez Chérif ; l'ensemble est juste harmonieux. Quand on veut critiquer son physique, "moche" est rarement l'adjectif qui revient. Il est plutôt beau, au contraire.
• Sa peau, mate, l'a toujours catégorisé comme "arabe" auprès de quiconque le voyait. Des gens moins habitués à voir des maghrébins pourraient avoir des doutes, mais chez lui on se trompait jamais.
• Le type dont on fouille le sac, quoi. Super, merci.
• Beau garçon, donc, Chérif a une tête très tranquille au naturel. Quand il réfléchit (si, ça arrive), fait rien de particulier ou est concentré, il a l'air sympa. Chill. Paisible, limite.
• Quand il s'énerve, par contre, c'est pas la même chose. Du tout.
• Il vire furieux. Juste furieux. Il va te défoncer, et ça se voit. À moins de vouloir chercher les emmerdes ou la bagarre, on préfère lui foutre la paix.
• Expressif, quand il va bien.
• Absent, quand il va mal.
• Sa voix porte ; il a l'habitude de devoir aboyer pour rapatrier tout le monde ou se faire entendre, et ça se sent. Les accents autoritaire du grand frère excédé, il les maitrise à la perfection.
• Sa démarche est sûre d'elle, sa tenue pas du tout impeccable. Il a tendance à finir un peu penché, et ses maux de dos précoces aident pas.
• Ses mains sont abimées, rêches. La faute au boulot et à une vie passée à crapahuter partout.
• Il fait son âge.  On peut le trouver plus jeune, surtout quand il décide de se raser parfaitement (ce qui arrive ; il oscille entre flemme et incertitude), mais pas de beaucoup. Ou alors juste parce qu'il est petit. Ce qui est putain d'insultant, merci bien.
• Côté vestimentaire, il s'habille toujours pareil.
• T-shirts trop grands, vestes et pantalons de jogging, bandeaux, casquettes, baskets. Jamais on l'a vu en chemise, jamais on l'a vu en autre chose qu'en jeans ou en jogging. Jamais il mettra de chaussures de ville. Même pas la peine d'essayer. Pareil pour les manteaux ou les machins ; il aime pas ça. Il fait un effort ("effort") pour les fêtes et les machins, mais ça reste simple. Il met un costume s'il DOIT, mais c'est tout. Faut pas abuser. Y'a intérêt à ce que y'ait un mort ou un mariage, sinon la vie de sa mère il est en t-shirt.
• Le confort avant tout, okay.


Caractère


• Chérif a ses humeurs. Dépressif ou bipolaire ou whatever ; ils avaient pas l'air trop sûrs d'eux, de ce qu'il s'en souvient — et franchement, osef. Il est mal foutu. Il retient surtout ça.
• C'est pas toujours visible. Voire pas franchement visible. Il compense jusqu'au saut de l'ange sur l'autoroute.
• Pas terrible.
• Quand Chérif va bien, il est actif. Très actif. Trop actif.
• Bruyant, motivé, de tous les combats, à courir, à rigoler, à faire la fête.
• Il siffle les filles dans la rue ; s'étonne que ça fonctionne pas. S'énerve. Les insulte. Recommence.
• Boit une bière. Claque les bras de ses potes. Ramasse ceux qui savent pas se tenir.
• Gère les affaires de tout le monde, règle les problèmes, arrange les conflits d'une manière ou d'une autre. C'est un mom friend avec le syndrome grand frère en supplément.
• Alors ça se voit pas forcément quand il fait le débile sur un mur ou traite les filles de connasses parce qu'elles veulent pas lui parler, mais il est responsable. Il fait attention.
• Niveau argent, niveau alcool (la plupart du temps), niveau papiers, niveau... tout, quoi.
• Si t'as besoin d'aide, il t'aide. Et même si t'en as pas besoin, d'ailleurs. Il est disponible. Il est là.
• Enfin il essaie, quoi. Mais quand ça va — quand ça va, il est là. Évidemment. Il va pas te laisser dans la merde, wow.
• Il réfléchit pas avant d'aider les gens qu'il aime.
• Même ceux qu'il apprécie pas, d'ailleurs. Quand ça va trop loin, ça va trop loin. C'est un con, pas un connard. Ni un monstre.
• Il va pas laisser quelqu'un claquer. Ou même juste se démerder avec une jambe cassée.
• Y'a un degré de violence ou d'insultes (haut, mais quand même) au-delà duquel il te claque la gueule. Ça vA PAS HEIN. Il s'en fout que le mec se soit tapé ta soeur, y'a des limites à pas dépasser. Tu peux le cogner, mais va pas carrément le mettre en morceaux.
• Pas cool. Personne va en taule.
• Insupportablement motivé, donc. Pile électrique nationale plein d'optimisme et de projets. Limite trop.
• Il s'en foutrait en danger, parfois. C'est le roi du monde, dans ces moments-là — et ça peut durer un moment.
• Pas de là à inquiéter. C'est pas ces phases-là qui posent le plus problème, chez lui.
• C'est les autres.
• Quand Chérif va mal, il est juste. Pas là.
• Il plane. Voit d'intérêt à rien. A plus d'énergie. Plus envie de rien faire.
• Il est juste triste, juste fatigué, juste dans son coin à se morfondre et à ressasser des idées noires.
• Il aime pas parler de ce qu'il ressent. Déjà qu'avec son psy c'était chaud, pas la peine d'en attendre autant si vous êtes un ami ou de la famille. Que dalle. Nope.
• C'est pas une gonzesse. Il sait pas faire. Il se sent con. Ça le saoule.
• Alors il fait "tkt ça va", compense comme il peut, s'énerve pour virer les gens et avoir de l'air, et se roule dans sa couette en attendant que ça passe.
• Ça va souvent jusqu'aux idées suicidaires, chez lui. C'est pas anodin.
• Pas anodin du tout.
• Alors souvent il a pas l'énergie pour ça, et ça finit par repartir dans l'autre sens ; mais parfois ça dure, et parfois ça se grimpe un peu dessus, et là y'a des risques de passage à l'acte.
• Il le sait. Il essaie d'éviter. D'aller se poser chez quelqu'un et de pas en bouger pour pas pouvoir faire de conneries. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire, hein.
• Ce serait pas un problème si y'avait juste à se dire "meh, non" et à passer à autre chose.
• En dehors du bien ou du moins bien, Chérif est impulsif. Il agit d'abord ; réfléchit ensuite (peut-être).
• Les conséquences lui reviennent souvent dans la gueule. Il aime pas ça, mais ça l'empêchera pas de recommencer après.
• C'est qu'il est pas très malin, non plus.
• Pas très scolaire, pas très intelligent. Il prend du temps à comprendre et fait pas toujours (pas souvent) les bons liens aux bons endroits.
• Il a pas beaucoup de vocabulaire, non plus, et pas beaucoup de culture. On s'est pas trop foutu de sa gueule pour ça, vu que ses potes étaient pas fan de Baudelaire non plus, mais c'est arrivé. Et il déteste ça.
• S'il comprend pas un mot ou une expression, il va te la renvoyer dans la gueule. Ça le saoule, putain, vA TE FAIRE FOUTRE AVEC TES MOTS DE DEUX METRES A LA CON.
• Il aime pas demander de l'aide. Il veut être indépendant, se débrouiller tout seul. C'est à LUI qu'on demande de l'aide. Pas l'inverse.
• Et quand il s'énerve, sent des insultes, bref, il vire roquet sur la défensive. Tu le chercHES PAS. Tu le SAOULES PAS. Tu L'EMMERDES PAS.
• BAISSES LES YEUX WSH.
• S'il est en colère, ta mère va prendre. C'est sûr. Par contre si t'insultes la sienne, bah il te défonce. Il fait pas les règles.
• Ta tête ? arrachée avec les dents. RIP.
• Pas bien complexe dans ses relations, à part à la rigueur quand ça vire romantico-homo (et encore, franchement), il va droit au but 90% du temps.
• S'il te trouve bonne tu vas le savoir, s'il te kiffe grave tu vas le savoir, et s'il t'aime pas bah il t'engueule donc tu vas le savoir aussi.
• Facile.
• Se remettre en question c'est pas facile, mais il essaie. Une fois sur deux.
• S'il faut s'excuser il finira par le faire. Ce sera juste. Dur. Et peut-être un peu long.
• Il préfère qu'on le pardonne sans rien dire, ou juste en lui claquant le dos. S'exprimer, c'est compliqué.
• Il risque de faire des cadeaux, ou de trouver un moyen détourné de dire "je suis désolé". Mais il est capable de le dire, hein.
• Relativement con, il a une tendance totalement pas assumée à la misogynie. Il trouve qu'il traite bien les femmes, lui, wow.
• Est-ce qu'il voudrait que tu fasses ça à sa sœur ? Wow. Non.
• Mais va lui expliquer le problème. Il est borné.
• Méfiant des blancs, hyper sur la défensive dès qu'il sent du racisme, il se sent plus à l'aise avec des arabes et des noirs (mais surtout des arabes).
• Y'a des cons partout, mais il se sent moins jugé. Pire si les blancs en question ont l'air trop propres sur eux.
• Casually homophobe ; les blagues sur les péDéS, bah ça y va. Il voit pas le problème.
• Hahaha.
• Les figures d'autorité, de manière générale, il aime pas. La police, les politiciens, les docteurs, les proprios, les profs... Il a pas confiance. Ça lui prend du temps pour se rendre compte qu'on lui veut du bien, quand c'est le cas, et tout le monde a pas la patience. Il se rappelle surtout du mauvais, pas du bon. Comme tout le monde.
• Intrépide par moments, ni lâche ni courageux, mais incapable d'abandonner quelqu'un qu'il aime (à part en sautant d'un pont — et encore ; ça l'a sauvé, la première fois). Même si c'est le truc à faire. Même si c'est con. Même si on le lui demande.
• Il réagit à l'affect. Il réfléchit pas.
• Sinon, en tas : homme de peu de mots. Pas romantique du tout. Affectueux de manière mesurée, mais pas avare de câlins non plus (avec les filles, les mecs ils ont les embrassades viriles). Bizarrement soigneux, parce qu'il a pas 80 exemplaires de chacune de ses affaires non plus. Capable d'être hyper respectueux quand ça tient à la religion — surtout la sienne, mais il oserait pas se moquer d'une autre non plus. Ces trucs-là, c'est perso et c'est important. Déteste se sentir inutile. Pas le meilleur pour écouter (il a du mal à se concentrer, souvent), mais fera toujours un effort pour renvoyer autant qu'on lui donne. Volontaire et présent.
• C'est vraiment pas un méchant garçon, dans le fond.


Histoire


•  be ready here be Extremely Condensed Chérif

• Il a un père (Bachir), une mère (Rachida), une grande sœur (Aïcha), un petit frère (Amine).
• Sa famille émigre de l'Algérie vers la France quand il a deux ans.
• Il vit une enfance parfaitement chill et cool.
• Son père se suicide le 14 septembre 1995. C'EST UN JEUDI.
• (faut que j'arrête de traumatiser mes persos des jeudi ??? pourquoi toujours le jeudi tien/RIRES/)
• (ce mot n'a plus de sens, oUPS)
• BREF sa mère se remet avec un Alain Picard qui a deux fils dont on se fout.
• L'ambiance craint, yadda yadda.
• Il fait des conneries, s'énerve, yolote, se prend des claques, la base.
• Il bosse à l'usine. Ses potes et son frère font des conneries.
• Sa sœur se marie or something.
• Il va mal.
• Mais alors mal.
• Il apprend que son frère a perdu son job et limite adopté le gamin suprise de sa Chakiba ?? the fuck.
• (il aime pas Chakiba)
• Il vivent aussi limite avec Aziz, le BFF d'Amine, mais personne questionne jamais.
• En 2005 ça va vraiment plus, et il part donc grimper sur un pont d'autoroute.
• Il saute pas, mais BARELY. Merci à l'espagnol qui passait.
• Il finit à l'hosto, voit un psy, en ressort contre l'avis du médecin.
• Reste 24h à planer et fixer le monde, puis part tenter de se JETER SOUS LE METRO.
• (d'où le "contre l'avis du médecin, tu le sens bien là)
• On l'en empêche. RIP. Merci à ce brave gars.
• Il est hospitalisé de force, yadda yadda, en ressort plus tard quand ça va mieux.
• Reprend le boulot à mi-temps, tout ça tout ça.
• La routine.
• Ca repart en couilles HELLO.
• Il appelle son psy au lieu de se jeter par la fenêtre !! bien.
• Hospitalisé AGAIN.
• Il rencontre Julie. La drague. Se fait jeter. En fait sa BFF à la vie à la mort et la fusionne à son ADN (lovingly)
• Rencontre son frère emo, Benjamin. Doki doki (absolument pas).
• Après je sais pLUS pas grand chose la routine bla bla bla :/
•  L'important c'est qu'il sort, replonge plus tard, appelle Benji pour pas être seul, le smooch, repart yolo
• VA MAL AGAIN, saute d'un pont de l'autoroute (mais pour de vrai cette fois).
• Se rate. Finit à l'hosto. Puis à l'HP.
• Câline Julie, câline Benji, les bonnes choses de la vie.
• Ensuite il va de mieux en mieux, son traitement fonctionne cool yo, il épouse Benjamin, il vit heureux, voilà.
• (bon il retourne à l'hosto au moins une fois et y'a des morts et BLABLABLA mais hof)


Chérif Bouzidi ▬ « T'es plus intelligent qu'avant, mais t'es toujours très con » 200225074921508528
     
Chérif Bouzidi ▬ « T'es plus intelligent qu'avant, mais t'es toujours très con » 200225074919473028
« Requiescat in pace »
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Âge : Votre âge. (momie/bébé marche aussi)
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Autres : Ce que vous voulez.


Chérif Bouzidi
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Chérif Bouzidi

En bref

Masculin
Pseudo : Nii'
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Histoire


• Le 14 septembre 1995, les enfants Bouzidi rentrent de l'école. C'est un jeudi.
• Aïcha marche devant. Chérif et Amine derrière.
• D'habitude, après le lycée, la grande part câliner son petit-ami, Sayed, et les laisse se débrouiller. Mais là, ils se sont fâchés. Du coup elle a récupéré les garçons, comme elle est censée le faire, et ils la suivent sans rien dire. Parce qu'Aïcha fâchée, ça fait peur.
• Elle les a engueulés devant leurs copains, en plus. Alors ils font la gueule aussi.
• La honte.
• Leur mère devrait déjà être rentrée, mais elle est sortie faire les courses et s'est retrouvée à discuter avec une amie en chemin. Comme dirait leur père, "les femmes, tu sais. Quand elles papotent, elles papotent."
• Chérif a envie d'aller taper des truc et partir jouer au foot, mais il doit prévenir un de ses parents avant. Et là, il entend aucun des deux.
• Amine grogne et roule sur le tapis avec son sac.
• Leur père est censé être là. Il se dit qu'il a dû aller discuter avec un des voisins. Ça l'inquiète pas spécialement.
• Aïcha, si.
• Mais Aïcha est plus grande. Moins proche de son père que les garçons, mais un peu plus perceptive quand même. Ça lui fait froncer les sourcils.
• Puis hurler.
• Et après —
Après.

• Chérif se souvient de sa sœur qui hurle. De son frère qui se relève et panique, et lui avec — parce qu'ils ont l'habitude de l'entendre grogner, voire hausser le ton, mais pas hurler.
• Il se souvient d'elle qui claque une porte et se prend un meuble et les jette sur le pallier de l'appartement, le tout sans réussir à dire un seul truc cohérent.
• À ce stade, les voisins sont sortis sur le pallier pour leur dire de la fermer.
• Il se souvient très nettement d'Amine qui essaie de retourner à l'intérieur ; de lui qui l'en empêche, parce que Aïcha en colère, ça fait peur, et qu'il n'est pas complètement stupide non plus.
• Il a douze ans. Pas six.
• Après ça, c'est beaucoup plus flou.
• Les voisins ont dû arrêter de gueuler et comprendre que quelque chose n'allait pas, parce qu'ils se sont retrouvés dans leur salon avec la mère et les petits.
• Amine a fait une crise d'asthme. Il est resté avec lui, à le calmer, en mode automatique.
• Ensuite, la police est venue.
• Et ensuite, leur mère est revenue.
• Et ensuite, on les a mis dans la voiture pour les emmener chez les Yousfi.
• Et ensuite seulement, on lui a expliqué.
• Cette conversation-là non plus, il ne s'en souvient pas.
• Mais son père est mort, ce jour-là. Le 14 septembre 1995, après l'école. Un jeudi.
• Ça, il s'en souvient bien.

• Avant la mort de son père, la vie de Chérif était relativement banale. Une grande sœur née cinq ans avant lui, un petit frère né à peine plus d'un an après. Des parents immigrés algériens. Pas d'argent, mais un toit. La base.
• Les deux ans qu'il a passé en Algérie, il ne s'en souvient pas. Des odeurs ou des images, à la rigueur, mais rien de précis. Il ne connaît pas le pays.
• Il connaît la langue, par contre. A la maison, ils parlent arabe plus que français — et quand ils insultent les voisins, c'est en mélangeant les deux.
• Il s'habitue vite à entendre des "rentre dans ton pays", peu importe la couleur de l'autre ; il renvoie la même chose quand il peut, par réflexe, entre deux "ouais bah j'y suis déjà gros débile" assortis de gestes très polis.
Je suis français, connard.
• (pas encore, mais ses parents ne jugent pas utile de détailler)
• Amine l'imite. Ils font tout par deux, vu la différence d'âge. Puis ils s'aiment bien.
• Leurs amis diffèrent un peu, mais pareil ; ils trainent avec les mêmes. Chérif a Mourad et Amine a Aziz, mais le reste, c'est un pot commun bizarre où tout le monde se mélange sans trop chercher. Ils se font un petit gang. Ils sont bien.
• Pas de famille en France à part leurs parents, donc pas de grands-parents à visiter — et les retours en Algérie, ils les font rarement. Ça reste très, très ponctuel. Et à raison.
• Pas des raisons qu'il comprend. Mais ça, c'est normal. Il est jeune.
• Le truc, c'est que les Bouzidi ont déménagé pour leurs enfants plus que pour eux. Ils voulaient qu'ils soient français, qu'ils aient de meilleures chances. Ils se sont dit que leurs trois horreurs seraient mieux ici et ont agi en conséquence.
• Et si les enfants se sont bien adaptés (même Aïcha, qui n'était pas contente du tout de quitter ses amis), ça n'a pas été le cas de Bachir. Rachida s'y est fait ; lui...
• Lui, non.
• Il a eu le mal du pays. Le mal des gens. A mal vécu le changement d'ambiance. De paysage. S'est retrouvé à faire un travail pour lequel il était largement surqualifié. Et cetera, et cetera.
• Petit à petit, il s'est éloigné de sa femme ; a cessé de vraiment entretenir des liens avec ses amis.
• Rien que Chérif puisse voir. Lui, il adore son père.
• Sa mère, c'est sa mère — mais son père, c'est le meilleur. Il le trouve drôle et intelligent et intéressant et fort et capable de tout réparer, de tout faire, de tout comprendre.
• Bachir adore ses fils. Sa fille fait moins d'efforts, surtout sur la fin ; ils se comprennent moins. Il n'aime pas son petit-ami. Mère plus compréhensive, père plus strict. Elle a fait son choix, question confidences.
• Pas le même que ses frères.
• Chérif se rend bien compte que son père se renferme, tel Anna à la porte d'Elsa, mais ça ne le marque pas. Parce que son père parle peu ; parce que son père est l'image même de l'homme fort et machiste que l'on pense stupide et incassable.
• Au pire, il se mettra à boire et frappera femme et enfants. Vous savez comment c'est.
• Au lieu de ça, il se pend. Le 14 septembre 1995. Un jeudi.
• Et ça reviendra souvent, alors personne ne risque de l'oublier.

• Après la mort de son père, Chérif flotte pendant quelques mois. Il ressent beaucoup de choses — colère, tristesse, incompréhension, frustration — mais n'arrive à en exprimer aucune. Il fait son deuil comme il peut, à peu près au même rythme qu'Amine.
• Pas du tout au même rythme que les filles.
• Aïcha est traumatisée de plein d'autres façons. Ils ne fonctionnent pas pareil ; sans compter qu'elle l'a vu, elle. Les cauchemars ne sont pas les mêmes.
• Chérif souffre du silence de sa mère, qui s'en remet comme elle peut mais trop vite pour lui. Il titube derrière et elle, la panique la fait courir. C'est l'enfer.
• Et puis Bachir était resté très proche de ses fils, d'une façon ou d'une autre. Entre lui et sa femme, lui et sa fille, il y avait déjà un fossé. Forcément, c'est différent.
• Toujours est-il qu'après les mois de flottement où les professeurs sont compréhensifs et où ses amis ne savent plus quoi dire ni comment le dire, il vire infernal.
• On se gère comme on peut, n'est-ce pas.
• Chérif décide donc de se gérer en devenant agressif, en aboyant sur tout ce qui fait mine de le regarder de travers et en bousculant des camarades qui n'ont rien demandé à personne. Ça ne le rend pas très populaire, sur le coup, mais ça reste anecdotique. Pas comme s'il était le premier à faire le con en cours et en dehors. Ça reste une école de quartier.
• Les gosses défavorisés, vous savez.
Les gosses d'immigrés, vous savez.
• Amine trotte derrière. Même tempérament. Un peu moins pitbull (moins la forme, physiquement) mais pas moins con. Ils font la paire.
• Malgré tout, bon. Ça reste gérable.
• Ils ne volent pas, ne cassent pas de voitures, ne poussent pas les mémés dans les fossés. Presque de bons garçons.
• Ils répondent à leur mère, décident d'un commun accord de faire un putsch et de refuser toute autorité à leur sœur (l'outrage est réel), commencent à décrocher en cours et répondent à leurs profs pire que si c'était leur job — mais grosso modo, ça s'arrête là. Ils se rebellent. Crise d'adolescence un peu en avance, avec mention mal-être et deuil coincé en travers de la gorge.
• A treize ans, Chérif est une gentille racaille. Il montre les dents plus qu'il ne mord, mord rarement fort et quand il le fait, il ne s'accroche pas à sa cible comme un animal enragé.
• Que demande le peuple.
• Sa mère ne sachant pas trop quoi faire pour essayer de les ramener sur le DROIT CHEMIN, à court d'idées, en revient souvent à des "qu'est-ce qu'en penserait votre père" qui font hurler Chérif plus fort que des supporters Marseillais un jour de victoire du PSG — sans les voitures cramées, mais c'est pas franchement plus glorieux.
• Amine hurle derrière. Le canon est tout sauf agréable mais chaque fois qu'elle s'énerve, ça revient.
• Parce que c'est vrai, après tout ; ils étaient plus sages, quand Bachir était là pour les cadrer.
• Mais ça, elle ne sait pas faire. Ils se compensaient bien. Équilibre à deux. Toute seule, elle fait ce qu'elle peut.
• Et puisqu'ils ont l'habitude que leur mère leur passe tout, ça ne marche pas. Elle n'a pas d'autorité sur eux. Fichu foutu.
• Alors ça continue.

