Aurora offrit un sourire et un poli levé de chapeau au Daemon aquatique qui avait bien voulu l'emmener jusqu'à l'île qui trônait milieu du lac. La jeune femme aimait beaucoup l'endroit, et n'avait de cesse d'y découvrir des choses nouvelles. Comme toujours armée de ses outils d'observation, elle était prête à passer un agréable après-midi en compagnie de Dame Nature.
Son compagnon de route finit par disparaître au fond de l'eau, laissant derrière lui quelques bulles et la barque dans laquelle il l'avait poussée sans aucune difficulté. Ramer n'était pas un soucis, mais il avait si gentiment offert ses services qu'Aurora n'avait pu refuser. La force contenue dans ses petits bras put ainsi être préservée. Elle réussit donc rapidement à les mettre à contribution afin d'amarrer sa barque avant de partir à l'aventure.
L'ancienne irlandaise n'avait clairement pas froid aux yeux. Asphodèle était à présent comme une nouvelle maison pour elle ; à laquelle elle avait fini par s'habituer bien qu'elle fut en premier surtout animée par la curiosité. Pourtant, face à l'inconnu, ce n'était pas les dangers qui pouvaient manquer. Mais bon, qu'avait-elle de plus à perdre ? Voilà.
Par où commencer, aujourd'hui ? Chantonnait-elle intérieurement. Elle pourrait facilement passer une journée complète à examiner un simple trou d'eau, alors il fallait juste se décider sur quoi se poser ou dans quelle direction s'engager. L'ennui avait souvent du mal à l'atteindre. Bon. Ayant à ce jour plutôt explorer au niveau de la berge, peut-être était-il temps d'aller voir un peu plus loin dans les terres ? L'île était touffue, mais pas bien grande non plus. Son sens de l'orientation lui semblait assez fiable pour ne pas s'y piéger. Aurora n'imagina en fait même pas cette éventualité alors que ses pas la faisaient avancer tout droit. En avant, toutes !

La végétation était dense, mais ne lui rappelait aucun lieu terrestre particulier. Pas question de penser à l'Amazonie, à quoi ou qu'est-ce. La flore entière avait son propre mot à dire avec des fleurs aux pétales énormes et dansantes ou encore des cactus aux formes alambiquées ... jusqu'à ce qu'on se rende compte que c'étaient en fait des animaux. La faune et la flore se titillaient ainsi les plates bandes et vice-versa, de quoi déstabiliser un moment tout bon biologiste. Ah.
Aurora s'arrêta donc pour prendre des notes sur ces cactus mutants qui buvaient près d'un point d'eau en s'installant sur un gros rocher mousseux. Ses carnets se remplissaient sans peine, et elle ne comptait déjà plus les prédécesseurs de celui qu'elle tenait entre ses mains. La plupart étaient rangés dans sa chambre, mais sûrement envisagerait-elle de faire un tri dans ses découvertes pour écrire des ouvrages plus propres. Elle avait déjà remarqué que certaines choses qu'elle avait pu observer ne se trouvaient pas dans les références en la matière de la Bibliothèque. Les évolutions des espèces avaient l'air constant, dans le coin.
Elle avait bien du pain sur la planche.

02|05


L’île qui se dressait paisiblement au centre du lac n’était pas bien impressionnante à première vue, mais dès lors qu’on posait le pied dessus, c’était une autre histoire. Jerilyn ne s’était attendue ni à une végétation aussi dense, ni à une diversité biologique aussi importante.
Enfin, songeait-elle en arrachant ses bottes à la boue, diversité était un mot difficile à employer dans le coin. Asphodèle avait le chic pour faire tourner en bourrique toutes les définitions bien ancrées dans son cerveau. Diversité de quoi, jeune femme. Tous les jours, elle avait le sentiment d’avoir fait un salto au-delà du concept de diversité génétique. La notion d’espèce aussi, partait à la poubelle, tant qu’on y était.
Elle mettait la main sur quelque chose, croyait trouver un semblant d’ordre qu’elle appliquait rageusement sur un des arbres phylogénétiques qui s’étalaient chez elle sur des murs de papier entiers, avec une certaine satisfaction. Et le lendemain-