• Les années passent. 1996. 1997. 1998.
• Aïcha rompt avec son petit-ami. S'en retrouve un autre. Se trouve du boulot.
• Amine et Aziz pleurent (virilement) chacun de leur côté pendant deux mois après une dispute à propos d'une fille. Quand ils se réconcilient, ils se collent à la hanche encore plus qu'avant. Chérif fixe en mâchant sa cigarette.
• (Aziz le saoule un peu, des fois, mais bon — c'est Aziz)
• (on peut pas lui en vouloir trop longtemps, il est cool quand même)
• Mourad soupire sur Aïcha. "Kel é bél, ta seur, wsh".
• Chérif le secoue une fois pour lui faire comprendre que pas touche, wow, puis abandonne. Il le laisse soupirer. Ça lui fait du bien de souffrir, allez.
• Vu comment Aïcha le jette à chaque fois qu'il part lui offrir des fleurs, ça l'étonne à moitié qu'il lui ait pas balancé des insultes à la gueule. Mais son pote respecte la dame.
• Et la dame respecte son pote, bon. Elle est pas méchante. Elle lui tapote la joue avec ses pissenlits.
• Il apprécie. Bonne ambiance. C'est cool.
• Le nouveau copain, il le voit pas, donc parfait. Pas envie de supporter sa tête de con.
• Il s'appelle Sébastien Dufour, en plus, alors. Ouais. Il se prend autant de blagues pourries qu'il est humainement possible d'en faire avec des appareils électro-ménager. Une tragédie.
• Lui, côté cœur, c'est niet. Il drague à droite à gauche, avec la grâce et la technique d'un tractopelle lâché au milieu d'un troupeau de brebis, mais ça ne fonctionne pas. Du tout.
• Bon, il a des choses à redire sur le côté brebis de l'équation (toutes des cOnNeS). Sauf que ça change rien au résultat. Célibat prolongé et puis c'est tout.
• Amine aussi, donc. Il se console comme il peut. Ça va.
• Puis Mourad, qui soupire encore trop sur Aïcha pour vouloir trouver le grand amour. Ou une autre connerie du genre.
• Ça laisse que les autres à supporter. Genre Aziz tête de con. Ouais, garde ta cahba, on s'en fout putain.
• La fête, quoi. Saison des amours. Adolescence. Tout le monde s'éclate.
• Et sa mère aussi.
Oh putain.

• Être fâché contre elle la moitié du temps et refuser de lui obéir n'empêche pas Chérif de la respecter. C'est clair. Il aime sa mère. Faut pas déconner non plus. Le premier qui la touche ou l'insulte, il lui arrache la tête.
• Donc quand elle leur sort qu'elle a un petit-ami, ben. Il lui arrache la tête.
• Par la pensée.
• Rachida est du genre rapide et motivée, quand elle a un truc en tête. Ça fait déjà un moment qu'elle voit Alain en secret (feat Chérif qui hurle "mAIs T'AS qUEL ÂGe" dans le fond avec la grâce d'un camionneur), donc rien d'étonnant à ce qu'elle ne mette pas longtemps à vouloir aller habiter avec lui.
• Ils s'aiment, c'est tout. Voilà. On s'habitue, hop hop.
• C'est comme pour le deuil. Ça va trop vite, c'est pas très délicat et ça passe moins que bien avec les enfants de tout le monde — parce qu'évidemment, ce connard d'Alain a des connards d'enfants.
• BAH TIENS. ALLEZ.
• CA FAIT PLAISIR.
• Aïcha fixe ça d'un drôle d'air. Chérif hurle. Amine hurle. Guillaume, le fils aîné, tolère Rachida mais trouve ses gamins juste insupportables. Ludovic, le plus jeune, essaie de disparaître en fusionnant avec sa chaise mais n'arrive à rien.
• En quelques mois, la situation passe de la guerre froide aux lancers de missiles h24 sur fond d'insultes en arabe et de portes qui claquent.
• Chérif peut pas vraiment choisir où il va habiter ; le jour où sa mère décide de rendre l'appart et d'aller glisser gaiement chez son couillon, ils sont obligés de suivre. Il a quinze ans. Pas dix-huit.
• Guillaume va en avoir dix-huit, lui. Il va se barrer dans la joie dans son appart de riche à perpet' les oies pour aller faire sa fac de bobo à la con. Aïcha vit avec une amie, et y'a son copain M. Grille-Pain dans le coin. Y'a vraiment que lui, Amine et Ludovic qui doivent se démerder pour cohabiter non-stop avec les parents.
• Et putain, ça passe pas.
• Ça passe pas du tout.

• L'ambiance familiale, à partir de 98, c'est l'équivalent de coincer Pétain avec de Gaulle et de leur demander d'éviter les sujets qui fâchent.
• Une vraie partie de plaisir.
• Alors comme en plus personne ne fait aucun effort, on imagine bien la joie au quotidien.
• (enfin si — Alain et Rachida en font plein, des efforts, mais ces héros nationaux ne seront jamais loués à leur juste valeur) (ou pas avant dix bonnes années, im afraid) (hang in there guys)
• Chérif se retrouve encore coincé dans une chambre avec Amine. Dans une maison. Dans une banlieue pourrie et trop blanche.
• Il hurle.
• Au moins, il aura pas eu à changer d'école. Puis Ludovic est pas dans la même. Cool. Génial. Il remercie sa mère d'avoir été draguer au rayon surgelé et pas au Musée de Va Savoir Quelle Connerie.
• Vu la tête du copain, pourtant, elle aurait aussi bien pu avoir été le pécho au PARLEMENT. MAIS OKAY, MAMAN. TU FAIS TA VIE. AVEC TON. TON TRUC, LA. TON MEC.
• [ hurlements de banshee en arabe ]
• Alain fait ce qu'il peut pour tenter d'améliorer la communication, mais Chérif est un chihuahua enragé prêt à lui arracher la main s'il approche. Et Amine fait pareil, évidemment. En version asthmatique. Du coup, il abandonne un peu. Il se dit qu'il va leur laisser du temps.
• Ludovic leur crache dessus et réciproquement, mais bon. Ça leur passera. Ils sont jeunes, encore. Treize ans. Quatorze ans. Quinze ans.
• D'ici quelques années, ils se seront calmés. Ça ira mieux. Ils comprendront.

• C'était le plan, en tout cas. Monsieur est optimiste.

• Noël 1998 est un enfer dont les Bouzidi-Picard se souviendront comme étant "le pire truc, la vie de ma mère jamais on refait ça".
• Ça se dispute, ça pleure, le nom de Bachir est évoqué et déclenche une deuxième salve de cris et de pleurs, Aïcha claque la porte, Guillaume fout Ludovic sur son épaule pour l'empêcher d'arracher la tête d'Amine qui a insulté sa mère (la vRaiE, pas Rachida), Chérif se prend une claque, le pauvre Jésus s'en prend plein la gueule en français et en arabe, et l'intolérance globale atteint des seuils qui feraient exploser les compteurs Geiger de tout un continent.
• Se faire claquer avec un Coran virtuel ("bOn Et BiEnsEant, ChEriF bOuzIDi") n'empêche pas le concerné de traiter Noël de tous les noms, parce que de toute façon c'est qu'une saloperie de connerie, et ils l'ont jamais fêté, et pourquoi ils le fêteraient, et leur père heIN pUisqU'ON lE rAMenE eh ben il aurait jamais accepté ça, et Alain c'est pas son père et il veut pas voir sa sale tronche à tous les repas ou fêter ses trucs de faux-chrétien même pas croyant à la con là bordel de merde.
• Après quelques hurlements supplémentaires, Rachida a le malheur de sortir que Bachir n'est pas là, et que c'est de sa propre faute, et que UN EFFORT, CHÉRIF, TON PÈRE N’ÉTAIT PAS UN SAINT NON PLUS.
• Ceci étant un casus belli de dernier niveau, il claque la porte. D'entrée.
• Et Chérif étant un adolescent raisonnable, au lieu de rester dehors à cogner des trucs et à fumer, il prend le scooter et se barre.
• Il passe les jours suivants entre chez ses potes, chez sa sœur, chez Sébastien (le mec qui a un nom de four et touche à Aïcha, ouais ; il est pas si naze que ça, finalement), ignore royalement le fait que sa mère appelle tout le monde pour savoir où il est, veut rien savoir et veut rien entendre.
• Quand il rentre, c'est par la fenêtre, avec l'aide totalement inutile d'Amine qui est pas foutu de le hisser correctement jusqu'au premier.
Et les adultes, là, il les emmerde.

• Pendant plusieurs mois, la situation est hyper tendue. La communication entre Chérif et sa mère est quasiment rompue ; Amine a le cul entre deux chaises, et galère vachement à ne donner ni tort ni raison à qui que ce soit. Ajoutez à ça le fait que Chérif se dispute avec des amis, se retrouve à être jaloux de son frère qui pécho une fille beaucoup trop jolie pour lui (genre d'où ça sort, ça, hein ?), ne supporte plus de voir la tronche d'Alain ou de Guillaume ou de Ludovic, et juste — tout, et ça donne un terrain miné puissance mille. Avec explosions spontanées, parfois. Parce que pourquoi pas.
• C'est fatigant. Pour tout le monde.
• Surtout pour Alain. Chérif et Amine sont infects.
• Et comme il est en colère, ça s'en ressent partout ailleurs.
• En 1999, il se fâche plusieurs fois avec son frère. Rien de grave, mais quand même. Ça arrive plus souvent qu'avant.
• Avec Aziz aussi, fatalement. Collés à la hanche. Un plaisir.
• Il se prend sévèrement la tête avec un de ses profs, et manque d'avoir des ennuis. Il se sent con et nul et humilié et il en a marre. Il veut pas retourner en cours, mais il a pas le choix. Alors il le fait quand même.
• Sa tolérance frôle le zéro. Il en a juste marre.
• Siffler les filles lui fait se prendre de belles claques, tant qu'à faire. Ça aussi, il en a marre.
• Du coup ça le rend encore moins respectueux. Du coup, il drague encore moins bien. Le serpent, yadda yadda.
• Il le bouffe, celui-là.
• Quand il a envie d'être tranquille, loin du bordel et des disputes et tout le toutim, il s'affale chez Sayed. L'ex d'Aïcha. Toujours son meilleur ami, pour ce qu'il en sait, même s'ils ont rompu. Bouddha ou une connerie du genre. Il le laisse fumer dans son appart et le secoue quand il le trouve trop raplapla.
• C'est un mec sympa. Il l'aime bien.
Mbref.
• Quand il a trop l'impression de squatter le pauvre gars, il retourne ramper chez Mourad. S'ils étaient fâchés, ils se rabibochent. Aucun est vraiment du genre à trop parler, mais ils se tapotent le genou et se traitent de cons et ça va mieux.
• Aziz, erh. Ils s'excusent jamais. Ils attendent juste que ce soit passé et font genre tout va bien.
• Un peu plus compliqué. Mais c'est le pote de son con de frère avant d'être le sien, donc c'est pas pareil  non plus.
• Y'a des filles qui passent. Qui partent. Ça dragouille. Chérif manque presque de serrer comme un gentleman, et puis eh, nah.
• Est-ce qu'il a rétropédalé en paniquant avec sa bière et sa clope quand c'est devenu un petit peu trop sérieux ? Oui monsieur.
• Mais personne a besoin de savoir, okay. Voilà. Osef, mec. De toute façon il veut sortir, pas juste coucher, c'est un mec bien et euh ouais. Cool.
• Pour autant que ses potes en sachent c'est du mytho, et ça l'arrange limite donc parfait. On en reparle plus.
• Il a que seize ans. Il se sent pas exactement prêt, le pauvre.
• Mais passons.

•  En décembre, c'est toujours pas ça. Ça s'ignore beaucoup ; le reste du temps, ça grogne. Ça s'insulte. Pas mal de disputes, beaucoup de regards de travers. En dehors des repas, il reste très peu dans la même pièce que les Picard ta race, là.
• Avec le début du ramadan, ça empire.
• Pour éviter à Rashida de faire dix repas, et vu que trois sur cinq font le ramadan en question, Alain décide gentiment, tel l'homme correct qu'il est, que ce sera plus simple si tout le monde mange tard. En même temps.
• En fAMiLLe.
• (ils essaient, les pauvres)
• Résultat des courses ? Au bout d'une semaine, Ludovic se met à grogner et à se plaindre parce que c'est n'importe quoi et que ça l'emmerde, Chérif lui dit gentiment d'aller se faire foutre chez les grecs ou ailleurs — et se fait traiter de pédale algérienne en retour, parce que qu'est-ce que le respect, Amine fait une crise d'asthme, Rachida fixe son assiette en maudissant Bachir d'avoir décidé de se pendre, et quelque part dans le tas Chérif et Ludovic décident de se battre.
• Allez savoir à quel moment il s'est dit qu'en coller une au type qui fait du ju-jitsu (tel Shia Labeouf) et le dépasse déjà nettement (en long et en large) serait une bonne idée, mais il l'a fait.
• Il s'est retrouvé par terre, s'est relevé, et il a fallu les séparer, mais il l'a fait.
• MANGE TES MORTS, LUDOVIC.
• Des mots malheureux sont regrettés envers les mères de chacun, et quand ça vire sur son père, Amine est obligé de le bodyslam très littéralement pour l'empêcher de retourner défoncer l'autre petit con.
• Rachida pleure. Alain questionne l'éducation du petit dernier.
• Et ils finissent par se calmer, à peu près, mais voilà. C'est tout le temps comme ça. Ils en ont marre.
Ouais, bah lui aussi.
• C'en arrive au point où, peu après ses dix-sept ans, Chérif se retrouve à demander à sa mère s'ils peuvent pas juste. Retourner au bled. Ça peut pas être pire que là.
• De toute façon la France craint. Il déteste les Ludovic et les Guillaume et les Claire et les Charlène. Il déteste les profs et l'histoire-géo. C'est un pays à la con. Son père serait pas mort, s'ils étaient restés là-bas.
• Il se prend pas une claque, mais pas loin.
• Et non. Ils ne retourneront pas là-bas. Ils sont partis pour de bonnes raisons. Ça a trop changé, depuis. Les lois pour rendre le pays plus conforme à l'islam, ils devraient les subir. Il se rendrait compte d'à quel point il est libre, ici. Et sa sœur ? Et elle ? Il veut qu'elles portent le voile ? Et la guerre civile ? Réfléchit avant de parler, chéri.
• Il grogne encore plus, mais c'est une conversation qui lui rentre dans le crâne. L'Algérie, c'est non. T'es français.
• Cooool. Ben qu'elle dise ça aux fils de son petit copain. Hein.
• Mais là y'a plus personne, bien sûr.
Bah tiens.

• En 2000, après que le monde n'ait pas explosé, ils décident de se marier. Chérif lève les bras au ciel et retourne ramper chez Sayed. Il lui tapote la tête. Allez, mon gars, on se calme.
• Si c'était aussi simple, hein. Mais merci du conseil.
• Peu avant le mariage, Aïcha rompt avec son Dufour. Ciao.
• Pas un truc qu'elle pourrait faire en Algérie, okay, il a compris, c'est bon putain.
• Être genre, correcte, c'est pas forcément un mal. Mais okay. Il se tait.
• Voir sa mère se marier avec quelqu'un d'autre, même pas musulman, même pas un tout petit peu comme son père, ni physiquement ni rien, ça le met plus mal que prévu. L'équivalent de se prendre un camion dans la tronche. C'est moche.
• Amine est à deux doigts de pas venir au mariage, mais ils ont un chouiya de respect. Et l'aide d'Aïcha, qui révoque le putsch et les traîne par le col avec ses petits bras.
• Ils se laissent faire, mais l'impulsion est pas exactement de trop non plus. Passer la journée à essayer de faire semblant d'être content, sans cracher sur tous les gens qu'il connaît pas, les tantes, les oncles, les machins, l'ex-femme vraiment très sympa dont il a dit des horreurs franchement pas correctes impliquant de la pencher sur un capot pour leur faire un petit frère (erh), c'est pas facile non plus. Du tout. Ignorer Ludovic et Guillaume, c'est carrément un sport. Et c'est sans parler du bordel d'avoir des Catherine à côté des Fatima, parce que waw. Mariage tranquille ou pas, c'est un putain de bordel.
• Il a envie de vomir.
• Ça lui donne l'impression de faire un joli doigt au souvenir de son père, tant qu'à faire, et ça ? Non. Il a du mal. Il peut pas.
• Ça va faire cinq ans, cette année.
• 14 septembre 1995. Un jeudi.
• Le mariage se fait un week-end, lui. Jeudi, vendredi, samedi. Un jour de pause et on enchaîne.
• Cinq ans entre les deux et pourtant, c'est l'effet que ça lui fait. Le jeudi il meurt, le vendredi on l'enterre. Le samedi, elle se remarie.
C'est dur, putain.
• C'est dur.

• Le mois de septembre est toujours un peu plus difficile que les autres mais en 2000, il craint particulièrement. Les contrecoups du mariage et des disputes nonstop avec les frangins, sûrement. Connard de Guillaume qui peut pas rester dans son appart', là. Dégage, merde.
• Ils se battent encore plusieurs fois, avec l'un ou l'autre. Même pas pour essayer de foutre le bordel entre leurs parents — ils leur ont bien fait comprendre qu'ils s'aimaient et que blabla, pas de divorce, même pas pour eux. Ils ont dû bien couvrir le terrain, parce que y'a jamais de faille. Ils sont toujours d'accord et se défendent l'un l'autre.
• Cool pour eux. Lui, ça le démonte. Il déteste la voir amoureuse de quelqu'un d'autre.
• C'est chiant.
• Et les deux Picard Junior à la con le saoulent, donc des fois ça en vient aux mains. Pas souvent, mais ça arrive. C'est juste comme ça.
• Il perd, en plus, mais bon. C'est ça de plus grandir, aussi. Amine l'a rattrapé et dépassé depuis longtemps, Mourad l'a abandonné en chemin et Aziz, il le voit même plus. C'est une tour radio. Il peut compter que sur Aïcha pour raser le plancher avec lui.
• Quelle sœur admirable.
• Ah bah elle s'est déjà retrouvée quelqu'un, d'ailleurs. Younes. C'est un pote à un pote à Sayed, et Chérif le trouve okay, donc il dit rien.
• Pas comme s'il pouvait dire quoi que ce soit, de toute façon.
• Vu que son expérience avec les filles se limite à des claques, des sourires de loin et des tentatives foireuses pour les mettre dans l'ambiance (quelle ambiance, il sait pas lui-même) ("tu te fais racoler sur le trottoir par un petit con et tu kiffes ça", à la limite), il est un peu mal placé pour commenter la vie amoureuse et/ou sexuelle de qui que ce soit.
• Il en a. Un peu. Conscience.
• Mais un peu seulement.
• Amine lui tapote l'épaule. T'inquiète, frère. Ça ira mieux. Elles sont juste débiles.
Ah bah il s'inquiète plus, là, merci.
• Bien sûr, que ça ira mieux. La base.

• Un mois après, il se retrouve en garde-à-vue.
• Note pour l'avenir : ne jamais écouter Amine. Il dit que des conneries.
• C'est rien de grave. En théorie. Il s'est juste retrouvé à renvoyer des insultes à des cons avec Mourad, et. Il avait peut-être un peu bu. Et ils se sont peut-être un peu battus. Et il a peut-être un peu insulté les policiers qui sont venus les interpeller.
• Parce qu'ils étaient peut-être un peu dans le parking devant le commissar — ouais, bon.
• C'était con.
• Comme lui. Grande nouvelle.
• C'est Alain qui vient le chercher, donc inutile d'exprimer à quel point il est ravi. Les policiers se retrouvent à devoir demander des papiers supplémentaires à ce pauvre homme, tellement le gamin refuse de le suivre et lui crache à la figure.
• Et bon, un Alain Picard qui récupère un Chérif Bouzidi, excusez-moi mais on doit s'assurer que, vous comprenez.
• Il comprend. Tout va bien. Il peut même appeler sa femme, pas de soucis. Il préférerait juste éviter de devoir lui faire peur pour rien en lui disant que sON FILS AÎNÉ A ÉTÉ ARRÊTÉ.
• Chérif trouve très spirituel d'insinuer qu'il kiffe les ados sa race, pour rester poli, et a de la chance qu'Alain soit trop fatigué pour décider de le répéter à sa chère et tendre — parce que sinon, elle l'aurait giflé tellement fort qu'il aurait fait une rotation complète.
• Vu que le mec se fait chier à l'attacher, et à rouler doucement, et à le sortir quand il est malade, et à pas l'engueuler, et à dire à Rachida de le laisser tranquille ce soir, qu'ils verront ça demain, il se sent un peu coupable. Un peu.
• Ça va, il a une âme et un cerveau, il se rend bien compte que le type est pas horrible. Il est pas venu sur Terre juste pour baiser sa mère en crachant à la gueule d'un fantôme. Son père est mort. C'est pas lui qui l'a tué. C'est pas sa mère non plus. Ils ont le droit d'être heureux.
• Mais n'empêche que.
• Et se sentir coupable le fait pas l'aimer plus — ça le fait juste se sentir coupable.
• C'est nul.

• 2000 passe. 2001. En juin, il passe son bac pro. Gloire, joie et tutti quanti. Fête suprême.
• Ou pas. Il s'en fout un peu. Il est juste content que ce soit fini. Adieu école, bonjour monde du travail.
• Il est un peu lassé, le Chérif.
• De rien, en plus. Mais bon. Il l'est. Ça arrive.
• Il passe une partie de l'été en usine, comme les années précédentes, et choppe un contrat à la suite comme le professionnel de la vie qu'il est. C'est pas un boulot de rêve — ouvrier de production, travail à la chaîne, rien que des trucs que les gamins ont totalement envie de faire plus tard — mais ça paie, c'est dans ses cordes, il est formé à ça et pour être franchement honnête, il saurait pas quoi faire d'autre.
• Chérif n'a pas de passions. Rien qui l'intéresse plus que ça.
• Il aime bien passer du temps avec ses potes, mais sinon ? Il sait pas trop.
• Ce qui lui vaut des moments intenses de perplexité où il fixe le plafond en se demandant ce qu'il foutait pour s'occuper, avant. Il devait bien faire des trucs. Il passait pas tout son temps à aller à l'école et à se fâcher avec sa mère.
Je foutais quoi ? Du foot ? Des conneries ? Huh.
• Que de grandes questions.

• Au bout de deux mois, le travail a mis un sacré coup dans les genoux de Chérif.
• Il regrette les boulots d'été. C'était chiant, c'était dur, mais ça l'était toujours moins.
• Son entreprise est pas la meilleure qui soit. L'ambiance avec ses collègues est bonne, mais avec les patrons ? Ou même juste les types un peu plus gradés ? C'est pas ça. Du tout.
• On lui conseille gentiment d'ignorer les remarques, mais c'est chaud, n'est-ce pas. Il est sanguin. Il a pas l'habitude.
• Il bosse en 3x8. Une semaine du matin. Une semaine de l'après-midi. Une semaine de nuit.
• Il adore se lever à 4h du matin (voire avant) pour aller se taper des embouteillages et s'énerver sur des machines qui fonctionnent pas. No joke.
• Il adore ne pas se faire payer le travail de nuit correctement. Se faire critiquer. Gueuler dessus.
No. Joke.
• Entre les gens, le travail en lui-même et le décalage des horaires de travail de semaine en semaine, les deux premiers mois sont largement suffisants pour changer complètement ses habitudes.
• Mourad bosse aussi. Ils galèrent beaucoup plus à trouver du temps pour se voir.
• Souvent, quand il rentre, il est trop fatigué pour avoir vraiment envie de faire quoi que ce soit. Alors il sort moins ; voit moins de monde. Est toujours sur les nerfs, toujours énervé contre l'autre débile d'Alain et ce connard de Ludovic, mais il réagit moins. Pas la foi. Pas la force.
• Mélanger le boulot au ramadan est un enfer d'un tout autre genre, mais il se démerde.
• À peu près.
• Amine voit bien que son frère va moins bien, mais ça le fait chier plus qu'autre chose. Moins disponible, moins motivé — et donc moins drôle, moins là, moins pratique à tous les niveaux. Ils se fâchent un peu. Se grognent dessus de temps en temps.
• Sortent quand même traîner ensemble, pas de soucis. Mais les choses changent.
• Et moins Chérif est là, fatalement, plus Amine traine avec Aziz.
Collés à la hanche, bah tiens.
• (non, c'est pas gay)
• Et NON, il déteste toujours pas Aziz. Le mec est juste. Con. Et comme Amine est con aussi, les laisser ensemble ça donne un peu l'impression qu'ils vont se dire "woow mec j'ai trop eu une bonne idée" et finir en garde à vue.
• Okay, c'est lui qui a fini en garde à vue, jusqu'à preuve du contraire. Mais quand même.
• C'est lui le grand frère. On lui obéit. OKAY. BIEN.
• Difficile de faire la loi quand il est trop occupé à grogner sur les machines en panne et à faire des inventaires à la con, mais il fait ce qu'il peut.
• À peu près.

• 2001 passe. 2002 aussi.
• L'ambiance à la maison est un rien plus tranquille. De un parce que mi-2002 il a assez d'argent pour se payer un appart' (petit et merdique, mais il peut pas trop faire le difficile) ; de deux parce que Guillaume revient franchement moins qu'avant ; de trois parce que sans leurs frères, Amine et Ludovic sont un brin plus gérables. Rachida et Alain soudoient discrètement le gamin de l'autre en leur offrant des trucs qu'ils aiment bien et en discutant avec eux, l'air de rien, quand ils se retrouvent seuls dans le salon.
• Et wow. Ça fonctionne.
• Comme quoi quand on se pose pour discuter, le courant passe mieux que quand on grogne à tout bout de champ.
• Incroyable. Qui l'eut cru.
• Bon, faut pas exagérer — entre les enfants Picard et les enfants Bouzidi, ça passera jamais. Trop différents ; trop peu motivés à laisser quoi que ce soit de côté. Ils s'aiment pas, s'aimeront pas, comptent pas s'aimer. Leurs parents doutent que ça fonctionne un jour.
• Le but, c'est juste qu'ils se tolèrent. Qu'ils se tabassent pas aux repas de famille.
• Ce serait bien, déjà. Une chose à la fois.
• Et pendant que les mineurs et les parents soufflent un coup, Chérif continue de se tuer à la tâche.
• La tâche en question étant vivre. En l'occurrence.
• Le travail le défonce, mais assez doucement pour que ça se voit pas franchement. Ni que ce soit létal. C'est chiant, mais c'est gérable. C'est pas comme s'il risquait de finir par en claquer d'office d'ici dix ans — difficile ou pas, y'en a plein qui font pareil ou pire.
• On s'habitue à tout.
• La routine s'installe. Les semaines où il bosse de l'après-midi, il prend ses soirées pour aller voir Aïcha, Mourad ou ses autres potes. Les semaines où il bosse du matin, il passe voir sa mère ou Amine. Et quand il travaille de nuit, ben.
• Il passe la semaine tout seul.
• Ou presque. C'est rare qu'il voit grand monde.
• Heureusement qu'il aime bien certains de ses collègues, parce que sinon il passerait quasi  cinq jours d'affilée à rien dire d'autre que "okay", "oui", et à répondre à des ordres.
Le pied total.
• Il s'amuse bien.
• Fixe le plafond de plus en plus souvent.
• A tout sauf envie d'aller au travail, mais s'y traîne en mode automatique.
• Plus ça va, moins il va voir sa mère. Son frère. Sa sœur. Ses potes.
• Heureusement que son cercle proche est composé à 70% de labradors débiles qui hésitent pas à lui sauter dessus quand ils ont envie de le voir, parce que sinon il en aurait sûrement perdu quelques-uns de vue.
• Plus qu'il n'en a déjà perdus depuis le lycée, en tout cas.
• N'empêche que quand il voit Aziz faire le con, ça le fatigue.
• Et quand Amine lui prend la tête à pas l'écouter, ça le fatigue.
• Même regarder Mourad tapoter les épaules de Younes en lui disant que "je t'aime bien, t'es cool, t'es un mec bien, je te laisse l'amour de ma vie, t'en prends soin" comme si c'était le putain de père d'Aïcha, ça le fatigue.
• Il a moins envie.
La fatigue, la fatigue.


• Noël 2002 est voté deuxième pire Noël depuis 1998 à la quasi-unanimité.
• Ça crie, ça pleure, ça s'énerve. Allez savoir pourquoi. Sûrement parce que Guillaume est là, que sa copine est une connasse, que Younes et Aïcha aiment pas trop son ton et ses commentaires et que bref. Des goûts, des couleurs. Les putes et les salopes. Chérif en sait rien, franchement.
• Pas comme s'il avait une copine à ramener, lui. Mais hof. À la rigueur, il en a pas grand chose à foutre. Ça fait des problèmes en moins. Puis il saurait pas où la caser dans son emploi du temps de ministre, là, la copine. Alors tant pis.
• En attendant, célibataire ou pas, l'ambiance électrique lui passe dix mètres au-dessus de la tête. Il a bien dû se prendre une remarque ou deux et en renvoyer autant quand Amine l'a fixé avec sa tronche de "putain mais tu me défends ou pas ?", mais c'était vraiment par obligation plus qu'autre chose.
• Il a bossé toute la matinée. Il est claqué. Il a juste envie de faire un fuck au petit Jésus des Picard, finir le repas et rentrer chez lui.
• Entre deux insultes en arabe et le fameux "on est français, conasse, tu me dis pas de rentrer chez moi" qui va bien, il tire sa chaise et sort fumer. Il ne remarque même pas les yeux de sa mère le suivre tout du long. Le fixer pire qu'un criminel alors que pour une fois, il a rien dit du tout.
• C'est un peu le problème, justement. Mais ça.
• Difficile pour lui de s'en rendre compte.

• 2003 passe. C'est cool, c'est sympa. Waw. Des mois. Des semaines. Des jours. Les mêmes que l'an dernier, qu'est-ce que c'est fou ça. Quel système intelligent.
• Il s'emmerde. Il est fatigué. Mourad bosse, Aïcha est occupée à pas encore vouloir se marier, et Amine —
• Amine fait le con. Comme d'habitude. Et allez que je m'entiche de Chakiba Bensalem, bah tiens. Pas comme s'il les voyait pas s'engueuler tous les quatre matins. Il a vu sa tronche d'abruti lui faire les yeux doux entre deux insultes, il est pas con non plus.
• Il voit pas très bien c'est quoi le plan, mais empêcher Amine de faire un truc c'est juste. Peine perdu. Surtout avec Aziz dans le fond qui joue les supporters amourachés.
• Quel con, ce mec, sérieux. Amine serait sur un pont à dire "t'inquiète, je survis, j'ai tout calculé", ben lui ce serait le type en bas qui hurlerait "VAS-Y MON POTE JE TE CHOPPE ON Y CROIT WOWOW".
• Ils lui font peur, des fois. Un peu.
• Surtout qu'Amine a fini le lycée, que le père d'Aziz l'a pistonné sur un job de malade pour être paysagiste en communauté — le truc qui paie, qu'il aime faire, qu'il fait bien — et merde, le mec en a tellement rien à faire.
• Il prend rien au sérieux. Ses thunes partent n'importe où. Il arrive en retard. Il se prend la tête avec son patron pour des conneries.
• Ça rend Chérif malade. Et même pas de jalousie.
• Ou juste un peu. Genre, dix pourcent.
• Lui il se paie le chef qui le traite comme un chien ou un délinquant, juste assez pour que ce soit chiant mais pas illégal, pas violent. Le petit coup de marteau sur la même vertèbre, tous les jours, jusqu'à ce que ça commence à faire mal. Et ça fait mal.
• Mais il fait avec.
• Il a pas beaucoup de thunes, mais il les utilise intelligemment. À peu près. Il vit pas au-dessus de ses moyens, il fait gaffe. Il refuse de devoir en demander à sa mère parce que ça reviendrait à en demander à l'autre con d'Alain — et même s'il s'est habitué, qu'il le déteste moins, qu'ils arrivent à communiquer, à peu près, il veut rien lui devoir. Que dalle.
• Ce serait putain d'hypocrite, en plus.
• Amine, par contre ? Ah bah rien à foutre, c'est la fête, on demande de l'argent à droite et à gauche et inch’Allah.
• Ça paie des kébabs à tout le monde, t'inquiète. Par contre quand y'a plus de fric pour payer l'amende qu'il se prend en sautant les barrières du RER, c'est à la porte de qui qu'on vient gratter ? De Chérif.
• Et qui est trop con pour l'envoyer chier ?
On se demande, hein.
• Ça l'empêche pas de l'engueuler et d'essayer de lui mettre du plomb dans la tête, mais du moment qu'Amine a ce qu'il veut les remontrances entrent dans une oreille et ressortent par l'autre. Il appelle Aïcha pour lui demander d'aller les lui tirer, ses putains d'oreilles, vu qu'elle a un peu plus d'autorité que lui.
• Ça marche moyen, à priori. Mais il aime son débile de frère, alors ça passe. Et il oublie.
• Et ça recommence. Et il laisse couler.
• Et il gère ses problèmes, parce que ben ouais, qui d'autre va le faire. Il est là pour ça.
Je t'en prie, allez, c'est gratuit.

• Été 2003, il va mieux. Il est partout, tout le temps ; à croire qu'il a synthétisé la fatigue pour devenir ultra-efficace.
• Il voit tous ses amis. Il tacle Sayed. Il bosse sans se plaindre. Ignore ceux qui le saoulent. Se remet à draguer, à sortir en soirée.
• C'est pas plus efficace, et il y met pas vachement du sien non plus en dehors des sifflements et claquements de fesses habituels — ça plait ou ça plait pas, c'est pas son problème. Ça le travaille surtout quand on le charrie.
• Officiellement, il a serré genre vingt filles.
• Un tombeur, grave.
Non, pas des stars de porno, har har, connard.
• Même si, bon. Il a vingt ans, mine de rien. Ça commence à le miner de jamais avoir eu de relation avec qui que ce soit.
• C'est même pas le sexe, pas tellement. Juste... Tout ça. Avoir quelqu'un. Il sait pas.
• Mais bon. Il laisse de côté. Pas sa faute si personne veut de lui.
Non madame.

• Le pic de mieux dure jusqu'à début 2004. Ensuite, ça retombe petit à petit.
• Sûrement que ça avait déjà commencé à descendre bien avant, mais tant que son humeur et sa motivation restaient au-dessus de la ligne de flottaison, difficile de vraiment faire gaffe.
• Et lui, pour ça, c'est le roi des aveugles.
• Il se rend compte de rien.

• Ou pas avant qu'il soit trop tard.

• En mars, il se prend la tête avec sa mère mais un truc de bien. Elle s'inquiète pour lui, elle veut bien faire, mais elle manque aussi de tact ; et Chérif, quand il se sent acculé, il vire plus défensif que la putain de muraille de Chine. Et puisque la meilleure des défenses c'est l'attaque, le ton monte vite.
• Alain s'en mêle. Ça empire. Bachir ressort, parce que bien sûr qu'elle ramènerait son père sur le tapis, allez.
• Il l'envoie promener. Se prend une claque.
• Rentre chez lui.
• Casse un truc.
• Va se coucher.

• En avril, il se fait bousculer au boulot. Pas méchamment, mais assez pour pas passer loin de se faire bien mal sur sa machine. Au lieu de prendre l'autre entre quatre yeux et de lui démonter sa tête de con, il fait le truc sensé : il en réFèRe à Sa HiErARchIe. Parce qu'il en a marre. Parce qu'il veut juste bosser, merci.
• On se fout de sa gueule et on l'envoie chier. Bien. Cool.
• Il se la ferme.
• Rentre chez lui.
• Va se coucher.

• En mai, Aïcha lui dit qu'elle va se marier l'année prochaine.
• Il sait même pas quoi dire. Cool ? Bien ? C'est sympa pour elle ? Younes est gentil, il est. Content pour elle. Ouais.
• Son manque d'enthousiasme hérisse sa sœur, qui décide ensuite de lui faire à moitié la gueule pendant des semaines. Aucune idée de ce qu'il a pu faire de mal, mais okay.
• Il laisse tomber.
• Rentre chez lui.
• Va se coucher.

• En juin, il apprend par Sayed que le plus con des Yousfi a l'air de traîner dans des combines chelou. "Le plus con des Yousfi" c'est forcément Aziz, et Aziz est toujours fourré avec Amine, alors il est bien obligé d'aller s'en mêler. C'est pas Aïcha bientôt-Berger qui va mettre le nez dans quoi que ce soit. Trop occupée à exister, ou il sait pas quoi. Faire une famille.
• Du coup il met sa casquette de gendarme super crédible et part demander avec tact et amabilité ce que ce petit crétin fout.
• "Rien de grave" son cul, ouais. Ré-essaie, pour voir.
• Aziz a beau être débile, il l'est pas vraiment. Et quand il veut pas parler, il parle pas. Simple. Il en tire rien et n'essaie même pas d'aller torturer son frangin ; ce sera la même chose. S'il sait quoi que ce soit, il balancera pas. La règle d'or.
• Bon gré mal gré, il laisse tomber. Il se dit que si c'est grave, ça lui reviendra.
• Et pas de soucis, ça lui revient.
• Un peu au hasard, en fait, et pour la raison la plus débile au monde : il connaît le mec avec qui Aziz s'éclate à faire affaire.
• C'est lui, en juillet, quand il lui demande s'il sait un truc, qui lui balance que ah ben ouais. C'est lui, la combine chelou.
• Bonjour bonsoir.
Putain de super.
• Chérif grogne. Il a rien contre Didier, en soi — c'est un mec okay, et il est rassuré que ce soient pas des histoires de drogue ou d'armes ou d'il sait pas quoi. Non parce qu'Aziz a pas besoin de se mettre à fumer ou à se piquer pour planer.
• Mais okay ou pas, Didier est pas réglo. Il revend des bidules, des machins. De l'électronique. La plupart des trucs volés du coin passent par lui. Il blanchit de l'argent ; loue des chambres à des filles un petit peu court vêtues.
• Niveau trucs illégaux, c'est vraiment pas le pire des mecs. Chérif a jamais eu d'embrouilles avec lui. Tant que tu lui fais pas d'ennuis et que tu paies ce que t'as à payer, il pose pas problème.
• Mais ça veut quand même dire qu'Aziz pique des trucs, et pour la vingt-millième putain de fois, Aziz et Amine sont collés à la putain de hanche.
• Il connaît suffisamment son frère pour savoir qu'il ferait une crise de panique puis une crise d'asthme avant même d'avoir réussi à rentrer dans une épicerie pour y voler une orange. Dès qu'il va faire une connerie, c'est marqué sur sa tête. Il ment pire que tout.
• Mais il a enfin réussi à sortir avec sa Chakiba qui lui sort par les yeux, là. Entre elle et Aziz, il sait pas. Il s'inquiète.
• Et c'est tout ce qu'il peut faire. Alors il le fait.
• Pas tellement le choix.
• Il se pose des questions. Fixe le plafond. Se demande ce qu'il ferait, si Amine se retrouvait dans les ennuis. Ou blessé. Ou en taule. Ou juste en garde à vue. Il est débile, il est pas costaud. Il survivrait pas.
• Le plafond répond rien.
• Alors il soupire.
• Et il va se coucher.

• C'est un peu devenu le thème de sa vie. Faire un truc, attendre, aller se coucher. Aller se coucher. Aller se coucher. Aller se coucher.
• Ça lui fait l'effet d'une cassette mal foutue qui répète juste les mauvaises parties, par moments. Sans raison.
• Il est pas à la rue. Il est pas malheureux. Personne de son entourage n'est mort depuis longtemps. Pas de maladies. Personne en prison. Ses amis vont bien. Sa sœur va se marier.
• Ça devrait lui faire plaisir.
• Il sait pas.
• C'est juste pas le cas.
• Ça le fait se sentir minable, ça le fait se sentir coupable, alors il en parle pas. Il veut pas être fragile ; il veut pas être bizarre. Il veut pas que sa mère s'inquiète, que son beau-père lui propose de l'aide.
• Il veut juste qu'on lui fiche la paix, et il veut juste aller mieux.
Ça passera, comme on dit.
• Alors il attend.

• Et il va se coucher.
• Et il attend.

• Et il va se coucher.

• Et il va se coucher.

• Et il va se coucher.

• Et ça passe pas.

• En août, Didier le rappelle. Aziz lui a emprunté des thunes et les a pas encore rendues. Il veut bien être gentil mais s'il pouvait aller lui sonner les cloches avant que lui doive le faire, ce serait sympa. Merci chaton.
• Il l'emmerde, avec ses surnoms à la con, mais en silence et une fois le téléphone reposé à sa place.
• Pas fou, non plus. Didier est pas costaud façon catcheur, mais il a de la force, lui prend une bonne tête, et a beaucoup trop confiance en lui pour pas réussir à lui faire peur.
• C'est pas le genre de type que tu veux emmerder.
• Du coup il part secouer Aziz. Se prend un "ouais ouais, t'inquiète, je le rembourse bientôt" qui réussit juste à l'inquiéter pour de bon ; le secoue plus fort.
• S'il entraîne Amine dans son bordel, ou Mourad, il va prendre mais si cher.
• Les menaces fonctionnent moyen. Problème ? C'était déjà le plan Z. Il en a pas d'autre.
• Il se dit qu'il s'en lave les mains, qu'il a qu'à se démerder, mais envers et contre toute bonne logique, il aime bien Aziz. Alors il se tient au courant auprès d'Amine, histoire que personne se retrouve à devoir rendre des comptes à Didier et à payer les intérêts.
• Quand lui et son frère se rendent compte que leur pote compte plutôt ignorer le problème en attendant qu'il se barre, ben y'a qu'Amine qui est surpris et piaille à la mort.
• Chérif connaît Didier. C'est pas le genre de mec que tu peux ignorer si tu lui dois de l'argent. Il sait comment ça va finir (mal), alors il le rembourse.
• Merci princesse, à la revoyure, ciao ciao.
Mais oui, castre-moi, allez.
• Aziz est reconnaissant, au moins. On peut pas lui reprocher ça.
• Trop con pour en tirer une leçon, mais on fait avec ce qu'on a.

Chérif Bouzidi
- C 15 052052 57 11 B -

Chérif Bouzidi

En bref

Masculin
Pseudo : Nii'
Messages : 12



Histoire


• Quand septembre arrive, l'humeur de Chérif passe au bleu marine.
• Il est jamais heureux, ces semaines-là, mais cette année c'est pire que d'habitude. Sûrement parce qu'il va pas très bien ; qu'il est fatigué, à fleur de peau, que tout le monde le saoule, qu'il a pas assez de temps libre.
• Une accumulation.
• Histoire de lui changer les idées, Sayed, Mourad et sa copine l'emmènent en soirée. Ils se marrent bien. C'est sympa.
Génial, trop bien, je m'éclate.
• Et ça sert à rien. Il sait pas ce qu'il fait là.
• Alors il boit — un peu, beaucoup, passionnément. Se prend la tête avec un mec, drague une fille avec trop d'insistance. Quand elle lui fiche une claque, il est à deux doigts d'aller lui refaire le portrait ; à la place, il se met à traiter toute sa famille de chiennes et de connasses et avant que ça ait eu le temps de dégénérer plus que ça, Sayed le choppe et le traîne dehors.
• Il le pousse, il l'engueule. Non mais ça va pas, hein, tu te calmes.
• Sayed a la tronche du père qu'il a pas eu le temps de décevoir. Juste. En plus beau.
• Ça l'énerve encore plus.
• Il passe dix minutes à essayer de lui en foutre une — à  se manger le trottoir, à recommencer, à se faire pousser contre un mur, à recommencer.
• Quand il en peut plus, il pleure.
• En jurant, en s'énervant, en repoussant la copine de Mourad quand ils arrivent et qu'elle essaie direct de l'enlacer.
• Jusqu'à ce qu'il ait plus de force et soit obligé de la laisser faire.
Il en peut plus, putain.
• Il en peut juste plus.