Le lendemain, elle manquait trébucher sur les grenouilles juvéniles marquées la veille, sauf que l’une était en train de devenir bleue et l’autre de se voir pousser des pattes en plus.
Ou du moins supposait-elle, vu que la bestiole venait tout juste de lui glisser entre les doigts pour disparaître dans le buisson le plus proche d’un grand coup de ses pattes non-règlementaires.
Jerry lança un juron bien imagé et se jeta à sa suite avec une précipitation telle que, une fois les fourrés traversés, elle trébucha et atterrit aux pieds d’Aurora dans un roulé-boulé irradiant de professionnalisme.
Etalée sur le dos, et sans se soucier d’avoir foutu une main dans la mare, l’américaine leva les yeux jusqu’à sa collègue sans manifester la moindre surprise relative à sa présence.

« Salut. Tu es charmante aujourd'hui dis donc. »

Une grimace, et elle tira sur ses abdos pour se redresser et se remettre dans le bon sens. Enfonça sa main trempée dans un tapis de mousse spongieux tout en soutenant de l’autre son genou amoché. Dans un coin de son champ de vision, une branche remua.

« … minute, je reviens »

La grande brune fit une nouvelle disparition momentanée dans la végétation avoisinante, et après un raffut de branchages significatif, réapparut à plat ventre, des feuilles pleins les cheveux et une petite grenouille rougeâtre coincée entre ses deux mains jointes.
Pas plus perturbée que ça par la situation.

« T’as pas vu mon sphénodon bicéphale, tant qu’on y est ? »

Qui n’était certainement pas un sphénodon stricto sensu vu la taille et la couleur, mais Jerry n’était plus à ça près.

Ce n'était pas nouveau, mais les instincts de survie d'Aurora laissaient à désirer.

Lorsqu'un léger bruissement vint des buissons non loin d'elle, elle regarda simplement dans la direction du bruit en inclinant légèrement la tête par curiosité. Rien de grave ne lui était arrivé jusque là, donc elle ne pensa pas un seul instant que quelque chose allait lui sauter à la figure et la dévorer. Et, en effet, seule une drôle de bestiole surgit des feuillages et sauta des genoux d'Aurora jusqu'à atterrir dans le point d'eau avec un *plop* gracieux.

Tout comme Aurora, Les cactus-animaux ne furent pas plus déranger que ça par le nouveau visiteur. Cependant, ce n'était pas tout. Les bruits venant des buissons ne s'arrêtèrent pas et quelque chose de plus gros en sortit. Avec moins d'aisance, Arizona se ramassa aux pieds d'Aurora qui ne put que manifester sa surprise par un lent clignement d'yeux. Les autres bêtes, quant à elle, ont vite déguerpi.

« Salut. Tu es charmante aujourd'hui dis donc. »

« Oh. » Aurora sentit comme une fleur de chaleur éclore en elle. Ses joues se tintèrent subtilement de rose. « Toi aussi. »

Arizona avait l'air en forme, et n'avait certainement pas besoin d'aide. Aurora la regarda se relever sans trop de difficulté. Elle ne semblait pas s'être faite trop mal, et c'était un soulagement. Dans tous les cas, Aurora l'aurait bien entendu aidé s'il y avait eu un problème. Pour le moment, Arizona était juste pleine de boue, mais c'était les risques du métier. Aurora non plus ne voyait pas de problème à se salir, et bien heureusement ! En fait, elle aimait beaucoup la sensation de boue fraîche sur sa peau.

« T’as pas vu mon sphénodon bicéphale, tant qu’on y est ? »

Aurora émit un son pensif. Elle lança un regard vers la mare où avait disparu la bestiole un peu plus tôt. Elle ne se rappelait pas que ça avait deux têtes. Aurora se tourna vers les autres animaux qui s'étaient approchés de nouveau après s'être rendue compte que la nouvelle venue n'était pas une menace. Malheureusement, ils n'avaient pas plus de réponse qu'Aurora.

« Une créature reptilienne est sortie des buissons avant toi, je n'ai pas eu le temps de l'identifier mais elle n'avait certainement pas deux têtes. Elle a sauté dans l'eau, » dit-elle en pointant la mare comme si ce n'était pas le seul point d'eau de la zone. « Je peux t'aider à le retrouver. »

Et avant même qu'Arizona puisse dire quoi que ce soit, Aurora commença déjà à ranger ses affaires dans son sac.

C'était excitant.