• Ça dure des heures.
• Mourad peut pas le ramener chez lui et vu son état, il a peur de le laisser tout seul à décuver dans son petit appart'. Du coup, il le refile à Sayed.
• Ils restent sur le trottoir le temps que la copine parte chercher sa voiture. Il est trop torché pour marcher ; ce sera plus simple qu'elle les dépose, donc elle le fait.
• Arrivés dans les escaliers, Chérif s'est calmé — mais dès que son cerveau se remet vaguement en marche, c'est le retour des sanglots et de tout le bordel qui va avec.
• Il passe la nuit à pleurer. Dès qu'il se réveille, ça repart.
• Au bout de la deuxième fois à se faire réveiller, Sayed reste juste debout. Il lui tapote le bras. Il sait pas.
• Il l'entend insulter son père en arabe toutes les deux minutes. Ça, puis des excuses. En boucle et sans s'arrêter.
• Il lui tapote le bras plus fort.
Il voit pas quoi faire de plus.

• Après cette nuit-là, Chérif évite consciencieusement Sayed et Mourad. Il a honte, il s'en veut, il est en colère, il veut pas y repenser.
• Alors il bosse. Et mange. Et dort.
• Ad nauseam.
• Jusqu'à ce qu'il ait à peu près oublié, que ça aille un peu mieux, et là il se remet à leur taper dans le dos. À discuter. À rire.
• Parce que parfois ça va mieux. Et c'est un vrai problème, ça — de pas constamment être allongé à avoir peur et envie de rien. À se demander ce qu'il fout là. Ce qu'il foutrait ailleurs, et avec qui.
• À penser à son père. À se demander à quoi il pensait, avant de se tuer. S'il a seulement pensé à quoi que ce soit.
• Si c'était toujours comme ça, bleu et noir et juste rien, vide, nada, il serait bien obligé de faire quelque chose — et les autres aussi. Mais dès que ça va mieux, on hausse les épaules.
• Un passage à vide. Une saute d'humeur. Les nerfs. Ça arrive à tout le monde, c'est pas bien grave. La preuve : c'est passé. Faut juste savoir se relever. C'est dur, la vie, tout le monde le sait bien.
• Chérif est pas fragile. Il est pas nul. Il est pas fainéant. Alors il se relève et personne dit rien. La vie reprend comme avant.

Pas mieux qu'avant.

• Les mois passent. Chérif voit à peine Noël lui filer sous le nez. Janvier. Février. Mars. C'est toujours pareil ; il fait plus trop attention.
• Bosser. Aller voir sa mère. Aller voir sa sœur. Surveiller son frère. Sortir avec Mourad. Sayed, quand il a le temps. Se faire engueuler par un connard plus haut placé que lui parce que pourquoi pas. Draguer. Rater. Être frustré. Mentir. Fixer le temps qu'il lui reste avant la retraite. Les mappemondes. Un empan entre lui et l'Algérie. Ça pouvait pas être si mal, là-bas.
• Son père lui revient trop souvent en tête. Ça le parasite. Il sait pas pourquoi ; ça prenait plus autant de place, depuis quelques années.
• Con de cerveau.
• En plus du reste, tant qu'à faire, il doit gérer les bêtises d'Aziz. Il s'est retrouvé à payer Didier deux-trois fois, depuis la première, histoire de dépanner, mais ça suffit pas. D'autant que ce brave Didier l'aime bien. Et réciproquement. À peu près.
• Il l'apprécie autant qu'on peut apprécier le mec qui menace de tabasser son ami d'enfance avec un tuyau s'il arrête pas de faire la même connerie à répétition, quoi.
• "Quand on emprunte on rend, bébé."
• Yep. Okay.
• Mais Didier l'aime bien, donc. Parce que c'est comme ça, il en sait rien. Le type a pas de morale mais trop de valeurs, et Chérif se retrouve obligé d'apprendre que c'est pas une combinaison gagnante à tous les niveaux.
• Ça le saoule, voyez-vous, que ce soit Sheryfa qui se retrouve à payer pour le pote. C'est pas son job. Il est grand, monsieur Yousfi.
• Mais pas d'inquiétudes, il a une super idée pour le pousser à arrêter de se cacher quand il a pas de quoi payer ni les couilles de venir lui demander un délai.
• Ça va marcher du tonnerre, il le sent. Il a juste besoin de ses bons et loyaux services pour ça. Une participation honoraire. Allez chéri, woop.
Woop, ouais.

• Concrètement, Chérif ne juge pas avoir à se plaindre. Deux raisons à ça.
• La première : ça fonctionne. Aziz a la trouille, il est fâché, il est flippé, il s'en veut, il part régler ses problèmes comme un grand. Incroyable.
• La deuxième : quitte à ce que quelqu'un se prenne un coquard, il préfère que ce soit lui.
• Ça lui vaut des remarques au boulot, parce que bien sûr c'est un gros délinquant de base et il s'est sûrement fait ça en tabassant une mamie.
• Il juge pas leurs grands-mères, mais les siennes font pas 1m80, ont pas de barbe et claquent pas les fesses des putes en leur disant de se rentrer avant de chopper une connerie.
• Pas la peine de causer avec eux, donc il le fait pas. Il a appris la leçon.
• Plus dur d'expliquer ce qu'il a foutu à sa mère, alors il dit juste que c'est pas grave et que c'est réglé et elle finit par laisser tomber. Ça lui est déjà arrivé de se battre. Ça fait longtemps, okay, mais c'est pas super étonnant et bizarre non plus.
• Et tant que ça passe, hein.
• Il répète pareil à quiconque voudrait s'amuser à poser des questions. Bla bla bla, pas tes oignons, oui ça va, casse-toi.
• Amine y compris.
• Vu que lui et Aziz partagent une moitié de cerveau, il se doute bien qu'il doit savoir. Ou qu'il va finir par savoir. Mais on a le droit de rêver ; puis tant que l'autre ducon arrête de piquer il sait pas quoi et de faire des conneries, pas de raison que ça recommence. Donc il voit pas l'utilité d'aller inquiéter Amine avec ça.
• Qu'il gère sa pouf de zouz, là. Ce sera déjà pas mal.
• Lui il se gère lui-même et merci bien.


• Aïcha se marie en juillet 2005. C'est cool, c'est sympa, y'a du monde, de la joie, et cetera et cetera.
• Chérif est pas dedans, mais il fait semblant.
• Pas le choix.
• Sa sœur est contente, le beau-frère est content, sa mère pleure sur Alain tellement elle était pas prête (c'est bon, elle a vingt-sept ans, elle est limite ménopausée, on se calme maman) et Amine raid la bouffe avec Aziz. Tout le monde passe un bon moment.
• Sauf lui.
• Aucune raison à ça. Il aime bien Younes, il aime bien Aïcha, l'ambiance est cool, les gens aussi. Il est juste. Pas dedans.
• Il est fatigué. Il a pas d'énergie. Il a envie de rentrer. C'est même pas une question de "je pourrais faire autre chose de plus utile" ; il a juste envie de s'allonger. Trop de bruits, trop de rires, trop de rien du tout dans sa poitrine et à force, sourire le rend malade.
• Il a l'impression d'avoir fait nuit blanche sur nuit blanche sur nuit blanche jusqu'à ne plus réussir à ressentir quoi que ce soit.
• L'impression de faire chier tout le monde, s'il dit quoi que ce soit.
• De pourrir l'ambiance, s'il rit et rend pas les coups d'épaules.
• De tout ramener à lui et d'être le pire rabat-joie ingrat, s'il reste pas jusqu'à ce que tout le monde soit parti.
• Il se sent nul. Inutile.
• Pas grand chose.
• C'est une espèce de gros vide qui le bouffe de l'intérieur et en même temps, ça prend toute la place. C'est lourd. C'est épais. C'est que dalle.
• Il saurait pas le décrire et il compte pas le faire, alors il laisse tomber. Il se contente de compenser à en avoir envie de hurler.
• Il s'amuse, ouais. Il est trop content. Il rigole.
• Il se mord la langue.
• Ça sert à quoi de se marier ? Pourquoi les gens se marient. Tout le monde divorce.
• Il a pas envie de se marier.
• Personne veut de lui, de toute façon.
• On va se coucher on va se coucher on va se coucher et un jour on meurt et puis basta.
• La cassette coince, encore. Du bruit blanc en boucle. Pas d'image claire ; rien que du bordel et de la statique. Des bouts de phrases.
• Juillet août septembre lundi mardi mercredi travail du matin de l'aprem de nuit Mourad Aziz Amine Aïcha les filles les inconnus les soirées la bière les repas le ramadan et papa.
• Qui accroche une corde quelque part dans sa chambre, tranquillement, pendant que personne n'est à la maison.
• Qui fait un joli nœud.
• Et qui s'en va.
• Allongé dans son lit, à écouter le bruit du frigo qui redémarre, il se demande encore à quoi il a pu penser. S'il a regretté. S'il s'est dit qu'il allait leur manquer. Si ça a fait mal.
• Il espère que non.
• Il essaie de se convaincre que ça a été rapide.
• Et il pleure.

• Fin août, le bordel recommence.
• Aziz a pas remboursé Didier. Didier qui le choppe et lui explique donc gentiment que son petit pote est introuvable. Ça lui fait mal de dire ça, mais bon. Faut bien qu'il récupère ses thunes, hein ? Hein.
• Bah tiens. Ça faisait longtemps.
• En même temps, ça l'étonne pas. Si Aziz veut pas qu'on le trouve, on le trouvera pas. C'est tout.
• Il est sympa, il est con, il est tout ce qu'on veut, mais il est aussi putain de lâche. Il sait très bien comment ça va se passer, s'il se pointe pas. Il est pas attardé à ce point. Sauf qu'il doit pas avoir le fric, qu'il doit pas savoir à qui demander, qu'il sait que Chérif va l'envoyer chier, et c'est pas sa famille en HLM qui va lui prêter quoi que ce soit.
• Donc. Ben.
• Didier lui tapote l'épaule.
• Pas le choix.

• Pour ce que ça vaut, il a l'air super désolé de devoir lui en mettre une et s'excuse de l'avoir fait après. Il lui file même une serviette propre, ce gentleman de merde, avant de le virer en chantant.
• Ha ha ha.
Ha.
• C'est pas drôle.
• Ça fait mal.
• Il a tapé trop fort. Il sent plus son bras gauche. Alors sûr que ça va faire de l'effet à Aziz, s'il se repointe, il en doute pas deux secondes. C'est pas le problème.
• Le problème, c'est que Didier lui fait putain de peur. Le mec est pas cinglé, il sait ce qu'il fait, et tabasser les autres ? Ça lui plaît. Trop.
• Il a compris, hein. Il peut s'excuser dix fois et lui tapoter la tête après, ça change rien. Il aime juste le taper. Ou taper en général. Il en sait rien. Il s'en fout.
• Il en a marre.

• Il se voit mal se pointer chez qui que ce soit comme ça, mais il a pas trop le choix. Il est pas franchement sûr de pas avoir besoin d'aller à l'hosto. Si son bras vire bleu, il veut pas avoir l'air con et devoir expliquer pourquoi il l'a pas dit tout de suite.
• Donc il rentre chez lui.
• Donc il se fait engueuler.
• Sa mère est hystérique et terrorisée. Alain est obligé de la sortir le temps de regarder un peu dans quel état il est. Chérif a trop mal et est trop blasé pour vouloir l'envoyer chier, donc il le laisse faire.
• Il fait gaffe en fichant ses mains sur lui. C'est déjà ça.
• Alain, c'est typiquement le genre d'homme qui a pas l'air de pouvoir faire mal à qui que ce soit. Genre, personne. Il a des mains de mec qui bosse pas dans les chantiers et qui voudrait surtout pas te blesser en serrant trop fort.
• Ça le fait marrer.
• Après avoir vérifié son état et avoir décidé qu'il valait mieux l'emmener aux urgences, au cas où, Alain fiche Rachida à l'avant, Chérif à l'arrière, attache les deux et gère la situation en bon adulte responsable.
• Faut bien que quelqu'un s'y colle.
• Au final, le bras, ça allait. Il a une côte pétée, par contre, et l'hématome sur le côté de son visage risque de virer dégueulasse.
• Vu la tronche de ses blessures, évidemment, on lui demande ce qui s'est passé. S'il faut appeler la police. Faire quelque chose. On vire même Alain et sa mère de la pièce, au cas où ils aient quelque chose à voir là-dedans.
• Ça le fait marrer, ça aussi. Alain, le frapper ? Oof.
• Crédible. Même le délire du "il adore les ados, m'sieur l'agent" était plus facile à croire. Et c'était déjà sacrément débile.
• Alors il dit que non, c'est pas eux, c'est personne, il veut pas porter plainte, il a pas vu qui c'était, c'est pas la peine. Personne n'insiste. Les jeunes de cité, hein.
• Il les emmerde et rentre chez lui.
• Pas le temps pour ces conneries.

• Les jours suivants, il reste chez sa mère et son beau-père. Il croise vite fait Ludovic quand le mec revient voir son père ; ils s'ignorent d'un commun accord. C'est aussi bien.
• Il a pas la force de le faire chier ou de répondre, de toute façon. Trop fatigué.
• Le docteur le met en arrêt pour deux semaines. Sa tronche de papi inquiet pour sa santé physique et mentale lui donne l'impression que c'est le sien, de grand-père, et d'un coup il réalise qu'il a pas revu les siens depuis des années. Ça se trouve ils sont morts. Est-ce qu'il le saurait ? Est-ce que sa mère le lui aurait dit ?
• Ils sont jamais retournés en Algérie, depuis...
• Debout dans la rue, avec son bout de papier dans la main et son sac sur le dos, il regarde les voitures s'arrêter au feu rouge.
• Le reflet qui le dévisage, depuis la vitre d'un bus, a un hématome dégueulasse sur la tronche. L'air d'avoir vu un fantôme, aussi. Ou d'en être un lui-même.
• Y'a dix ans de ça, le même jour, son père était encore là.
• Mais plus pour longtemps.

Ça fait long, dix ans.

• Quand Amine rentre, il pète un boulon de le voir comme ça. Sans rire.
• Chérif aime pas devoir faire flipper Amine. C'est son petit frère. Y'a un an et des poussières entre eux, mais voilà ; c'est important. C'est lui le grand. C'est lui qui gère.
• Sauf que là, il peut pas continuer de ramasser les conneries d'Aziz en espérant qu'il va finir par arrêter. Surtout s'il met Amine en danger. Alors il lui explique. Gentiment.
• Le frangin piaille. Insulte Aziz. Insulte Didier.
• Il s'excite tellement que Chérif a un peu peur qu'il finisse par faire une crise d'asthme (on sait jamais ; c'est déjà arrivé). Il sait pas s'il a son inhalateur sur lui, ce con, alors il fait gaffe à pas le laisser trop s'énerver. Qu'il se fasse un shoot de poussière, sinon, tant qu'il y est. Ce sera aussi rapide.
• Le temps qu'il réussisse à le calmer, il regrette limite de lui en avoir parlé. C'est chiant. Il a pas l'énergie pour le gérer. Pas la patience pour l'entendre grogner et se plaindre et lui demander comment ça va. Il a juste envie d'être seul.
• Pas de chance, Amine a d'autres plans. Parce qu'il se sent coupable, ou qu'il veut l'aider, ou — un truc comme ça, franchement, il en sait rien. Il a pas tout compris.
• Leur mère gronde en les voyant partir vers la sortie, vu son état, mais Chérif l'ignore. Si Amine a besoin qu'il le suive, il le suit. C'est pas négociable.
• Y'a des combats perdus d'avance. Elle devrait le savoir, depuis le temps.

• Tout le temps qu'ils passent dans le métro et dans les rues, ils parlent pas beaucoup. Chérif fixe les grandes pattes de son frère en se demandant quand il a fini par le dépasser. Amine s'énerve sur son portable en essayant d'appeler Aziz. Ça insulte sec en arabe. Il aimerait pas être à sa place.
• Quand ils arrivent, Chérif se rend compte qu'il a aucune idée d'où ils sont. L'appart' de son frère était pas là, aux dernières nouvelles. Celui d'Aziz non plus.
• Il fixe le vide.
• C'est quand, la dernière fois qu'il est passé chez lui ? Chez eux ?
• Chez n'importe qui ?
• Il le suit dans les escaliers. Monte jusqu'au 5ème sans rien dire, énervé de le voir se retourner tous les bordels de paliers pour vérifier qu'il suit. Ça va, putain, il est pas handicapé. Il va bien. Il se démerde. Il a juste une côte pétée, c'est pas la mort. Il a connu pire (peut-être).
• Il a encore sa fierté, merde.
• Amine laisse tomber et passe devant. Arrivé au bon étage il lui dit de rester calme, de rien dire, de le laisser s'expliquer. Okay ?
• Okay.
• Ça fait putain de peur, comme avertissement, mais okay. Il peut faire ça. Sûrement. Pas comme s'il avait envie de péter un câble, hein. Si y'a un corps à enterrer bah c'est parti. Il prendra la pelle.
• Amine le fixe. Longtemps.
• Soupire ; sort les clefs, ouvre une porte.
• Il le suit.

• Dans l'appart', y'a pas de corps à enterrer.
• Il aurait presque préféré.

• Il y reste une demi-heure. Personne gueule. Ça reste super calme. Civilisé.
• Après-coup, il se rend compte d'à quel point c'est un putain de miracle. On peut remercier la fatigue. Il a juste pas la force de se mettre en colère.
• Il le fera plus tard.
• Peut-être.
• En attendant, il ressort. Sans Amine. Besoin de réfléchir.
• Amine doit avoir sacrément la trouille qu'il se retienne de lui en foutre une, parce qu'il insiste pas. Il dit juste qu'il revient chez leur mère ce soir. Qu'ils pourront en parler. S'il a envie.
• Mais juste eux. Pas avec Aïcha, pas avec maman, pas avec Alain — évidemment.
• Il lui dit aussi qu'il va chopper Aziz et se démerder pour le convaincre d'arrêter d'emprunter des thunes et de revendre de la merde. Juré, ça va le faire. Il aura plus d'emmerdes avec Didier. Il le laissera pas faire. C'est cool. Il est juste désolé qu'il ait pas su avant, sinon il l'aurait taclé et lui aurait pété les genoux lui-même pour le tenir tranquille (à Aziz).
• Bah tiens. Il y croit, hein. Amine a l'air vaguement costaud, maintenant, mais c'est toujours un putain de fragile. Le mec te met un coup de poing, faut le récupérer en PLS dans le fossé parce que 1) il s'est fait mal au poing, le pauvre et 2) il t'a fait mal à la mâchoire, le pauvre. Et en plus il a inhalé de la terre et tousse comme un lépreux, vu qu'il s'est foutu le nez dans la poussière et le pollen. Pas fait pour survivre.
• C'est un bébé. Dans sa tête, il a toujours onze ans.
Le choc, putain.
• Assis dans le métro, il fixe ses mains.
• Il a vraiment pas l'énergie, là. Vraiment pas.
• Il y pensera la lendemain.

• Après en avoir reparlé avec Amine, il s'est dit que ça irait. Mais non.
• Ça l'empêche de dormir.
• C'est pas grave, pourtant. Y'a pas mort d'homme. Juste des conneries.
• Tout baigne.
• Chakiba Bensalem a une gamine dans une grenouillère rose débile et une bonne vie de merde. Il se serait passé des détails, mais quand Amine est parti impossible de l'arrêter. Encore un truc auquel il va pas arrêter de penser. Génial.
• "Pas la mienne", qu'il a dit. Cool.
• Chérif voit pas bien l'intérêt de préciser qu'il l'a pas foutue en cloque si c'est lui qui agite le hochet avec une tête de gros niais pas fini, mais bref. Il laisse tomber.
• C'est pas lui qui hurlera le jour où sa zouz décidera de se barrer et que y'aura pas son nom sur les papiers. Pas de semaine sur deux, frangin. Tu vas douiller ta race.
Mais bon.
• Amine a perdu son job. C'est pas étonnant. Il foutait n'importe quoi.
• Ce qui le fait chier, par contre, c'est qu'il ait rien dit à personne et que ça fasse des mois. Même pas des mois, putain. Plus d'un an.
• Enfin — non. Ce qui le fait chier, c'est qu'il lui ait rien dit à lui. Les autres, il s'en fout.
• Mais lui ? Merde. C'est son frère, putain. Il aurait dû lui en parler.
Et il l'a pas fait.
• Il a retrouvé un petit job de merde, mais ça paie que dalle. On l'a tellement engueulé, quand il passait son temps à demander des thunes de partout, qu'il a pas osé recommencer. Alors il en a juste pris un deuxième. Aziz est pas foutu d'en garder un, donc il pouvait pas trop aider. Mais il l'a fait quand même. Et comme Aziz est un gros con, il s'est senti obligé de compléter avec des trucs pas super légaux.
Et on en arrive à ce cher Didier.
• Les deux guignols sont tellement des cas sociaux qu'il sait même pas quoi dire. Y'avait quatre-vingt manières de gérer ça mieux, mais nooon.
• Bande de cons.
• Après ça, y'a eu la situation Bensalem. Évacuer la demoiselle de chez elle parce que bordel ça craignait. La ramener dans son appart'.
• Changer d'appart', quand l'autre connard a retrouvé où elle s'était barré.
• Elle a mis du temps à trouver un boulot. Ils avaient pas assez de thunes. Elle était enceinte.
• Aziz leur a trouvé un appart' et ils s'y sont tassés à trois, parce qu'Aziz est lâche mais aussi putain de trop gentil. Il claquerait avant de laisser Amine devoir se démerder tout seul. À la vie à la mort.
• C'est mignon. Et aussi super con. Comme d'hab.
• Et après ça reperd des boulots, et ça remanque de thunes, et y'a le bébé, et — détails, on s'en fout. Il s'en fout.
Il s'en fout pas.
• La situation, à la rigueur, peu importe. Amine veut jouer aux papas et aux sauveurs de demoiselles en détresse ? Cool pour lui. Il aime Chakiba, au moins, et elle est un peu moins con qu'il pensait au début. Pas stable, mais pas non plus la pire connasse. Si Aziz veut tenir la chandelle pour être sûr qu'ils vont bien, pareil, il s'en fout. C'est eux qui gèrent.
• Qu'Amine ait perdu son boulot, tant pis. Qu'il se soit fait tabasser parce qu'Aziz va au plus simple sans réfléchir, tant pis. Il peut passer l'éponge. Ça va. C'est pas étonnant et y'a pas eu mort d'homme. Il va s'en remettre. Ça le fait chier qu'il ait fallu qu'on lui pète une côte pour qu'il se rende compte qu'on peut pas emmerder Didier, mais personne a jamais dit que le Yousfi était malin. Il pensait pas à mal. Whatever.
• Mais on lui a rien dit.
On lui a rien dit du tout.
• Amine était en train de flipper sa race, à jongler avec deux boulots et un bébé et une fille qui fait des crises de nerfs et un pote débile qui emprunte des thunes au connard du coin parce que ça va plus vite, et il —
• Lui a rien dit.
• Chérif fixe le plafond ; écoute les bruits dans la maison. Quelqu'un a dû se lever. Alain, peut-être. Il prend son thé la nuit, des fois, ce gros bizarre.

• "T'étais pas là, Chérif, putain. T'as jamais le temps, ou t'es fatigué, je sais pas, merde — tu voulais que je t'en parle quand ? Hein ?"

• Quelqu'un ouvre un placard. Donc ouais. Alain, à tous les coups.
• Quand il en a marre de se répéter la voix d'Amine en boucle — "t'étais pas là" — il se lève et part dans le salon. Le mari de sa mère le regarde avec la tronche de celui qui s'est fait prendre sur le fait et va se faire engueuler. Pas comme s'il était chez lui, hein.
• Chérif glisse sur une chaise. Ils restent sans rien dire deux secondes, puis Alain lui demande s'il veut du thé.
• Il aime pas ça. Mais il dit oui quand même.
• Il s'en fout que ce soit Alain, que ce soit un con et qu'il ait volé la place de son père. Il s'en fout qu'il ait pas été foutu de faire deux gosses corrects et que ses chemises soient moches. Il a juste besoin de rester avec quelqu'un.
• Il peut pas être tout seul, là.
• S'il reste tout seul il sait pas ce qu'il serait capable de faire.

• Et ça le terrorise.

• Le 14 septembre 2005 est un mercredi.
• C'est mal foutu. Mais bon.
• Il a repris le boulot depuis deux-trois jours. Il a toujours mal ; ça passe, mais juste. Son docteur lui redonnerait un arrêt s'il demandait, mais il veut pas. Il préfère bouger.
• On lui refait des remarques. Les mamies, hein. Ou peut-être que cette fois il a défoncé un petit con et s'est fait tabasser par sa copine.
• Ah bah petit comme il est, hein. Même les maternelles risqueraient de lui casser la gueule. Peut-être qu'il s'est mangé un escalier parce qu'il a pas levé assez la jambe. Ou alors il s'est mangé une porte. Oooh — ou bien la copine l'a tabassé parce qu'il avait sucé son copain. Suivi de plus de commentaires sur le fait qu'il est grave à la bonne taille, même pas besoin de se baisser.
• Il relève même pas.
• Avant, il aurait eu envie de tout casser. Le premier qui le traitait d'homo finissait défoncé. Même ses collègues, il les envoyait chier. Y'a des limites.
• Là, il a une boule dans la gorge et non c'est pas une bite, haha, mdr, trop drôle. Les larmes sont pas si loin et ça le fait encore plus chier que de les entendre rire en cherchant comment il a fini avec la tronche à moitié violette.
• Ça fait mal.
• Il se sent fragile. Nul. Vide. Saoulé. Seul.
Aucune raison, en plus.
• Il sait pas pourquoi.
• Il s'en fout.
• Il sait même pas depuis combien de temps il a pas vraiment parlé à Mourad. A Sayed. A Aïcha. Ça peut faire des jours, des semaines, des mois. Peut-être que ça fait dix ans, comme ses grands-parents, et que tout le monde a claqué sans qu'il s'en rende compte. Il fait pas gaffe.
"T'étais pas là."
• Mais il est où, alors, hein ? Parce qu'il a pas l'impression d'être parti très loin, lui. Il a pas l'impression d'être allé où que ce soit. Il fout rien. Jamais. Il va nulle part. Y'a nulle part où aller, de toute façon.
• Y'a nulle part où aller du tout.
• Alors le 14 septembre 2005, c'est un mercredi. Et ça le fait chier.
• Mais il a pas envie d'attendre jeudi.

• En rentrant du boulot, il se met en mode automatique. Il réfléchit même pas vraiment.
• Il prend le métro, rentre chez lui. Prend la bagnole. Conduit au hasard.
• Il a pas de plan.
• Il veut pas défoncer la voiture. C'est quand il passe au-dessus d'une autoroute, d'un coup, qu'il a le déclic.
• Okay. Ça peut le faire.
• Ça peut le faire.
• Il veut pas se pendre, comme son père, parce qu'il sait que c'est sa mère ou Amine (ou Aïcha, peut-être) qui lui tombera dessus, et ça le ferait chier de leur faire ça. Il est pas sûr de réussir à pas se rater, en plus. Pareil pour les médocs. Il s'y connaît pas assez, et il veut pas finir à moitié en légume sur une connerie. Il veut pas se réveiller au milieu, non plus. Il est pas maso.
• S'ouvrir les veines, c'est un peu trop dur. Il se fait pas confiance pour aller au bout du truc. Sauter d'un immeuble, c'est okay — mais y'a du monde qui passe, et il veut pas finir en crêpe et sauce tartare devant un gamin. Ça se fait pas.
• Mais l'autoroute. Okay.
• Va y avoir des traumatisés, mais au moins il leur tombe pas direct dessus. Ça va. Vaut mieux des inconnus dans une bagnole que des inconnus à pieds, et vaut mieux des inconnus tout court que sa famille.
• Il descend de la voiture.
• Il fait pas froid, mais il fait pas chaud non plus. Il regrette limite de pas avoir pris de veste ; puis il se dit qu'il en aura pas besoin longtemps, donc c'est pas grave.
• Il met les mains sur la rambarde.
• Se dit qu'Aïcha est mariée. Va peut-être avoir un gosse. Sûrement, même. Dans quelques années. Qu'Amine en a adopté un sans trop faire exprès. Qu'il se démerde bien sans lui.
• Que tout le monde se démerde bien sans lui.
• Sa mère a Alain. Ses potes s'en sortent nickel, qu'il soit là ou pas. Il a pas de copine à faire pleurer.
• Son père est mort.
• Il passe les deux jambes de l'autre côté et se laisse glisser doucement, jusqu'à être debout sur le petit rebord ridicule qui le sépare du vide. La barrière lui rentre dans le dos et dans les paumes. Il inspire fort.
• Dans son ventre, y'a toujours ce putain de gros vide qui prend toute la place. Dans sa tête, pas grand chose. Il arrive pas à se dire qu'il regrettera, s'il se laisse tomber. Y'a quoi à regretter, franchement ?
• Quelqu'un klaxonne.
Rien du tout. T'inquiète, frère. Si t'es en bas c'est que tu vas bien.
• Il en a marre. Il en peut juste tellement plus. C'est pas un "je veux mourir", c'est un "j'en peux plus". Ça peut pas être pire. Et en même temps y'a rien qui va mal, hein, mais ça —
• En vaut pas la peine. Il sait pas. Il a pas envie. Il voit pas l'intérêt.
• Pourtant, il saute pas.
• Peut-être qu'il aurait déjà dû sauter. Ce serait con d'hésiter.
• Il tend les bras derrière lui ; regarde en bas. Ça klaxonne dur, mais pas à chaque fois. Certains s'en foutent. Cool pour eux
• Se dire que s'il glisse il s'éclate sur le bitume et se fait rouler trois fois dessus le rassure un peu. C'est con. Il sait pas.
• Quand un mec fout les warnings, sort de sa bagnole et se met à hurler, il est en vie que du bout des doigts. Il les sent presque plus. Ça devrait pas être dur de lâcher, mais il a pensé aux gens qu'il aime bien — et ça c'est fatal, hein. Il se demande s'ils pourront l'enterrer, s'ils le pardonneront, s'ils s'en remettront, et ça le fait un peu chier de les abandonner comme ça, parce qu'il est censé être fort et incassable. Si son père est plus là, c'est lui l'homme de la maison. Alain compte pas.
• Il pleure.
• Le mec en bas s'agite. Aucune idée de ce qu'il raconte. Il entend que dalle, avec le vent et les voitures.
• En plus il voit plus rien, maintenant. Super. Il s'accroupit contre la barrière et libère un bras pour se sécher les yeux. Aucune idée de comment il tient, parce que c'est un coup à déraper comme un con, mais Allah doit pas trop l'aimer. Alors il tombe pas.
• Le mec en bas lui fait de grands signes, l'air de dire "bouge pas de là sale con", et reprend le volant. Bye.
• Deux minutes après, il a pris la sortie et est remonté jusque-là. Les voitures qui sont passées derrière lui ont même pas fait gaffe, elles. Personne s'est arrêté pour lui dire que la vie vaut la peine d'être vécu, ou une autre connerie du genre.
• Quand le type descend et s'approche, il est toujours en mode pause. Accroupi au-dessus du vide. Il arrive même pas à réfléchir ; aucune idée de combien de temps est passé. Il sait plus s'il veut sauter ou pas. Enfin si — il sait qu'il veut sauter. Il aimerait juste être sûr que tout le monde s'en remettra. Et comme personne descend du Ciel pour lui dire que oui, il attend.
• Le type dans son dos parle pas français. Il répète juste "non", et lui sort va savoir quoi dans une langue qu'il connaît même pas. Peut-être de l'espagnol. Il sait pas. Il pige rien.
• Mais il a l'air sympa. Et il a l'air triste. Et il lui dit "non", et il le supplie — pas besoin de comprendre les mots pour capter le ton. Il est pas encore sourd.
• Il repense à son père. Il se demande si ça aurait changé quelque chose, s'il était rentré plus tôt de l'école et avait poussé la porte. Peut-être qu'il a hésité, lui aussi. Peut-être qu'il a essayé de le faire dix fois avant d'y arriver. Peut-être même que sa mère savait, et qu'elle a jamais rien dit. Peut-être qu'elle s'en veut à elle, aussi. Et pas qu'à lui.
• C'est un inconnu. Pas son père. Il parle pas arabe. Il a une tronche d'Alain en plus jeune, pas de Chérif en plus vieux.
• Mais il est là, et y'a d'autres gens qui se sont arrêtés. Et il sait plus.
• Alors il se redresse.
• Pendant deux secondes, y'a plus un seul bruit. Tout le monde retient sa respiration ; même lui. Personne ose parler. Les voitures ont disparu quelque part. Le vent avec. La Terre tourne plus.
• Puis il se retourne, lentement, doucement, et il passe une jambe par-dessus la rambarde, et on le tire de l'autre côté si vite et si fort qu'ils tombent à la renverse. Comme deux cons.
• Et il se remet à pleurer.

• Le mec refuse de le lâcher. Il lui répète des "todo va a estar bien" jusqu'à ce que l'ambulance arrive. Même quand il se met à l'insulter et à gronder pour qu'il lui foute la paix, en français puis en arabe, il le tient. Il l'empêche de se barrer. Il l'empêche de reprendre la voiture.
"Y te prometo, todo va a estar bien."
• Il sait pas ce que ça veut dire, mais il sent que c'est des conneries.
• Ça le fait juste pleurer encore plus fort.

"Todo va a estar bien, ¿de acuerdo?"

• Il se souvient à peine de ce qui se passe ensuite.
• On doit bien l'avoir foutu dans l'ambulance, vu qu'il arrive à l'hôpital, mais il a aucune idée de comment ça s'est passé.
• Tout ce qu'il sait c'est que le pauvre type qui l'a rejoint sur le pont a dû s'expliquer avec l'ambulancier en anglais, que même sans piger deux mots leurs accents lui ont fait MAL, qu'il a fait une crise de nerfs, pas voulu laisser sa voiture, manqué d'en foutre une à un des mecs, et s'est calmé uniquement quand ce putain d'inconnu à la con est revenu lui bassiner des trucs en espagnol.
• Ils devaient avoir l'air débiles, lui à sortir des ana asef et l'autre à lui répondre des cálmate, mais personne a commenté. Ils ont laissé le mec lui prendre les épaules et le secouer gentiment, en balançant des trucs en anglais de temps en temps pour vérifier comment ça allait, jusqu'à ce qu'il arrête d'avoir la tronche du gars qui va défoncer le premier qui l'approche.
• Et ensuite, le trou noir.
Le choc, tu sais. On lui a expliqué, longtemps après, quand il s'en est rendu compte et que ça l'a questionné, mais il en a jamais eu grand chose à foutre. C'est des trucs de médecin. Il aime pas ça.
• Ce qu'il sait, sur le moment, c'est qu'il est à l'hosto. Qu'il a pas envie d'y rester. Qu'il angoisse.
• On le fait attendre. Il veut juste rentrer ; récupérer sa caisse, signer ce qu'ils veulent, peu importe, et se barrer.
• Mais ça se passe pas comme ça.
• Il ne repartira pas des urgences psychiatriques, ce soir-là.
• Et les suivants non plus.

• Chérif n'est pas un cas grave — il n'est pas en pleine crise psychotique, il n'est pas blessé, il n'a pas d'hallucinations, n'est pas sous influence — mais c'est un cas inquiétant. Son entretien a coché plein de petites cases qui font sérieusement froncer les sourcils du psychiatre de garde ; qu'il soit agressif puis plus du tout n'aide pas.
• Émotionnellement instable. Situation économique précaire. Tentative de suicide impulsive mais réfléchie — létale, également, avec certitude de mourir et l'envie qui va avec. Sentiment d'échec. Colère envers le personnel soignant. Colère envers lui-même pour ne pas avoir sauté, et pas pour avoir essayé.
Bref. Le risque est immédiat, entrecoupé d'injures en arabe, et à la fin de l'entretien, il se contente de fixer ses mains sans plus rien vouloir dire.
• Il veut mourir.
• Enfin non — pas vraiment. C'est plus... Ne pas vouloir être là. Voilà : il veut pas rester là. Et quand "là" c'est aussi vaste, y'a pas tellement le choix.
• Devoir aller au boulot, se lever, prendre sa douche, parler aux gens, regarder la télé, marcher, exister, juste — tout, n'importe quoi, ça le tue. Il veut pas. Il en peut plus. Ce que les gens ressentent quand on les force à aller faire un marathon après trois nuits blanches et une rupture douloureuse, le pétage de plombs au réveil, les deux pieds plantés dans le sol et au bord de la crise de nerfs, il le ressent constamment.
• Tous les jours est un lendemain de nuit blanche. Tous les jours il attend le weekend. Tous les jours il a pas la force de faire quoi que ce soit. Encore moins l'envie.
• Et il arrive pas à dormir. Et le weekend vient pas.
• Il aime pas le psy qui le regarde pire que s'il venait de lui dire que toute sa famille a claqué y'a deux jours. Il aime pas le voir remplir des trucs sans savoir ce qu'il note. Il aime pas qu'on le force à rester assis là et à raconter des conneries.
• Il veut juste retourner à sa voiture, passer la rambarde, et pas attendre qu'un con de spaniard vienne le tirer de l'autre côté en lui parlant de tortillas ou il sait pas quoi.
• Ça plait pas au bon docteur. Mais rien lui plaît, de toute façon.
• Ils veulent qu'il reste. Lui pas.
"Au moins jusqu'à ce que vos parents arrivent."
• Chérif a l'habitude de pas gagner contre les mecs blancs qui le regardent de haut, alors il laisse tomber. Il hausse les épaules et les laisse faire ce qu'ils veulent.
• Il s'en fout, de toute façon. On va bien finir par le laisser sortir. Et là, boom. Adios, comme dirait l'autre. Ou Ciao. On s'en fout.

• Ses parents arrivent (sa mère et Alain, quoi) une demi-heure plus tard.
• C'est con, mais il avait pas réfléchi au fait qu'il devrait leur. Parler. De ça. Ou rien que les revoir, en fait. Dans sa tête il partait faire la crêpe et c'était réglé ; il était pas censé voir sa mère pleurer.
• C'est horrible.
• Il se sent horrible.
• Pas assez pour vouloir rester en vie, mais. Ouais. Horrible. Mauvais fils. Mauvais tout ce que tu veux. Il sait. Il sait, c'est bon.
• Rachida l'insulte en arabe et le secoue d'une manière très universelle. Il pleure pas (il l'a assez fait comme ça, il veut pas se taper encore plus la honte) et se laisse secouer sans rien dire. C'est le médecin qui intervient et demande à la dame de se calmer. Lui, il l'aurait laissée lui enfoncer la tête dans le mur. Il le mérite. Tant qu'à faire, il en serait peut-être mort.
L'idée fixe est là.
• Il sait pas ce qu'ils se racontent, avec le docteur, mais ça arrange pas son avis sur la situation. Ça, il comprend bien. Le pauvre gars doit se dire qu'il est vraiment minable. Ça le fait chier qu'on pense ça de lui, mais il comprend. Il se trouverait minable, lui aussi.
• Quand sa mère revient, elle se remet à le secouer en pleurant.
• Elle est pas débile. Elle a vu la date.
• Il est à peu près sûr qu'elle le tuerait elle-même, si elle pouvait. Mais elle l'aime trop pour ça. Y'a des témoins, en plus. Et Alain.
• Alain qui lui attrape l'autre épaule et a pas l'air très loin de pleurer, lui non plus, quand ils le supplient d'accepter l'hospitalisation.
• Il refuse.
• Rachida manque de le gifler. C'est Alain qui lui attrape le bras pour l'en empêcher — et clairement, ça non plus ça plaît pas au doc. Il a envie de lui gueuler de pas juger, mais il a pas la force pour ça.
• Sa casquette est tombée sur la quatre voie. Lui pas. Il s'en est pas encore remis, là.
• Alors il se laisse engueuler, encore, et au bout d'un moment il est plus très sûr de savoir si c'est à lui qu'elle en veut ou si y'a un peu de Bachir là-dedans.
• Elle a pas pu l'engueuler, lui. Il s'est pas raté.
• Dommage.
• C'est dégueulasse à dire mais parfois, sans faire exprès, il se dit qu'il aurait préféré que ce soit sa mère qui se pende.
• Et ça lui donne envie de hurler.
• Alors quand ils lui redemandent d'accepter, et lui disent clairement que sinon ils le feront à sa place, il cède.
• Plus vite il dira oui, plus vite il sortira.

• C'était le plan, en tout cas.

• Le temps qu'ils règlent les papiers et tout le bordel, Amine appelle leur mère. Il l'entend le rassurer comme elle peut, mais il sait que ça va pas suffire. Et autant ça l'a fait se sentir mal de voir sa mère pleurer, autant l'idée qu'Amine — et Aïcha, merde — soient au courant lui broie le cœur si fort qu'il a l’impression de faire une crise cardiaque.
• Il revoit Aïcha ouvrir la porte. Hurler. Amine pleurer. Les mois passés à rien comprendre, parce que pourquoi ?
• Il comprend pourquoi, maintenant. Peut-être. Au moins un peu.
• Mais pas eux.
• Il entend sa mère lui dire "plus tard, ça va, je t'expliquerai" et se fait pas d'illusion deux secondes sur le fait que son frère va débarquer en courant vingt minutes plus tard. Il est borné. Paniqué, aussi, à tous les coups. Évidemment qu'il va venir quand même.
• Ça loupe pas.
• Amine a la tronche du mec qui va pleurer et défoncer le premier médecin qui se fout sur son passage — et quand on le laisse le voir, vu que y'a plus personne à frapper, il pleure juste.
• Il reste accroché à lui pendant dix minutes.
• C'est pas le genre à être ultra expressif, pourtant. Mais il lui pleure dessus, et il le lâche pas. Pire que s'il allait disparaître à tout moment. Il a pas tort de s'inquiéter, remarque. Ce serait con de le lui reprocher.
• Lui est vide, fatigué. Pas capable de réagir. Il se contente de s'appuyer sur lui et de le laisser être triste, parce qu'il comprend. Il sait bien.
• Il aimerait dire que ça lui fait du bien. Qu'il est content de le voir. Qu'il est désolé.
• Mais c'est pas le cas.
• Alors il se tait.

• Autant les deux, trois premiers jours sont tranquilles, autant Chérif déchante très vite.
• Au bout d'une semaine, du court-séjour, il passe au long. La bouffe est toujours dégueu, les gens sont toujours cons, mais d'un coup il réalise vraiment ce qui est en train de se passer. Où il est. Et pourquoi.
• Il se rend compte qu'il a signé pour potentiellement longtemps, qu'il va pas rentrer chez lui au bout de deux semaines, qu'on va pas lui foutre la paix tant qu'il voudra se foutre en l'air, et là c'est la crise.
• Très littéralement.
• On a demandé à sa famille de se tenir à l'écart les premiers temps ; de le laisser respirer, se reconcentrer sur lui-même. Et ça vaut mieux, parce que putain de merde.
• Il pète un plomb.
• Il veut partir. Il en a marre. Tout le monde le fait chier. Il engueule et insulte tout le personnel soignant et demande à ce qu'on le laisse signer sa putain de décharge à la con, qu'il puisse retourner dans son bordel d'appart de merde.
• Le psy est un saint, quand il s'agit d'être patient. Mais ça, Chérif en a franchement rien à foutre. Il veut juste qu'il le laisse partir.
• Et, bon. Il peut pas l'en empêcher. S'il veut partir, il signe une décharge ; il est libre.
• Il le lui déconseille fortement. Il n'est pas en état de penser clairement, n'a pas encore été suffisamment bien évalué pour qu'ils puissent dire comment le médicamenter, s'il y en a seulement besoin ; à part les légers sédatifs pour l'aider à combattre les insomnies, pour l'instant, il ne prend rien.
• Il en a rien à foutre.
• Une semaine et demi après son admission, il sort contre l'avis du médecin.
• Il ne prévient personne. Sa mère et Alain doivent l'avoir appris par l'hôpital, parce qu'après ils arrêtent pas de le harceler de coups de fil. Personne répond.
• Pas moyen de récupérer sa voiture. Elle est chez eux.
• Il a envie d'aller voir personne, de toute façon. Alors tant mieux.
• Il saute les barrières du métro et se barre au hasard.
• Il sait pas bien où il va. N'importe où. Nulle part. C'est pareil.
• Cette nuit-là, il la passe dehors. Y'a pas d'étoiles ; trop de pollution. Ça le fait même pas chier, il a jamais rien connu d'autre.
• Peut-être qu'en Algérie, hein. Mais il y est pas.
• Inch'allah.
• Il perd suffisamment la notion du temps pour oublier de manger vingt-quatre heures d'affilée. Trop occupé à chercher très méticuleusement où et comment passer l'arme à gauche sans trop traumatiser tout le monde, en mettant de côté ses proches qui doivent être en train de hurler à la mort de pas pouvoir le joindre.
• Pas la force de penser à ça.
• Il retourne sauter les barrières du métro.
• Il plane mais si fort.
Si fort.

• Chérif est peut-être pas bon à grand chose, mais si y'a un truc qu'il rate à la perfection, c'est bien le suicide.
• Il a juste pas de chance.
• (ou trop de chance ; question de point de vue, sûrement)
• Il est à peu près sûr qu'il avait pas la tronche du suicidaire de base, pourtant. Les autres pouvaient pas deviner.
• Pourtant, quand il va pour se jeter sous le métro (désolé aux autres passagers et au conducteur — c'est dégueu, il sait) y'a un putain de crétin qui le choppe juste à temps.
• Mais alors juste à temps.
• Il sent le machin lui frôler les baskets.
• Il devait être trop près. Il devait avoir l'air trop mal. Ou alors il est juste tombé sur le putain de quai où y'avait Superman qui attendait de prendre la rame — il en sait rien, il est pas devin. Ça peut aussi être une volonté divine à la con. Chacun sa théorie.
• En tout cas, on le choppe par la taille deux secondes avant qu'il finisse en kebab. Ça le choque tellement qu'il entend à peine les gens hurler ; y'a juste les bras autour de sa taille, le silence du type qui le tire en arrière et le monde qui bascule quand ils se cassent la gueule.
• Ça devient une habitude.
• Celui-là est pas espagnol, au moins. Il est super noir et très français. Enfin — ou pas, hein. Là aussi ça dépend d'à qui on demande. Il est sûr qu'il en a entendu, des conneries, lui aussi.
• Mais c'est pas le sujet.
• Il est tellement déconnecté qu'il est prêt à lui demander l'heure, quand il le tire plus loin en arrière sans le lâcher.
• Il le fait peut-être, d'ailleurs. Il saurait pas dire.
• Tout ce qu'il enregistre, c'est que le mec va finir par lui péter une côte s'il le lâche pas, qu'il manque de s'évanouir, et qu'il finit sûrement par le faire tout court. Y'a des cris, encore. Tout le temps. Les gens adorent crier.

Le choc, tu sais.

• Chérif est ramené à l'hôpital en état de choc. Pas celui de la dernière fois, mais ça revient au même ; pas de différence.
• Même questions, mêmes conneries. Le manège qui redémarre. Il choppe le pompon en claquant des dents.
• Cette fois, quand sa mère arrive, elle pleure pas. Elle le gifle pas. Elle se contente d'aller demander à ce qu'il soit hospitalisé DE FORCE, est à deux doigts de coller les papiers dans les mains des docteurs en leur expliquant comment faire leur travail, et laisse Alain gérer son con de fils.
• Il lui passe un bras autour des épaules. Le serre contre la sienne.
• Chérif réagit pas. Il plane encore.
• Et quand sa mère revient, qu'elle le fait monter dans la voiture, il se dit qu'il va être tranquille. Qu'elle a laissé tomber. Qu'elle a accepté que c'est pour le mieux, ou juste abandonné. Il aimerait bien qu'elle lui foute la paix. Qu'elle le déteste.
• Mais non. Elle le passe juste d'un hosto à l'autre.
• Et de celui-là, il s'en va pas.

• Pendant des semaines, il hurle. C'est pénible pour tout le monde.
• Rachida se fait traiter de tous les noms. Alain, pire que tout.
• Aïcha et Amine pareil, quand il se rend compte qu'ils sont de leur côté et pas du sien. Parce que ouais, y'a des côtés — et s'ils sont pas avec lui ils sont contre lui, alors merde.
• Amine gère moins bien que les autres, mais mieux qu'il aurait pensé, en rétrospective. Il l'insulte pas, se barre pas en courant. Il encaisse mal, mais il encaisse.
• Il se fait enlacer de gré ou de force (surtout de force). Ça le fait pas aller mieux ; il continue de hurler dans les bras de sa sœur et de son frère, mais au moins il évacue. C'est bien, il paraît. Il ressent des trucs. Pas des trucs joyeux, mais c'est vraiment mieux que rien. Il faut que ça sorte.
• Il sait pas c'est quoi, le "ça", mais il le balance à la tronche d'absolument tout le monde.
• Les docteurs prennent.
• Les infirmiers prennent.
• Le personnel soignant prend.
• Même la pauvre fille qui passe faire les chambres prend.
• Il traite les jeux de société de tous les noms, tape du pied partout, crache sur l'herbe et les arbres et la bouffe dégueulasse. Il pique des crises de nerfs dès qu'il a assez de force pour ça ; fait peur aux autres patients qui ont rien demandé à personne. Dès que ses proches ont le malheur de passer, il leur fait bien comprendre qu'il les déteste et leur pardonnera jamais.
• Plutôt crever.
• Et il En A EnvIE t'ImAGinEs mÊmE paS.
• Il se déteste encore plus de s'être raté. Putain de con. Pas possible d'être nul à ce point.
• Les mères des infirmiers prennent plus que tout. Il les a toutes baisées.
• Mais alors toutes.
• Ça les impressionne pas beaucoup, mais bref. Il le fait quand même.
• LEURS. MÈRES. PUTAIN.
• CES SALOPES.
Putain de salopes, merde.
• Il est sédaté. Faut bien le gérer et l'empêcher de faire des conneries.  Parle un peu aux psys. C'est à dire pas beaucoup, et avec beaucoup d'injures, vu son état.
• Au moins il leur parle.
Au moins il est là pour leur parler.
• Mais lui, sur le coup, il voit vraiment pas en quoi c'est une bonne nouvelle.

• Vraiment, vraiment pas.

• Passées les premières semaines, la crise de nerfs passe. Il s'habitue. Retombe dans le quotidien. À peu près.
• On le met sous anti-dépresseurs. Ça se passe pas très bien.
• De un, parce qu'il est malade comme un chien. De deux, parce qu'au bout de trois mois, son humeur vire en dents de scie. Un coup il arrive pas à se lever de son lit, l'autre il est prêt à arracher des têtes avec les dents. Il va les défoncer. La vie de sa mère, il va leur éclater la tête à coups de parpaings.
• Et il en a envie. Il le ferait. Il jure qu'il le ferait.
• Le psy lui explique qu'ajuster les médicaments est un travail de longue haleine. Lui il veut pas en avoir, alors ses explications il peut se les carrer où il pense. Et avec les compliments de la maison.
• Le bon docteur soupire.
C'est ça, juge-moi.
• En attendant, ça s'améliore. Un peu.
• C'est long, c'est difficile, mais ça avance. Gentiment.
• Au bout d'un moment, il est moins agressif. Moins buté. Comprend mieux ce qui se passe et pourquoi ça se passe.
• Il veut toujours rien savoir sur des maladies ou des trucs et des machins, et ça fait pas plaisir au personnel, mais y'a du progrès. Ils prennent ce qu'ils ont. C'est pas facile, d'aller mieux. On peut pas trop lui en demander d'un coup.
• Les élans et idéations suicidaires passent. Ou deviennent gérables, au moins. Six mois après son admission, il est à peu près sûr qu'il irait pas se jeter sous un métro si on le laissait sortir. Il a pas envie de vivre pour autant, mais bon. Ça paraît plus gérable qu'avant.
• Après huit mois, il réussit à reparler à ses proches sans avoir foncièrement envie de leur éclater la tête contre un mur. C'était devenu difficile. Il les a très peu vus, ces derniers temps, parce que — ben, parce que. Il passait son temps à leur hurler dessus ou à les ignorer. Ça servait à rien. Ils se sont résolus à juste demander des nouvelles.
• Il revoit Sayed. Mourad. Ils se disent pas grand chose (qu'est-ce qu'ils pourraient dire, hein ?) mais ça lui fait du bien. C'est déjà un gros putain de changement, comparé à quelques mois avant.
• Que quelque chose lui fasse du bien.
• Amine s'étale sur lui comme le gros niais sensible qu'il est. C'est dégoûtant. Il sait qu'il lui en veut, mais ils en parlent pas. Peut-être plus tard. En attendant, il le laisse critiquer la bouffe dégueu de l'hosto et lui apprend à jouer au Tarot. C'est de la merde, mais ça passe le temps.
• Il a un peu que ça à faire, ici, hein.
• Aïcha passe avec Younes. Le mec a clairement pas l'air de savoir ce qu'il fout là, mais il est là. Et Aïcha sait clairement pas quoi dire, et elle a envie de pleurer, ça se voit, mais elle pleure pas, et elle discute. De tout ; de rien. De machins.
• Comme Alain, quand il passe.
• Comme sa mère, quand elle passe. Et elle le fait souvent.
• Y'a encore un mur entre eux. Un truc en verre, hyper solide — du genre dont il est pas sûr qu'il s'en aille vraiment un jour. Il a cassé un truc. Il se rend bien compte. Mais il y peut rien.
• Et elle non plus, alors il se plaint pas. C'est juste comme ça.
• Peut-être que quand il ira mieux, ça ira mieux. On sait jamais.
• Il y croit pas trop, mais un peu. Avec mille précautions.
• C'est fragile, ces machins-là.

• Le 14 septembre 2006, c'est un jeudi.
• Un an depuis sa première connerie. Ça passe vite.
• Chérif fume devant l'hôpital ; il fixe les volutes de fumée. Y'a un con d'infirmier qui reste faire pareil à côté de lui. Ils parlent pas, mais ils sont trop près pour pas être en train de fumer ensemble. Y'a des codes pour ça. Il est pas con.
• Il aimerait lui dire de partir, qu'il a besoin d'être tranquille avec lui-même et ses conneries, mais ça demanderait de parler. Et il veut pas.
• Alors il reste à côté. Et ils fument.
• Y'a comme un accord tacite entre tous les gens du personnel pour pas le laisser respirer deux secondes, aujourd'hui. Il sait pas si c'est sa parano ou si c'est vrai, et peu importe. Si ça peut leur faire plaisir, hein. Qu'ils y aillent.
• Il compte pas se jeter par la fenêtre. De toute façon elles s'ouvrent pas assez, et y'a des putains de barreaux comme en prison. Il risque pas non plus de se jeter sous la voiture d'un visiteur, ils conduisent comme des escargots dès qu'ils arrivent dans le parking. Pas moyen de se noyer non plus. Faudrait se planter avec une fourchette, à la rigueur, et non merci.
• Oui. Bon. Il y a réfléchi.
• Mais ça fait un moment.
• Après avoir traîné son spleen, pris ses médocs et s'être fait enrôler pour une partie de carte par une infirmière trop motivée, il voit son psychologue. François.
• Il a dû en changer entre temps. La première s'est barrée ailleurs.
• Il préfère celui-là, donc il se plaint pas. Il est moins gnangnan.
• Genre. Plutôt cool. Il le tolère. Il l'accepte.
• D'habitude, c'est lui qui discute tout seul, et le gars en face qui essaie de temps en temps de recadrer la discussion sur des sujets pertinents. Non pas que sa colère face à untel ou untel ne le soit pas, bien sûr. Mais quand même. Il peut pas le laisser détourner la conversation sur des trucs sans importance ad vitam aeternam.
• Il le voit faire, hein. Quand il veut pas parler d'un truc, tout le reste y passe.
• Mais là, il sait pas quoi dire. Y'a rien qui vient.
• Alors François le fait parler d'Amine ; du débile de bébé de Chakiba qu'il lui a ramené l'autre jour parce qu'elle va avoir un an, quand même, et qu'apparemment ça lui donne le droit de la trimballer partout dans ses petites robes débiles. De Sayed. D'Alain.
• De son père.
• Il parle jamais de son père. Il aime pas ça. C'est comme les tentatives de suicide ; comme ce qu'il ressent. Les trucs de gonzesse, là, il a du mal. Pas son genre. Pas élevé comme ça.
• François doit pas trop espérer. Comme d'habitude. Mais.
• S'il avait attendu un an de plus, le 14 septembre, ça aurait été un jeudi. Il a calculé, pour voir ; il aurait été du matin, aujourd'hui.
• Il aurait pu prendre son temps. Ranger son appart'. Passer voir quelqu'un. Et juste avant l'heure où les gamins rentrent de l'école, il aurait pu aller prendre le métro, ou aller au-dessus de l'autoroute.
• Il se serait pas raté. Il est quasi sûr qu'il se serait pas raté. Ça s'explique pas ; il le sent, c'est tout.
• Il triture le cordon de son jogging.
• Et quand il se met à parler, il s'arrête plus.

Putain, il s'arrête plus.

• Mi-février 2007, il sort de l'hôpital. Il se retrouve en ambulatoire (que de mots compliqués, wsh) et ça le saoule, okay, mais moins qu'être là à temps plein. Il est stable. Ça va. Les médocs fonctionnent à peu près, il va mal mais pas trop, cool sa vie, tout va bien.
• Enfin, non. Tout va pas bien. Mais ça va assez pour qu'il puisse fonctionner, et ça va assez pour que ses proches puissent faire semblant de pas avoir un pauvre type handicapé à gérer.
• Il déteste les regards qu'on lui lance. Comme s'il était cassé, ou mal foutu, ou qu'on savait pas trop quoi en faire.
• Il sait pas trop quoi faire de lui-même non plus, okay ? C'est pas facile à gérer.
• On a beau lui avoir expliqué que non, y'a pas de raison, que c'est juste son cerveau qui déconne, qu'il peut rien y faire, que c'est un petit peu génétique, un petit peu pas de chance, il arrive pas à s'y faire. Dans sa tête, s'il va mal, ben y'a une raison pour ça. On est pas triste juste comme ça. On se met pas à plus pouvoir se lever juste comme ça. C'est pas logique.
• Et lui, il a pas de raisons d'être triste. Son père, il s'en est remis. Les jours où ça va, où les idées noires et tout le bordel sont gérables, il y pense même pas trop. C'est juste quand il se sent mal, que d'un coup ça le fait chier. Le préoccupe. L'obsède. Alors c'est pas la cause, non — c'est juste un truc aggravant.
• Il arrive pas à se dire que son mal-être est légitime. Ça l'aide pas à aller mieux, mais ils peuvent pas le forcer non plus. Ça se travaille.
Paraît-il.
• En attendant, aussi vite sorti de l'hôpital, Chérif se remet à travailler et à faire comme si de rien n'était.
• Il peut bosser qu'à mi-temps, pour l'instant, histoire de laisser la place aux sOiNs et à tout le bordel. Faudrait pas le balancer dedans direct et sans filet de sécurité, non plus. Il reste fragile. Pas ultra stable.
Bla bla bla.
• Il reprend ses habitudes super vite. On peut pas lui reprocher ça.
• Il reste momentanément chez sa mère, vu que son appart' a été rendu pendant son hospitalisation et qu'ils ont ramené toutes ses affaires là. Il en reprendra un d'ici quelques mois, quand on le sentira bien prêt à vivre seul.
• Pas très sûr de qui c'est, le "on", et ça le saoule de pas dépendre uniquement de lui-même. Mais il sait que s'il veut, il peut les envoyer chier et faire ce qu'il veut. Ça le console.
• Un peu.

• La routine reprend. Il bosse, va à l'hosto, voit son psy, prend ses médocs, passe du temps avec ses potes et sa famille. C'est des semi-vacances, quoi. Ou c'est l'effet que ça lui fait. Pas assez occupé, mais il va pas trop se plaindre non plus — il a de quoi vivre et du temps libre. C'est pas plus mal.
• Il est pas assisté, non plus. Juste. Soutenu. Ou il sait pas trop quelle autre connerie.
• L'important, c'est qu'il a plus envie d'aller câliner les rails du métro ou le devant des camions. Qu'il arrive à se lever. Qu'il peut penser à son père sans vouloir se passer par la fenêtre ou être tellement en colère qu'il doit prendre une douche froide pour se calmer. Y'a du progrès. Il s'en rend compte. Son humeur fait moins les montagnes russes.
• Ça reste pas assez, mais eh.
• Il est nul. Faut faire avec ce qu'on a.
• Pas le genre de discours qui fait plaisir à François, mais il l'engueule pas pour autant. Il est pas sûr qu'il soit légalement autorisé à l'engueuler. Sûrement que si. Il doit juste être trop sympa.
• Ça le fait limite chier, qu'il le soit, par moments. Puis ça passe.
• Et 2007 avec.

Chérif Bouzidi
- C 15 052052 57 11 B -

Chérif Bouzidi

En bref

Masculin
Pseudo : Nii'
Messages : 12



jpp de toi Sheryfa


• Le boulot est de plus en plus dur. Ou c'est juste lui qui est de plus en plus nul. Il sait pas trop.
• Dur de juger.
• Ses potes le saoulent de plus en plus, mais, pareil — il saurait pas dire si c'est eux qui abusent ou lui qui est irritable et fatigué. Un peu des deux, sûrement.
• En plus y'a Mourad qui a une copine, Sayed qui a une copine, Aziz qui a une copine (wow, ouais), Amine qui a sa Bensalem et la gamine, et lui ?
• Que dalle. Rien.
• Pas qu'il ait eu le temps de chercher, à l'hosto, okay — mais quand même. Il a l'impression d'être hyper en retard. Déjà qu'avant ça le faisait chier d'être puceau et célibataire, là ça commence à grave le gaver. Personne fait de commentaires depuis qu'il a été catalogué fragile (grincement de dents) mais lui, il y pense.
• Avec les médocs, en plus, sa libido est quelque part dans le fossé. Pas morte, mais pas en forme, la pauvre. C'est la merde.
• Il ose encore moins draguer. Manquerait plus qu'il pécho et que oups, malfonction, désolé bébé je te jure ça m'arrive jamais d'habitude.
• Du coup il s'occupe à autre chose. Sauf que rien à faire, l'ambiance est pas la même. Tout le monde devient un peu trop adulte. Lui a l'impression de l'être depuis hyper longtemps ; il lui manque que la femme et les gosses, quoi.
• Les mauvais côtés ça y va, mais les bons, tu peux rêver. Cool. Il kiffe.
• Pas qu'être père le fasse spécialement vibrer, mais bon. C'est la base.
• Il sait pas trop.
• Il fixe la fenêtre ; le temps qui passe.
• Prend un thé de minuit avec Alain.
• Regarde passer Guillaume, qui pour une fois la ramène pas. Faut croire qu'on lui a passé le mot, à lui aussi, parce que la seule fois où il lui adresse la parole il est limite cordial.
• Il aimerait se dire qu'ils ont juste vieilli, qu'ils sont moins cons, qu'ils en ont plus grand chose à foutre de qui leur parent a épousé, mais il peut pas être sûr. Ça le saoule. Ça le hérisse.
• Comme beaucoup de choses, en ce moment.
• Puis plus grand chose.
• Puis plus rien du tout.
• Il regarde ses médocs. Regarde la fenêtre.
• Regarde le calendrier.
• Passe septembre en retenant son souffle, les poings dans les poches, à broyer du noir et la sensation d'arriver à rien. C'est facile, de se dire que ça ira jamais mieux que ça ; qu'il est revenu à la surface mais qu'il ira pas plus haut. Que survivre, c'est tout ce qu'il aura. Les autres auront des familles et des vacances et des amis et des trucs cools, et lui aura un boulot minable et des médocs et les regards apitoyés de ses proches.
• C'est pas une vie.
• Il pourrait en parler à son psy (il est là pour ça), mais il a pas envie. Il préfère lui dire des conneries.
• A Noël, il est repassé en mode automatique.
• Au Nouvel An, il prend pas de bonne résolutions.
• En Janvier, il fête ses 25 ans en se bourrant la gueule avec ses potes et en allant presque bien.
• Puis en passant le lendemain à gerber et à pleurer.
À la tienne, ouaip.
• Tout ça pour qu'en mars 2008, à peine un an après sa sortie, il se prenne les pieds dans la rechute si fort qu'il se retrouve allongé par terre, à se détester et à regretter de pas avoir sauté.
Il pourrait recommencer.
• Personne s'y attend. Il a son nouvel appart'. Il va bien. "Bien". C'est pas comme s'ils risquaient de s'inquiéter.
• Pas comme s'il manquerait à grand monde.
• Peut-être. Il sait pas. Sûrement.
• Il se manquera pas à lui, en tout cas. C'est l'important.
• On peut lui demander de vivre comme ça. Y'a pas moyen. On peut pas.
• Il peut pas.

• Chérif a le mal-être vindicatif. Ses poussées suicidaires sont violentes, et il a pas peur de les mettre à exécution. Quand ça va, il est au sommet du monde ; quand ça va pas, il est au fond du gouffre.
• Et là, il est au fond.
• Cette fois, il monte pas dans la voiture. Il saute pas les barrières du métro.
• Il appelle son psy.
• Il lui a dit de le faire, en cas d'urgence. Et là c'est une urgence.
• Ça lui demande de s'y reprendre à dix fois, de hurler un coup, de pleurer, mais il le fait. Il se sent nul, minable, coupable, il sert à rien — mais il l'appelle, et il attend qu'il décroche.
• Quand il entend sa voix, à l'autre bout du fil, il manque de raccrocher.
• Au final, il réussit à lui sortir deux mots. De la merde, sûrement. Puis il entend une voix de femme et d'enfant, dans le fond, et il capte à peine ce que François lui répond.
• Il entend juste la femme, les gosses, et sans raison, ça lui fout un coup de batte derrière les genoux.
Mais d'une violence.
• Il raccroche.
• Il a envie de défoncer un mur. Il se sent encore plus nul, encore plus minable, encore plus putain d'inutile. Ça le rend dingue.
• François le rappelle. Une fois ; deux. La troisième, il répond.
• Le pauvre gars se prend des insultes en arabe. Il a pas les couilles de le traiter de con dans une langue qu'il comprend. Ça ferait bien sur son CV, tiens. Avec le reste de ses qualités. Connard de lâche.
• François lui répète dix fois d'appeler les urgences. Maintenant. "T'appelles les urgences psychiatriques. T'as le numéro." Il le lui redonne, au cas où. "Appelle les urgences, Chérif. Ensuite tu me rappelles pour me dire que tu l'as fait. Okay ?"
Appelle.
• Il appelle.
• Reste un quart d'heure au téléphone avec une inconnue avant qu'elle lui demande s'il peut passer. S'il a quelqu'un chez qui aller. S'il est seul.
•  Oui. Non. Oui.
• Il se fait pas confiance pour aller chez ses parents. Il se fait confiance pour rien du tout.
• Même pas pour prendre le métro ou la voiture jusqu'à l'hosto. Pas dans cet état.
• Il envoie un sms à François, pour pas le déranger, et rappelle la meuf des urgences.
• Elle reste en ligne avec lui le temps qu'ils trouvent comment le faire venir en bus.
• Il manque de l'envoyer chier dix fois, tellement il est à fleur de peau, mais elle le retient. Elle le laisse juste quand il est dans le bus.
• Même là, c'est pas gagné. Il pourrait se barrer au prochain arrêt. Pas prendre le bon ensuite. Les moyens de claquer, ici, c'est pas ce qui manque.
• Mais il arrive à l'hôpital. Il sait pas trop comment il se démerde, mais il y arrive.
• Il passe les portes des urgences.
• Parle à une autre fille.
• Se sent con ; manque de faire demi-tour.
• Reste.

Et il reste.

• Chérif est hospitalisé pour la troisième fois le 08 mars 2008. Pour ce que ça vaut, c'est un samedi.
• C'est volontaire, cette fois, mais aussi dix fois plus violent pour son moral. Il a pas essayé de se foutre en l'air, cette fois, donc ses proches comprennent encore moins pourquoi.
• Qu'est-ce qui va pas ? Pourquoi maintenant ? C'est quoi le problème ? Il s'est passé un truc ?
Il sait pas. Il sait pas. Il sait pas. Non.
• Ça le mine si fort qu'il les envoie chier. C'est encore Alain qui le comprend le mieux, pour le coup. Un truc de mec calme et compréhensif. Il pose pas de questions ; il se contente de faire attention à ce qu'il aille bien. S'il s'est retrouvé à l'hôpital, c'est qu'il avait besoin d'y être. Ça s'arrête là.
• Il va pas le lui dire mais pour une fois, il est content qu'il soit là.
• Vraiment.
• En attendant, ils baissent son traitement pour le lui changer, et son humeur s'en ressent.
YOLO mon gars.
• Il fume agressivement. Perd aux cartes. Dort beaucoup. Mange parce qu'il faut bien.
•  Essaie de taxer des clopes à une fille qui s'appelle Julie.
• Julie, elle est genre. Bonne. Pas comme une Chakiba ou une Charlène, parce qu'elle a pas une tronche de mannequin et à peine plus de formes qu'une planche à repasser, mais quand même. Elle est pas mal.
• Bon, Chérif trouve à peu près toutes les meufs bonnes. Mais. Elle doit pas être loin de son âge, elle a l'air d'en avoir rien à foutre et elle a un sourire mignon.
• Ça lui va, ok.
• Du coup il la drague. En lui taxant des clopes.
• Ça marche pas fort. C'est le premier à pas être étonné, mais il insiste quand même ; pour la forme. Son honneur de mec viril. Il sait pas.
• Il est peut-être un peu désespéré. Faut voir.
• Julie veut pas de lui, de toute façon, ça c'est clair. Elle lui tapote l'épaule et il grogne.
"T'inquiète, t'es mignon quand même.
• Wesh okay, cool — ça lui sert à quoi d'être pas mal si personne veut de lui, hein ? Va falloir lui expliquer. Il capte pas bien le principe, là.
• Julie rigole.
• Il la défonce aux cartes pour se venger.
Connasse, va.

• Ce que les infirmiers surveillent de loin, à la base, parce que ça oscille dangereusement entre le harcèlement et les prises de tête (vaut mieux rester prudents ; ils ont leurs problèmes, ce serait con de les laisser empirer ceux des autres) ne va pas bien loin et retombe vite dans la case "amis qui se foutent sur la gueule de temps en temps, parce que c'est comme ça qu'on communique".
• Ça, le personnel peut tolérer. C'est bien, même. Chérif avait pas vraiment d'amis, ici, jusque-là.
• Ou alors personne qui soit resté et avec qui il ait gardé contact. Juste des gens qu'il connaît de nom, vite fait, comme ça.
• Avec Julie, le courant passe. Elle a quatre ans de moins et sûrement des problèmes, vu qu'elle est là, mais ils en parlent pas. Pas au début.
• Tout ce qu'il sait, c'est que c'est une grande habituée. Elle a passé pas mal d'années hospitalisée, étant ado. Et là elle rechute, donc bonjour bonsoir.
• Il lui tape un check. Sup, soeur de rechute.
• Avec une pote dans le coin, c'est un peu plus gérable. Il a des perm', certains weekend, et s'en sert pour aller chez sa mère. Ça lui fait du bien de sortir, un peu.
• Amine le charrie avec Julie, parce que ce serait pas drôle sinon, et se fait envoyer chier. Il a pas besoin qu'on lui rappelle qu'il s'est fait jeter, oKAY. CA VA. MERCI.
• Il s'est résolu à claquer célibataire. Plus son combat. Bye.
• La tête que ça fait tirer à Amine lui refout un coup de culpabilité dans la gueule. C'est pour ça qu'il se plaint jamais.
• Il supporte pas. De savoir qu'ils sont là, à s'inquiéter pour lui, à être tristes. Il veut pas. C'est assez dur de devoir gérer le reste comme ça.
• Non merci.
• Julie, au moins, elle est pas triste. Elle fait "wep, bon plan" et lui pique une clope. Ça, il gère mieux. C'est plus facile.
• François lui fait son sourire de "y'a plein de trucs à dire à ce sujet, si tu veux bien creuser plus loin" mais il a pas l'énergie de sortir la pelle métaphorique. Donc ça reste comme c'est.
• Les sentiments, c'est chaud. Surtout les plus compliqués.
• Et ce qu'il ressent pour lui-même, waw. C'est du chinois. Y'a du boulot, putain.
• "Ça tombe bien, je suis là pour ça."
Cool, François, merci. Retourne voir ta femme au lieu de t'emmerder avec moi.
• Son coup de sang lui vaut un froncement de sourcil qui veut aussi dire "y'a un truc à creuser" — mais il a encore moins envie de chercher, alors il coupe net la conversation.
• Le bon psychologue n'insiste pas.
• Un truc à la fois.

• Fin juillet 2008, Chérif fixe mauvais le type maquillé qui squatte sa place sur le banc, à côté de Julie.
• Il a une gueule de petit con et si c'est son copain, il est prêt à faire le père en colère pour le dégager.
• Il est gentil comme ça.
• (son nouveau traitement a pas encore kick in ; c'est pas la joie, en ce moment, et si Julie le remplace il sait qu'il va juste être capable de se foutre en PLS dans un coin et d'attendre qu'on le redresse de force)
• Julie, telle Jésus, a des super-pouvoirs ; elle capte totalement que Chérif est au bord de la crise. Du coup, au lieu de l'ignorer comme elle a grave envie de le faire, parce que qui voudrait passer du temps avec lui, hein, il sait pas, eh ben elle agite les bras et l'appelle.
• Il se barre.
• Elle le rattrape.
• Elle finit accrochée à son dos et lui pique sa casquette. C'est pas bien violent, parce que Julie a pas de force et qu'il ose à peine la pousser, tellement ses os sont apparents ; puis il est pas au top, lui non plus, donc l'énergie est pas là.
• Un combat d'handicapés, quoi. Ça vend du rêve.
• Bref — le mec qui se tartine du noir sur la tronche comme une pédale un peu trop fière, c'est Benjamin. Son petit frère.
• Il lui serre la main, parce qu'il est poli, mais sa tête lui revient putain de pas.
• Genre c'est carnaval, là ? Il fout quoi. C'est quoi le délire.
• Benjamin lui explique gentiment qu'il est emo. C'est un STYLE. C'EST POPULAIRE, OKAY. Il sort d'où pour pas savoir ça ?
Ben de la cité, ducon. Je m'appelle Chérif, pas Edouard-Mathieu.
• Ils apprennent donc tous dans la joie que nan, y'a pas d'emos dans la cité. Incroyable. Enfin y'en a peut-être, mais il a jamais vu de Mourad ou de Younès se foutre de l'eyeliner ou il sait pas quoi. Il s'en souviendrait.
• Les homos, là ? Pas super bien vus. Ça passerait pas, mec.
• Ça offense ce pauvre Benji (qui est EMO, pas HOMO), mais Chérif s'en fout.
• Il récupère sa casquette et repart fumer.
• Assez d'interactions pour la journée, merci bien.

• Tout le monde voit bien que c'est pas la forme, en ce moment, donc on le laisse respirer — sans le laisser en roue libre, non plus, parce que ce serait pas mieux.
• Ça dure un mois. Deux mois.
• Les nouveaux médocs font zéro effet. Nada. Que dalle. De la merde.
• C'est pire, même.
• Au bout de trois mois, c'est l'enfer. Il est énervé, il en a marre, il se déteste, s'en veut, en peut plus des autres, a envie de les envoyer chier et de jamais les revoir.
• De mourir, aussi.
• C'est récurrent.
• Il fait des conneries. Dit des trucs pas sympas. Sait pas très bien.
• Se met à pleurer au milieu de tout, et nom d'un chien ce qu'il peut détester ça.
• Il déteste ça si fort.
• Il a l'impression d'être en train de claquer. Juste très lentement.
• Il veut pas ça.
Heureusement qu'il est à l'hosto, putain.
• La pauvre Julie reste dans son coin. Elle sait bien que c'est pas sa faute, qu'il est malade, mais ça fait pas plaisir de se faire envoyer bouler non plus. Faut qu'il respire, là. Elle reviendra après. S'il veut bien. S'il a envie.
• S'il la déteste pas pour de vrai.

• Novembre 2008, il va mieux.
• Il sait pas pourquoi. Peut-être que les anti-dépresseurs font enfin effet. Il en sait rien, lui — il est pas médecin. Il commence à se dire qu'ils sont un peu cons, les psychiatres, mais il va pas le leur dire en face.
• C'est pas facile, la médecine, ok. Il a compris.
• Il s'excuse à Julie en lui offrant des clopes. Parce que c'est mignon, de se bousiller les poumons, oui. Il envoie chier l'infirmière (gentiment) et entasse les clopes et les cafés sur sa pote.
• Elle le câline et s'excuse aussi — même si elle a rien fait du tout, de son avis, donc il se sent mal qu'elle se sente obligé de le faire.
• N'empêche, il est content.
• Elle lui a manqué.
• Une fois le pire passé, il peut retourner en perm' chez lui et vérifier que tout le monde va bien. C'est le cas, donc cool. Les potes sont en forme, la famille impeccable. Cool cool.
• Il juge un peu Aïcha, parce qu'elle est toujours pas enceinte, et se prend une claque verbale derrière la tête parce que WOW. CA SE FAIT PAS, CHERIF.
• Elle aura un bébé quand elle voudra avoir un bébé, okay. Avant la ménopause.
• Il lève les yeux au ciel. Ouais ouais.
• Elle est pas loin, faudrait se dépêc- oui, bon, il se tait, pas la peine de le regarder comme ça, sheesh.
• Les femmes, je vous jure.
• Entre temps, il se retrouve à fumer avec le frère homo de Julie.
Emo, okay. Pareil.
• Il l'a pas entendu dire qu'il suçait pas, hein.
• Donc.
• Le mec a des goûts musicaux carrément nuls, et il trouve pas les siens beaucoup mieux. À part ça, il est genre. Acceptable. Pas la pire compagnie.
• Il a dix-huit ans et vient de commencer l'université. À peine un adulte, et ça se voit. Pas juste parce qu'il se fout du maquillage sur la tronche et s'est percé la gueule pour aller avec, hein — il a juste une dégaine de machin tout jeune.
• Enfin. "Tout jeune". Motivé et plein d'espoir, quoi.
• Bon, peut-être qu'il a juste passé trop de temps à l'hosto. Ça se vaut.
• N'empêche que Benjamin ressemble à rien, qu'il est chelou, qu'il comprend que dalle à comment il pense, qu'ils ont mais rien en commun, et que ça lui fait du bien. Va savoir pourquoi.
• L'air frais. Une connerie du genre.
• Ou alors c'est son petit côté Julie, qui lui plaît. Pas prise de tête, tranquille, pas facile à fâcher pour de vrai. Compréhensif. Les Decochereux posent pas de questions ; ils écoutent. Ils restent là.
• Il les aime bien.
• Plutôt crever que de l'admettre à Benjamin — on a sa fierté —, mais bon. Ça se voit. Il pense. Il espère.
• Il fume avec, quoi. C'est bien un signe qu'il le tolère. Il a passé les tests.
• Test de quoi, il sait pas. C'est plutôt lui qui devrait les passer, hein — des deux c'est pas Benji, le mec chiant et caractériel. Il voit pas trop pourquoi il s'embête à passer même dix minutes avec lui quand il pourrait les passer tranquille avec sa soeur.
• C'est un mec cool.
• Et comme tous les gens cools au monde, Chérif le mérite pas.

• Décembre passe ; janvier aussi. Il va toujours mieux.
• Il joue à des jeux de merde avec Julie. Écoute les musiques craignos de Benjamin. Fête son anniversaire tranquille entre l'hosto et chez lui. Apprend que Sayed va se marier. Qu'Aziz pense à faire pareil. Poke les petits pieds de Nadia, qui va avoir quatre ans cette année et appelle totalement Amine papa. Ouaip, bon.
• Il a toujours peur que sa Chakiba se barre avec en lui faisant un doigt, mais c'est pas son problème. Il est pas capable de le gérer, là, donc il laisse le frangin se démerder. Au pire il ira pleurer sur Aziz. Ils se débrouillent bien entre eux.
• Et sans lui.
• Bon, il va mieux. Il va pas bien.
• On a compris.
• En février, c'est Julie qui fait une rechute des enfers. 2009 commence pas bien pour tout le monde.
• Pour le coup, c'est Chérif qui se sent inutile et con. Benjamin est gentil, donc il vient s'asseoir à côté de lui. Comme ça ils se sentent cons et inutiles ensemble.
• C'est un peu mieux que l'être tout seul.
• Quand y'a pas sa pote, c'est un peu le seul qui capte ce qui se passe sans qu'il ait besoin de se justifier de droite et de gauche. Il doit avoir l'habitude, vu que sa soeur se promène de la maison à l'hosto depuis qu'il est gamin ; ça doit y faire. Il est peut-êre aussi juste comme ça. Question de culture. De tout.
• Sa famille essaie, mais ils ont du mal. Puis y'a son père, aussi, dans le fond des photos, qui aide pas.
• Il les a entendus s'énerver contre lui. Tous.
"C'est de sa faute, s'il est pas là. Il est parti tout seul."
"Je lui en veux, tu sais."
"Il nous détestait, ou quoi ?"
• Tout ça, c'est valable pour lui aussi. Il le sait. Il le sait.
• Ils lui disent juste pas en face.
• Benjamin et Julie, ils sont loin de tout ça. Alors c'est plus simple. Moins de bagages.
• Sans elle, il se sent carrément plus seul.
• Alors il reporte sur Benjamin.

• Y'a un moment, quelque part en mars, où "le frangin de Julie" devient "Benjamin". Il s'en rend pas compte ; ça se fait entre deux clopes et une insulte sur My Chemitruc Romance. Son groupe à la con, là. Il arrive pas à le dire.
• C'est pas notable, à ses yeux. Ça veut juste dire qu'il l'aime bien, quoi — et il le savait déjà. Il est pas AVEUGLE non plus. Il sait encore quand il apprécie les gens.
• Eeeet François le regarde avec son petit sourire de con, là. Il aime pas trop ça.
• Qu'est-ce qui le fait marrer, HEIN. QUOI.
Rien, rien.
• Par moments il a l'impression que le mec se fout de sa gueule, et même pas dans son dos. Heureusement qu'il le tolère, parce que wow. Le manque de respect, ici. Dingue.
• Il a l'air à deux doigts de lui sortir un truc profond sur lui-même ; il fait ça, des fois. Lui galère à faire dix phrases sur des trucs qu'il ressent, ou pas, il sait pas, et François boom, il résume en clignant des yeux et d'un coup tout fait sens.
• Mais là, il dit rien.
• Pas encore le moment, peut-être.
• Sûrement.

• En avril, Julie va mieux. À peu près. Assez pour pleurer parce qu'elle a pas le droit aux perm' en ce moment, en tout cas — et assez aussi pour gronder sur son frère quand elle trouve qu'il squatte trop son pote.
• On se calme, wow. Personne squatte personne.
• Ils chill juste ensemble en écoutant MCR. Ça craint toujours, mais bref.
• (MCR c'est facile à dire, donc il se décide à juste les appeler comme ça ; c'est plus sympa que "les guignols en noir, là", et manquer de respect à Benjamin le fait moins rire qu'avant)
• (il se fait chier à apprendre ses groupes préférés, lui, alors il a pas le cœur de se foutre des siens)
• En vrai, il a passé son temps à le taxer pour avoir des infos sur sa sœur. Donc c'était pas entièrement du squattage honteux. Y'avait un motif.
• Puis il a rompu avec sa copine, donc il a encore plus de temps pour eux. Voilà.
• (ça lui a fait un peu trop plaisir pour pas le rendre coupable, mais ça c'est un autre problème)
• Julie est pas passée loin de devoir être hospitalisée — mais genre, pas en psychiatrie ; sous perf' et tout — tellement ses problèmes sont repartis. Ils pensent avoir trouvé un truc qui va l'aider, qui sera plus équilibré sur le long-terme, et elle a l'air contente, alors Chérif est content pour elle.
• Allongé à côté d'elle, il la fixe tendre ses petits poignets tous maigres. Elle a des cicatrices.
• Il lui a jamais posé la question.
• Il en a pas, lui. Ou rien de visible. Le mec qui l'a tiré en arrière sur le pont a pas laissé de trace en le choppant. Celui qui l'a empêché de se jeter sous le métro non plus.
• C'était genre, tout ou rien. Pas de seconde chance.
• Il sait pas si elle a fait ça pour mourir ou pour autre chose. Il sait pas non plus qui l'a trouvée avant qu'elle claque, si c'est le cas. Il espère que c'était pas Benjamin. Il espère que ça fait longtemps, et qu'elle y pense plus.
• Il arrive pas à comprendre qu'elle se trouve grosse. Elle est plus jolie quand elle mange.
• Il est sûr qu'elle arrive pas à comprendre pourquoi lui a voulu faire le pancake sur l'autoroute, elle.
• C'est pas grave.
• Il lui tapote la hanche, elle lui tapote l'épaule, et ils se plaignent d'une des aide-soignantes en riant.
• Elle est tellement cool.
• Il voudrait lui dire qu'il est content qu'elle soit en vie. Si elle était morte, il l'aurait pas rencontrée, et il serait peut-être mort aussi. Mais il sait pas comment dire un truc pareil.
• Il se dit qu'il le fera plus tard. Il trouvera bien un truc.

• Quand on cherche on trouve, hein ? C'est ce qu'on dit.

• En mai, Chérif prépare sa sortie. Il va au mariage de Sayed. Se met au sport à l'hôpital. Ça le dépense ; c'est cool. Julie peut pas, mais elle l'encourage.
• Amine se fout de la gueule de Benji le jour où ils se croisent par hasard, en visite, et Chérif lui fout un coup sur la tête. Oh. Respect. C'est son pote.
• Il grogne, mais il accepte. C'est pas un mauvais garçon, ça va. Il est juste con. Comme lui, quoi — même format.
• Benjamin doit être grave impressionné par son autorité naturelle sans limite de défenseur des veuves et d'orphelins, parce que si Amine passe en mode "gamin qui vient de se faire engueuler devant toute la classe", lui il vire "mec super gêné qui rigole comme un âne".
• (un peu comme Mourad le jour où Aïcha l'a défendu d'un petit con, sinon, mais la comparaison lui plaît moyen)
• Le QI ambiant est négatif. Il sait pas quoi faire d'eux.
• Voir ses potes de l'hôpital se mélanger à ceux de l'extérieur lui fait bizarre. Il aime pas trop ça. Jaloux, un peu.
• Ça reste mignon, et il sait bien que la plupart sera pas du genre à s'entendre, donc il oublie vite.
• Pas un problème immédiat.
• Voire du tout.
Mais bon. Il aime pas ressentir ça. Il se sent nul, dans ces moments-là. Tout le monde est sympa avec lui, et lui —
• ...  Bref.
On s'apitoie pas.

• En juin, Benjamin lui demande s'il veut sortir avec lui.
• En perm'. Pas autrement. Juste — sortir au bar, ou, il sait pas. Faire un truc. Se changer les idées ? Genre boire un coca, il sait pas, pas besoin de faire un truc de ouf en fait. Juste. Bouger un peu. Il inviterait bien Julie mais, bah. Elle peut pas.
• Chérif le regarde galérer pire que s'il était en train de le demander en mariage pendant deux minutes, avant d'avoir pitié de lui et d'accepter.
• R e s p i r e. Il veut bien aller au bar, pas de problème. Ça peut être sympa. Faut juste qu'il évite de trop boire et machin, sinon les grands vilains médecins vont pas être contents.
• Benji l'est, lui. Content. Du coup lui aussi.
• Les petits plaisirs simples de la vie.
• Il va pour lui demander son numéro, se rend compte qu'il l'a déjà, a aucune idée de quand, où, comment, et se retrouve beaucoup trop perturbé par cette information de la plus haute importance. Mais bon. Il l'a. C'est ce qui compte.
• Son premier instinct est d'en parler à personne — et ça l'offense si fort qu'évidemment,  il le sort à Julie.
• Julie qui boude parce qu'elle veut sortir aussi, mais blergh. Pas possible, non.
• Elle a pas l'air de trouver ça bizarre ou quoi ; ils sont potes. Ils ont le droit.
• Il est heureux de savoir qu'il peut traîner avec l'un sans devoir s'inquiéter que l'autre soit jaloux. C'est rassurant. En même temps ça arrive pas souvent qu'il soit avec Benjamin sans elle, vu que bon — il vient les voir qu'à l'hôpital, hein, et ils y sont ensemble, mais il préfère être sûr qu'elle va pas se sentir abandonnée.
• Il veut surtout pas qu'elle se sente abandonnée.
• Elle a d'autres potes, à l'hôpital et peut-être même dehors ; il est pas indispensable (évidemment), mais il s'en fout. Ça se fait pas.
• François est d'accord. Donc cool.
• C'est sa boussole, okay. S'il lui dit qu'il est sympa et qu'il fait de son mieux, que c'est un bon ami, il le croit. À peu près. Il a pas de raisons de trop lui mentir, lui. Ils sont pas potes. Faut pas exagérer.
• Il a l'air de penser que sortir lui fera du bien, aussi, donc allez.
• C'est parti.

• Traîner avec Benji en dehors de l'hosto doit être le truc le plus bizarre qu'il a fait depuis des mois. Il l'a jamais vu sans que y'ait des infirmiers ou des médecins dans le coin.
• Ou des mecs chiants qui essaient de taxer des clopes et cassent l'ambiance.
• Les deux, souvent.
• Le fait que Benjamin soit stressé en venant le récupérer aide pas du tout. Sérieux, les nerfs de ce pauvre gars. Il avait jamais remarqué, avant.
• "Assalamu alaykum."
• Chérif reste bête une seconde.
Ah ?
• Le mec passe des talons aux pointes sans sortir ses mains de ses poches, l'air franchement angoissé parce que "wep euh mon père a dit que c'était okay de dire ça sans être musulman mais si ça te dérange genre" blablabla, ta gueule. Il le choppe par la nuque et lui file une tape virile.
Wa alaykum assalam.
• Boom. Tout va mieux. Dépression guérie. Le pouvoir d'Allah.
• (tu parles) (enfin le docteur a même plus l'air trop sûr qu'il soit dépressif, en ce moment, donc ça se trouve hein)
• Ils prennent le RER. Le métro.
• Chérif reste bien loin du quai jusqu'à devoir monter dans les rames, et Benjamin questionne pas. Il recule juste à son niveau en voyant qu'il avance pas plus, et il lui raconte des trucs sur le dernier album de va savoir quel groupe qu'il kiffe grave.
• Y'en a qui le regardent un peu en coin, de temps en temps. La faute à la coiffure débile, t'inquiète. Sûrement que les voir l'un à côté de l'autre doit pas aider.
• Y'a un gus en baggy et casquette et l'autre en jean serré, maquillé, couvert de bracelets et de machins.
• Ça fait rêver, wow. Multiculturel. Acceptance. Tout ça tout ça.
• On dirait un peu le début d'une blague.
Un emo et un rebeu entrent dans un bar —
• Ouais bah en attendant, c'est une journée sympa.
• Ils trainent. Mangent un truc. Trainent encore. Discutent. Passent au bar.
• Rien de ouf, nan.
• Ça lui va.
• Chérif est en phase motivée, là, donc il a pas de mal à suivre, voire à parler plus fort que Benjamin quand ils se prennent la tête (pour rire) sur des chansons ou des films. Ils se mettent d'accord sur un ou deux trucs d'action, puis il l'envoie chier quand il lui parle d'horreur ou de romance.
• C'est facile, dans ces moments-là, d'oublier que y'a un problème. Parce que y'a pas l'air d'en avoir. Il va bien.
• Le seul truc qui va pas, ici, c'est que Benji a des goûts de mERDE. Comme sa sœur, hein — mais différent.
• C'est de famille d'avoir des goûts de merde. C'est pas grave. Il lui pardonne.
• Benjamin finit avec sa casquette sur la tronche parce que c'est de famille aussi, le vol de casquettes, et ça lui donne l'air tellement con qu'il la lui laisse.
• Y'a des moments de flottement, des fois, où il le fixe et se demande ce qu'il fout là.
• Il doit bien avoir d'autres potes, le mec. Il est sympa. Il peut pas être tout seul, à la fac, même s'il a un look débile.
• Du coup il pourrait être ailleurs. Avec d'autres gens. Ce serait plus...
• Puis Benjamin manque d'éborgner un type en faisant de grands gestes de bras, là, comme le con de moulin qu'il est, et il est trop occupé à lui chopper le bras et à le traiter de con en arabe et en riant pour réussir à penser à autre chose.

• Si c'était une fille, il aurait peut-être tenté un truc.
C'est con.

• Juin se finit. Juillet avec.
• Il sort de l'hôpital.
• Cette fois, ils se disent qu'ils vont faire gaffe. Vaut mieux lui trouver un truc stable pour éviter qu'il doive se faire hospitaliser encore. C'est pas terrible, les allers-retours. Surtout pour son estime de lui. Et elle est déjà bien foutue, celle-là.
• Alors il se retrouve en ambulatoire tous les deux jours, et ce sera tous les jours si ça va pas ; le boulot c'est niet pour l'instant. Il va avoir des aides. Il en sait rien, c'est l'assistante sociale qui gère ça. Cool pour elle.
• Lui il sait juste gérer ses assurances et son loyer et tout le barda — les machins de mec qui va mal, c'est pas son domaine d'expertise.
• Il aime pas ça.
• Ça reste mieux que de dépendre de sa mère et d'Alain, faut pas croire. Mais il aime pas ça.
• Quand il est pas occupé à bosser sur lui-même et ses problèmes d'arabe trop blanc (ou de français trop mat, pareil), il passe voir Julie ; Benjamin. Séparément, du coup. C'est bizarre, mais bon. Pas grave.
• Il passe voir Amine et Chakiba. Toujours pas séparés, mais toujours pas mariés non plus. À croire qu'ils font exprès de le stresser, là.
• Sayed est occupé. Mourad aussi. Il les voit comme il peut, mais bon — c'est plus pareil. Ils sont adultes, et il sait qu'ils ont du mal à trouver par quel bout le prendre. C'est compliqué.
• Y'a un fond de "okay, t'es triste — mais pourquoi, en fait ?" qui le saoule si fort qu'il préfère pas les voir, par moments. Les silences bugués, malaisants, quand ils parlent de leur copine et de leur famille et de leur boulot et que lui, bah. Il a rien à dire.
• "Ah bah je suis en vie, écoute, je trouve ça pas mal hein."
Ouais bah c'est la base, pour eux, pas de quoi être fier.
• Aïcha lui dit qu'elle. ESSAIE. Va essayer. D'avoir un bébé. Il est autorisé à lui faire des blagues sur la ménopause si elle y arrive pas.
• Il va pas se gêner, pas de soucis. Il est prêt. C'est le but de son existence.
• Non mais ça va bien se passer, il s'en fait pas. Aïcha fera une super maman. Sûrement. La sienne a été okay, et elles se ressemblent — donc y'a pas de raisons. Elle en a réussi deux sur trois. C'est Bachir qui a dû foirer le dernier.
Ou je me suis foiré tout seul. Va savoir.
• Il voit Aziz, une fois, avec Amine. Il a l'air d'aller bien. Pas plus tranquille qu'avant, mais on espère plus le changer. Il a quand même un job et une copine, et il est toujours collé à la hanche de son frangin, donc il s'en fait pas pour lui non plus. L'important c'est que sa vie lui aille comme ça.
• Et lui, il soupire.
• Le "pas de quoi être fier" lui reste en travers de la gorge. Il en parle avec son psy, mais ça résout pas tout. Le pauvre François est pas magique.
• Faut juste faire avec.
• Rester fort, ou une connerie du genre. Il a l'habitude. Il serre les dents et repart pour un tour.
• En août, y'a le ramadan.
• Il peut le faire, cette année, donc il est content. À l'hôpital, c'était compliqué.
• Bon — il doit adapter, quand même. Décaler les médoc c'est un peu chaud, et tout le monde est plus ou moins d'accord pour dire que c'est un cas de force majeur. Du coup il a le droit à son verre d'eau.
• C'est qu'un verre d'eau.
• Bah ça le fait chier.
Vraiment.
• Il change les idées de Julie en allant perdre à répétition aux triominos tout un aprem'. Bon, c'est un peu compromis parce que y'a Benjamin qui arrive entre temps et qu'il réussit à la défoncer une ou deux fois, mais c'est pas grave. Elle soupçonne un complot, en plus. Alors que même pas. Ils sont juste vraiment venus le même jour, au pif.
• Ça arrive.
• Au moins il est pas arrivé au milieu d'une partie avec ses parents. Il a vu leur père une ou deux fois, de loin. Ça lui a suffit.
• Il a une gueule de médecin. Lui, de chômeur. Il s'en tient éloigné par réflexe. Il est à peu près sûr que y'a des trucs qui devraient pas se mélanger, dans la vie. Genre les Decochereux et les Bouzidi.
• Ça l'empêche pas de traîner avec les gamins, okay. Mais c'est pas pareil.
• Il a juste une petite faiblesse pour leurs têtes de débiles.
• Benjamin se fait chier à pas boire ni manger, quand ils se voient. Il est pas obligé.
• C'est sympa.
• Il fait même pas ça pour marquer des points ou se faire bien voir ; il le fait juste parce qu'il est respectueux. Il est à peu près sûr que Julie ferait pareil, si elle pouvait.
• Il a tellement hâte qu'elle sorte. Pour elle, surtout. Qu'elle puisse refaire des trucs. Bouger. Vivre. Il sait pas. Il veut qu'elle aille bien.
• Du coup il est pas trop sûr de lui, en septembre, quand il demande à Benji si lui et Julie veulent fêter l'Aïd avec eux. Lui, il est pour ; dans l'idée. Le partage, tout ça. Il les kiffe grave, ça lui ferait plaisir qu'ils soient là.
• Mais il veut pas non plus que Benjamin se sente seul et paumé. Il connaît ni sa famille ni ses amis. Et il veut encore moins que moins que ça fasse des problèmes à Julie. L'Aïd, c'est. Ouais. Va y avoir à manger, quoi. Ça reste la fin du ramadan.
• Benji plisse les yeux.
• C'est ok. À priori. Il va demander à Julie d'en parler à ses médecins.
Cool.

• Après délibérations, Julie gagne le droit super important de venir passer le 19 chez lui. Elle rentrera pas tard, et passera la nuit chez sa mère. Benjamin la ramènera. Après, s'il veut revenir, c'est lui qui voit.
• Il a choppé un des psys pour lui demander de le briefer, genre, sur la base. Si y'a des trucs importants à pas faire, parce qu'il veut pas qu'elle se sente genre. Mal.
• Il pow-wow aussi avec le frangin. Les, même. Il choppe Amine pour avoir un soutien indéfectible au cas où quelqu'un saoule Julie.
• Le plan d'action est pas super compliqué, au final, mais il préfère en avoir un. Ça le rassure. Il balance le menu à Julie avant, qu'elle sache à quoi s'attendre, et quand elle arrive, il vérifie bien qu'elle se fait pas harceler pour autre chose que les conneries habituelles. À savoir : sa relation avec lui (parce que eVidEmMeNt, une femme est entrée dans la pièce, il faut savoir s'ils vont se marier), et tous les trucs de travail et de famille et de machins.
• Elle se débrouille pas trop mal. Au bout de la troisième fois où sa mère lui demande ce qu'elle pense de lui, il vient quand même la sauver. Ça va, maman, merci, pas besoin de mE FAIRE JETER DIX FOIS DANS LA MÊME SOIRÉE. Juste. Une. Pote.
• Benjamin se marre bien, de son côté. Il peut crâner avec ses assalamu alaykum de grand pro. Sérieux, sa mère l'a adopté direct rien que pour sa prononciation impeccable.
• Le voir sans maquillage ni bracelets et bagues de partout le fait grave dissocier. C'est la première fois qu'il le voit sans. Il a l'impression qu'il vient de rentrer dans la pièce à poil, no joke. C'est terrible.
• Ça lui vaut une grimace et une épaule poussée quand il lui explique pourquoi il le fixe, mais c'est vrai, okay. Il a pas la même tronche. C'est perturbant.
• Bon, valait mieux pas venir chez lui sapé comme une tante, mais oof. Bizarre.
• Super chelou.
• Il passe le reste de la soirée à se marrer et à faire le bouclier entre Julie et les gens un peu trop chiants. Lui et Amine font une super coalition quand il s'agit de faire barrage entre les "mais t'as rien mangé prends quelque chose" totalement bien intentionnés mais super lourds et le petit cœur en rémission de sa copine.
• Elle a l'air fatiguée, à la fin, mais pas trop stressée. Pas en colère. Il pense pas qu'elle regrette, quoi. C'est déjà ça.
• Elle reste accrochée à lui deux minutes quand elle doit rentrer, parce qu'elle le kiffe grave, et il la kiffe grave, et c'est mignon et dégoûtant et il va en entendre parler en rentrant parce que évidemment sa mère va trouver un truc à dire. Mais c'est pas grave.
• Il câline pas Benjamin, parce que. C'est un mec.
• Ça empêche pas, mais. Bref.
• Il le fait pas.
• Il les laisse partir avec un petit pincement au cœur.
• C'était cool, au moins.
• Dix minutes après, Benjamin lui envoie un message pour lui dire qu'il dépose Julie et qu'il revient.
• Il est indécemment content — mais quand on passe la moitié de son temps à essayer d'aller un peu bien, on prend ce qu'on a. Il va pas se plaindre de ressentir des trucs positifs.
• Si c'est cool, c'est cool. C'est tout.
• C'est comme ça.

• Au final, Benjamin est resté dormir là.
• Il sait pas ce que Julie lui raconte quand elle l'appelle, le lendemain, mais ça le fait grogner, se retourner vers lui, et partir finir la conversation dehors.
• Pas du tout louche.
Nope.
• Chérif décide très sérieusement que ce sont pas ses affaires et retourne gérer les siennes. Nommément : aider sa mère et Alain à tout ranger. Parce que c'est grave un bon fils. Contrairement à Amine, qui a dû retourner chez Chakiba parce c'est un mauvais fils pas marié avec sa copine qui a totalement une gamine illégitime sur les bras.
Moi aussi je t'aime, frangin, tkt.
• Il aurait aimé être là le jour où il l'a dit à ses parents, quand même. Ça a dû être marrant.
• M'enfin.
• Il raccompagne Benjamin jusqu'en bas comme un gentleman, rien que pour le plaisir de le fixer dix secondes de plus mal réveillé et pas maquillé —
• (parce que c'est rare, comme une éclipse ; ça se contemple avec respect)
• — et lui souhaite un bon retour, hasta la vista, dit bonjour à Julie pour moi.
• Le mec reste deux secondes de plus planté là, sûrement pour le plaisir de voir que lui est super réveillé et frais dès le matin, et finit quand même par se barrer.
• Bien.
• Quand il revient, Alain lui dit qu'il le trouve sympa. Les deux, en fait.
• Bah tiens.
• Il va lui mettre la pop de Julie et les trucs emos de Benji, il va voir s'il les trouve sympas longtemps.

• 2009 aura été la première année depuis... Eh ben, depuis l'autoroute — 2005, donc — où Chérif aura passé le mois de septembre sans avoir envie de se jeter par la première fenêtre qui passe. Alors qu'il aurait pu. Y'avait des fenêtres qui s'ouvrent complètement et sans barreaux.
• C'est un peu une victoire. Il est un peu fier.
• François hoche la tête. Lui aussi, il est fier.
• Et c'est pas si mal, comme sentiment, en fait.

• Octobre passe. Novembre aussi. Décembre aussi.
• Chérif passe beaucoup de temps avec Benjamin — on le lui fait remarquer, par moments — mais il se contente de grimacer et envoie chier les concernés.
• Ça va, hein. Il fait ce qu'il veut.
• Le type est collant. Il y peut rien.
• (tu parles — c'est lui, le mec collant, pas le contraire)
• Julie va mieux, en ce moment, et commence gentiment à parler de sortir de l'hôpital. Ça va prendre le temps, parce qu'il faut qu'elle ait des projets, un travail ou une formation, peut-être un appart', tout ça, mais il l'encourage à fond. Quand elle sortira, ils iront faire un truc de ouf. Genre boire un coca et traîner et parler.
• Benjamin grogne et lui file un coup de coude. Har har har.
• Rhooo. Il charriait même pas. Il kiffe faire ça.
• Ça le fait taire, au moins.
• Julie fixe son frère avec la même tête de "ahun..." que François le fixe lui, quand il sort un truc qui doit avoir plein de sens sans s'en rendre compte, mais même délire que d'habitude : c'est pas ses oignons. Il questionne pas, il demande pas, il veut rien savoir. Ils se débrouillent.
• Lui, il a assez à faire à gérer l'inquiétude de sa mère, Aïcha qui est enceinte et qui flippe, et Amine qui cherche comment demander sa zouz en mariage sans qu'elle dise non direct.
• Il sait pas comment lui expliquer que y'a un problème s'il est à moitié sûr qu'elle va dire non, mais okkk. Amine et Chakiba, hein. Ils. Font. Leur truc. Il sait pas trop. Ils ont une relation chelou, lui il comprend pas.
• Sûrement parce que dans sa tête, un couple, bah c'est plus...
• Complémentaire ? Fusionnel, à la rigueur. Deux personnes qui s'entendent bien. C'est mignon, ça se câline, ça se taquine. S'engueuler tous les quatre matins, ça le ferait flipper.
• Sa mère et Alain sont juste dégoûtants, Aïcha et Younes s'embêtent mais se fâchent pas. Ça, voilà. De bons exemples.
• Il s'est toujours dit que la copine d'Amine serait un genre d'Aziz 2.0 avec de jolies fesses et de la poitrine. Ça lui fait limite bizarre de s'être trompé, pour le coup.
• Il connaît peut-être pas son frangin si bien que ça.
• Ni qui que ce soit.
Merde, ta gueule.
• Il file un coup de massue à la petite voix coupable qui lui tire l'arrière de la tête.
• Pas le moment.
• Il avale ses médocs. Perd aux échecs contre Alain.
• Se fait chier à l'hôpital.
• Sait pas trop s'il va bien, mais répond que oui quand même quand François lui demande.
• Juge totalement Benjamin, parce que sa Jena Lee là c'est pire que tout. C'est quoi cette coiffu — ouais, bon, okay. Il voit pourquoi il aime bien.
• Il a pas hâte de voir la tronche de sa prochaine copine, hein.
"Ou copain."
• Il commente même pas. Il sort juste une clope, hausse les épaules et fait semblant de pas voir celles de Benjamin se détendre.
• Avale ses médocs. Gagne à la belote avec Julie.
• Fête ses 27 ans en famille, et avec Mourad ensuite.
• Benjamin lui offre une casquette ; Julie, un t-shirt. Ils vont bien ensemble. C'est terrible. Il est obligé de les mettre, maintenant.
• Ça lui rappelle qu'il leur a jamais rien pris, à eux.
Un putain de bon ami, wow.
• La culpabilité remonte.
• Le sentiment d'arriver à rien aussi.
• Les insomnies aussi.
• Il se retrouve de plus en plus souvent à prendre un thé avec Alain, tard. Si ça l'inquiète, il dit rien. Il lui demande si ça va, mais ça s'arrête là.
• Chérif s'en veut qu'il doive le lui demander. Ça le fait chier de se dire qu'il leur fait peur.
• Que ça se trouve, ils sont toujours là à se demander si un jour ils vont se lever et il sera plus là.
• Et que cette fois il reviendra pas.
• Que ça va durer pour toujours comme ça.
• Il sait qu'il devrait en parler à son psy, mais il sait pas. Il a pas envie de le faire chier non plus. Le mec a une femme, des gamins ; c'est son boulot, okay, mais ça doit être dur d'entendre tout le monde se plaindre toute la journée.
• Il sait pas.
• Puis Amine est pas là. Il a sa vie.
"T'étais pas là, Chérif."
• Aïcha qui est enceinte.
Je sais pas où je suis, merde.
• Il sait pas.

• Il sait juste pas.

• En mars, il finit par en parler à son psychiatre. Il amoindrit, parce qu'il veut pas retourner à l'hosto et que bref, mais il en parle. Il lui dit qu'il vaudrait peut-être mieux arrêter les anti-dépresseurs. Peut-être qu'il est bipolaire, en fait. Ça vaudrait le coup de voir.
• Chérif fixe le mur derrière lui. Y'a une tache débile.
• Bipo — ? Okay. Bon. Il s'en fout, en fait.
• Ils savent pas. C'est tout ce qu'il retient.
• Ils sont aussi paumés que lui, et à part faire un trou dans la sécu, bah il fait pas grand chose. Mais ouais, allez. Qu'ils changent ses médocs. Il en sait rien.
• Il veut d'abord baisser les anti-dépresseurs. Ça ira peut-être mieux sans, ironiquement.
• Hahahoho. Il se marre, ouais.
• Il fait que ça.
• Il serre les lèvres, sourit un peu, et dit juste "okay".
• Il peut faire quoi d'autre, hein ?

• Que dalle.

• Il va pas assez mal pour justifier une hospitalisation, même courte, donc ils maintiennent les choses comme elles sont et baissent juste le traitement. Ensuite, ils essaieront autre chose. Ça lui va.
• Tout lui va.
• Rien à foutre.
• Il fixe le plafond de sa chambre ; le téléphone, quelque part dans le salon. Des photos. La fenêtre. Le plafond.
• Et quand ça va vraiment pas, cette fois, il appelle pas son psy ni les urgences.
• Il aurait dû. Il aurait franchement dû.
• Mais il a pas envie.
• Et à sa décharge, il prend le téléphone quand même. Pas le volant.
• C'est déjà ça.



Chérif Bouzidi
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Chérif Bouzidi

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« I call it as I see it,
I’m straight as shooters go.
I might indulge a little -
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I call it as I see it,
I’m straight as shooters go.
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I said “fuck it” -
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